Réf. : Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-72.323, F-P+B (N° Lexbase : A7683HIE)
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Avril 2011
Résumé
L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice une partie. Il fait pleine foi contre celui qui l'a fait et ne peut être divisé contre lui. La seule mention figurant dans les motifs du jugement selon laquelle "le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits", alors qu'aucune note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié devant le bureau de jugement n'était produite, ne pouvait valoir aveu judiciaire. |
Commentaire
I - Les conditions générales de l'aveu judiciaire appliquées à la procédure prud'homale
Le droit du travail a, parfois, aménagé l'administration de la preuve en matière prud'homale. Les illustrations les plus marquantes concernent les questions relatives au temps de travail (2), les dispositions relatives à la preuve du harcèlement ou des discriminations et (3), enfin, la preuve en matière disciplinaire ou en matière de licenciement (4).
Pour autant, dans ces hypothèses, ce sont surtout la charge et, éventuellement, le risque de la preuve qui ont été aménagés. Au contraire, les modes de preuve admis devant les juridictions prud'homales ont rarement été encadrés (5). Logiquement, les règles de droit commun issues de l'article 1341 du Code civil (N° Lexbase : L2630C3S) devraient s'appliquer en la matière : liberté de la preuve des faits juridiques et des actes juridiques portant sur une valeur inférieure à 1 500 euros ; système de la légalité des preuves pour les actes excédant une valeur de 1 500 euros (6).
La Chambre sociale invoque parfois un prétendu principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale (7), ce qui pourrait remettre en cause l'application de l'article 1341 du Code civil dans ce domaine mais n'aurait que peu d'influence sur l'utilisation de l'aveu judiciaire comme mode de preuve.
Si le litige prud'homal s'inscrit dans un système de liberté de la preuve, l'aveu, au même titre que n'importe quel autre mode de preuve, peut être admis à prouver une prétention. De la même manière, il est habituellement considéré que, même dans un système de preuve légal où seul l'écrit permet de faire la preuve de certains actes juridiques, l'aveu judiciaire, comme le serment, peut toujours prévaloir sur cet écrit. Peu importe donc que la matière prud'homale soit ou non ouverte au principe de liberté de la preuve, l'aveu judiciaire devrait toujours pouvoir permettre d'apporter la preuve de l'existence d'un fait ou d'un acte.
Les caractéristiques de l'aveu judiciaire sont énoncées par l'article 1356 du Code civil (N° Lexbase : L1464ABT) : il s'agit de "la déclaration que fait en justice la partie", l'aveu fait "pleine foi contre celui qui l'a fait" et ne "peut être divisé contre lui". Enfin, l'aveu ne peut être révoqué sauf preuve qu'il a été donné à la suite d'une erreur de fait.
L'aveu judiciaire ne présente, au moins en apparence, aucune particularité en matière prud'homale. A peine peut-on relever qu'une décision déjà ancienne reconnaissait que, s'agissant d'une procédure orale, l'avocat peut engager la partie qu'il représente par un aveu fait oralement (8) alors qu'habituellement, l'aveu judiciaire est écrit (9).
C'est précisément à propos de la valeur probante d'un aveu judiciaire dans une instance prud'homale que la Chambre sociale était saisie.
Un salarié, exerçant les fonctions de directeur de division dans une société avait été licencié avec dispense d'exécution du préavis. Le licenciement avait été prononcé en raison de l'exercice par le salarié d'un chantage et de pressions sur la responsable des ressources humaines, le salarié l'ayant menacé de révéler des faits relevant de sa vie privée pour tenter d'orienter en sa faveur une décision de sanction qui était envisagée contre lui.
Le salarié ne contesta pas, devant les juges du fond, avoir passé un appel téléphonique à la responsable des ressources humaines de l'entreprise, mais il nia avoir, à cette occasion, tenu de quelconques propos pouvant être assimilés à du chantage ou des pressions. La cour d'appel reprenait la formule adoptée par le conseil de prud'hommes selon laquelle "il apparaît de façon parfaitement claire et évidente que M. X a tenté d'utiliser l'existence d'une relation privée et intime pour obtenir une intervention en sa faveur. M. X a reconnu les faits et ne les conteste plus. M. X a indiqué, sans qu'il ne le contredise, que ce n'était pas du chantage, mais un moyen de défense". Les juges d'appel estimaient que cette formule, issue de la motivation du jugement prud'homal, ne caractérisait pas un aveu judiciaire du salarié concernant les faits de chantage et de pressions reprochés et en déduisait que le licenciement était "illégitime" (sic).
La société forma pourvoi en cassation sur le fondement d'un moyen unique, cependant composé de plusieurs branches. Pour l'essentiel, elle arguait de la violation de l'article 1356 du Code civil, la cour d'appel n'ayant pas reconnu la valeur d'un aveu judiciaire aux constatations reprises par le conseil de prud'hommes.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, par cet arrêt du 22 mars 2011, rejette le pourvoi. Pour confirmer le raisonnement adopté par la cour d'appel, la Chambre sociale rappelle d'abord les règles relatives à l'aveu judiciaire tirées de l'article 1356 du Code civil, notamment que "l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie" et "qu'il fait pleine foi contre celui qui l'a fait et ne peut être divisé contre lui" (10). Elle déduit, ensuite, de ces règles que "la seule mention figurant dans les motifs du jugement, selon laquelle le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits', alors qu'aucune note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié devant le bureau de jugement n'était produite, ne pouvait valoir aveu judiciaire". Elle repousse, par cette motivation, les arguments des deux premières branches du moyen tout en constatant que les trois autres branches ne tendaient qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine des juges du fond en matière de cause réelle et sérieuse du licenciement (11).
II - Les conditions spécifiques de l'aveu judiciaire en matière prud'homale
La cour d'appel, comme la Cour de cassation qui confirme donc son raisonnement, estimait que les mentions portées au jugement prud'homal étaient insuffisantes pour caractériser un aveu judiciaire.
Certes, les constatations du juge prud'homal figuraient bien dans le cadre de sa décision et, plus précisément encore, dans la motivation du jugement. Mais ces constatations ne permettaient pas, faute de précision, de déterminer avec certitude que le salarié avait eu la volonté de reconnaître les pressions et le chantage qui lui était reprochés. Or, il s'agit là d'une règle classique de la qualification juridique d'aveu, l'aveu ne peut découler que d'une volonté non équivoque de reconnaître les faits imputés (12).
Si le caractère équivoque de l'aveu ressortait déjà de son imprécision, il s'ajoutait à cela que le prétendu aveu s'appuyait sur l'absence de contestation par le salarié de faits qui lui étaient reprochés. Si l'aveu implicite est parfois retenu par le législateur (13) ou la jurisprudence (14), l'aveu par le silence, c'est-à-dire l'aveu caractérisé par l'absence de contestation de faits reprochés, ne peut jamais caractériser un aveu judiciaire, cela en raison du caractère nécessairement équivoque du silence (15).
Si la solution paraît donc justifiée quant aux règles classiques de l'aveu judiciaire, elle paraît également opportune s'agissant des fondements de ce mode de preuve. L'aveu constitue une preuve contre soi-même. C'est donc un mode de preuve dangereux contre celui qui le subit, si bien qu'il est indispensable que les règles qui en découlent soient interprétées strictement.
L'aveu judiciaire exige donc précision et expression claire et sans équivoque de la volonté de celui qui avoue. Cette exigence pourrait ne pas être anodine. En effet, malgré l'utilisation très rare de l'aveu judiciaire en matière sociale, il n'en demeure pas moins que le Code du travail donne pour mission au bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de consigner les déclarations des parties, lesquelles pourraient alors faire l'objet d'un aveu judiciaire... à condition cependant que les propos consignés soient suffisamment précis (16). Dans ce cas de figure, c'est le procès-verbal de non-conciliation qui devra être rédigé avec précision.
Cependant, l'aveu pourra, comme c'était le cas dans cette affaire, être recherché dans la décision rendue par le bureau de jugement ou, d'ailleurs, dans l'arrêt d'appel. La Chambre sociale nous offre, alors que la question ne lui avait pas été posée, un moyen de s'assurer que les déclarations des parties font bien l'objet d'un aveu judiciaire : l'existence d'une "note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié". Cette recommandation a de quoi surprendre car la Chambre sociale n'a pas toujours donné une telle importance à ces notes d'audience, refusant par exemple de reconnaître l'existence d'un accord de rupture d'un contrat d'apprentissage sur le fondement d'une telle note qui reprenait formellement l'accord des deux parties (17). Le rôle de ces notes d'audience, prises par le greffier, est pourtant essentiel dans le cadre d'une procédure orale comme le demeure, au moins en théorie, la procédure prud'homale (18).
Au-delà de l'usage des notes d'audience, le conseil de prud'hommes devrait toujours pouvoir reprendre in extenso, dans le cadre de sa motivation, le contenu précis des déclarations faites par l'une des parties et destinée à caractériser un aveu judiciaire. En dehors de ces deux méthodes, il semble, en revanche, que la qualification d'aveu judiciaire sera désormais repoussée.
(1) En réalité, et pour être tout à fait précis, l'arrêt sous examen ne remet pas en cause la force probatoire de l'aveu qui permet, notamment, de prouver contre un écrit, caractéristique qui justifie qu'il soit qualifié de "reine des preuves" en matière civile. Pour une explication de l'incidence de cette formule dans le droit de la preuve en matière civile, v. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, "Droit civil - Les obligations. 3. Le rapport d'obligation", Sirey, 6ème éd., 2009, p. 49.
(2) C. trav., art. L. 3171-4 (N° Lexbase : L0783H9U) : "En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(3) Sur la preuve du harcèlement moral, v. dernièrement Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.766, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8506GQ4) et les obs. de Ch. Willmann, La preuve du harcèlement moral sous le contrôle de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 428 du 17 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4911BRC).
(4) C. trav., art. L. 1333-1 (N° Lexbase : L1871H98), pour la procédure disciplinaire ; C. trav., art. L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G), pour le licenciement.
(5) V. par exemple la remise du bulletin de paie qui ne vaut pas quittance du paiement, Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-41.231, FS-P+B (N° Lexbase : A3478DMR), D., 2007, p. 1906, obs. Ph. Delebecque ; JCP éd. S, 2006, p. 1134, note P.-Y. Verkindt.
(6) Sur les systèmes dits de "preuve morale" et de "preuve légale", v. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, préc., p. 18.
(7) Cass. soc., 25 février 2009, n° 07-42.876, F-D (N° Lexbase : A3960EDZ) ; Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 07-43.202, F-D (N° Lexbase : A3379EPT). V. surtout Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-17.044, FS-P+B (N° Lexbase : A1703ETA) et nos obs., La liberté de la preuve de l'atteinte au repos dominical, Lexbase Hebdo n° 388 du 25 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6059BNQ), arrêt dans lequel le principe est pour la première fois utilisé au visa d'un arrêt de cassation.
(8) Cass. civ. 1, 3 février 1993, n° 91-12.714 (N° Lexbase : A5835AHL).
(9) Cass. civ. 1, 14 mai 1991, n° 90-12.688 (N° Lexbase : A5134AHM).
(10) L'évocation du caractère indivisible de l'aveu paraît ici superflue puisque cette règle n'a d'objet qu'à condition que l'aveu soit complexe, c'est-à-dire qu'il comporte la reconnaissance de plusieurs faits distincts, ou qu'il s'agisse d'un aveu qualifié, c'est-à-dire qu'il comporte la reconnaissance d'un fait sous certaines conditions qui en altèrent l'essence ou la nature. Sur cette question, v. H. Roland, L. Boyer, "Adages du droit français", Litec, 4ème éd., v. Confessio dividi non debet, n° 55.
(11) Sur l'appréciation souveraine des juges du fond en matière de cause réelle et sérieuse de licenciement, v. Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 08-43.499, FS-P+B (N° Lexbase : A6257GMP) et nos obs., Le contrôle de la qualification de faute grave : refus de la modification du lieu de travail et propos désobligeants du salarié, Lexbase Hebdo n° 422 du 6 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0336BRU).
(12) V. notamment un aveu équivoque en raison du caractère contradictoire des propos tenus, si bien que la qualification d'aveu judiciaire ne pouvait être retenue, Ass. plén., 29 mai 2009, n° 07-20.913, P+B+R+I (N° Lexbase : A3448EH8) et les obs. d'E. Vergès, La chronique de procédure civile, Lexbase Hebdo n° 356 du 23 juin 2009 - édition privée (N° Lexbase : N6691BKZ).
(13) Parmi d'autres exemples, v. le cas de la vérification d'écriture demandée à titre principal devant une juridiction : le juge tient l'écrit pour reconnu si le défendeur cité à personne ne comparaît pas, C. proc. civ., art. 296 (N° Lexbase : L1916H4Q).
(14) Les exemples sont rares, anciens et étrangers au droit social... V. tout de même Cass. civ. 3, 20 novembre 1970, n° 69-12.053, publié au bulletin (N° Lexbase : A3237CIQ). Contra, la seule circonstance que le salarié ait demandé au bureau de conciliation d'ordonner la délivrance d'une lettre de licenciement et d'un certificat de travail ne pouvait constituer l'aveu non équivoque d'une rupture antérieure du contrat, Cass. soc., 8 octobre 2003, n° 01-43.951, F-P (N° Lexbase : A7178C9Q).
(15) Ainsi du fait de ne pas répondre à des conclusions adverses, comportement qui ne peut caractériser un aveu judiciaire, v. Cass. com., 12 mars 1996, n° 93-18.062, inédit au bulletin (N° Lexbase : A8876CR8).
(16) Sur le rôle du bureau de conciliation en matière de consignation des déclarations des parties, v. C. trav., art. R. 1454-10, alinéa 3 (N° Lexbase : L0891IAA).
(17) Cass. soc., 11 juillet 2006, n° 04-42.134, F-D (N° Lexbase : A4376DQ7).
(18) Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3), adopté à la suite du rapport "Guinchard", n'a pas substantiellement modifié les règles de l'oralité en matière prud'homale (v. tout de même sur la question T. Grumbach, E. Serverin, La réforme de la procédure orale en perspective prud'homale, RDT, 2011, p. 193). Il n'en demeure pas moins qu'en pratique, la présentation de prétentions orales a tendance à se raréfier dans les conseils de prud'hommes.
Décision
Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-72.323, F-P+B (N° Lexbase : A7683HIE) Rejet, CA Rouen, ch. soc., 13 octobre 2009, n° 08/03019 (N° Lexbase : A5645GPR) Textes cités : C. civ., art. 1356 (N° Lexbase : L1464ABT) ; C. trav., art. L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) Mots-clés : procédure prud'homale, aveu judiciaire, notes d'audience, caractère précis. Liens base : (N° Lexbase : E3810ETB) |
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