La lettre juridique n°435 du 7 avril 2011 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le principe d'égalité de traitement ne doit pas être confondu avec le principe "à travail égal, salaire égal"

Réf. : Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-42.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7611HIQ)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Avril 2011

La Chambre sociale de la Cour de cassation a dégagé en 2008 un principe général d'égalité de traitement dont elle précise les contours au fur et à mesure que l'occasion lui en est donnée. Dans un nouvel arrêt en date du 23 mars 2011, la Haute juridiction distingue nettement l'égalité de traitement du principe "à travail égal, salaire égal" (I), tout en empruntant à ce dernier l'analyse de différences qui ne sauraient être justifiées par la seule considération de la date d'embauche des salariés (II).
Résumé

Lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré résulte des termes mêmes de l'accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d'égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l'entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale.

Ayant relevé que les salariés étaient traités différemment selon qu'ils étaient recrutés avant ou après l'entrée en vigueur de l'accord, la cour d'appel a décidé à bon droit que la salariée devait bénéficier de la reprise d'ancienneté attribuée aux salariés recrutés directement.

I - De la distinction du principe d'égalité de traitement et du principe "à travail égal, salaire égal"

Présentation. Le principe "à travail égal, salaire égal" a été dégagé en 1996 par l'arrêt "Ponsolle" à partir d'un certain nombre de dispositions françaises et internationales (1). Selon la formule de l'arrêt fondateur, "l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique".

En 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation a consacré un autre principe civil d'égalité de traitement entre les salariés, dans un arrêt relatif au régime des retenues pour fait de grève des personnels d'Air-France (2), puis a fait application de ce nouveau principe aux conditions de l'attribution de la médaille du travail et du bénéfice d'un régime de retraite supplémentaire d'entreprise (3), puis à l'attribution par voie d'accord collectif d'une semaine de congés payés supplémentaires au seul bénéfice de cadres (4), de primes de treizième mois et de transport (5), de la "possibilité, pour [des] commerciaux, de participer à des animations commerciales et à un concours leur permettant de bénéficier d'un voyage" (6) ou du bénéfice des dispositions d'une convention collective prévoyant une reprise d'ancienneté (7).

La Cour de cassation n'a toutefois pas eu véritablement l'occasion d'en préciser le régime ; tout au plus a-t-elle affirmé, à chaque reprise, que la différence devait s'apprécier "au regard de l'avantage en cause" (8).

L'affaire. Cet arrêt apporte une précision utile sur les critères d'application de l'un et l'autre de ces principes.

Dans cette affaire, une association gérant un foyer pour jeunes enfants handicapés avait conclu un accord de transposition pour accompagner le changement d'accord applicable dans l'établissement. Une infirmière de l'établissement avait été repositionnée dans cette nouvelle Convention collective nationale (CCN des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées) en application de l'accord de transposition au coefficient immédiatement supérieur à celui dont elle bénéficiait dans l'ancienne, et conformément d'ailleurs aux dispositions de l'article 38 de la CCN.

Le niveau de ce repositionnement équivalait, dans la nouvelle CCN, à la situation du recrutement direct d'une infirmière avec une ancienneté antérieure de trois ans. Or, au moment de ce repositionnement, cette salariée pouvait justifier d'une ancienneté fonctionnelle de près de dix ans. Il apparaissait donc que, si elle avait été nouvellement recrutée par son établissement, dans les mêmes conditions, et non pas repositionnée, elle aurait bénéficié des autres dispositions de l'article 38 de la CCN des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées imposant à l'employeur de lui accorder le bénéfice des deux tiers de l'expérience acquise, dans les mêmes fonctions, au service d'un précédent employeur, ce qui lui aurait assuré un coefficient plus élevé et, partant, une rémunération supérieure.

La cour d'appel d'Agen lui avait donné raison sur ce point et accordé le bénéfice de ce coefficient supérieur, accompagné d'un rappel de salaires, en se fondant sur le principe "à travail égal, salaire égal" (9).

Pour obtenir la cassation de l'arrêt d'appel qui avait fait droit à sa demande, l'employeur faisait valoir que la différence de traitement dénoncée résultait directement des termes mêmes de l'article 38, et que la salariée ne se comparait à aucune autre salariée de son entreprise placée dans une même situation, ce qui excluait qu'elle put établir avoir été victime d'une différence de traitement prohibée au regard du principe "à travail égal, salaire égal".

La solution. Ces arguments n'ont pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.

Après avoir indiqué que, "lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré résulte des termes mêmes de l'accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d'égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l'entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale", la Cour indique que la cour d'appel a décidé "à bon droit que la salariée devait bénéficier de la reprise d'ancienneté attribuée par la convention collective du 15 mars 1966 aux salariés recrutés directement" après avoir relevé "que les salariés étaient traités différemment selon qu'ils étaient recrutés avant ou après l'entrée en vigueur de l'accord de transposition du 6 février 2004".

Egalité de traitement et principe "à travail égal, salaire égal". Pour qu'une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" soit établie, trois conditions doivent être remplies : un travail égal (ou de valeur égale), un salaire inégal et une identité de situation. Lorsqu'est en cause l'application du principe "à travail égal, salaire égal", seule compte, pour contraindre l'employeur à se justifier, l'analyse du travail des salariés dont on compare le salaire. Si l'examen matériel des tâches réalisées, qui doit impérativement être opéré, démontre qu'elles sont égales, ou de valeur égale, alors l'employeur sera tenu de démontrer que l'inégalité salariale se justifie par une différence de situation entre les salariés. Le champ d'application de ce principe est donc plus étroit que celui du principe d'égalité de traitement, ou de non-discrimination, puisqu'il ne concerne que les salariés accomplissant un même travail, alors que le principe d'égalité de traitement concerne les salariés placés dans une même situation, au regard de l'avantage considéré, ce qui englobe des données personnelles, juridiques et économiques.

Egalité de traitement et principe de non-discrimination. La situation du principe d'égalité de traitement semble différente, et assez proche de celle du principe de non-discrimination.

Le droit français s'est en effet doté depuis l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496 N° Lexbase : L8986H39) d'une définition générale des discriminations directement applicable en droit du travail, par renvoi de l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6053IAG). S'agissant de la discrimination directe, qui seule nous intéresse ici, l'article 1er la définit comme "la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable".

Le principe d'égalité de traitement se distingue du principe de non-discrimination par le fait qu'il ne suppose pas la prise en compte d'un motif illicite et qu'il ne comporte pas de sanctions pénales. Il suppose seulement que des personnes placées dans une même situation soient traitées différemment au regard de l'avantage en cause.

Or, comme cela a été justement jugé en matière de discrimination, il peut y avoir discrimination sans comparer nécessairement le traitement réservé à deux salariés, dès lors qu'il apparaît que le salarié aurait été mieux traité si l'employeur n'avait pas pris en compte, dans sa décision, le motif prohibé (10).

La discrimination peut par ailleurs résulter soit d'un comportement de l'employeur, mais peut également résulter des termes même d'un accord collectif.

Ce raisonnement vaut pleinement pour le principe d'égalité de traitement dans la mesure où le critère d'attribution de l'avantage en cause peut être parfaitement indépendant du travail accompli et trouver sa cause dans la situation personnelle ou familiale, ou, comme c'était le cas ici, dans l'ancienneté du salarié.

C'est pourquoi la Cour de cassation a raison d'affirmer, dans cet arrêt, que "lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré résulte des termes mêmes de l'accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d'égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l'entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale".

L'égalité de traitement n'est donc pas une variante du principe "à travail égal, salaire égal", elle constituerait même plutôt l'inverse, c'est-à-dire le genre dont le principe dégagé par la jurisprudence "Ponsolle" ne serait qu'une espèce.

II - Egalité de traitement et date d'embauche

Insuffisance du seul critère tiré de la date d'embauche. L'arrêt confirme également le fait que la différence de date d'embauche entre les salariés ne constitue pas en elle-même la justification pertinence d'une différence de traitement dès lors qu'elle ne révèle pas une différence de situation au regard de l'avantage en cause (11).

D'une manière générale, on sait que la jurisprudence admet la pertinence du critère de la date d'embauche lorsqu'il révèle la soumission des salariés à des situations juridiques distinctes ; il en ira ainsi de salariés qui cessent de bénéficier d'avantages prévus par le statut collectif dénoncé ou mis en cause et à qui le nouveau statut, ou l'employeur, vont accorder des compensations financières (12).

Or, dans cette affaire, l'application du texte en cause aboutissait à accorder aux salariés déjà en poste au moment de leur entrée dans la CCN une reprise d'ancienneté inférieure à celle qui était accordée aux salariés nouvellement embauchés, et ce sans qu'on en perçoive bien la raison. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la Cour de cassation censure un dispositif conventionnel dont l'application aboutit, très paradoxalement, à traiter les nouveaux salariés mieux que les anciens, alors que, logiquement, l'ancienneté acquise a plutôt vocation à être valorisée, et non sanctionnée .

Critique. L'application du principe d'égalité de traitement lorsqu'est en cause un accord collectif, fait toujours difficulté car on peut se demander de quel droit le juge se permet de considérer qu'une différence de traitement voulue par les partenaires sociaux n'est pas assez justifiée pour être admise, surtout lorsque l'accord collectif en cause peut, en contrepartie, consentir à certaines catégories de salariés d'autres avantages à titre de compensation (14).

Cette remarque est bien entendu justifiée, à condition toutefois que la différence de traitement ait bien été voulue par les partenaires sociaux et qu'elle ne soit absolument pas justifiée. Or, il n'est pas certain que les partenaires sociaux aient toujours imaginé toutes les conséquences de l'application des textes qu'ils signent, de telle sorte que l'intervention correctrice du juge ne heurte pas nécessairement l'autonomie collective.


(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, publié (N° Lexbase : A9564AAH).
(2) Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0540D9U), Dr. soc., 2008, p. 981, chron. Ch. Radé, SSL, n° 1359, p. 10, entretien avec P. Bailly.
(3) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.391, F-D (N° Lexbase : A3968EHG), v. nos obs., Egalité de traitement entre salariés : la difficile justification par l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 354 du 11 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6427BKA).
(4) Cass. soc., 1er juillet 2009, FS-P+B (N° Lexbase : A5734EI9), Dr. soc., 2009, p. 1002, obs. Ch. Radé ; JCP éd. S, 2009, p. 1451, note E. Jeansen ; Dr. soc., 2009, p. 1169, chron. P.-A. Antonmattéi ; SSL, 28 septembre 2009, p. 16, chron. J. Barthélémy, p. 13, interview P. Bailly.
(5) Cass. soc., 8 juin 2010, n° 09-40.614, F-D (N° Lexbase : A0178EZM).
(6) Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-11.717, F-D (N° Lexbase : A3675GRK).
(7) Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-42.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7611HIQ).
(8) Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-11.717, préc..
(9) CA Agen, 28 avril 2009, n° 08/00443 (N° Lexbase : A7423E8G).
(10) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN), v. nos obs., L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4664BMP) (discrimination pour fait de grève).
(11) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, FS-P+B (N° Lexbase : A4304DIA), Bull. civ. V, n° 178.
(12) Il s'agira alors (notamment) de compenser la réduction de la durée légale du travail par l'instauration d'une garantie de rémunération (Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8452DLM, JCP éd. G, 2005, II, 10017, note D. Corrignan-Carsin ; Dr. soc., 2006, p. 224, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, FS-P+B N° Lexbase : A2978DUT, Dr. soc., 2007, p. 647, obs. Ch. Radé), d'assurer aux salariés qui relevaient d'un accord dénoncé le maintien de leurs avantages individuels acquis, soit par application de la règle légale (Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, FS-P N° Lexbase : A0168DGC, Dr. soc., 2005, p. 323, obs. Ch. Radé, D., 2005, p. 323, note A. Bugada), soit dans le cadre de l'accord de substitution (Cass. soc., 31 oct. 2006, n° 03-42.641, FS-P+B (N° Lexbase : A1936DSI), v. nos obs., La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5148ALA).
(13) A propos de la prise en compte des carrières conventionnelles, Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-41.406, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP), Dr. soc., 2009, p. 399, chron. Ch. Radé.
(14) V. nos obs., Le cadre, les congés payés et le principe d'égalité de traitement, sous l'arrêt "Pain", Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, préc., Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0001BLM).

Décision

Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-42.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7611HIQ)

Rejet, CA Agen, 28 avril 2009, n° 08/00443 (N° Lexbase : A7423E8G)

Textes concernés : principe d'égalité de traitement

Mots-clés : égalité de traitement, à travail, salaire égal

Liens base : (N° Lexbase : E2578ETN)

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