La lettre juridique n°753 du 13 septembre 2018 : Fiscalité des entreprises

[Panorama] Taxe sur les salaires, entre confirmations et précisions de la jurisprudence récente ; panorama de jurisprudence du premier semestre 2018 relative à la taxe sur les salaires

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par Ludovic Lombard, Docteur en droit à l’Université Toulouse-Capitole

le 12 Septembre 2018

Taxe sur les salaires - Fiscalité des entreprises

Vestige de la période d’après-guerre, la taxe sur les salaires a connu un sérieux lifting lorsqu’elle a été totalement détachée de la TVA. Ainsi, le Conseil d’Etat[1] et le Conseil constitutionnel[2] reconnaissent qu’il ne s’agit pas d’une taxe prohibée sur le chiffre d’affaires, dans la mesure où elle n’a pas les caractéristiques de la TVA. Toutefois, signe du lien qui continue d’exister entre ces deux impôts, la taxe sur les salaires est due, sauf exonérations, par les sociétés ou organismes qui ne sont pas assujettis pour plus de 90 % à la TVA, selon l’article 231 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9019LKA).

 

La jurisprudence administrative du premier semestre 2018 est particulièrement riche en matière de taxe sur les salaires puisqu’une vingtaine d’arrêts ont été rendus par les cours administratives d’appel et deux décisions ont été adoptées par le Conseil d’Etat. Elle balaie l’essentiel des étapes d’imposition des organismes à cette taxe. Ainsi, la jurisprudence permet de revenir d’abord sur le champ d’application de la taxe sur les salaires, tant en ce qui concerne l’exclusion de certains organismes que s’agissant de l’exonération d’autres entités (I). Elle apporte ensuite des éléments importants au sujet du calcul du rapport d’assujettissement pour les entreprises partiellement assujetties à la TVA. La plupart des arrêts rendus au cours de ce premier semestre se contente d’appliquer classiquement la jurisprudence antérieure, ou de confirmer les décisions du Conseil d’Etat qui ont récemment conduit à une modification des modalités d’assiette de la taxe sur les salaires. D’autres apportent des précisions utiles, particulièrement s’agissant de la détermination du rapport d’assujettissement (II). Enfin, certaines décisions éclairent les règles relatives aux rémunérations assujetties à cette taxe (III).

 

I - Le rappel des règles relatives au champ d’application de la taxe sur les salaires

 

La taxe sur les salaires s’applique aux sociétés et organismes assujettis partiellement à la TVA. La jurisprudence du premier semestre 2018 permet de revenir sur les règles de détermination de ce champ d’application (A). Par ailleurs, bien que dans le champ d’application, certaines entités sont exonérées de taxe sur les salaires. Ceci est particulièrement le cas des organismes délivrant des diplômes au nom de l’Etat. Une application logique de ce cas d’exonération a été fait par la cour administrative d’appel de Marseille, le 19 avril 2018 (B).

 

A - Un retour sur les personnes exclues du champ d’application de la taxe sur les salaires 

 

En vertu des dispositions du 1 de l’article 231 du Code général des impôts, les sociétés et organismes entrant dans le champ d’application de la taxe sont ceux qui n’ont pas été assujettis sur au moins 90 % de leur chiffre d’affaires. Cet article précise qu’il convient d’entendre comme chiffre d’affaires le «total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations n’entrant pas dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée». L’enjeu de l’inclusion ou non de certaines recettes est alors important. Une réduction du chiffre d’affaires peut augmenter mécaniquement le ratio d’assujettissement à la TVA dès lors que les sommes qui en sont exclues sont exemptées de TVA. Inversement, l’augmentation du chiffre d’affaires pris en compte peut diminuer le ratio, jusqu’à devenir inférieur aux 90 %, seuil fatidique entraînant l’assujettissement à la TVA. La jurisprudence est désormais largement fixée sur les sommes incluses dans le chiffre d’affaires. La cour administrative d’appel de Nantes a néanmoins dû se prononcer sur la question de l’inclusion des subventions accordées à une association. Dans son arrêt du 18 juin 2018[3], elle a conclu, naturellement, que «les subventions [versées à une association] par l’Etat, la région des Pays de la Loire et les syndicats mixtes d’aménagement pour la technopole de l’agglomération mancelle» doivent être prises en compte «dans son chiffre d’affaires pour examiner si elle pouvait être assujettie à la taxe sur les salaires».

 

Cette solution, logique, permet toutefois de revenir sur la distinction entre exclusion du champ et exonération. Il apparaît que, pour le juge, la détermination de l’inclusion dans le champ d’application de la taxe sur les salaires s’établit au regard du chiffre d’affaires assujettis à la TVA. En revanche, les organismes limitativement énumérés par le 1 de l’article 231 du Code général des impôts sont exonérés. C’est ainsi qu’il convient d’entendre l’expression «à  l’exception de», précédent une série d’organisme tels que, par exemple, les collectivités locales ou encore «les caisses des écoles et des établissements d’enseignement supérieur […] qui organisent des formations conduisant à la délivrance au nom de l’Etat d’un diplôme sanctionnant cinq années d’études après le baccalauréat». Ce cas d’exonération a d’ailleurs été interprété par la cour administrative d’appel de Marseille, par une décision du 19 avril 2018.

 

B - Un retour sur les personnes exonérées de taxe sur les salaires

 

Dans sa décision précitée, la cour administrative d’appel de Marseille[4] a dû estimer si le Centre International de Formation Européenne (CIFE) pouvait bénéficier de l’exonération de taxe sur les salaires en tant qu’établissement d’enseignement délivrant «au nom de l’Etat un diplôme sanctionnant cinq années d’études après le baccalauréat». Le rejet de la demande de cette association n’a pas posé de difficultés dans la mesure où elle «[n’établissait] ni même [n’alléguait] qu’elle organise des formations conduisant à la délivrance» de tels diplômes. Pourtant, la décision de la cour mérite une attention particulièrement. Elle précise que les organismes de formation peuvent bénéficier de l’exonération «même s’ils ne délivrent pas eux-mêmes ces diplômes au nom de l’Etat». Elle reprend expressément ici la décision du Conseil d’Etat du 27 juin 2016[5]. Cette dernière avait inauguré cette solution, permettant dès lors aux organismes ne délivrant pas eux-mêmes les diplômes de bénéficier de l’exonération. Le juge avait appliqué strictement la lettre de l’article 231, sans s’en remettre aux travaux parlementaires dans la mesure où il les jugeait suffisamment clair.

 

Une fois le champ d’application déterminé, il convient de déterminer l’assiette de la taxe sur les salaires. Une étape intermédiaire est nécessaire dans le cas des assujettis partiels à la taxe sur les salaires, qui ne sont pas passibles de la TVA pour plus de 90 % de leur chiffre d’affaires. Il s’agit d’établir le prorata du chiffre d’affaires donnant lieu à l’imposition à la taxe sur les salaires, à savoir le rapport d’assujettissement. La jurisprudence récente a initié des précisions et évolutions dans les méthodes de calcul, reprises par les arrêts des cours administrative d’appel.

 

 

II - Les précisions jurisprudentielles quant à la détermination du rapport d’assujettissement

 

Alors qu’il est régulièrement admis que la TVA et la taxe sur les salaires doivent être dissociées[6], le Conseil d’Etat valide la sectorisation pratiquée en matière de TVA et appliquée à la taxe sur les salaires. Cela a des incidences sur le rapport d’assujettissement établi pour les assujettis partiels à la taxe sur les salaires, calculé par secteur. La jurisprudence récente apporte d’utiles précisions tant sur les conditions de validation de la sectorisation (A) que sur les éléments inclus dans le calcul du rapport d’assujettissement (B).

 

A - Des précisions sur les conditions de validation de la sectorisation

 

La cour administrative d’appel de Nantes a eu l’occasion, dans deux décisions du 19 avril 2018, de revenir sur la méthode de la sectorisation et d’en préciser les contours. Dans une première décision, elle a été amenée à rappeler les conditions pour qu’une société puisse constituer des secteurs distincts dans le cadre de l’imposition à la taxe sur les salaires[7]. L’intérêt d’une telle pratique est de pouvoir appliquer un rapport d’assujettissement individualisé pour chacun des secteurs. Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, inauguré par la décision du 28 juillet 1999[8], et reprise notamment par la cour administrative d’appel de Nantes, «l’activité d’une entreprise peut être répartie en secteurs distincts si les services de l’entreprise peuvent être utilisés indépendamment les uns des autres, s’ils comportent la mise en œuvre de techniques et de moyens de production séparés et s’ils font l’objet d’une comptabilisation distincte»[9]. Toutefois, dès lors que l’entreprise a été «assujettie à la taxe sur les salaires conformément à ses déclarations, il lui incombe d’établir l’exagération des impositions en application de l’article R. 194-1 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1590IN9»[10]. Partant, elle doit d’abord apporter la preuve de l’existence de secteurs distincts. La cour administrative d’appel de Nantes apporte dans ce cadre des précisions importantes. L’entreprise ne peut se contenter d’opter pour un critère «tenant à la participation ou non à des opérations taxables à la taxe sur la valeur ajoutée». Elle doit être prouvée la sectorisation par le biais d’éléments précis sur «la nature de ses activités et ses moyens d’exploitation» et sur «l’existence d’une comptabilité distincte». Cette solution dégagée par la cour administrative d’appel de Nantes semble logique dans la mesure où les critères identifiés pour déterminer l’existence d’un secteur distinct sont cumulatifs. Chacun des critères doit alors présenter une justification.

 

En revanche, quand bien même des secteurs seraient constitués, les rémunérations du personnel affecté à plusieurs secteurs se voient appliquer le rapport d’assujettissement général de l’entreprise. Il en va ainsi particulièrement des dirigeants d’une société qui sont présumés intervenir dans tous les secteurs, notamment financier[11], qui est exempté de TVA. Cette présomption est toutefois  une présomption simple. Il revient à l’entreprise de prouver que les dirigeants n’interviennent que dans des secteurs assujettis totalement à la TVA et, partant, exclus du champ d’application de la taxe sur les salaires. La décision de la cour d’appel de Nantes du19 avril 2018, SARL HDM[12] montre ici un exemple des méthodes du juge pour apprécier l’étendue des missions des dirigeants. Dans cette affaire, une société holding exerçait «une activité de gestion de trésorerie, exonérée de TVA, une activité de gestion des dividendes, placée hors champ de cette taxe et une activité de prestation de services destinées aux filiales, soumise à cette taxe». Comme le rappelle la cour administrative d’appel, les pouvoirs des dirigeants de la société holding «s’étendent en principe au secteur financier». Pour exclure du champ d’application de la taxe sur les salaires les revenus de ces dirigeants, l’entreprise doit prouver qu’ils «n’ont pas d’attribution dans le secteur financier», c’est-à-dire dans les secteurs exemptés de TVA, notamment en montrant qu’ils sont dépourvus «de tout contrôle et de responsabilité en la matière». Reprenant les précédentes décisions du Conseil d’Etat, la cour administrative de Nantes examine notamment les statuts de la société pour en déduire que les dirigeants de la société HDM étaient aussi affectés au secteur financier et donc que leur rémunération devaient être assujettie à la taxe sur les salaires. Surtout, la cour administrative d’appel de Nantes indique que «l’appréciation de cette situation n’implique pas de connaître les conditions de fait dans lesquelles [la dirigeante] exerçait ses fonctions chaque année dans la société». Cette précision n’allait pas de soi. La décision du Conseil d’Etat 8 juin 2011 (CE 3° et 8° ch.-r., 8 juin 2011, n° 340863, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6076HT9), fait valoir que la preuve contraire de la présomption peut être apportée par les statuts de la société, les contrats de travail, ou tout autre élément. Il apparaît dès lors que ces autres éléments ne peuvent être que des éléments juridiques et non de fait, contraignant de ce fait l’entreprise dans ses moyens de preuve pour renverser la présomption. Cette solution est conforme à la doctrine fiscale selon laquelle «cette preuve peut être apportée [...] s’il résulte [de divers documents] qu’un dirigeant n’a pas juridiquement le pouvoir d’exercer le contrôle et la responsabilité du secteur financier»[13]. Cependant, l’ajout d’une exigence d’un moyen juridique pour renverser la présomption laisse planer un doute sur la validité de ces indications, tout comme sur la valeur du raisonnement de la cour administrative d’appel de Nantes.

 

Que le rapport d’assujettissement soit établi par secteur ou pour l’ensemble de l’entité imposé, ses règles de calcul sont évidemment identiques. La jurisprudence du premier semestre 2018 apporte quelques précisions sur ces dernières.

 

B - Le calcul du rapport d’assujettissement

 

Après l’identification des secteurs au sein desquels s’inscrivent les rapports d’assujettissement, le calcul de ces derniers, et plus particulièrement la détermination des sommes à y inclure, présente un enjeu financier crucial. Il convient à cet effet de rappeler que, en vertu de l’article 231 du Code général des impôts, le rapport d’assujettissement est le rapport qui existe «entre le chiffre d’affaires qui n’a pas été passible de la TVA et le chiffre d’affaires total». En pratique, et comme le rappelle le BOFiP, «il convient de retenir : au numérateur, le total des recettes et autres produits qui n’ont pas ouvert droit à déduction de la TVA ; au dénominateur, le total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA». Le but pour un redevable est alors d’obtenir le rapport le plus favorable.

 

Il apparaît tout d’abord, d’après la lettre même de l’article 231 du Code général des impôts, que les sommes incluses au dénominateur correspondent exactement au champ d’application de la taxe sur les salaires, à savoir «le chiffre d’affaires qui n’a pas été assujetti à la TVA en totalité ou sur 90 % au moins de son montant». Ainsi, en reconnaissant qu’une subvention exclue du champ d’application de la TVA devait être inclue dans le champ d’application de la taxe sur les salaires, la cour administrative d’appel de Nantes, dans son arrêt du 18 juin 2018[14], en a conclu nécessairement que celle-ci devait être intégrée au dénominateur du rapport d’assujettissement. La cour reprend là le raisonnement utilisé par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 17 juin 2015, Société autobus aixois[15]. Elle ajoute que la somme ne doit pas être écartée du numérateur. Il s’agit là d’une conséquence logique de la décision du Conseil d’Etat du 27 juin 2012[16]. Dans celle-ci, la Haute juridiction a eu une interprétation extensive des produits «qui n’ont pas ouvert droit à déduction de la TVA». . Un produit figure au numérateur du rapport d’assujettissement en ce qu’il n’a pas ouvert droit à déduction de la TVA, soit qu’il est exclu du champ de cette taxe, soit qu’il en est exonéré. Il est également ajouté au dénominateur du rapport puisqu’il fait partie du total des produits de l’entreprise. Or, cela n’est pas neutre. Dès lors qu’une même somme est ajoutée aux deux éléments du rapport, ce dernier augmente mathématiquement, enchérissant d’autant le coût de la taxe sur les salaires assise sur ce rapport.

 

Par ailleurs, les redevables de la taxe avaient tenté de gonfler le dénominateur du rapport d’assujettissement en y incluant les sommes assujettis à la TVA au titre des livraisons à soi-même. Ces sommes, assujettis à la TVA ne pouvait pas par définition figurer au numérateur du rapport. Le Conseil d’Etat avait estimé par deux décisions du 9 novembre 2015 que «ces livraisons […] ne sont génératrice d’aucun flux et ne sauraient, dès lors, être regardées comme des produits devant être inclus au dénominateur du rapport»[17]. Ces décisions ont été strictement confirmées par une décision récente du Conseil d’Etat du 7 février 2018[18]. Elle a donc naturellement été reprise par la cour administrative d’appel de Nantes, le 15 mars 2018[19] et par celles de Marseille[20] et Douai[21] dans divers arrêts du 14 juin 2018.

 

Enfin, les juridictions administratives ont eu à se prononcer, au cours du premier semestre de l’année 2018 sur la question nouvelle de l’intégration des dividendes au rapport d’assujettissement d’un assujetti partiel à la taxe sur les salaires. Une société holding perçoit des dividendes du fait de sa participation dans ses sociétés filiales. Ces dividendes sont hors du champ d’application de la TVA. Les sociétés holdings dites mixtes réalisent en sus des services au profit des sociétés filiales et s’immiscent dans leur gestion. Les recettes tirées de ces prestations de service sont quant à elles assujetties à la TVA. Par ailleurs, dès lors qu’existe un lien direct et immédiat entre une opération économique et une dépense engagée, cette dernière bénéficie d’un droit à déduction de la TVA. Toutefois, s’il n’y a pas de lien direct et immédiat entre une dépense et une opération économique mais que ce lien existe avec l’ensemble de l’activité économique, les frais engagés peuvent aussi ouvrir droit à déduction de la TVA. Ces frais sont appelés frais généraux et ils constituent un élément du prix des biens ou services fournis. Or, la CJUE a précisé, dans une décision du 16 juillet 2015, que les frais d’acquisition de participation dans ses filiales sont des frais généraux ouvrant dès lors droit à déduction[22]. En effet, une société holding s’immisçant dans la gestion de ses filiales exerce une activité économique.

 

La cour administrative d’appel de Douai en avait déduit, dans un arrêt du 28 février 2017[23], que les produits correspondant aux dividendes reçus, en contrepartie de la participation de la holding, avaient ouvert droit à déduction de la TVA, et partant ne pouvait pas être intégré au numérateur du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires. Pour la cour, puisque les frais généraux ouvrent droit à déduction de la TVA, les dividendes doivent entrer dans le champ d’application de la TVA dès lors qu’ils sont «regardés comme la contrepartie d’une activité économique». Pourtant, le Conseil d’Etat est venu rappeler, dans une décision du 14 février 2018 annulant la décision de la cour administrative d’appel de Douai[24], que l’existence de l’activité économique au sens de l’arrêt de la CJUE ne signifiait pas pour autant que la perception des dividendes est la contrepartie de cette activité. Les frais généraux ouvrent droit à déduction car ils présentent un lien direct avec l’ensemble de l’activité de l’entreprise. En revanche, la perception des dividendes est une activité particulière qui n’entre pas dans le champ d’application. Cette décision du Conseil d’Etat est particulièrement importante en ce qu’elle est la première à venir opérer cette distinction dans le cadre de la perception de dividendes. La CJUE reconnaît classiquement que ces dividendes n’ouvrent pas droit à déduction de la TVA. Ces sommes doivent donc figurer au numérateur du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires. Ceci a ensuite été repris par la cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 19 avril 2018[25] et par celle de Nancy dans un arrêt du 14 juin 2018[26].

 

Avant de liquider la taxe sur les salaires, une dernière étape s’avère nécessaire. Il convient en effet de déterminer les «salaires» versés par la société ou l’organisme partiellement assujetti. Si la jurisprudence est désormais bien fixée sur la question, les juridictions administratives ont eu l’occasion de rappeler certaines règles au cours du premier semestre 2018, particulièrement s’agissant des revenus versés aux dirigeants de ces organismes.

 

III - L’application des évolutions jurisprudentielles récentes dans la détermination des salaires assujettis à la taxe sur les salaires

 

Pour déterminer les « salaires» versés assujettis, il convient de distinguer la situation des gérants des SARL (B) de celle des autres mandataires sociaux (A). Ils sont en effet dans une situation particulière qu’une décision de la cour administrative d’appel de Nantes du 19 avril 2018[27] a mise en exergue.

 

A - La situation générale des mandataires sociaux

 

La jurisprudence du premier semestre 2018 permet de mettre en lumière des applications des décisions du Conseil d’Etat du 21 janvier 2016[28]. La Haute juridiction avait alors admis que les rémunérations des mandataires sociaux mentionnés à l’article L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9043LK7), à savoir notamment les présidents du conseil d’administration des sociétés anonymes et les présidents et dirigeants des SAS. Cette position vaut pour les rémunérations versées lorsque l’assiette de la taxe sur les salaires étaient alignée sur celle des cotisations de sécurité sociale[29]. Elle est valable également actuellement alors que l’assiette de la taxe est alignée sur celle de la CSG[30], depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013[31]. Si dans ce dernier cas, la solution dégagée par le Conseil d’Etat est sujette à certaines critiques[32] dans la mesure où, pour l’adopter, le Conseil d’Etat s’est référé aux travaux parlementaires contre une lecture stricte du texte même de la loi, elle est régulièrement reprise par les différentes décisions de cours administratives d’appel. C’est ainsi le cas des rémunérations des dirigeants et présidents des SAS d’après les décisions de la cour administrative d’appel de Lyon du 26 avril 2018[33], de la cour administrative d’appel de Versailles du 2 mai 2018[34] et de la cour administrative d’appel de Nancy du 14 juin 2018[35].

 

Le Conseil d’Etat avait ajouté, sans difficultés, les rémunérations versées aux président et membres du directoire des SA à l’assiette de la taxe sur les salaires Cette position résulte de sa décision du 19 juin 2017. Ces mandataires sociaux n’apparaissent pourtant pas dans les dispositions de l’article L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale précité. Toutefois, la liste figurant dans cet article n’est pas limitative. L’utilisation par le juge des travaux parlementaires lui a permis de conclure à l’assujettissement à la taxe sur les salaires de ces rémunérations. Elle a naturellement été reprise par différents arrêts de la cour administrative d’appel de Versailles du 2 mai 2018, tant pour les rémunérations versées antérieurement à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013[36], que postérieurement[37].

 

En alignant l’assiette de la taxe sur les salaires sur celle de la CSG et par l’effet de l’interprétation extensive des dispositions législative par le juge, l’imposition des revenus des personnels à la taxe sur les salaires est large. Elle s’étend à la rémunération de la plupart des mandataires sociaux des organismes entrant dans le champ d’application de cet impôt. Pourtant, la situation des gérants des SARL est alors ambivalente.

 

B - La situation ambivalente des rémunérations versées aux gérants de SARL

 

L’assiette de la taxe sur les salaires étant alignée sur celle de la CSG, il apparaît incontestable que les rémunérations des gérants minoritaires des SARL sont assujetties à ces prélèvements. Ceci est clairement affirmé d’ailleurs par le Conseil d’Etat dans sa décision du 21 janvier 2016. A contrario, les rémunérations des gérants majoritaires des SARL en sont alors exemptées. Cette solution d’apparence simple nécessite toutefois une analyse concrète de la part du juge pour que celui-ci détermine le caractère majoritaire des gérants. Il résulte en effet du 11° de l’article L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale que la situation des gérants doit être appréciée ensemble, en tenant compte également des parts détenus «en toute propriété ou en usufruit, au conjoint, au partenaire lié par un PACS et aux enfants mineurs non émancipés». Par ailleurs, pour déterminer la qualité du gérant, il convient également de prendre en compte les parts détenus par une société associée, si le gérant en est l’associé majoritaire[38]. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 19 avril 2018[39] offre ici un exemple topique du raisonnement opéré par le juge pour apprécier la situation de fait à même de justifier ou non l’assujettissement de rémunérations à la taxe sur les salaires. Ainsi, le juge a estimé que les rémunérations versées à des cogérants ne devaient pas être assujettis à la taxe sur les salaires. Pour déterminer qu’ils étaient majoritaires ensemble, il a dû prendre en compte les parts détenus dans la SARL, tant par les gérants eux-mêmes, que par une société associée à la SARL. Cette dernière était sous le contrôle des cogérants de la SARL ensemble, au regard des parts détenus par eux ainsi que par l’épouse de l’un deux. 

 

 

La taxe sur les salaires peut apparaître comme une taxe résiduelle, un vestige auquel le législateur tente de conserver une place de manière anachronique. La réalisation du marché unique pousse en effet à réduire son influence afin de ne pas empiéter sur la TVA. Pourtant, elle peut être source de coûts conséquents pour le contribuable. L’étendue du contentieux du premier semestre le rappelle. Ce dernier permet de préciser à nouveau les règles d’assiette de cette taxe, qui ont, pour certaines, évolué récemment. Vestige peut-être, mais vivace !

 

 

 

 

 

[1] CE 9° et 10 ° ch.-r., 21 décembre 2007, n° 295646, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1528D3Y). 

[2] Cons. const., 17 septembre 2010, n° 2010-28 QPC (N° Lexbase : A4759E97).

[3] CAA Nantes, 18 juin 2018, n° 17NT00623 (N° Lexbase : A8741XTW).

[4] CAA Marseille, 19 avril 2018, n° 16MA01875 (N° Lexbase : A4705XPX).

[5] CE 9° ch., 27 juin 2016, n° 380773, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4253RU3), RJF, 11/16, n° 956 ; note Christelle ORIOL, Dr. Fisc., n° 27, 3 juillet 2014, comm. 417.

[6] CE 9° et 10° ch.-r., 15 avril 2015, n° 369652, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9512NGE), RJF, 7/2015, n° 585 ; conclusions Frédéric ALADJIDI, Dr. Fisc., n° 26, 2015, n° 26, comm.

[7] CAA Nantes, 19 avril 2018, n° 16NT01807 (N° Lexbase : A0438XUR).

[8] CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 164100, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7598ATL), RJF, 10/99, n°1173 ; conclusions Guillaume GOULARD, BDCF, 10/99, n° 93.

[9] Par exemple CE 9° et 10° ch.-r., 15 avril 2015, n° 369652 préc..

[10] CAA Nantes, 19 avril 2018, n° 16NT01807 préc..

[11] CE 8° et 3° ch.-r., 8 juin 2011, n° 331848, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5432HTD) ; 331849 (N° Lexbase : A6075HT8) ; 341018 (N° Lexbase : A6077HTA); RJF, 8-9/2011, n°936 ; conclusions Nathalie ESCAUT, BDCF, 8-9/2011, n° 99 ; Dr. Fisc., n° 29, 21 juillet 2011, comm. 425.

[12] CAA Nantes, 19 avril 2018, n° 16NT02088 (N° Lexbase : A3540XQ8).

[13] BOI-TPS-TS-20-30 (N° Lexbase : X8599AL3).

[14] CAA Nantes, 18 juin 2018, n° 17NT00623 (N° Lexbase : A8741XTW).

[15] CE 9° et 10° ch.-r., 17 juin 2015, n° 371162, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5370NLH).

[16] CE 8° et 3° ch.-r., 27 juin 2012, n° 348578, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0630IQE) ; RJF, 10/12, n° 910 ; Dr. Fisc., n° 49, 6 décembre 2012, n° 546 ; conclusions Nathalie Escaut, BDCF, 10/12, n°112.

[17] CE 9° et 10° ch.-r., 9 novembre 2015, n° 384536, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3614NWR) ; n° 384537, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3615NWS), Dr. Fisc, n° 11, 17 mars 2016, n° 224 ; RJF, 2/16, n° 131 ; conclusions Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, BDCF, 2/16, n° C 131.

[18] CE 9° ch., 7 février 2018, n° 391004, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715XDY).

[19] CAA Nantes, 15 mars 2018, n° 16NT03628 (N° Lexbase : A5947XPX).

[20] CAA Marseille, 14 juin 2018, n° 18MA00607 (N° Lexbase : A4693XTY).

[21] CAA Douai, 14 juin 2018, n° 16DA00375 (N° Lexbase : A3617XT7) ; n° 16DA00376 (N° Lexbase : A3618XT8) ; n° 16DA00377 (N° Lexbase : A3619XT9).

[22] CJUE, 16 juillet 2015, aff. C-108/14 (N° Lexbase : A1668RQT)

[23] CAA Douai, 28 février 2017, n° 15DA00594 (N° Lexbase : A7467TWH), note Jules Bellaiche, Lexbase Hebdo-Edition Fiscale, n° 692, 23 mars 2017.

[24] CE 3° et 8° ch.-r., 14 février 2018, n° 410302, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3500XDY), RJF, 5/18, n°483 ; conclusions Benoît BOHNERT, BDCF, 5/18, n° C 483 ; inédit au recueil.

[25] CAA Nantes, 19 avril 2018, n° 16NT02041 (N° Lexbase : A3534XQX).

[26] CAA Nancy, 14 juin 2018, n° 16NC01758 (N° Lexbase : A8141XTP).

[27] CAA Nantes, 19 avril 2018, n° 16NT02756 (N° Lexbase : A1978XQC).

[28] CE 3° et 8° ch.-r., 21 janvier 2016, n° 388676, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5775N4N), RJF, 4/16, n°331 et n° 388989 (N° Lexbase : A5776N4P), RJF, 4/16, n° 332.

[29] CE 3° et 8° ch.-r., 21 janvier 2016, n° 388676 préc..

[30] CE 3° et 8° ch.-r., 21 janvier 2016, n° 388989 préc..

[31] Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, art. 13 (N° Lexbase : L6715IUA).

[32] Voir en ce sens Grégoire Duchange, «Taxe sur les salaires et rémunération des mandataires sociaux : les travaux parlementaires priment sur la lettre du texte», JCP E, n° 16, 21 avril 2016, n° 1249 ; Jérôme Cuber, «Inclusion dans l’assiette de la taxe sur les salaires des rémunérations versées aux dirigeants : le débat est-il vraiment clos ?», Dr. Fisc., n° 11, 17 mars 2016, n° 223. Notamment, la révision de l’article 231 du Code général des impôts a transformé l’expression «rémunérations» par celle de «rémunérations versées aux salariés», ce qui pouvait laisser penser que seuls les revenus des salariés au sens du droit du travail pouvaient désormais être imposés au titre de la taxe sur les salaires.

[33] CAA Lyon, 26 avril 2018, n° 18LY00443 (N° Lexbase : A3156XMT).

[34] CAA Versailles, 2 mai 2018, n° 17VE01291 (N° Lexbase : A1975XM4).

[35] CAA Nancy, 14 juin 2018, n° 16NC01758 (N° Lexbase : A8141XTP).

[36] CAA Versailles, 2 mai 2018, n° 17VE00636 (N° Lexbase : A1970XMW) ; CAA Versailles, 2 mai 2018, n° 17VE01361 (N° Lexbase : A1976XM7).

[37] CAA Versailles, 2 mai 2018, n° 17VE00607 (N° Lexbase : A1968XMT) ; CAA Versailles, 2 mai 2018, n° 17VE00609 (N° Lexbase : A1969XMU).

[38] Sur la prise en compte des parts détenus par une société dont le gérant à le contrôle, voir CE, 8 juillet 1963, n° 56813.

[39] CAA Nantes, 19 avril 2018, n° 16NT02756 (N° Lexbase : A1978XQC).

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