La lettre juridique n°754 du 20 septembre 2018 : Avocats

[Le point sur...] L’Acte sous signature privée contresigné par avocat ou la réception d’une pratique multiséculaire dans le droit codifié : il ne manque plus que la force exécutoire

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, Membre du Conseil national des barreaux, Expert auprès du Conseil des barreaux européens

le 19 Septembre 2018

L’article 1er du «projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées» a introduit dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), les articles 66-3-1, 66-3-2 et 66-3-3. Ils consacrent l’acte d’avocat. Le texte a été adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale respectivement le 30 juin et le 9 décembre 2010.

Son adoption définitive, après une seconde lecture du Sénat, date du 15 mars 2011.

Les polémiques sur ce texte furent vives, certains allant jusqu’à dénoncer un acte concurrent de l’acte authentique sans le bénéfice de la sécurité juridique que ce dernier confère.

Un examen historique révèle pourtant que ce texte ne fait que consacrer la réalité d’une pratique ancienne, laquelle résulte de fonctions et de devoirs de l'avocat multiséculaires.

Le principe de la codification des usages n’est pas une nouveauté dans le système français.

D’un droit essentiellement coutumier dont l’oralité s’est peu-à-peu orientée vers l’écrit à partir des 15ème et 16ème siècle, le droit privé français a connu à partir de la seconde moitié du 17ème siècle une mutation profonde par la multiplication des codifications.

Ces codifications anciennes ne prétendaient plus opérer de réforme générale mais se bornaient à un objet déterminé : la clarification d’une matière.

Il convient à cet égard de se remémorer les ordonnances de Louis XIV et de Louis XV dont l’initiative appartint à Colbert.

Le nouveau texte apporté à la loi du 31 décembre 1971 répond, sans aller au-delà, à cet objectif de clarification.

L'évolution du corps de notre droit impacta celle de notre profession lorsqu’elle fut, depuis l’ordonnance de 1539 de Villers-Cotterêts, confirmée postérieurement par celle criminelle d’août 1670, exclue du procès pénal.

Ecarté du prétoire pénal, l’avocat devenait le «jurisconsulte recherché, savant» [1].

Louis XIV fit appel aux plus éminents d’entre eux comme Auzanet, Fourcroix, aux fins d’unifier les coutumes et de participer ainsi à ce mouvement important de codification.

L’avocat ne répondait déjà plus à la seule image du grand orateur qu’il connut depuis sa création.

Son intervention dans les écrits, qu’ils soient législatifs ou juridiques, confirmait ainsi une fonction de rédacteur.

Cette fonction est le corollaire de celle de conseil que le moyen-âge a scellée depuis les fondements de la profession.

Si ce rôle de rédacteur peut se concevoir comme l’aboutissement d’une fonction de conseil, les devoirs que la jurisprudence a accrus dans l’intérêt du client justiciable, connaissent également une ancienneté assurée.

Bien avant l’adoption du texte définitif de l’acte d’avocat, la Cour de cassation érigeait ces obligations au rang que certains auteurs qualifient de quasi-légales à l'égard de toutes les parties [2].

Comme a pu l’écrire notre confrère Jacques Varoclier «si l’acte d’avocat, en tant que marque, est une création, l’acte établi par un avocat n’est pas une nouveauté puisque la rédaction de la majorité des actes sous-seings-privés émane de cette profession» [3].

Nous rappellerons ci-après qu’en dehors de ses fonctions oratoires, l’avocat a depuis plusieurs siècles assuré une fonction de rédacteur, que la loi nouvelle ne vient pas créer, mais tout simplement consacrer au travers d’un régime clarifié (I).

D’obligations «quasi-légales», la loi du 15 mars 2011 (loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées N° Lexbase : L8851IPI) ne crée pas un nouvel acte, mais confirme l’existence d’un acte qui s’est toujours placé historiquement entre l’acte authentique et l’acte sous seing privé simple. (II)

 

 

I - La rédaction : rappel d’une fonction multiséculaire

 

Si on s’en tient à la simple étymologie «de advocatus», on peut d’ores et déjà constater que le terme n’est nullement restrictif. "Ad", "à" et "vocatus", "appelé", signifie celui qui est appelé dans une acception large.

Entendre qu’il s’agirait d’un simple appel à plaider serait réducteur.

L’appel des avocats à l’écrit a émané non seulement des Monarques les plus illustres mais également de justiciables durant plusieurs siècles.

Le rôle de conseil a toujours précédé celui de rédacteur.

L’écrit sera la consécration de cette fonction.

Ce sera la fonction principale de l’avocat lorsque celui-ci sera exclu du prétoire des affaires pénales.

 

I.1 - La fonction historique de conseil 

 

Si l’ordonnance du 23 octobre 1274 de Philippe Le Hardi a fait naître la profession d’avocat en France, celle-ci a pris son essor depuis la création du Parlement de Paris, lorsqu’elle reçut son premier statut en vertu de l’arrêt du 13 mars 1344.

Le Parlement, composé de gens d’armes et de religieux, faisait en effet appel aux avocats pour leur savoir.

Le rôle de conseil de l’avocat, lié à la science juridique qu’on lui connaissait, cristallisait un partenariat entre les avocats et le Parlement qui révélait d’ores et déjà une fonction de conseil plus qu’importante. Le Parlement avait recours aux plus illustres pour rédiger ses arrêts.

Jusqu’à l’ordonnance de François 1er, dite de Villers-Cotterêts (1539), l'avocat a assuré le rôle de conseiller civiliste aux côtés de sa fonction de défenseur.

Exclu à partir de 1539 du procès pénal, le rôle de conseil a été d’autant plus accru pour l’avocat que les monarques, qui se sont succédés, l’ont appelé aux fins d’unifier le droit positif français, en participant de manière plus active à la codification des coutumes.

L’avocat du 17ème, puis du 18ème siècle, fut essentiellement un homme de cabinet.

Son rôle de conseil et de juriste se rapprochait sensiblement de celui d’aujourd’hui.

Le plus éminent était appelé «jurisconsulte» après 20 ans d’exercice.

Il ne plaidait pas et ses mémoires ainsi que ses écritures faisaient autorité.

Cette fonction de conseil répondait aux besoins de l’évolution de la société des 17ème et 18ème siècle, marqués notamment par le développement des échanges et du commerce maritime.

Il suffira notamment de se rappeler de l’importance du rôle qu’avaient joué :

- Monsieur Berryer, père en tant qu’arbitre, médiateur, conciliateur et conseil en droit des affaires ;

- Monsieur le Bâtonnier François-Denis Tronchet, dont les talents reconnus de juris-consulte nourrissaient une clientèle importante, notamment dans sa campagne de Palaiseau où il s’était retiré après avoir refusé de paraître au barreau, à la suite de l'exil du Parlement en 1774. Ses mémoires juridiques ont marqué l'histoire des rédacteurs.

 

Alors que Napoléon Bonaparte manifestait sans équivoque son hostilité et une méfiance accrue envers les avocats, il confirmait pourtant la prééminence du rôle de conseil-rédacteur lorsqu’il confiait la rédaction du Code civil à quatre avocats, dont Portalis et le Bâtonnier Tronchet.

Monsieur Charvray de Boissy, Avocat au Parlement de Paris, clamait dans son discours du 14 décembre 1776, prononcé à la rentrée de la conférence publique des Avocats au Parlement : «le conseil de la Loi sera toujours important. En un mot, dans la rédaction de tous ses actes susceptibles de divers intérêts, les parties ne se repentiront jamais de l’avoir suivi» [4].

Monsieur le Professeur Félix Liouville voyait dans la fonction de conseil remplie par l’avocat l'essence même de sa mission : «Consulter d’après l’exposé du client, positif ponendis, ce n’est pas remplir sa mission. Le conseil ne doit s’en tenir à cet exposé qu’autant qu’il lui a été possible de vérifier par lui-même les faits et les actes : au cas d’impossibilité, il le déclarera formellement, afin que sa consultation n’égare personne [...]. Dans les consultations pour lesquelles il a un ministère presque officiel à remplir, on conçoit qu’il est tenu d’y apporter d’autant plus de réflexion et d’études que la Loi elle-même l’appelle à éclairer la justice» [5].

Ernest Cresson ne voyait-il pas l’apogée de cette fonction lorsqu’il écrivait en 1888 que «rien dninterdit à un avocat par les conseils duquel une convention, même sous-seings-privés, est rédigée de lui imprimer l’autorité de sa signature comme conseil… L’acte doit être digne de lui et de sa profession» [6].

Le rôle de rédacteur a effectivement suivi cette fonction primordiale de conseil.  

 

 

I.2 - La traduction d’une fonction et d’un devoir de conseil accomplis 

 

Protagonistes de la construction d’un droit nouveau, les avocats ont œuvré pendant plusieurs siècles à la construction d’un droit français codifié.

Ecartés du prétoire par le pouvoir, ils sont du 17ème jusqu’à la fin du 18ème siècle, et encore plus à partir du 17ème, ceux dont les mémoires et les écritures font autorité.

On ne plaidait plus à cette époque, sauf rares exceptions dont Gerbier ou Berryer père, avocats d’affaires.

L’avocat des 17ème et 18ème siècle avait une activité comparable à celle des grands cabinets de droit des affaires d’aujourd’hui, répondant aux besoins de la société de ce temps à laquelle il apportait les solutions qu’elle attendait.

Plaidant peu, ces éminents juristes déposaient mémoires et conclusions qui exigeaient déjà leur signature, et non celles de ceux que l’on appelait des Procureurs.

Le 18ème siècle a fait l’avocat roi, en raison de la société de son temps, 1815 reconnaissant la liberté d’expression et celle de la presse.

Son rôle va être considérablement accru lors des révolutions de 1830 et 1848.

Cet avocat de la parole va laisser à ses côtés subsister une activité juridique cantonnée à la rédaction d’actes de sociétés, de ventes de fonds de commerce, avec après la loi de 1866 sur les sociétés anonymes, la naissance des conseils juridiques dont la première compagnie est née en 1876.

L’avocat n’en perdait pas pour autant son rôle de rédacteur car, il convient de le rappeler, depuis le 18ème siècle, seule sa signature au bas des écritures ou des mémoires ou des notes de plaidoiries prévalait.

L’arrêté du 20 décembre 1827 disposait : «rien n’interdit à un avocat par les conseils duquel une convention, même sous seing privé, est rédigée, de lui imprimer l’autorité de sa signature comme conseil» [7].

L’acte sous seing privé connaissait déjà une autre dimension lorsqu’il était rédigé par les avocats.

Ainsi que le reconnaissait dans sa thèse Eugène Baratin [8] «les actes sous signature privée peuvent être écrit par toutes autres personnes que les parties contractantes et même par des notaires ou autres officiers publics, ce que défendaient les anciens règlements».

L’auteur rappelle que lorsque les pouvoirs étaient réticents à l’intervention de l’avocat dans la rédaction des actes sous-seings-privés, la pratique révélait que les parties accordaient une confiance importante à leur conseil.

Touillier citait à cet égard un exemple assez fréquent dans les usages de la Bretagne : "En matière de transactions, chaque partie remet à son avocat où son représentant une feuille signée en blanc et qui n’est remplie qu’après coup ; toutes les conditions y contenues sont obligatoires pour les signataires qui ont donné leurs instructions préalables à leur mandataire».

L’acte d’avocat était bien né.

Ce rôle de conseil et de rédacteur que le nouvel article 66-3-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) pose n’est, à l'évidence, pas nouveau.

Il s'agit de la consécration de l’évolution d'une profession en phase avec celle de notre société.

La valeur qu’accordent les nouvelles dispositions des articles 66-3-2 et 66-3-3 à l’acte contresigné sont celles inhérentes aux devoirs que l’avocat, conseil et rédacteur, se doit de respecter, rappelés au nouvel article 66-3-1 : le devoir d’éclairer les parties, l’examen nécessaire des conséquences juridiques de l’acte, avec implicitement la notion d'efficacité juridique à laquelle cet examen renvoie nécessairement.

*

 

II - D’obligations «quasi-légales», la loi ne crée pas un nouvel Acte mais en confirme l’existence

 

Le prix à payer par l’avocat de la valeur attachée à sa signature, au bas de l’acte sous seing privé qu’il a rédigé, résulte des obligations dont il est débiteur et pour lesquelles il doit assumer une pleine et entière responsabilité.  

Celle-ci constitue une réelle garantie pour le justiciable.

 

II.1 - Des devoirs quasi-légaux 

 

La jurisprudence exige, depuis de nombreuses années, que l’avocat rédacteur d’actes ait satisfait à son obligation de conseil, d’efficacité de l’acte juridique qu’il a rédigé, et de loyauté en préservant notamment un équilibre à l’égard de toutes les parties.

Aux termes du nouvel article 66-3-1, en contresignant l’acte, «l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte».

La formulation retenue n’emporte pas création d’un nouveau régime de responsabilité, car l’avocat qui participe à la rédaction d’un acte sous seing privé est d’ores et déjà soumis à une obligation de conseil, d’informations, de compétences et de diligences.

La première chambre civile de la Cour de cassation a précisé très nettement le 11 octobre 1966 que le devoir de conseil de l’avocat implique celui d’éclairer les parties, de s’assurer de la validé des actes et de s’assurer de l’efficacité des actes rédigés [9].

En analysant cet arrêt, Monsieur le Conseiller Aubert, dans le rapport 1994 de la Cour de cassation, a rappelé les trois socles de la responsabilité d’un conseil rédacteur : «L’obligation d’informations qui constitue naturellement le noyau central du devoir de conseil se trouve complété en amont par l’obligation de vérifications et, en aval, par une obligation d’efficacité».

La loi nouvelle ne fait donc que rappeler et légaliser cette jurisprudence fondatrice.

Le 22 Juin 1999, la Cour de cassation précisait et ajoutait que "le rédacteur d’un acte juridique est tenu, à l’égard de toutes les parties, d’en assurer l’efficacité».

Cette décision était extrêmement importante car elle signifiait que les rédacteurs d’actes, y compris les avocats, n’avaient plus comme unique vocation la défense des intérêts de leurs clients, mais qu'ils pouvaient alors, à l’instar des notaires, revêtir la qualité de «tiers impartial» ou «d’arbitre»  [10], puisqu’ils étaient désormais tenus de conseiller les deux parties.

L’obligation de conseil va être encore plus profonde et va transcender en réalité la nature du rapport juridique, pour englober toutes les parties à l’opération dont le professionnel est le maître d’œuvre.

La jurisprudence rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 novembre 2008 permet de vérifier ce principe de façon extrêmement claire : «[...] en qualité d’unique rédacteur d’un acte sous seing privé, l’avocat était tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre, peu important le fait que l’acte a été signé en son absence, après avoir été établi à la demande d’un seul des contractants» [11].

 

Un second arrêt du 25 février 2010 va dans le même sens en jugeant que "le rédacteur d’acte, tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des incidences, notamment fiscales, des engagements souscrits de part et d’autre, peu important que son concours ait été sollicité par l’une d’elle et qu’il doit apporter la preuve qu’il a rempli cette obligation à leur égard, quelque soient leurs compétences personnelles» [12].

Ainsi en matière de rédaction d’acte, les obligations de l’avocat sont très étendues et particulièrement rigoureuses, si bien d’ailleurs que certains auteurs les qualifient d’obligations de résultat, voire même d’obligations quasi-légales [13].

Il n’est donc pas surprenant que le nouveau texte donne une contrepartie à ces obligations en donnant à l'acte d'avocat une portée supérieure à celle d'un simple acte sous seing privé.

Cette consécration légale constitue la contrepartie naturelle que la profession était en droit d’attendre face à une évolution prétorienne de plus en plus drastique.

 

II.2 - La confirmation légale d’un acte juridique autonome

 

L’acte d’avocat ne constitue pas une nouvelle catégorie d’actes qui élargirait les branches de l’alternative acte authentique/acte sous seing privé, mais constitue «davantage une officialisation via un sceau original des actes émanant d’avocat» [14].

Cependant, son autonomie réside dans sa genèse qui est identifiable, puisqu’il est induit d’une rédaction professionnelle et qu'il implique une assistance des signataires. La signature de son ou ses auteurs présume alors que les parties ont été suffisamment éclairées.

Rien de nouveau ici : il s'agit tout simplement d'apporter une précision dont le mérite est de distinguer l'acte rédigé par l'avocat, l'acte authentique et le simple acte sous seing privé. 

Les actes authentiques ont pour fonction de consigner des moments juridiques importants dans la vie des citoyens de la citée, en les solennisant et en les rendant pratiquement incontestables.

Les spécialistes les définissent comme des actes qui sont dressés par des officiers publics compétents ayant reçu de la loi la mission d’instrumenter et qui, en raison de la qualité de leur rédacteur, méritent qu’on leur accorde une particulière autorité. [15]

Dumoulin écrivait au XVI siècle, dans son commentaire de la coutume de Paris, «scripta publica probant se ipsa» (les écritures publiques font foi par elles-mêmes) ». L'auteur précisait :"l’acte fait foi parce-que le Notaire a agi «propriis sensibus, visus auditus» («parce qu’il a vu et entendu personnellement tout ce qu’il a rapporté»).

Cela ne fait pas pour autant de l’acte sous seing privé un contrat de dernier rang.

Sans pour autant concurrencer l’acte authentique, l’acte sous seing privé peut être rédigé par un avocat.

Bien qu’il ne soit pas officier ministériel, les obligations inhérentes à l’exercice de la fonction d’avocat renforcent naturellement la valeur de l’acte qu’il rédige.

L’intervention de l’avocat se manifeste en effet par ses diligences de rédaction et les conseils qui la précèdent.

Cette démarcation était déjà notée au début du 19ème siècle : «Rien n’interdit à un avocat par les conseils duquel une convention, même sous seing privé, est rédigée, de lui imprimer l’autorité de sa signature comme conseil». [16]

Dans sa thèse de 1855, Monsieur Eugène Baratin remarquait que les actes sous signature privée peuvent être écrits par toute autre personne que les parties cocontractantes  [17].

Avant le nouveau texte du 15 mars 2011, les actes de cette troisième catégorie, réalisés «sous assistance juridique», étaient par défaut classés dans la catégorie des actes sous seing privé sans différenciation.

Pourtant les caractéristiques propres de l’acte rédigé par l’avocat, telles que la jurisprudence les a dégagées au fil du temps, ne pouvaient davantage être mises au ban.

La jurisprudence donne à l’avocat une mission qui confère à l’acte qu’il a rédigé des qualités d’efficacité supérieures à celles de l’acte sous seing privé usuel rédigé sans son intervention.

Cette règle figure au premier aliéna l’article 7.2 du règlement intérieur national de la profession d’Avocat (N° Lexbase : L4063IP8)  [18].

La loi du 15 mars 2011 a enfin introduit dans notre droit écrit ce qui a été érigé au cours de plusieurs siècles.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK) a introduit l’acte sous signature privée contresigné par avocat dans le Code civil à l’article 1374. 

Il sera donc vain pour les détracteurs de ce texte d’y voir la création d’un acte concurrent non sécurisé, voire inutile, sauf à mépriser l’histoire multiséculaire d’une profession aux actes de laquelle il manque encore la force exécutoire.

La garantie de l’acte d’avocat exhale naturellement une mission de service public d’efficacité, de force probante et d’équilibre que la force exécutoire doit confirmer clairement.

L’avocat n’est-il pas au-delà d’un auxiliaire, un vrai partenaire de justice ?

Assurément. C’est ce qu’édicte en toute clarté l’article 6.1 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (N° Lexbase : L4063IP8) : « Partenaire de justice et acteur essentiel de la pratique universelle du droit, l’avocat a vocation à intervenir dans tous les domaines de la vie civile, économique et sociale…».

L’avancée des textes projetés le confirme : extension de la représentation obligatoire par avocat, son rôle dans les modes alternatifs de règlement amiable des litiges, son rôle de conseil pour éviter le conflit et le contentieux…

L’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 devrait consacrer cette fonction de partenaire plutôt que de maintenir l’auxiliaire suranné. 

L’efficacité que donne à l’acte contresigné par l’avocat l’article 1374 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1026KZZ) confirme que depuis plusieurs siècles les garanties attachées à la mission rédactionnelle de l’avocat donnent aux actes qu’il contresigne une force autonome laquelle, sans concurrencer l’authenticité, doit en permettre une exécution sans que soit nécessaire pour ce faire d’avoir recours au juge ou à l’officier ministériel.

L’obligation de conseil transcende la nature du rapport juridique, pour englober toutes les parties à l’opération dont le professionnel est le maître d’œuvre. Le seul intérêt privé est dépassé pour servir un intérêt général d’équilibre, d’efficacité, donc de validité, ce qui suppose évidemment l’examen du respect de l’ordre public.

En matière de rédaction d’acte, les obligations de l’avocat sont très étendues et particulièrement rigoureuses, si bien d’ailleurs que certains auteurs les qualifient d’obligations de résultat, voire même d’obligations quasi-légales [19]. Il n’est donc pas surprenant que le nouveau texte donne une contrepartie à ces obligations en donnant à l'acte d'avocat une portée supérieure à celle d'un simple acte sous seing privé.

La garantie de l’acte d’avocat exhale naturellement une mission de service public d’efficacité, de force probante et d’équilibre que la force exécutoire doit confirmer clairement. La profession peut donc se voir reconnaître, par la loi, dans le cadre du régime de l’acte d’avocat, une délégation de mission de service public de la justice lorsque deux avocats contresignent un acte sous seing privé.

La force exécutoire pourra ainsi être reconnue à l’acte d’avocat dès lors qu’il sera garanti au débiteur et aux tiers concernés le droit à un recours effectif tant en ce qui concerne le bien fondé du titre et l’obligation de payer, que le déroulement de la procédure d’exécution forcée, conformément à ce qu’a rappelé le conseil Constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1999 n° 99-416 (C. const., 23 juillet 1999, n° 99-416 N° Lexbase : A8782ACA).

Il ne reste donc plus qu’un pas…

 

 

[1] «Sur la profession de demain, à la lumière des leçons de son histoire de Jean-Gaston Moore», Revue de jurisprudence commerciale, septembre/octobre 2008, n° 5, p. 340.

[2] P.-Y. Gautier, L’obligation de conseil du rédacteur d’acte : devoir quasi légal envers toutes les parties, RTDCiv. 2009, p. 134 ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B (N° Lexbase : A4608EBB ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4312E7T), Bull. civ. I – D. 2009, 706, note Ch. Jamin.

[3] J. Varoclier, L’acte d’avocat : much ado about nothing ?,  Gaz. Pal., 26-28 juin, 2011. 

[4] Charvray de Boissy, l'avocat, où réflexions sur l’exercice du Barreau, discours prononcé à la rentrée de la conférence publique de Messieurs les avocats au Parlement de Paris, le 14 décembre 1776.

[5] F. Louville, Abrégé des règles de la profession d’avocats, 1883.

[6] Ernest Cresson, Usages et règles de la profession d’Avocats - jurisprudence, ordonnances, décrets et lois, 1888.

[7] Ernest Cresson, Usages et règles de la profession, jurisprudence, ordonnances, décrets et lois", 1888.

[8] Eugène Baratin, De la preuve littérale privée et plus spécialement des actes sous seing privé en droit français, Thèse pour le Doctorat présentée en 1855.

[9] Cass. civ. 1, 11 octobre 1966 (N° Lexbase : A5094KLA).

[10] Patrick Michaud, L’acte d’avocat : l’acte de la liberté contractuelle sera-t-il une révolution ?!».

[11] Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B (N° Lexbase : A4608EBB ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4312E7T), D., 2009, p. 706, commentaire Christian Jamin.

[12] Cass. civ. 1, 25 février 2010, n° 09-11.591, F-D (N° Lexbase : A4489ES3 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4312E7T).

[13] P-Y. Gautier, L’obligation de conseil du rédacteur d’acte : un devoir quasi légal envers toutes les parties, RTDCiv., 2009, p. 134.

[14] J. Varoclier, L’acte d’avocat : much ado about nothing ?, op. cit..

[15] Ch. Beudan, Cours de droit civil, 2ème édition n° 1181.

[16] E. Cresson, Usages et règles de la profession d’avocat, jurisprudences, ordonnances, décrets et lois, 1888

[17] E. Baratin, De la preuve littérale privée et plus spécialement des actes sous seing privé en droit français, Thèse, 1855.

[18] «L’avocat rédacteur d’un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les prévisions des parties. Il refuse de participer à la rédaction d’un acte ou d’une convention manifestement illicite ou frauduleuse».

[19] P.-Y. Gautier, L’obligation de conseil du rédacteur d’acte : un devoir quasi légal envers toutes les parties, RTDCiv., 2009, page 134.

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