Réf. : Cass. soc., 5 octobre 2017, n° 16-13.581, FS-P+B (N° Lexbase : A1896WUR)
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par Patrice Adam, Professeur à l'Université de Lorraine
le 19 Octobre 2017
Les faits. Un rappel des faits s'avère ici nécessaire. Quatre salariés ont été engagés en qualité de guide-batelier par des contrats de travail saisonniers successifs. Jusqu'en 2007, la rémunération mensuelle fixe des salariés était, en vertu d'un "accord atypique" du 26 avril 1978, susceptible d'être complétée en fonction du chiffre d'affaires réalisé au cours de chaque saison. Cet engagement unilatéral (puisque tel est bien la juste qualification de ce type "d'accord") a été dénoncé par l'employeur en 2008. A partir de cette date, l'employeur a cessé de payer les compléments de salaire et a mentionné dans les contrats à durée déterminée conclus pour les saisons 2008 et 2009 que le salaire mensuel brut sera payé sur la base d'un taux horaire brut de 15 euros. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification des contrats à durée déterminée successifs en un contrat de travail à durée indéterminée et la condamnation de l'employeur au paiement de rappels de salaire. Ce n'est pas, dans cette affaire, à l'inverse de beaucoup d'autres, la requalification prononcée par les juges du fond qui est matière du pourvoi et ressort des critiques qu'il supporte, mais uniquement ses implications sur le salaire des travailleurs concernés.
Un système de rémunération contractualisé. En réponse aux deux premières branches du moyen (unique) de cassation, la Haute juridiction confirme d'abord la décision d'appel ayant jugé qu'était établie "la volonté claire et non équivoque de l'employeur de conférer au mode de rémunération prévu par cet accord [celui du 26 avril 1978] une valeur contractuelle". L'affirmation peut a priori surprendre. Non point évidemment en ce qu'elle rappelle que des éléments du statut collectif (négocié ou non négocié) peuvent être contractualisés (i.e. introduits dans la sphère contractuelle). Il y a là règle profondément enracinée dans la jurisprudence sociale. Pas de surprise non plus lorsque les juges de cassation laissent poindre, dans leur attendu final, que la juridiction du fond n'aurait pas pu fonder le processus de contractualisation en se fondant "sur la seule référence dans les contrats de travail aux dispositions de l'accord du 26 avril 1978". On y retrouve ici "marque" de la distinction jurisprudentielle entre clause expresse de contractualisation et simple mention informative (3). En réalité, ce qui peut étonner, c'est le mode de contractualisation mis en avant : une simple manifestation unilatérale de volonté de l'employeur. C'est que l'esprit rechigne (4) à admettre que pareille volonté, fut-elle claire et non équivoque, puisse contribuer à modifier le périmètre de la sphère contractuelle (prérogative attachée à la seule expression d'une commune volonté des parties au contrat) (5). La substance contractuelle ne peut être sous l'emprise de la volonté d'un seul de ceux qui l'ont initialement façonnée. Mais sans doute peut-on trouver justification satisfaisante de la solution retenue dans le caractère in favorem de "l'offre" de contractualisation -sa manifestation unilatérale de volonté semble bien se rattacher à cette dernière catégorie (C. civ., art. 1114 N° Lexbase : L0840KZ7)- faite par l'employeur.
L'engagement unilatéral de l'employeur a donc été introduit dans l'espace contractuel. Dès lors, sa dénonciation par l'employeur ne pouvait produire aucun effet, le débiteur d'une obligation contractuelle ne pouvant évidemment s'en dégager sans l'accord de son co-contractant. La force obligatoire du contrat s'y oppose avec force (C. civ., art. 1193 [LXb=L0911KZR]). La démonstration, dans l'affaire qui nous retient, de l'existence d'un accord des salariés au changement de leur condition de rémunération est donc pour l'employeur un enjeu central. C'est véritablement le point nodal des discussions engagées devant la Cour de cassation.
La modification contractuelle invoquée par l'employeur. L'employeur invoquait, en l'espèce, pour faire obstacle à l'application de l'engagement unilatéral de 1978 (contractualisé, cf. supra) sur toute la durée de la relation de travail qui l'unissait aux salariés demandeurs, les stipulations contractuelles insérées dans les contrats précaires signés à partir de 2008. Ces stipulations auraient ainsi, selon lui, modifié la teneur de son engagement contractuel initial. L'employeur ne serait plus tenu à l'égard des salariés par sa "promesse" d'hier (complément de salaire en fonction du chiffre d'affaire), parce qu'avec eux, avec leur consentement, formalisé dans les contrats successifs qui les ont liés, il a fait choix de l'abandonner au profit d'une autre (un taux horaire fixe sans complément de salaire). Brevitatis causa, les contrats à durée déterminée conclus à partir de 2008, en prévoyant un système de rémunération sans complément de salaire, auraient modifié le mécanisme antérieur façonné par l'engagement de 1978.
Des stipulations sans effet. Nul ne contestera qu'au moment de la conclusion d'un nouveau contrat à durée déterminée, l'employeur est en droit de modifier (6) le mode (ou le niveau) de rémunération préalablement appliqué au salarié dans le cadre d'un précédent contrat. Le salarié ne saurait invoquer utilement les dispositions de son premier contrat pour s'opposer à l'application de celles contenues dans les contrats postérieurs. Voilà qui ne fera pas débat. Mais la question prend tournure bien plus complexe, lorsque les contrats de travail à durée déterminée invoqués par l'employeur comme actes de modification des prévisions contractuelles originelles ont été "emportés" par la requalification de la relation contractuelle -tissée d'une succession de contrats à terme- liant les parties au litige, en relation à durée indéterminée. Deux situations sont en fait possibles. Dans la première, ce sont les contrats à durée déterminée successifs, saisis dans leur ensemble, qui se voient requalifiés en relation à durée indéterminée (7) ; dans la seconde, un contrat ou plusieurs contrats à durée déterminée sont conclus postérieurement au contrat à terme, cible de l'action en requalification. L'affaire rapportée semble plutôt faire écho à cette seconde situation. Dans les deux cas, il semble néanmoins possible de soutenir que le contrat à durée déterminée, mobilisé comme support de l'accord de volonté modifiant l'ordre contractuel préexistant, ne peut efficacement jouer ce rôle, dès lors que ce contrat s'évanouit, englouti par l'opération de requalification. En disparaissant dans les eaux profondes de la requalification, le contrat à terme entraînerait la noyade du prétendu consentement qu'il soutenait.
C'est position de ce type qu'adoptent les juges du fond dans l'affaire commentée.
En effet, pour faire droit à la demande de rappel de salaire des travailleurs, les juges du fond retiennent que leur accord à la modification de leurs conditions de rémunérations ne peut en aucun cas résulter des contrats de travail à durée déterminée signés depuis 2008. A les suivre, ces contrats seraient sans effet puisque signés alors qu'un contrat à durée indéterminée était toujours en cours d'exécution. Le raisonnement peut aisément être dévoilé ; il n'est pas sans une certaine "logique". L'existence d'une relation à durée indéterminée entre l'employeur et le salarié interdit la conclusion, entre eux, d'un contrat à durée déterminée. Le salarié ne saurait à la fois être engagé à durée indéterminée et à durée déterminée vis-à-vis du même employeur. Aussi, le contrat à durée déterminée conclu entre des parties préalablement impliquées dans une relation à durée indéterminée se dissout dans cette relation et y perd l'individualité que sa forme et sa nature de contrat à terme tendaient à lui conférer. En se fondant dans cette relation, il devient transparent à l'ordre juridique dans lequel il prétend s'inscrire. Et cette transparence l'affecte tout entier. D'où l'inefficacité de ces stipulations...
Des stipulations efficaces. C'est cette analyse que censure, sans ménagement, la Chambre sociale de la Cour de cassation, au motif que la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne portant que sur le terme du contrat, il appartenait à la cour d'appel d'apprécier la valeur et la portée sur la rémunération du salarié des différents contrats conclus par les parties. De cette solution, il découle que la requalification de la relation originellement précaire qui unit le salarié et l'employeur en contrat à durée indéterminée laisse non seulement intact le contenu des contrats requalifiés (hypothèse d'une requalification d'un ensemble contractuel) ou conclus postérieurement au contrat-cible (de la requalification), mais n'empêche pas le juge d'y puiser des éléments d'appréciation des droits et obligations respectifs des parties en litige. C'est dire, plus précisément, que les stipulations d'un contrat à durée déterminée peuvent produire effet alors même que le contrat qui les contient perd sa "qualité" de contrat à terme pour venir se fondre dans une relation à durée indéterminée. Que faut-il en penser ?
Il est d'abord possible de jeter un regard critique sur cette position en soutenant que ces dernières stipulations sont le fruit d'un accord de volonté irrémédiablement attaché à un contrat particulier que les parties ont voulu, au moment de sa conclusion, distinct de celui (ou de ceux) qui l'a (l'ont) précédé. En les insérant dans ce contrat, il n'a point été question pour ceux qui l'ont conclu de modifier un système de rémunération s'imposant à eux en vertu d'un engagement contractuel, puisque de cet engagement le terme du précédent contrat les a déliés, mais bien plutôt d'instituer nouveau dispositif, simplement différent de l'ancien. Cette solution de "fossilisation" cristalliserait le contenu contractuel à ce qu'il était au terme du "contrat-cible" (ou du premier contrat de l'ensemble contractuel requalifié). Dans des relations au long court, elle pourrait n'être pas très heureuse en réduisant l'histoire de la relation contractuelle à ses premiers moments et en occultant les possibles évolutions du contexte socio-économique dans lequel elle s'est durablement inscrite.
Aussi, est-il également soutenable, et c'est là l'optique de la Cour de cassation, de considérer que l'accord de volonté (dont la réalité est indubitable) que formalisent les clauses contenues dans un contrat à durée déterminée ne doivent pas connaître sort funeste par le seul fait que leur support change de nature en s'incorporant dans une relation à durée indéterminée. En perdant son individualité, le contrat s'insère dans une relation contractuelle à durée indéterminée dont il n'est plus qu'un moment ; et ce moment est bien celui où le consentement à un mécanisme de rémunération particulier a été effectivement donné. Disons autrement que l'effacement du terme (cf. supra) n'implique d'aucune façon que l'on remettre en cause l'existence, sur d'autres sujets de négociation (rémunération), d'un accord de volonté. Accord de volonté qui, s'il ne s'est pas donné pour clair but de modifier des stipulations dont les parties pensaient, à tort, qu'elles avaient été déliées par le terme du précédent contrat, n'en a pas moins eu pour objet de définir, entre elles, nouveau réseau de droits et d'obligation, partiellement ou totalement, différent de celui précédemment mis en place dans le cadre de précédents contrats ! Où l'on passe, sans grossier artifice, de l'affirmation selon laquelle "la requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée porte sur le terme du contrat" à celle selon laquelle "la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat".
De la rémunération à la durée du travail. Rendue dans une affaire relative à la rémunération du salarié, la solution posée par la Chambre sociale de la Cour de cassation s'applique sans doute aucun au-delà de cet objet. D'ailleurs, quelques semaines avant l'arrêt du 5 octobre 2017, la Haute juridiction avait jugé que "la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail" (8). Il s'agissait, dans cette affaire, de la requalification d'un ensemble de contrats à durée déterminée à temps partiel avec de fortes variations d'activité d'un contrat à l'autre. Pour le salarié, la requalification de cet ensemble contractuel en relation indéterminée devait conduire les juges à appréhender globalement la situation qui lui avait été faite pendant toute cette période (qui a durée tout de même.... 20 ans !). Or, selon lui, les fluctuations d'activité importantes qu'il subissait à chaque contrat étaient incompatibles avec les exigences de "prévisibilité" normalement attachées au contrat à temps partiel (selon une jurisprudence constante, le salarié ne doit pas être placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler et ne doit pas avoir à se tenir constamment à la disposition de l'employeur (9)). A l'argumentation du salarié, les juges du fond sont restés sourds. La Cour de cassation leur donne raison. La requalification du temps partiel en temps plein ne peut découler de la requalification d'un ensemble de contrats à durée déterminée en relation indéterminée. Dès lors que chacun des contrats à terme compris dans cet ensemble contractuel respecte les exigences de validité attachées au contrat à temps partiel et qu'il est établi que le salarié n'était pas tenu de rester à la disposition permanente de l'employeur, nulle requalification en relation à temps plein n'est envisageable. Comme il a été justement souligné, si "la solution proposée par le salarié était séduisante, elle avait néanmoins pour défaut de faire presque automatiquement rejaillir sur le temps de travail une requalification d'une succession de CDD en CDI. [Désormais, il est établi que] la requalification d'une succession de CDD en CDI ne pourra avoir un effet rétroactif sur la validité d'un temps partiel" (10).
Le terme, rien que le terme !
(1) L'assertion n'est pas remise en cause par l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 21 septembre 2017 (Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-17.241, FS-P+B N° Lexbase : A7667WSR ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7876ESI). Elle y décide, pour reconnaître le droit au salarié à une indemnité de précarité, que "les contrats à durée déterminée objets de la requalification en contrat à durée indéterminée n'avaient pas été conclus par écrit, ce dont il résultait qu'ils ne pouvaient être considérés comme des contrats à durée déterminée d'usage". En apparence, la requalification affecte donc également "le motif de recours" au contrat à durée déterminée. Mais en réalité, cette disqualification du contrat (exclusion de la qualification "contrat d'usage") découle seulement de l'effacement du terme. En effet, la qualification de contrat d'usage (qui exonère l'employeur du versement de l'indemnité de fin de contrat, C. trav., art. L. 1243-10 N° Lexbase : L1473H9G) ne peut être maintenue, invoqué, dès lors que le contrat, requalifié, n'est plus à terme. Un contrat d'usage ne peut se parer des habits d'un contrat à durée indéterminée. L'indemnité de précarité reste donc due au salarié en ce qu'elle compense la situation dans laquelle il a été placé du fait de son contrat à durée déterminée (Cass. soc., 9 mai 2001, n° 98-46.205, publié N° Lexbase : A3946ATC ; Cass. soc., 29 octobre 2003, n° 01-45.000, F-D N° Lexbase : A9995C93 ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7839ES7). Elle est compensation d'un fait dont la réalité n'est pas remise en cause par la transformation de la nature juridique du contrat qui l'a engendré.
(2) Dans ce cas, il faut considérer que la relation entre les parties est à durée indéterminée depuis le premier contrat à durée déterminée conclu visé par le jugement de requalification.
(3) Par ex., en ce qui concerne la mention du lieu de travail : Cass. soc. 3 juin 2003, n° 01-43.573, publié (N° Lexbase : A6994CKA) ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E8933ESN) ; Cass. soc., 29 octobre 2014, n° 13-21.192, F-D (N° Lexbase : A4974MZA).
(4) Comme il rechignait à la faire dans le champ de la promesse d'embauche (valant contrat de travail ; Cass. soc., 15 décembre 2010 n° 08-42.951, F-P+B N° Lexbase : A2400GN9) ; solution heureusement abandonnée : Cass. soc., 21 septembre 2017, deux arrêts, n° 16-20.103 (N° Lexbase : A7544WS9) et n° 16-20.104 (N° Lexbase : A7687WSI), FS-P+B+R+I ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E7637ESN).
(5) Comp. "l'usage ne "change [pas] de nature [juridique] par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification" (Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 04-40.339, FS-P+B N° Lexbase : A5658DL7).
(6) Sous réserve de ne pas violer la règle d'égalité de rémunération posée par l'article L. 1242-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1451H9M). Règle dont on sait qu'elle s'applique à la rémunération de base comme aux compléments de rémunération.
(7) Par ex., Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-43.249, publié (N° Lexbase : A4742DDY ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7748ESR) ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-42.632, F-P+B (N° Lexbase : A7881DRC ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7719ESP).
(8) Cass. soc. 7 septembre 2017, n° 16-16.643, FS-P+B (N° Lexbase : A1141WRP ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0765ETI) (dans cette décision, la Cour de cassation pose également la règle selon laquelle, "la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée du travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat".
(9) Par ex., Cass. soc., 8 février 2011, n° 09-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A7241GW4).
(10) J. Courtot, Dalloz Actualité, 27 septembre 2017.
Décision
Cass. soc., 5 octobre 2017, n° 16-13.581, FS-P+B (N° Lexbase : A1896WUR) Cassation (CA Agen, 12 janvier 2016, plusieurs arrêts dont n° 14/01748 N° Lexbase : A5406N3M) Textes concernés : C. trav., art. L. 1245-1 (N° Lexbase : L5747IA4) et art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) ; C. civ., art. 1134 al. 1er (N° Lexbase : L1234ABC), devenu art. 1103 (N° Lexbase : L0822KZH). Mots-clés : contrat à durée déterminée ; requalification ; contrat à durée indéterminée ; terme du contrat. Lien base : (N° Lexbase : E5171EXS). |
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