La lettre juridique n°448 du 14 juillet 2011 : Éditorial

Campagnes publicitaires et comptes de campagne : de la communication non grata

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N6960BSL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Un homme averti en vaut deux", enseigne la sagesse populaire : gageons que quelque candidat à l'élection suprême de 2012 et sa cohorte de députés sortants tirent les enseignements de cet arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 4 juillet 2011 qui, certes, ne condamne pas l'actuel président de la région Ile-de-France à l'inéligibilité, mais le contraint à rembourser la dotation de l'Etat pour frais de campagne électorale précédemment servie, pour avoir (trop) informé les habitants de la région des dernières actions menées par le conseil régional en matière de transport six mois avant la date des élections litigieuses.

Concernant la nature des opérations de communication conduites par la région d'Ile-de-France à la fin de l'année 2009, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat estime que ces opérations d'affichage, qui ont revêtu un caractère massif et ont été, en outre, complétées par la publication d'encarts dans la presse écrite et sur internet, ont eu pour effet non de diffuser de simples informations, mais de valoriser, par des messages à caractère promotionnel, l'action du conseil régional. Elles doivent, dès lors, être regardées comme des campagnes de promotion publicitaire au sens du second alinéa de l'article L. 52-1 du Code électoral. La Haute juridiction estime que cette irrégularité a été de nature à altérer la sincérité du scrutin en ce qui concerne l'attribution du dernier siège de conseiller régional restant à pourvoir, qui est, ainsi, déclaré vacant. En revanche, elle n'a pas été de nature à affecter l'attribution des autres sièges, compte tenu de l'écart de voix entre les deux listes en présence. Ensuite, le président du conseil régional sortant doit être regardé comme ayant bénéficié, pour le financement de la campagne électorale de la liste qu'il conduisait, d'un concours financier de la région d'Ile-de-France pour une somme d'environ 1,5 million d'euros représentant 45 % du plafond des dépenses électorales. Il a donc méconnu les dispositions de l'article L. 52-8 du Code électoral, qui présentent un caractère substantiel, et entaché son compte de campagne, dans des proportions importantes, d'irrégularité. Il ne percevra donc, à ce titre, aucun remboursement de l'Etat. Cependant, ce manquement ne peut être qualifié, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, de manquement d'une particulière gravité, il ne justifie donc pas que l'intéressé soit déclaré inéligible, ni que son élection en qualité de conseiller régional soit annulée.

Victoire à la Pyrrhus que cette victoire là, car le président doit désormais rembourser aux contribuables 1,6 million d'euros, bien qu'il conserve son siège et son pupitre. Et, l'on comprendra, dès lors, que cette décision ait suscité chez les politiques, comme chez les caciques de la communication, d'abord l'étonnement, ensuite l'effroi. Ma foi, à quoi cela sert-il d'avoir un bon bilan politique, de faire des réformes d'envergure, si l'on ne peut, ensuite, en promouvoir l'essence, les conséquences et les bienfaits ?

C'est que le Conseil d'Etat distingue, alors, la simple communication politique de la propagande. La première serait tolérée, car jugée objectivement informationnelle, tandis que la seconde serait, non prohibée, mais reléguée au statut de la publicité quasi commerciale de nos candidats électoraux. Il convient, donc, de définir, au XXIème siècle, ce que recouvre la communication politique, avant de porter l'anathème sur une propagande souffreteuse, parée des atours de la manipulation de masse, symbole des périodes les plus sombres du XXème siècle.

Et, si l'on donne la parole à la défense, sur la foi de Thierry Saussez, alors délégué interministériel à la communication et directeur du service d'information du Gouvernement (Le Figaro, 3 octobre 2008), "la démocratie repose sur le consentement des gouvernés. Son essence même, l'élection au suffrage universel, se joue sur la rencontre entre une offre politique et une demande citoyenne. Un leader peut avoir les meilleures idées du monde, un gouvernement peut décider des mesures les plus nécessaires. A défaut d'être capables de convaincre et d'entraîner, ils n'en feront rien. C'est la communication, sous toutes ses formes, qui crée le lien entre cette offre et cette demande". Par conséquent, démocratie et communication politique sont, non seulement intimement liées, mais la seconde est inhérente à la première. La chose n'est, d'ailleurs, pas nouvelle, et le "pape de la communication politique" de rappeler que "tous les gouvernements ont toujours voulu promouvoir leur action, faire connaître les réformes, mettre les mesures qu'ils décident à la portée des citoyens. La France avance' en 1985, La libéralisation de l'économie' en 1986, la création du RMI en 1989, les 35 heures en 1998, la réforme des retraites en 2003 sont quelques-unes des grandes campagnes de communication comparables à celle sur le pouvoir d'achat". Un brin provocateur, mais sensibilisant les oreilles de nos vénérables lecteurs, il conclut : "la communication est la version moderne de l'antienne Nul n'est censé ignorer la loi'".

Alors, si la communication politique est fédératrice, nécessairement elle crée ou suscite une opinion de masse (lutte contre les discriminations, promotion de l'industrie ou de l'artisanat national ou local) ; si elle a un objectif comportemental (sécurité routière, développement durable, prévention sanitaire), l'intensité de sa diffusion et la variété des médias employés ne pourront lui être reprochées ; si la communication politique informe les administrés, et néanmoins électeurs, de l'existence d'un service, on ne pourrait sincèrement l'accuser de faire la promotion commerciale de ce service -le plus souvent gratuit-, mais tout au plus de rentabiliser l'investissement public voté par les élus ; enfin, si elle valorise son émetteur, c'est-à-dire l'équipe dirigeante en place, c'est au détour de ses trois autres objectifs précédemment définis. Bien entendu qu'une communication politique n'est pas neutre, mais peut-elle l'être ? Entend-on qu'un homme politique communique sur les faiblesses de son bilan à la tête d'une municipalité, d'un conseil général, régional, d'une circonscription, voire de l'Etat ? Vaste utopie... Du reste, c'est cette promotion indirecte là, mais bien réelle, que le Haut conseil qualifie de promotion publicitaire du président-candidat sortant.

Nous sommes certes loin des Bulletins de la Grande Armée napoléoniens chargés de répandre la bonne nouvelle des faits armes victorieux de l'Empereur et de sa politique expansionniste, mais pas si loin de ces Auguste, Tibère et autre Néron qui marquaient les via de l'Empire de stèles gravées à leurs effigies, pour que chacun sache qui était le généreux promotteur de leur élaboration. Propagande, communication politique : la frontière est décidément ténue.

Et, somme toute, le Conseil d'Etat est-il cohérent : à méthode totalitaire, jugement extravagant. Ce qu'un président exilé, dont l'hospitalité à l'égard de nos dirigeants nationaux n'est plus à prouver, qu'un président assigné à résidence dans une confortable station balnéaire éloignée, toutefois, des mausolées pharaoniques de ses ancêtres, peuvent débourser en réparation de leurs hauts faits en communication/propagande politique, un simple président de région, convaincu de pareille concussion, doit lui aussi s'y confondre : 1,6 million d'euros à rembourser aux contribuables français, "plaie d'argent n'est pas mortelle" ! Mais, le juge administratif aurait voulu la mort politique du malheureux requérant, qu'il ne s'y serait pas mieux pris -remarquant, par ailleurs, que les mesures d'inéligibilité jadis prononcées n'ont jamais empêché les infortunés condamnés à effectuer des carrières politiques de premier plan, par la suite-, confondant bas de laine et polochon.

Mais attention, la France soucieuse de frapper la liberté d'expression au porte-monnaie vient justement d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle a eu beau clamer "l'argent n'est qu'une fiction" selon les principes cardinaux d'Aristote (La politique), la Cour remarque, toutefois, que le redressement fiscal litigieux, à l'encontre de l'association "Les Témoins de Jéhovah", s'élevant à un montant de 45 338 875 euros, a porté sur la totalité des dons manuels perçus par la requérante, alors que ceux-ci représentaient 90 % de ses ressources. Vu l'impact de cette mesure sur les ressources de l'association requérante et sur sa capacité à mener son activité religieuse en tant que telle, la Cour conclut à l'existence d'une ingérence dans l'exercice des droits garantis par l'article 9 de la Convention. La taxation des dons manuels a donc eu pour effet de couper les ressources vitales de l'association, laquelle n'était plus en mesure d'assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte. Comparaison n'est pas raison, mais...

Il est à craindre qu'avec cette nouvelle jurisprudence relative au contentieux électoral et à ses implications sur les méthodes de communication politique et sur la validation des comptes de campagne, "ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés" nous dit la fable Les Animaux malades de la peste ; mais chacun sait que "selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir"....

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