La lettre juridique n°448 du 14 juillet 2011 : Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Harcèlement dans l'entreprise : l'employeur doit réagir, et vite !

Réf. : Cass. soc., 29 juin 2011, deux arrêts, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3) et n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo, édition sociale

le 17 Juillet 2011

L'employeur est tenu, en matière de harcèlement, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de répondre de tous les faits commis dans l'entreprise. Il a tout intérêt à se séparer au plus vite des salariés dont le comportement risque de nuire à la santé ou à la sécurité de leurs collègues, mais à condition de réagir vite dès que les premiers signent apparaissent, tel que le révèle un premier arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 29 juin 2011 (I). S'il ne parvient pas à empêcher le harcèlement, l'employeur devra alors en assumer toutes les conséquences, même s'il a finalement procédé au licenciement du coupable, comme le montre un autre arrêt rendu le même jour (II).
Résumé

1 - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3)

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

Est nul le licenciement d'un salarié en raison d'un comportement qui lui est reproché mais qui est une réaction au harcèlement.

2 - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4)

Engage tardivement et de manière fautive la procédure de licenciement disciplinaire contre un salarié suspecté de harcèlement, l'employeur qui avait eu connaissance de l'existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel dès sa convocation devant le bureau de conciliation et qui s'est borné à en dénier la réalité dans le cadre de l'instance prud'homale, en omettant d'effectuer les enquêtes et investigations qui lui auraient permis d'avoir, sans attendre l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l ampleur des faits reprochés à ce salarié et de prendre les mesures appropriées.

Commentaire

I - La sanction disciplinaire du salarié harceleur, condition nécessaire

Cadre légal. Les articles L. 1152-4 (N° Lexbase : L0730H9W) et L. 1153-5 (N° Lexbase : L0744H9G) du Code du travail, relatifs respectivement aux harcèlements moral et sexuel, disposent que "l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement [...]".

Ces textes constituent le siège de l'obligation de sécurité de résultat reconnue à la charge de l'employeur depuis 2006 (1), obligation qui lui impose de répondre des conséquences de faits de harcèlement commis par l'un de ses salariés, ou par toute autre personne sur laquelle il exerce une autorité de droit ou de fait (2), et ce même s'il n'a pas commis de faute personnelle dans la détection ou la sanction des faits qui ont été révélés.

Harcèlement et sanctions disciplinaires. Les articles L. 1152-5 (N° Lexbase : L0732H9Y) et L. 1153-6 (N° Lexbase : L0745H9H) du Code du travail disposent également que "tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement [moral ou sexuel] est passible d'une sanction disciplinaire".

La jurisprudence a été plus loin que ne le suggèrent ces textes et considère que le fait de harceler constitue nécessairement une faute grave qui justifie un licenciement immédiat (3), et ce sans qu'aucune cause d'atténuation de la responsabilité du salarié ne puisse être retenue (4).

L'un des deux arrêts rendus le 29 juin 2011 (n° 09-69.444) concernait, d'ailleurs, la possibilité de tenir compte du comportement du salarié harcelé pour tenter de limiter la responsabilité de l'employeur, ce dernier ayant fait valoir que le salarié harcelé avait été licencié notamment en raison "de son comportement injurieux et agressif". L'argument a été balayé par la Cour qui a considéré que "le comportement reproché à la salariée était une réaction au harcèlement moral dont elle avait été victime", ce qui non seulement lui enlevait tout caractère fautif, mais suffisait à rattacher le licenciement aux dispositions des articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) du Code du travail qui réputent nul le licenciement du salarié qui a subi des faits de harcèlement.

Diligence de l'employeur. Mais qu'en est-il lorsque les faits ne sont pas clairement établis et que l'employeur attend prudemment que l'instance en cours livre son verdict, avant de prendre, si la responsabilité du salarié harceleur est établie, l'initiative de la procédure de licenciement pour faute grave ?

L'un des deux arrêts en date du 29 juin 2011 (n° 09-70.902) nous montre que l'employeur ne peut pas se contenter d'attendre l'expiration de la procédure prud'homale mais qu'il doit, au contraire, prendre l'initiative de l'enquête pour faire éclater la vérité.

L'affaire. L'instance mettait en cause le comportement du directeur d'une auberge de jeunesse reconnu coupable de harcèlement moral et sexuel par un jugement de conseil de prud'hommes. Neuf jours plus tard, son employeur l'avait convoqué à un entretien préalable à son licenciement avec mise à pied conservatoire, avant de le licencier pour faute grave. Le salarié avait contesté, avec succès, cette qualification, la juridiction d'appel ayant considéré que l'employeur avait tardé à engager les poursuites après la connaissance effective des faits qui était intervenue dès la saisine de la juridiction prud'homale.

C'est également l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi de l'employeur. La Haute juridiction relève, en effet, que "l'employeur avait eu connaissance de l'existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel reprochés au salarié dès sa convocation le 18 juin 2004 devant le bureau de conciliation et qu'il s'était borné à en dénier la réalité dans le cadre de l'instance prud'homale, en omettant d'effectuer les enquête et investigations qui lui auraient permis d'avoir, sans attendre l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l ampleur des faits reprochés à M. X et de prendre les mesures appropriées", ce qui caractérisait "l'abstention fautive de l'employeur" et "le caractère tardif de l'engagement de la procédure de licenciement".

Une solution qui profite au harceleur. A première vue, la solution pourrait surprendre, voire choquer, car au final c'est bien le salarié harceleur qui obtient gain de cause et des dommages et intérêts pour licenciement injustifié, alors qu'il a été reconnu coupable de harcèlement moral et sexuel par les juges du fond.

La surprise est double car l'employeur avait prudemment attendu que l'audience prud'homale suive son cours avant, une fois la culpabilité de ce salarié retenue, d'engager rapidement l'action en licenciement pour faute grave. A l'heure où nombreux sont ceux qui regrettent avec quelle précipitation un certain procureur a traité un certain ancien directeur général d'une instance internationale, pareille prudence semble difficilement stigmatisable.

Une pression supplémentaire sur l'entreprise au bénéfice des victimes. Ce n'est pourtant ni du point de vue du salarié harceleur, ni du point de vue de l'employeur que se sont placés les juges, mais très certainement du point de vue de la victime. Dans cette affaire, et même si ces circonstances ne ressortent pas explicitement de la décision, on peut penser que l'employeur avait les moyens, dès l'introduction de l'instance prud'homale, de faire le nécessaire pour dénouer les fils du litige et se forger une conviction sur les agissements de ce directeur, sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'instruction de l'affaire par la juridiction prud'homale. L'employeur aurait ainsi dû le suspendre à titre conservatoire de ses fonctions, dans l'attente du résultat définitif de l'enquête interne, et le licencier une fois les faits avérés, sans qu'il puisse lui être fait grief de ne pas avoir attendu la fin de l'instance prud'homale engagée par la victime.

En privant le licenciement de cause réelle et sérieuse en raison du caractère tardif de l'engagement de la procédure, la Cour de cassation veut ainsi faire comprendre aux entreprises qu'elles doivent agir rapidement, dans ces affaires de harcèlement, pour protéger les victimes connues et les autres salariés de l'entreprise, sauf à perdre le bénéfice de la faute grave et devoir ainsi "payer" plus cher le licenciement d'un salarié qui ne mérite pourtant guère de compassion. Le message adressé alors aux employeurs est des plus clairs : en matière de harcèlement (la remarque vaut d'ailleurs aussi en matière de discriminations), il faut agir aussi vite qu'il est raisonnablement possible de le faire pour que cesse l'atteinte.

II - La sanction disciplinaire du salarié harceleur, condition non suffisante

L'obligation de sécurité de résultat de l'employeur. L'employeur a donc tout intérêt à sanctionner le salarié harceleur, et à le faire rapidement sans attendre le résultat de l'instance prud'homale.

Mais cette initiative est, malheureusement pour l'employeur, insuffisante pour l'exonérer de sa responsabilité fondée sur l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, car il s'agit d'une responsabilité de plein droit engagée par la seule preuve du harcèlement, et sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute personnelle.

C'est ce que confirme un autre arrêt, rendu le 29 juin 2011 (n° 09-69.444) : "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements".

L'affaire. Dans cette entreprise, des désaccords aboutissant à une agression physique d'une salariée s'étaient produits entre celle-ci et un autre médecin du service dès 1999. En 2004, cette même salariée avait été privée brutalement, par note de service, d'une partie de ses fonctions de responsabilité et, consécutivement et sans qu'elle en soit prévenue, de l'accès à son bureau dont les codes d'accès avaient été modifiés et qui avait été vidés de ses affaires personnelles, entreposées en son absence au secrétariat dans des cartons. Les conditions de travail de la plaignante s'étaient dès lors considérablement dégradées, celle-ci ne disposant plus que d'un bureau commun partagé avec d'autres praticiens, non sécurisé, où son ordinateur n'avait pas été réinstallé tandis que son travail lui-même était déconsidéré et qu'elle subissait diverses tracasseries de l'employeur, le tout aboutissant à un syndrome dépressif lié, selon le médecin du travail, à ces agissements.

Les juges du fond avaient également relevé, dans cette affaire, que de son côté l'employeur ne justifiait d'aucune diligence pour mettre fin à cette situation conflictuelle et ne démontrait pas que les faits matériellement établis par la salariée auraient été justifiés par des éléments objectifs ou auraient procédé de causes étrangères à tout harcèlement.

Une confirmation des indices établissant l'existence d'un harcèlement. On reconnaît ici les traits caractéristiques du harcèlement : violences physiques (5), entrave à l'exercice des fonctions (6), déclassement professionnel (7), dévalorisation publique (8), tracasseries administratives (9), etc..

Même si l'arrêt relève formellement que l'employeur répond de ces faits même s'il a pris les mesures utiles pour y mettre un terme, lorsqu'il en a connaissance, le comportement adopté par celui-ci dans ces affaires entre toujours en ligne de compte, même indirectement, ne serait-ce que parce qu'il n'a pas pu ou su empêcher que des situations personnelles ne se dégradent jusqu'au harcèlement. Il faut, en effet, rappeler que le harcèlement, sauf l'hypothèse particulière du harcèlement discriminatoire, suppose la répétition d'actes hostiles et tangibles à l'égard d'un salarié en particulier. Même si l'employeur ne peut pas avoir l'oeil à tout, le management de l'entreprise doit être tout entier tourné vers la détection très en amont de tout signe de tension dans les équipes, ce qui passe par la formation des managers, mais aussi par la surveillance et l'encadrement de ces derniers lorsque ce sont leurs comportements qui sont en cause, comme c'est malheureusement parfois le cas. Dans ces hypothèses, la circonstance que des faits aient pu se dérouler pendant des années, comme c'était le cas dans cette affaire, démontre la faillite du management et révèle clairement une faute de l'employeur (10). Certes, la victime n'a pas à l'établir, puisqu'elle bénéficie d'une obligation de sécurité de résultat dont le propre est de la dispenser de rapporter la preuve d'une faute, mais elle existe bien souvent et pourra d'ailleurs être prise en compte notamment lorsqu'il s'agira d'établir la faute inexcusable pour accorder au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle liée au harcèlement (notamment une dépression).


(1) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA) et voir nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI) ; Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et voir les obs. de S. Tournaux, Prise d'acte, obligation de sécurité et charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1679BRM). Par la suite : Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-41.741, F-D (N° Lexbase : A2962DUA).
(2) Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL) et voir nos obs., Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG).
(3) Cass. soc., 7 juin 2011, n° 09-43.113, F-D (N° Lexbase : A4957HTR).
(4) Notamment une ancienneté irréprochable du salarié, pourtant généralement admise pour atténuer la gravité de certains comportements certes graves, mais inhabituels chez certains salariés jusque là exemplaires, dernièrement : Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-71.566, F-D (N° Lexbase : A2599HQC). Ou encore la relativisation de la gravité du comportement compte tenu de la faible valeur des intérêts en cause ; Cass. soc., 21 juin 2011, n° 10-10.833, F-D (N° Lexbase : A5217HUR), vol de six ou sept pièces de deux euros ainsi que le défaut d'enregistrement, sur une seule journée, de quelques achats d'une valeur indéterminée, s'agissant d'une salariée ayant neuf années d'ancienneté.
(5) Cass. soc., 6 avril 2011, n° 09-71.170, F-D (N° Lexbase : A3566HNE).
(6) Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-41.583, FS-P+B (N° Lexbase : A3892HM4).
(7) Cass. soc., 29 juin 2011, deux arrêts, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3) et n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4), Bull. civ. V, n° 267, voir nos obs., Harcèlement moral : la Cour de cassation livre une première définition, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3379ABR).
(8) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.638, F-D (N° Lexbase : A7535EIW), Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-42.481, F-D (N° Lexbase : A2801GQS).
(9) Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.097, FS-D (N° Lexbase : A8495GQP).
(10) Ainsi, Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-44.298, F-D (N° Lexbase : A0444ESA) : "l'employeur, pourtant alerté par plusieurs courriers de celle-ci, n'avait pris aucune mesure pour résoudre les difficultés qu'elle avait exposées".

Décision

1  Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3)

Rejet (CA Douai, ch. soc., 30 juin 2009)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T)

Mots clef : harcèlement, obligation de sécurité de résultat, nullité.

Liens Base :

2 - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 9ème ch., 10 septembre 2009)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1152-5 (N° Lexbase : L0732H9Y), L. 1153-6 (N° Lexbase : L0745H9H) et L. 1332-4 (N° Lexbase : L1867H9Z)

Mots clef : harcèlement, faute grave, prescription.

Liens Base :

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