Réf. : CA Douai, 21 novembre 2018, n° 18/03942 (N° Lexbase : A9209YQ7)
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par Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New-York, Membre du Conseil de l’Ordre des avocats de Paris
le 17 Janvier 2019
Mots-clefs : Jurisprudence • Avocat • Affaire Berton • Clause de conscience • Commission d'office • Président d'une juridiction pénale
Par un arrêt du 21 novembre 2018 (arrêt commenté) [1], la cour d’appel de Douai a infirmé la décision de relaxe des poursuites disciplinaires qui avait été prononcée par le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d’appel de Douai au bénéfice d’un avocat qui avait refusé de déférer à la commission d’office ordonnée par le président d’une cour d’assises.
Cet arrêt expose la limite de la solution que le Conseil constitutionnel pensait avoir trouvée pour résoudre le conflit qui peut survenir entre la conscience d’un avocat, qui refuse, en accord avec son client, de participer à un procès qu’il n’estime pas équitable, et le pouvoir de commission d’office de cet avocat par le président d’une juridiction pénale.
En l’espèce, lors d’un procès en appel d’une condamnation criminelle, les deux avocats choisis par l’accusé avaient soulevé un incident à la suite de propos tenus par l’avocat général et demandé le renvoi du procès devant une autre cour d’assises. Le dépaysement leur avait été refusé et l’affaire renvoyée à une session ultérieure. Lors de la première audience de ce nouveau procès, les deux avocats faisaient valoir, au soutien d’une nouvelle demande de renvoi, un certain nombre de moyens de défense relatif aux règles du procès équitable. Cette demande de renvoi ayant été rejetée, l’un des deux avocats quitta le prétoire. Le second estimait également que la défense ne pouvait pas s’exercer sereinement devant cette cour d’assises et, en accord avec son client, s’apprêtait à quitter également l’audience. Le président de la cour d’assises le commit d’office puis rejeta les motifs d’excuse et d’empêchement présentés par l’avocat. Celui-ci maintint son refus de déférer à cette commission d’office. Le procès se poursuivit sans la présence de l’accusé, qui refusa de comparaître, et sans défenseur. Plusieurs mois plus tard, des poursuites disciplinaires furent engagées par le procureur général contre l’avocat qui n’avait pas déféré à la commission d’office ordonnée par le président.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre de cette procédure disciplinaire, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions législatives prévoyant que le président d’une cour d’assises qui a commis d’office un avocat peut être juge des motifs d’excuse ou d’empêchement présentés par cet avocat, les rejeter sans motivation et sans que sa décision puisse faire l’objet d’un recours direct. Pour le Conseil constitutionnel, l’objectif constitutionnel de bonne administration de la Justice, qui inclut celui du respect d’un délai raisonnable pour rendre un jugement, doit prévaloir sur la clause de conscience de l’avocat. Par ailleurs, le droit à un recours effectif contre la décision du président de rejeter les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat serait suffisamment assuré par la possibilité de contester la régularité de cette décision, pour l’accusé lors d’un pourvoi en cassation, et pour l’avocat, lors de la procédure disciplinaire éventuellement engagée contre lui [2].
La décision du Conseil constitutionnel aurait pu permettre d’harmoniser le régime de la commission d’office d’un avocat par le président d’une juridiction pénale avec la clause de conscience de l’avocat (I).
Malheureusement, la cour d’appel de Douai n’a pas cru devoir appliquer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel. Elle a refusé d’apprécier la régularité de la décision du président de la cour d’assises de rejet des motifs d’excuse et d’empêchement par rapport à la clause de conscience de l’avocat dans l’exercice des droits de la défense (II).
Quand bien même l’arrêt de la cour d’appel de Douai serait censuré par la Cour de cassation, la modification des dispositions législatives relatives à la commission d’office d’un avocat par le président d’une juridiction pénale est nécessaire afin de mieux concilier la clause de conscience de l’avocat, l’exercice des droits de la défense et la bonne administration de la Justice (III).
I - Le régime juridique de la commission d’office d’un avocat par le président d’une juridiction pénale et la clause de conscience de l’avocat
L’avocat exerce les droits de la défense dans l’intérêt de son client, le respect de la loi et de ses obligations déontologiques. Indépendant, il lui est reconnu une clause de conscience qui lui donne la liberté d’accepter ou de refuser son assistance et sa participation à un procès, notamment si les règles d’un procès équitable ne sont pas respectées.
Cet exercice, exigeant, soulève peu de difficultés insurmontables lorsque l’avocat est choisi par son client et qu’il a accepté ce choix. Tant que la confiance existe entre eux les problèmes posés lors de la préparation de la défense peuvent être résolus. En tout état de cause, si un désaccord profond subsiste sur la stratégie de défense, ou bien par respect de sa conscience, l’avocat peut toujours mettre un terme à sa mission et laisser le soin à un autre avocat de conduire une défense approuvée par celui va être jugé.
La commission d’office, par nature, restreint la faculté pour l’avocat de mettre un terme à sa mission. Selon le droit en vigueur, l’avocat ne peut s’y soustraire sauf à faire agréer des motifs d’excuse et d’empêchement par l’autorité qui l’a nommé.
L’article 6 alinéa 2 du décret du 12 juillet 2005 relatif à la déontologie des avocats (N° Lexbase : L6025IGA) prévoit que «l’avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission».
Ce texte concerne toutes les désignations à l’aide judiciaire, en matière civile, et toutes les commissions d’office, en matière pénale.
Pour ce qui est de la défense pénale, l’article 6, 2, c) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) prévoit que «Tout accusé a droit [...] à se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la Justice l’exigent».
En principe la commission d’office poursuit la noble cause de pourvoir un avocat à ceux qui ne peuvent pas le rémunérer. Tous les barreaux participent activement, avec honneur et fierté, à l’organisation de ces commissions d’office.
Toutefois, l’impécuniosité du justiciable n’est pas le seul motif qui peut déclencher, en droit français, la commission d’office d’un avocat pour le prévenu ou l’accusé dans les procédures pénales.
Les droits de la défense étant considérés comme d’ordre public [3], plusieurs textes prévoient l’assistance obligatoire d’un avocat dans certains cas, indépendamment de la question des ressources financières du prévenu ou de l’accusé.
Le pouvoir de procéder à la commission d’office d’un avocat est partagé entre le Bâtonnier et le président de la juridiction pénale saisie.
Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats est l’autorité naturelle, prévue dans de multiples textes législatifs, qui procède à la commission d’office d’un avocat dans les procédures non juridictionnelles (garde à vue, audition libre, déferrement devant le ministère public…) et dans les procédures juridictionnelles.
Devant la juridiction correctionnelle et celle de police, l’article 417 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2820IP7) dispose que le président commet d’office un avocat lorsqu’un prévenu en est dépourvu et qu’il souhaite l’assistance d’un défenseur. Cette assistance est obligatoire «quand le prévenu est atteint d’une infirmité de nature à compromettre sa défense».
En matière criminelle, l’article 317 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3715AZM) prévoit que devant la cour d’assises, «la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire. Si le défenseur choisi ou désigné conformément à l’article 274 [4] ne se présente pas, le président en commet un d’office ».
Cette disposition s’articule avec l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 qui indique que «l’avocat régulièrement commis d’office par le Bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le Bâtonnier ou par le président».
La commission d’office peut avoir des effets contraires aux droits et obligations de l’avocat tout aussi impératifs que le devoir d’y déférer. Elle restreint la liberté de l’avocat dans le choix de la stratégie de défense lorsque l’avocat et son client sont en désaccord, le choix de ne pas participer à un procès lorsque l’avocat considère qu’il ne respecte pas les règles du procès équitable, ou bien encore le choix de mettre un terme à sa mission de défense lorsque celle-ci heurte sa conscience.
Lorsque l’avocat est commis par le Bâtonnier, des discussions, confidentielles par nature, permettent à l’avocat d’exposer toutes les raisons, y compris celles couvertes par le secret professionnel, qui peuvent expliquer les raisons pour lesquelles l’avocat demande à être relevé de sa commission d’office. Si le Bâtonnier les approuve, il peut commettre un autre avocat ou bien, cas extrême, décider qu’il assurera lui-même la défense.
Si l’avocat est commis par le président de la juridiction pénale, l’exposé des motifs d’excuse ou d’empêchement est beaucoup plus contraint. D’une part, le président qui a procédé à la commission d’office de l’avocat est celui qui est juge de la demande d’excuse et qu’il préside aussi le débat judiciaire. Si le motif d’excuse présenté est rattaché à une question de partialité d’un magistrat du siège ou à un non-respect des règles du procès équitable, la demande d’excuse ne manquera pas de provoquer une défiance réciproque entre la juridiction et l’avocat. D’autre part, l’avocat ne peut pas faire état au président de motifs d’excuse ou d’empêchement qui seraient couverts par le secret professionnel ou qui nuiraient aux intérêts de son client. Dans ce cas-là, le président ne peut pas connaître les vraies raisons de la demande d’excuse de l’avocat.
Lorsque l’avocat ne défère pas à une commission d’office sans avoir fait approuver les motifs d’excuse ou d’empêchement par l’autorité qui l’a nommé, il s’expose à des poursuites disciplinaires sur le fondement des articles 183 [5] et 184 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID).
A l’occasion d’une poursuite disciplinaire contre l’avocat commis d’office dans l’affaire exposée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a précisé le contrôle qui peut avoir lieu sur la décision de rejet des motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat par le président de la cour d’assises.
Le 7 février 2018, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel la question prioritaire de la constitutionnalité de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) soulevée par la défense de l’avocat poursuivi selon la motivation suivante «…l’appréciation, non motivée, par le seul président de la cour d’assises, des motifs d’excuses invoqués par l’avocat qu’il a lui-même commis pour assurer la défense d’un accusé, peut être de nature à porter atteinte aux droits de la défense, reconnus par le Conseil constitutionnel comme découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1370A9M)» [6].
Dans sa décision du 4 mai 2018, le Conseil constitutionnel, tout en déclarant conforme à la Constitution l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 au motif qu’il permettait d’assurer la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la Justice a précisé ceci : «Si le refus du président de la cour d’assises de faire droit aux motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office n’est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé à l’occasion d’un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l’avocat à l’occasion de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises».
Le Conseil constitutionnel a donc choisi de valider le système actuel de la commission d’office par le président de la cour d’assises, tout en précisant qu’il appartenait, à la Cour de cassation en cas de pourvoi de l’accusé, et à la juridiction disciplinaire en cas de poursuite de l’avocat qui n’aurait pas déféré à la commission d’office, d’apprécier la régularité du refus du président des motifs d’excuse ou d’empêchement.
Sa décision ne règle pas le cas où l’avocat ne peut exposer au président un motif d’excuse qui serait couvert par le secret professionnel. Dans cette hypothèse, on voit mal comment la Cour de cassation, et même la juridiction disciplinaire, surtout dans sa procédure d’appel, pourrait contrôler de manière effective la décision de refus du président et le comportement de l’avocat.
Par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur l’effectivité et les circonstances de ce recours, qui nécessite que l’avocat soit poursuivi disciplinairement pour qu’il puisse s’exercer [7].
Toutefois, le Conseil constitutionnel donne à la Cour de cassation et à la juridiction disciplinaire le pouvoir de contrôler, tant sur la forme que sur le fond, la régularité du refus du président.
Ce contrôle doit aussi respecter la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui s’est développée en ce qui concerne les poursuites contre des avocats. Le contrôle du comportement des avocat doit être mis en œuvre avec une prudence et une mesure particulière. Il ne peut être une menace avec un effet «inhibant» qui porterait atteinte à la défense des intérêts de leurs clients [8]. Ce n’est qu’exceptionnellement que la sanction d’un avocat peut passer pour nécessaire dans une société démocratique, à raison de son expression ou de ses choix de défense [9].
Or, malheureusement, la première décision d’une juridiction disciplinaire sur le fondement de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 après la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2018 nous amène à constater que le contrôle sollicité par l’avocat poursuivi de la décision du président de rejet des motifs d’excuse ou d’empêchement n’est pas effectif, notamment lorsque la Cour de cassation a déjà rejeté, à l’occasion d’un pourvoi, la critique présentée par l’accusé de la décision de refus du président.
II - L’absence de contrôle effectif par la juridiction disciplinaire de la régularité de la décision du président de rejet des motifs d’excuse et d’empêchement de l’avocat commis d’office
Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 21 novembre 2018 de la cour d’appel de Douai, le conseil régional de discipline avait prononcé le 5 juillet 2018 la relaxe de l’avocat poursuivi, considérant en effet qu’aucune faute disciplinaire ne pouvait lui être reprochée, puisque d’une part le président de la cour d’assises n’avait pas, de son propre aveu, examiner les motifs d’excuses que lui avait présentées l’avocat, ce qui avait privé sa décision de «toute base légale», et que d’autre part le refus de l’avocat de se soumettre à cette commission d’office et son choix de se retirer de l’audience, dans de telles conditions et avec l’accord de son client, avait constitué «un acte de défense», «qui ne peut dans une société démocratique fonder des poursuites disciplinaires».
A la suite d’un appel du procureur général, qui avait requis un avertissement contre l’avocat poursuivi, la cour d’appel de Douai infirme la décision du conseil régional de discipline et prononce un avertissement.
A l’appui de sa décision, la cour d’appel :
De plus, la cour d’appel estime ainsi :
En se refusant à tout contrôle sur le fondement de la déontologie de l’avocat de la décision de refus du président de la cour d’assises du motif d’excuse présenté par l’avocat et des raisons qui l’ont conduit à ne pas déférer à la commission d’office, la cour d’appel encourt, selon nous, les critiques suivantes.
En premier lieu, la généralité de sa décision selon laquelle «le refus de l’avocat de se soumettre à la commission d’office de la présidente d’une cour d’assises caractérise une faute disciplinaire lorsque les motifs d’excuse présentés par l’avocat n’ont pas été retenus par la présidente de la cour d’assises», ruine les efforts du Conseil constitutionnel qui, pour sauver la constitutionnalité de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971, a précisé qu’un contrôle de la régularité de la décision du président devait être exercé par la juridiction disciplinaire en cas de poursuite de l’avocat poursuivi.
Si l’on en croit la cour d’appel, tout refus d’un avocat de déférer à la commission d’office ordonnée par le président qui a rejeté le motif d’excuse, sans avoir à motiver sa décision, est constitutif d’une faute disciplinaire.
Cette seule généralité, qui fonde la condamnation de l’avocat, est en totale contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel. L’arrêt de la cour d’appel du 21 novembre 2018 encourt donc la censure de la cour de cassation pour non-respect de la loi et manque de base légale.
En deuxième lieu, l’arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2015 [10], qui a rejeté le pourvoi de l’accusé, n’a pas l’autorité de la chose jugée sur la procédure disciplinaire engagée contre l’avocat poursuivi.
Cependant, la cour d’appel estime «que les arguments invoqués par Me B. ont déjà été rejetés par l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation» à l’occasion du pourvoi de l’accusé et qu’ainsi la cour n’a plus à se demander si le refus de l’avocat de déférer à la commission d’office était justifié ou non par la mise en jeu de sa clause de conscience ou par l’exercice des droits de la défense.
Là encore, cette décision, est contraire à la décision du Conseil constitutionnel en ce que celui-ci n’a jamais indiqué que la décision de la Cour de cassation, en cas de pourvoi de l’accusé, liait la juridiction disciplinaire ayant à statuer sur le comportement de l’avocat à l’audience et inversement.
Les deux procédures sont distinctes et indépendantes. On peut tout à fait imaginer que le pourvoi de l’accusé, critiquant la décision du président de refus du motif d’excuse sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR), puisse être rejeté sans que la décision de l’avocat de ne pas déférer à la commission d’office constitue automatiquement une faute disciplinaire.
En troisième lieu, la conception de la cour d’appel du rôle de l’avocat commis d’office, qui, selon elle, devrait être présent dans la salle d’audience mais silencieux si son client lui interdit d’intervenir, est une entrave à l’indépendance de l’avocat et une atteinte à sa conscience si celle-ci lui dicte de ne pas participer à un procès qu’il n’estime pas équitable.
Elle est d’ailleurs en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet qu’un avocat puisse ne pas être présent tout au long du procès d’assises puisque la validité de la procédure n’est pas remise en cause lorsque l’absence de l’avocat n’est pas «du fait de la cour d’assises, du président ou du ministère public» [11].
Ainsi, cet arrêt nous amène à proposer une réforme des modalités de la commission d’office par le président d’une juridiction pénale.
III - La nécessaire réforme des modalités de la commission d’office d’un avocat par le président d’une juridiction pénale
Certains pourraient souhaiter permettre à l’avocat de ne jamais déférer à une commission d’office.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme n’exige pas l’assistance obligatoire d’un avocat pour le prévenu ou l’accusé dans un procès pénal. [12] L’article 6, 2, c) de la Convention prévoit seulement que tout accusé a le droit de se défendre lui-même ou de bénéficier gratuitement d’un avocat commis d’office s’il n’a pas les moyens de le rémunérer.
Toutefois, nous sommes d’avis que la déontologie de l’avocat doit pouvoir lui imposer de déférer à une commission d’office si sa conscience ne lui interdit pas d’exercer la mission ordonnée et qu’il peut exercer librement les droits de la défense qu’il estime appropriés dans le procès dans lequel il est réquisitionné.
Le problème du système actuel vient du fait que, dans l’hypothèse d’une commission d’office par le président d’une juridiction pénale, le juge des motifs d’excuse et d’empêchement présentés par l’avocat après sa commission d’office est le président qui vient de le commettre.
En cas de refus de l’avocat, le président se trouve dans une situation de conflits d’intérêts puisqu’il doit être juge de sa propre décision de commission d’office au regard de paramètres sur lesquels il n’a, et ne doit avoir, aucun pouvoir : l’exercice de la clause de conscience de l’avocat et le choix des moyens de la défense. Cette situation est aggravée par le fait que l’avocat ne peut jamais exposer au président des raisons de son refus qui seraient couverts par le secret professionnel ou qui nuiraient à la défense de l’accusé.
Une façon de sortir de ce dilemme serait d’instituer le Bâtonnier seul juge des motifs d’excuse et d’empêchement de l’avocat.
C’est pourquoi nous proposons qu’après l’alinéa 2 de l’article 6 du décret du 12 juillet 2005 relatif à la déontologie des avocats qui indique que «l’avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission» soit ajouté un alinéa 3 :
«Si l’autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission n’est pas le Bâtonnier et que l’avocat désigné ou commis se voit opposer un rejet de ses motifs d’excuse ou d’empêchement, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, du ressort de la juridiction auprès de laquelle l’avocat doit exercer sa mission, doit être saisi afin qu’il décide, après s’être entretenu de manière confidentielle avec l’avocat, soit de confirmer la désignation ou la commission ordonnée, soit de désigner ou commettre un autre avocat».
De même, l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 qui prévoit que «l’avocat régulièrement commis d’office par le Bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le Bâtonnier ou par le président» pourrait être modifié dans ces termes :
«L’avocat régulièrement commis d’office par le Bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le Bâtonnier ou par le président.
Dans l’hypothèse où le Président rejetterait les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du lieu où siège la cour d’assises doit être saisi afin qu’il décide, après s’être entretenu de manière confidentielle avec l’avocat commis, soit de confirmer la commission ordonnée, soit de commettre un autre avocat».
[1] Cet arrêt est frappé d’un pourvoi en cassation.
[2] Cons. const., décision n° 2018-704 QPC, du 4 mai 2018 (N° Lexbase : A1936XMN).
[3] Cass. crim. 8 août 1959, Bull. crim., 1959, n° 387.
[4] L’article 274 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3663AZP) dispose qu’au cours de l’interrogatoire préalable au procès d’assises «L’accusé est ensuite invité à choisi un avocat pour l’assister dans sa défense. Si l’accusé ne choisit pas son avocat, le président ou son délégué lui en désigne un d’office. Cette désignation est non avenue si, par la suite, l’accusé choisit un avocat».
[5] Décret du 27 novembre 1991, modifié par décret du 24 mai 2005, art. 183 : «Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 184».
[6] Cass. crim., 7 février 2018, n° 17-90.025, FS-D (N° Lexbase : A6805XCZ).
[7] «Non seulement l’exercice d’une procédure disciplinaire n’est pas anodin, mais une telle procédure, n’est, en outre, pas le cadre adapté pour juger de la décision du président de la cour d’assises», Florence G’sell in Chronique Avocats, JCP éd. G, n° 21, mai 2018, doctr. 588, n° 17.
[8] CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11 (N° Lexbase : A2647NZ3).
[9] CEDH, 23 avril 2015, Req. n° 29369/10 (N° Lexbase : A0406NHI).
[10] Cass. crim., 24 juin 2015, n° 14-84.221, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6748NLI).
[11] Cass. crim., 13 février 2008, n° 07-83.168, F-D (N° Lexbase : A3258WBB).
[12] Tel était l’argument présenté par Henri Juramy «redoutable avocat d’assises (1933-2010)» lorsqu’il estimait devoir quitter un procès qui n’était pas équitable pour ne pas avoir à le cautionner par sa présence, même silencieuse, comme le rappelle François Saint-Pierre dans Quitter le prétoire : une stratégie de défense exceptionnelle, in Pratique de la défense pénale, p. 447, F. Saint-Pierre, LGDJ, 2ème édition.
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