Réf. : Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-23.599, FS-P+B (N° Lexbase : A1419WXT)
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N1302BXI
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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier
le 29 Novembre 2017
Néanmoins, le mot conserve un sens profane indéniable et s'applique à la profession d'avocat avec moins de solennité que celui de "ministère" qui subsiste néanmoins dans le droit positif (2). De façon détaillée, le Règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) (3), dès 2005, énumère les missions de l'avocat. Dans une telle acception, on doit comprendre que la mission, comme l'exprime le droit du travail, est une tâche limitée, à durée déterminée ou indéterminée.
En matière de prescription, la détermination de la mission et de son terme revêt une importance particulière. En effet, un texte spécial (4) fait courir de la fin de la mission la prescription de l'action en responsabilité civile engagée contre l'avocat. En vérité, ce texte ne s'applique pas qu'aux avocats puisqu'il concerne "l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les personnes en justice". Pour être complet, la responsabilité de l'avocat n'est pas couverte dans son entier par cette disposition puisque l'avocat qui agit exclusivement dans le domaine juridique ne saurait être concerné. Au regard de la responsabilité civile, cette notion de fin de mission revêt un intérêt particulier, mais les décisions en cette matière sont aussi rares que les commentaires de la doctrine (5).
En matière d'honoraire, la règle applicable est moins stable et moins ancienne (6). L'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) n'a touché qu'au délai, ramené à cinq ans, par la loi du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I), pour la prescription en matière de responsabilité civile. En revanche, pour la rémunération de l'avocat il faut encore distinguer les frais et émoluments, exigibles en certaines matières, les frais et honoraires correspondant à la plus grande partie des situations rencontrées. Pour les frais et émoluments dus en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires, il faut se référer au nouveau tarif des notaires (7). Plus récemment encore un décret du 2 août 2017 (8) évoque, pour les questions d'honoraires, la mission de l'avocat. Pour le régime de la prescription, deux règles subsistent aujourd'hui pour le recouvrement des honoraires. En droit commun la prescription est de cinq ans (9). En revanche, quand il s'agit d'un consommateur la prescription est de deux ans (10). Un arrêt récent (11) fournit un éclairage sur la notion de consommateur qui ne peut s'appliquer aux prestations fournies à une société commerciale, une société à actions simplifiée.
On relèvera qu'en matière d'honoraires les textes, à la différence de la règle applicable à la responsabilité civile, ne précisent pas que la prescription court de la fin de la mission. Néanmoins, la solution prétorienne est claire et se trouve encore rappelée dans des décisions de la Cour de cassation publiées au Bulletin. Ainsi, il a été jugé par la Haute Juridiction que "la prescription de l'action des avocats pour le paiement de leurs honoraires court à compter de la date à laquelle leur mission a pris fin" (12).
La décision commentée, promise à une publication au Bulletin, se fonde aussi, pour marquer le départ de la prescription, sur la fin de la mission.
Si, tant pour l'action en responsabilité civile que pour l'action en recouvrement d'honoraires la prescription court de la fin de la mission, on mesure que son appréciation n'est pas forcément facile à effectuer. Dans les cabinets certifiés aux normes ISO, des processus rendent l'appréciation aisée : l'avocat est tenu de retourner les pièces du dossier et d'adresser un questionnaire de satisfaction, mais cette situation couvre une minorité d'hypothèses. Pour les autres situations, il arrive que la question soit simple à trancher. Ainsi, lorsqu'un avocat quitte l'exercice actif pour devenir avocat honoraire, la fin de la mission est le jour où il cesse son activité, même s'il ne signale pas au client son départ en retraite (13).
Faisant la part belle à l'appréciation du juge, une décision rappelle qu'"aucune disposition ne prévoit la forme que doit revêtir la constatation de la fin de la mission pour peu qu'elle soit claire" (14). En appréhendant cette situation délicate, il peut arriver que le juge n'ait d'autre ressource que de mesurer le silence persistant des clients (15) ou d'analyser des correspondances pour voir s'il en ressort un engagement non équivoque de renoncer à se prévaloir de la prescription (16).
Dans l'arrêt qui vient d'être rendu, la Cour de cassation critique une appréciation dualiste du premier juge. Celui-ci avait indiqué que la prescription extinctive courait "à compter de la date à laquelle le mandant a pris fin, soit à la date de la décision juridictionnelle mettant fin au contentieux". On peut penser que la censure de la Cour de cassation s'exerce parce que l'appréciation du cours de la prescription ne laisse aucune option. Elle résulte d'un critère unique : la fin de la mission, que le premier juge avait ici qualifiée "mandat", sans que l'on puisse voir une différence dans le choix de cette terminologie inhabituelle.
Les faits auraient mérité d'être explicités davantage pour que l'on puisse apprécier la portée de cet arrêt. La cliente avait obtenu des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral par un jugement du 16 juillet 2012. Elle avait écrit à son avocat pour lui indiquer qu'elle choisissait un autre conseil devant la cour d'appel.
L'arrêt ne renseigne pas mieux que le pourvoi sur la date de cette lettre qui, selon nous, donne une date certaine à la fin de la mission.
L'avocat avait établi sa note d'honoraires le 14 août 2012 et l'avait adressée à sa cliente, mais avait attendu le 28 juillet 2014 pour saisir le Bâtonnier de l'action en recouvrement des honoraires. On peut donc penser que la lettre de la cliente était postérieure au 28 juillet 2012, ce qui écarterait le bénéfice de la prescription. Enfin, le pourvoi éclaire un argument qui avait servi d'aliment au premier juge pour définir la fin de la mission. La convention d'honoraires ne prévoyait l'intervention de l'avocat que dans le cadre d'une procédure devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale, rien n'étant prévu pour un éventuel concours devant la cour d'appel.
Si, clairement, seule la fin de la mission marque le départ de la prescription, on peut s'interroger sur une décision de la Cour de cassation (17), rendue par la première chambre cette fois, avec également une publication au Bulletin.
Pour retenir la prescription, la Haute juridiction estime qu'"l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel".
On ne peut manquer de relever ainsi, d'une chambre à l'autre de la Cour de cassation, des motivations différentes, voire contradictoires. Pour la responsabilité de l'avocat, la motivation de l'arrêt est d'autant plus étonnante que l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) invite expressément à recourir à la notion de "fin de mission". Si les décisions dans ces matières ne sont pas fréquentes, elles n'ont cependant rien d'exceptionnel. On attendra donc avec intérêt de prochaines illustrations qui rendront la jurisprudence plus cohérente.
(1) Damien, Les avocats du temps passé, éd. H. Lefèbvre, 1973, p. 29 et 30.
(2) Loi du 31 décembre 1971, art. 5 et 9.
(3) Loi du 31 décembre 1971, art. 6.2.
(4) C. civ., art. 2225 (N° Lexbase : L7183IAB).
(5) J. Jeannin, La notion de fin de mission de l'avocat, Dalloz Avocats, 2013, p. 53.
(6) B. Beignier et J. Villacèque, Droit et déontologie de la profession d'avocat, 2ème éd., Gaz. Pal, 2016.
(7) Arrêté du 26 février 2016, selon les modalités prévues au titre IV bis du Livre IV du Code de commerce (N° Lexbase : L5960LAY).
(8) Décret n° 2017-1226 du 2 août 2017, portant diverses modifications relatives à la profession d'avocat (N° Lexbase : L3857LGX).
(9) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-15.013, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4644NEQ ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47), Gaz. Pal., 6-7 mai 2015, note M. Mignot.
(10) C. consomm., anc art. L. 137-2 (N° Lexbase : L7231IA3, désormais art. L. 218-2 N° Lexbase : L1585K7T).
(11) Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 16-12.284, F-D (N° Lexbase : A3937SPI ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
(12) Cass. civ. 2, 10 décembre 2015, n° 14-25.892, F-P+B+I (N° Lexbase : A9029NY3 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
(13) Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, n° 05-18.100, FS-P+B (N° Lexbase : A7829DT7 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1057E7B), Bull. civ. I, n° 43, JCP G, 2007, IV, 1477, RLDC, 2007/36 n° 2446.
(14) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 30 novembre 2010, n° 10/03855 (N° Lexbase : A5738GMH).
(15) CA Paris, 21 février 2012, n° 10/15749 (N° Lexbase : A0685IDQ).
(16) Cass. civ. 2, 17 novembre 2016, n° 15-28.464, F-D (N° Lexbase : A2352SXE).
(17) Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-23.200, FS-P+B (N° Lexbase : A9310N39 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9775ET9).
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