Réf. : Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, deux arrêts, n° 16-26.494 (N° Lexbase : A8727XAH), et n° 16-22.869 (N° Lexbase : A8806XAE), F-D ; Cons. const., 12 janvier 2018, décision n° 2017-685 QPC (N° Lexbase : A9936W9U)
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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
le 22 Février 2018
Une société, propriétaire d'un ensemble immobilier, le loue à une autre société qui conclut un contrat de location gérance avec une troisième entreprise. Elle y exploite une boîte de nuit et bénéficie d'une multirisque professionnelle. Un dégât des eaux se produit dans les locaux et, le lendemain, un incendie intervient. Il est manifestement dû à une maladresse de l'exploitant ayant remis un peu trop tôt l'électricité après le premier sinistre. A la demande d'indemnisation, l'assureur oppose la clause suivante, dont les prescriptions n'ont pas été respectées : "Lorsque l'établissement est inoccupé, toutes les protections (déclarées ou autres) sont toujours en fonction, sans exception, toutes les portes intérieures et tous les exutoires, trappes, aérateurs sont fermés, tous les appareils et circuits sont hors tension, sauf : les protections électroniques, les groupes frigorifiques, l'éclairage ménager, les besoins des bureaux, les climatisations réversibles". Les parties s'affrontent, en l'espèce, sur l'application de la clause aboutissant à écarter la garantie de l'assureur. Sa nature est évidemment déterminante de son régime. Comme la solution des juges apparaîtra décevante, une demande fondée sur un manquement au devoir d'information et de conseil sera formée.
La décision ne se prononcera pas sur un point déterminant : la qualification de la clause en exclusion conventionnelle de garantie. Une telle qualification ouvre la porte à un contrôle assez rigoureux de la validité de la stipulation. Elle n'est jamais acquise, on le sait. Les juges peuvent toujours hésiter entre condition de garantie et exclusion conventionnelle (1). La difficulté est que, dans les conclusions d'appel, les prescriptions litigieuses ont toujours été considérées comme des conditions de garantie. La Cour de cassation estime que la discussion ne peut, dès lors, avoir lieu devant elle.
Les parties essaient tout de même de recréer un régime des conditions de garantie qui leur soit favorable. Elles vont argumenter sur la présentation de ces stipulations, leur effet sur le droit à garantie, et les conséquences de leur inexécution. Sur les deux premiers points, cela revient évidemment à recréer le régime des exclusions conventionnelles : qu'elles soient formelles et limitées, et qu'elles figurent en caractères très apparents. Si certains espèrent l'avènement d'un régime unifié des clauses restrictives de garantie, il n'en est rien pour l'instant. La jurisprudence exige simplement que les conditions de garantie soient suffisamment claires et compréhensibles (2). Le présent arrêt évoque l'existence d'une clause claire et lisible pour évacuer l'argument. Cette qualité de la stipulation aura une incidence sur l'obligation d'information et de conseil dont sont tenus les différents professionnels de l'assurance. La jurisprudence a rappelé récemment qu'une diligence particulière d'information et de conseil n'a pas lieu d'être en présence d'une stipulation parfaitement claire pour l'assuré (3). Le présent arrêt s'inscrit dans ce courant.
Les parties n'auront pas plus de succès avec l'argument consistant à considérer que l'ensemble des prescriptions supprime le droit à garantie ce qui revient à imposer que ces conditions soient limitées. En l'absence d'un texte spécial, tel que l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), il faudrait démontrer, sur le fondement du nouvel article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH) ou en application de la jurisprudence antérieure, que la clause prive de sa substance l'obligation essentielle de l'assureur. Du point de vue des sanctions des prescriptions, l'espèce est l'occasion de rappeler que l'assureur choisit la sanction du comportement qu'il impose à son assuré. La stipulation prévoyait clairement de subordonner l'existence même de la garantie à l'exécution de ces obligations. Il n'est donc pas nécessaire de se demander si le sinistre en question a un lien avec le respect de ces exigences.
II - Vie du contrat
Il est important de signaler cette décision du Conseil constitutionnel qui vient certainement mettre fin à une longue saga en matière de résiliation des contrats d'assurance emprunteur. La loi n° 2017-203 du 21 février 2017 a consacré la possibilité d'exercer la faculté de résiliation annuelle dans les assurances emprunteur en la rendant applicable aux contrats en cours dès le 1er janvier 2018 (N° Lexbase : L9754LCA) (4). Ces dispositions modificatives ont fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Il s'agissait de remettre en cause le principe même de l'exercice de cette faculté dans ce type d'assurance. Il s'agissait aussi de contester la constitutionnalité de l'application de la faculté aux contrats en cours. Sur les deux points, la solution est une réponse à l'argument selon lequel l'ouverture de cette faculté bouleverserait l'équilibre économique des opérations en cause. En particulier, sur l'application de la disposition aux contrats en cours, la décision met en évidence deux éléments. Ne pas pouvoir résilier les contrats antérieurs aurait rendu la disposition moins efficace en raison de la durée des prêts garantis, le Conseil y voit un objectif d'intérêt général. Par ailleurs, la loi ne fait qu'ouvrir un droit de résilier qui ne sera pas systématiquement exercé. Les assurés doivent en effet trouver un contrat présentant des garanties équivalentes à celles qui sont prévues. L'atteinte aux contrats légalement conclus paraît proportionnée. Il ressort de la décision que le choix de reporter l'application aux contrats en cours au 1er janvier 2018 a influencé la constitutionnalité de la disposition. Ce délai a en effet permis aux assureurs d'anticiper le futur état du marché de l'assurance emprunteur.
Le présent arrêt ne laissera pas indifférent, tant il intervient sur une question ayant agité la doctrine. A ce titre d'ailleurs, il pourrait réaliser le tour de force de décevoir et de rassurer en même temps. On l'aura compris, le litige porte sur l'application de la faculté de résiliation après sinistre. Cette faculté est régie par l'article R. 113-10 du Code des assurances que l'on pourrait trouver peu protecteur des intérêts de l'assuré. En effet, il suffit que la faculté soit prévue par le contrat et qu'elle soit exercée dans un certain délai après la survenance du sinistre. L'assureur ne peut plus l'exercer si, un mois après qu'il ait eu connaissance du sinistre, il a reçu une prime ou une fraction de prime pour une période de garantie postérieure. Lorsqu'elle est valablement exercée, la faculté ne prend effet qu'un mois après notification. L'assuré se consolera avec une faculté de résiliation en réponse et un droit au remboursement des primes pour la période qui n'est plus couverte.
L'arrêt du 18 janvier 2018 apporte des précisions sur le domaine de la faculté de résiliation après sinistre et les conditions dans lesquelles elle peut s'exercer. En l'espèce, un voyagiste souscrit cinq assurances de groupe ayant vocation à couvrir ses clients. Quatre assurances sont conclues pour une période de deux ans et demi et la cinquième pour un an renouvelable par tacite reconduction. Chacun des contrats prévoit la possibilité de résiliation après sinistre dans une stipulation rappelant les différentes hypothèses de résiliation et semblant les soumettre au respect d'un délai de préavis de deux mois avant la date anniversaire du contrat. L'assureur utilise la faculté ouverte par l'article R. 113-10 au début de la troisième année d'existence des contrats pour y mettre fin. L'assuré conteste l'emploi d'une telle faculté et la violation des stipulations contractuelles. Il considère que l'assureur a commis une faute en procédant à la résiliation des contrats.
L'un des intérêts de l'arrêt est certainement de préciser à nouveau, de façon indirecte néanmoins, que la faculté de résiliation après sinistre s'applique aux assurances de groupe pour le contrat cadre lui-même. La solution n'est pas nouvelle (5). Malgré les critiques faisant ressortir son inadaptation à ce type d'assurance, la solution a désormais pour elle l'article L. 129-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7683IZL), issu de la loi du 17 mars 2014. Ce dernier prévoit expressément l'application des règles du droit commun du contrat d'assurance et celle des assurances de dommages aux assurances collectives de dommages. Il en ressort une banalisation du contrat d'assurance collective que le législateur n'avait peut-être pas anticipée. Cette réforme aurait justement pu être l'occasion de marquer la spécificité de cette forme d'assurance.
L'arrêt est l'occasion de mesurer la portée des dispositions de l'article R. 113-10 du Code des assurances. Elles sont d'ordre public, la décision l'affirme clairement. La position fait un sort à l'argument des parties considérant que l'assureur aurait dû exercer la faculté dans les conditions prévues par le contrat. A l'inverse, les juges estiment qu'il devait, et ne pouvait, l'exercer dans les conditions de l'article R. 113-10 auquel le contrat d'assurance se réfère. L'assureur a beau jeu de souligner qu'attendre la fin de la période contractuelle le conduirait à exercer le droit au-delà du délai autorisé. L'exercice de la faculté de résiliation après sinistre nécessite donc simplement que la possibilité de l'exercer soit clairement stipulée dans le contrat. Lorsque les stipulations contractuelles apparaissent confuses sur les causes et modalités de résiliation, cela ne joue donc pas contre l'assureur. Les modalités sont de toute façon celles prévues par le texte.
On le voit, la Cour de cassation semble donner plein effet à cette faculté de résilier après sinistre, que l'on pourrait pourtant trouver injustifiée dans un état du droit où l'assureur bénéficie déjà de la possibilité de réexaminer annuellement l'opportunité de poursuivre le contrat. La Cour de cassation va tout de même trouver le moyen de réduire la portée de la faculté de l'assureur. Ainsi, la présente affaire a déjà été l'occasion de préciser que le juge peut suspendre, pendant un délai qu'il détermine souverainement, l'application de la clause pour éviter un dommage imminent (6). Dans le présent arrêt, la Cour de cassation va un peu plus loin : elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir examiné l'argument de l'assuré selon lequel l'assureur aurait abusé de sa faculté de résilier. Il est, en effet, constaté que le nombre de sinistres n'a pas particulièrement augmenté lorsque l'assureur procède à la résiliation des contrats. En revanche, ces résiliations interviennent dans une période où l'assureur cède son activité et cherche manifestement à apurer ses comptes. On ne peut préjuger de la décision de la cour d'appel de renvoi, cependant, il faut saluer la décision consistant à reconnaître la possibilité de faire sanctionner un abus. En premier lieu, il est évident que le recours à ce mécanisme permet de rééquilibrer les rapports des parties : loin de s'en tenir à une simple possibilité de résilier en réponse, l'assuré peut exposer son assureur au paiement de dommages et intérêts. Cela compense l'absence de garde-fous suffisants entourant l'exercice d'une telle faculté et dont l'arrêt est une belle illustration ! Par ailleurs, le caractère d'ordre public du texte semble appeler un tel contrôle. La faculté de résilier après sinistre a été conçue pour s'exercer dans un cas précis : une sinistralité perturbant les prévisions de l'assureur. Le contrôle de l'abus permet de ramener l'assureur à un exercice de la faculté en conformité avec l'objectif pour lequel elle a été conçue : "le critère de l'abus condamne toute déviation du droit quant à sa fonction, en partant de l'idée de ce qu'à chaque droit est attachée une fonction, déduite de son esprit et que les droits subjectifs ne sont pas abstraitement conférés, pour les utiliser discrétionnairement, mais qu'ils ont une raison d'être, une mission à accomplir" (7). Les circonstances de l'espèce, rappelées par la Cour de cassation, semblent orienter le contrôle dans ce sens. La loi de 2014, déjà citée, a imposé la motivation de la résiliation dans certains cas (8). Au-delà de la simple indication des motifs, le contrôle de l'abus pourrait consister à contraindre l'assureur à justifier du bien-fondé de l'exercice de la faculté.
(1) J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances, Le contrat d'assurance, Tome 3, LGDJ, 2ème éd., 2014, n° 1491 et s..
(2) Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-14.179, F-D (N° Lexbase : A0937RQR), LEDA, 2016, n° 7, p. 2, nos obs..
(3) Cass. civ. 2, 9 décembre 2016, n° 15-21.723, F-D (N° Lexbase : A3998SPR) : rendu sur la même catégorie de stipulations.
(4) Cf. nos obs. in Chron., Lexbase, éd. priv., n° 693, 2017 (N° Lexbase : N7358BWG).
(5) Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 90-12.482 (N° Lexbase : A5064AHZ), Bull. civ. I, n° 19 ; RCA, 1993, chron. 12, H. Groutel ; RGAT, 1993, 336, note J. Kullmann.
(6) Cass. civ. 2, 6 février 2014, n° 13-14.084, F-D (N° Lexbase : A9106MDM), LEDA, 2014, n° 4, obs. A. Astegiano-La Rizza.
(7) Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsbailité et des contrats, DallozAction 2018/2019, n° 2213.19.
(8) C. assur., art. L. 113-12-1 (N° Lexbase : L7680IZH).
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