La lettre juridique n°766 du 20 décembre 2018 : Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Décembre 2018

Réf. : Cass. civ. 2, 25 octobre 2018, n° 16-23.103, F-P+B (N° Lexbase : A5373YIT) ; Cass. civ. 3, 8 novembre 2018, 2 arrêts, n° 17-24.488 (N° Lexbase : A6366YKY) et n° 17-13.833 (N° Lexbase : A6797YKX), FS-P+B+I ; Cass. civ. 2, 14 novembre 2018, n° 16-23.730, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1461YLP)

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

le 19 Décembre 2018

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Quatre arrêts sont à l’honneur ce mois-ci : le premier, en date du 25 octobre 2018, vient, selon l’auteur, «faire avancer significativement la conception rénovée de la faute dolosive» (Cass. civ. 2, 25 octobre 2018, n° 16-23.103, F-P+B) ; l’auteur a ensuite relevé deux arrêts, rendus respectivement par la troisième et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en ce qu’ils sont l’occasion de quelques rappels relatifs à la déclaration des activités dans les contrats d’assurance de responsabilité, dans les domaines de l’assurance construction d’une part, et des activités de transaction immobilière d’autre part (Cass. civ. 3, 8 novembre 2018, n° 17-24.488, FS-P+B+I ; Cass. civ. 2, 14 novembre 2018, n° 16-23.730, FS-P+B+I) ; le quatrième et dernier arrêt procède à un rappel utile dans le domaine de l’assurance construction, en décidant que les juges doivent prendre en compte la nature des désordres et non le fondement juridique de la responsabilité de l’assuré pour déterminer si l’assureur doit sa garantie (Cass. civ. 3, 8 novembre 2018, n° 17-13.833, FS-P+B+I).

 

I - Etendue du droit à garantie  

 

  • La cour d'appel, qui, dans l'exercice de son pouvoir souverain, a retenu que la persistance de l’assuré dans sa décision de ne pas entretenir la couverture de son immeuble manifestait son choix délibéré d'attendre l'effondrement de celle-ci, a pu en déduire qu'un tel choix, qui avait pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, constituait une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur et a légalement justifié sa décision (Cass. civ. 2, 25 octobre 2018, n° 16-23.103, F-P+B N° Lexbase : A5373YIT)

Décidément, les espaces ruraux sont propices au développement de la jurisprudence sur la faute dolosive ! Après le franchissement de rivière [1], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation trouve, dans une toiture de grange effondrée, l’occasion de faire avancer significativement la conception rénovée de la faute dolosive. On sait que, depuis quelques années, elle reconnaît l’existence, aux côtés de la faute intentionnelle toujours conçue strictement, d’une faute dolosive, elle aussi exclusive de garantie, qui se caractériserait différemment. Il s’agit évidemment de compenser les effets absurdes de la conception la plus étroite de la faute intentionnelle, mais il n’est pas question non plus de consacrer des caractères trop souples au risque de favoriser une stratégie de contournement. Les arrêts les plus récents exigent deux caractères : un comportement et un effet de ce comportement sur l’aléa. Le comportement, c’est un manquement délibéré de l’assuré à ses obligations, et non une simple négligence [2] ou une conscience de faire courir un risque [3]. En l’espèce, on retrouve ce niveau d’exigence dans l’idée que l’inertie de l’assuré, ayant conduit à l’effondrement de la toiture d’une grange, procède d’un choix délibéré. Comment peut-on en être certain ? L’état de la grange, ou d’une partie de la grange puisque la propriété en est partagée, était préoccupant au point de justifier l’ouverture d’une procédure de péril. Une expertise avait été diligentée, des lettres de mise en garde avaient été adressées à l’assuré. Il est aisé d’en déduire que son abstention relève d’un choix délibéré. Ce caractère délibéré est, dans le mécanisme d’exclusion, fondamental. Il y a exclusion parce qu’il y a incompatibilité entre ce qui relève de l’essence du mécanisme de l’assurance et l’existence d’une volonté de l’assuré, qui s’exprime par un comportement donné (action ou abstention). L’assuré doit avoir parfaitement conscience du comportement qu’il adopte et de l’effet de ce comportement sur l’élément fondamental de l’opération : l’aléa. On exige que ce manquement procède d’un manquement à une obligation parce que l’on se trouve dans le registre de la faute [4].

L’effet du comportement de l’assuré sur l’aléa restait justement une des inconnues. Certains arrêts se bornaient à exiger que l’aléa soit simplement faussé quand d’autres recherchaient une disparition de l’aléa. Par son arrêt, la Cour de cassation tranche clairement en faveur de la deuxième hypothèse. La faute dolosive est un comportement de l’assuré révélant un choix délibéré de sa part dont il n’ignore pas qu’il rend inéluctable le sinistre. En l’occurrence, le toit de la grange finira par s’effondrer. L’assuré ne se contente pas de contribuer au risque d’effondrement, il le rend inévitable. A un moment donné, le choix qu’il fait en toute conscience rend le dommage inéluctable. Plusieurs raisons viennent justifier ce niveau d’exigence. D’abord, ne pas retenir une conception trop large de la faute dolosive. On rappellera qu’il est loisible à l’assureur, par le procédé des exclusions conventionnelles, de sanctionner d’autres comportements mais avec un haut niveau de contraintes pour lui du point de vue des stipulations. Ensuite, éviter des discussions sans fin sur le niveau à partir duquel on estime que l’aléa est faussé si c’est l’exigence que l’on retient. Surtout, et enfin, parce que c’est, encore une fois, ce qui justifie la réaction par l’exclusion : par son comportement volontaire l’assuré a supprimé l’aléa alors qu’il est essentiel à la prise en charge de cet événement et de ses conséquences par le biais de cette technique d’assurance.

Faute intentionnelle et faute dolosive ont ceci de commun qu’elles ont pour objet de lutter contre la disparition de l’aléa du fait de l’assuré. Dans un cas, parce qu’il a voulu, par son comportement, le dommage tel qu’il s’est réalisé, dans l’autre, parce qu’il sait que son comportement emporte la survenance de ce dommage [5]. Enrichi de la faute dolosive, on admettra que l’article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) soit la source exclusive de la sanction de la disparition de l’aléa en cours du contrat du fait de l’assuré. La jurisprudence rejette dès lors sagement les tentatives pour aller sur le terrain du droit commun [6].

Dans cet arrêt important, la deuxième chambre civile établit la répartition des tâches entre elle et les juges du fond. Ces derniers ont un pouvoir souverain pour déterminer si le comportement de l’assuré traduit ce choix délibéré de rendre le dommage inéluctable. On se doute qu’elle contrôlera qu’ils caractérisent les éléments nécessaires pour retenir une faute dolosive.

 

  • L’assureur ne doit pas sa garantie dans la mesure où l’assuré a déclaré une activité d’étanchéité par un procédé donné alors qu’il en pratiquait un autre (1ère espèce). La police d'assurance garantissait l'assurée pour l'activité «transactions immobilières», de sorte que le conseil en investissement et défiscalisation, qui en constituait l'accessoire, était couvert par la police (2nde espèce) (Cass. civ. 3, 8 novembre 2018, n° 17-24.488, FS-P+B+I N° Lexbase : A6366YKY ; Cass. civ. 2, 14 novembre 2018, n° 16-23.730, FS-P+B+I N° Lexbase : A1461YLP)

 

Ces deux arrêts publiés au bulletin sont l’occasion de quelques rappels relatifs à la déclaration des activités dans les contrats d’assurance de responsabilité. Ces rappels paraissent nécessaires comme en témoigne la publication au Bulletin des deux décisions. Bien qu’elles concernent deux assurances obligatoires (l’une concernant la responsabilité décennale, l’autre l’activité de transaction immobilière), les solutions s’appliquent cependant indistinctement aux assurances facultatives et obligatoires. De leur articulation résulte la réaffirmation d’un principe et d’une atténuation. Le principe est que l’assurance de responsabilité ne couvre que les activités déclarées par l’assuré [7]. Le premier arrêt, rendu en matière d’assurance construction le rappelle et son application aboutit concrètement à considérer que l’assurance souscrite pour une activité d’étanchéité, selon un procédé, ne vaut pas pour un autre procédé. Le professionnel se trouve donc dépourvu de garantie s’il n’a pas pris la précaution de faire modifier son contrat alors qu’il change ou ajoute une activité. N’étant pas spécialiste de la question de l’étanchéité, on se gardera bien de tout jugement sur la sévérité de la décision.

Cette position jurisprudentielle connaît une atténuation. On peut admettre qu’une activité non déclarée soit couverte si elle constitue une composante de l’activité déclarée [8]. Il est évident que plus l’activité déclarée est précise et moins il sera possible de rattacher des activités induites. Le deuxième arrêt illustre l’application de l’atténuation dans le cas des activités de transaction immobilière. La deuxième chambre civile indique que, selon l’article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 (N° Lexbase : L7536AIX), «relève de l'activité de transaction immobilière le fait de prêter son concours, de manière habituelle, même à titre accessoire, à des opérations portant sur la vente de biens immobiliers ; qu'il s'ensuit qu'à défaut de conditions particulières limitant la garantie ou de clauses d'exclusion, le contrat d'assurance couvrant une activité déclarée de transaction immobilière ou l'ensemble des activités entrant dans le champ d'application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 est susceptible de garantir la responsabilité de l'assuré dans la délivrance de conseils à l'occasion d'une vente immobilière, notamment au titre de conseils en investissement ou en défiscalisation». L’intérêt principal de l’arrêt est la précision qu’il apporte, et qui n’était pas évidente, relativement aux activités relevant de la loi du 2 janvier 1970 : elles intègrent l’activité de conseil en investissement et défiscalisation. A n’en pas douter, il provoquera de nombreuses réactions. La solution est importante aussi quant à son retentissement sur le contrat d’assurance des professionnels concernés. Par cette conception large des activités relevant de la loi, la jurisprudence élargit d’autant les garanties souscrites sous les réserves qu’elle indique [9].

De la comparaison de ces décisions résulte le sentiment qu’un tour de force est réalisé : l’une, adopte une conception stricte des activités garanties, l’autre une conception large, mais toutes les deux sont parfaitement compatibles dans les solutions rendues au regard de l’assurance de responsabilité.

 

II - Assurances du domaine de la construction 

 

  • L'assureur de responsabilité décennale d'un constructeur doit sa garantie pour les désordres relevant de la garantie décennale (Cass. civ. 3, 8 novembre 2018, n° 17-13.833, FS-P+B+I N° Lexbase : A6797YKX ; cf. également les obs. de J. Mel, Lexbase, éd. priv., n° 762, 2018 N° Lexbase : N6459BXI)

La solution adoptée dans cet arrêt de cassation, et destinée à la publication, est comme un rappel adressé aux juges du fond. En l’espèce, un assureur se trouve être assureur de dommages-ouvrage d’une opération de rénovation d’une bastide ancienne, et assureur de garantie décennale de l’un des constructeurs intervenant pour les travaux de toiture-couverture. Après indemnisation sur le fondement de l’assurance de dommages-ouvrage, l’assureur exerce un recours contre des constructeurs intervenus dans l’opération mais évidemment pas son propre assuré. Ceux-ci appellent en garantie l’entreprise chargée des travaux de toiture-couverture (elle se trouve en liquidation judiciaire)… et son assureur. Celui-ci dénie sa garantie en raison du fait que le recours entre eux est fondé sur la responsabilité délictuelle et non sur le fondement de la responsabilité des constructeurs. Les juges du fond suivent cette argumentation. Sur le recours des constructeurs entre eux, les prémices du raisonnement sont correctes : «le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n'est pas fondé sur la garantie décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s'ils ne le sont pas» [10]. Prolonger le raisonnement sur la garantie d’assurance revient, on le comprend, à contrer le jeu de l’assurance construction lorsqu’un assureur est en même temps assureur dommages-ouvrage et assureur de la garantie décennale de l’un des constructeurs. Pour cette raison que la Cour de cassation décide sagement que les juges doivent prendre en compte la nature des désordres et non le fondement juridique de la responsabilité de l’assuré pour déterminer si l’assureur doit sa garantie.

 

 

[1] Cass. civ. 2, 12 septembre 2013, n° 12-24.650, F-P+B (N° Lexbase : A1567KLM), Bull. civ. II, n° 168 ; Lexbase, éd. priv., n° 544, 2013, obs. S. Beaugendre in chron. (N° Lexbase : N8964BT8) ; JCP éd. G, 2014, 383, note A. Pélissier, RGDA, 2014, n° 110d3, J. Kullmann ; RCA, 2013, étude 8, D. Bakouche.

[2] Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-23.696, F-D (N° Lexbase : A1487WXD), nos obs. in chron, Lexbase, éd. priv., n° 721, 2017 (N° Lexbase : N1506BX3) ; RGDA, 2017, 610, obs. L. Mayaux.

[3] Cass. civ. 2, 12 janvier 2017, n° 16-10.042, F-D (N° Lexbase : A0860S8D), RGDA, 2017, 169, obs. L. Mayaux.

[4] Sur la définition de la faute : Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2018/2019, 11ème éd., n° 221-13.

[5] Sur la distinction du «vouloir» et du «savoir» : J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances, Le contrat d’assurance, t. 3, 2ème éd., 2014, n° 1654.

[6] Cass. civ. 2, 5 mars 2015, n° 14-10.790, F-D (N° Lexbase : A8862NC9), nos obs. in chron., Lexbase, éd. priv., n° 613, 2015 (N° Lexbase : N7438BUZ), 2015, n° 613 ; RGDA, 2015, 184, obs. A. Pélissier.

[7] Déjà, dans ce domaine : Cass. civ. 3, 30 juin 2016, n° 15-18.206, FS-P+B (N° Lexbase : A2000RWY), RDI, 2016, n° 483 ; RCA 2016, 321, obs. H. Groutel.

[8] Pour un exemple en matière de construction : Cass. civ. 3, 28 février 2018, n° 17-13.618, FS-P+B (N° Lexbase : A0581XGM).

[9] Déjà : Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 16-11.537, F-D (N° Lexbase : A9827TRE).

[10] Cass. civ. 3, 8 février 2012, n° 11-11.417, FS-P+B (N° Lexbase : A3521ICE), Bull. civ. III, n° 23.

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