La lettre juridique n°710 du 7 septembre 2017 : Rupture du contrat de travail

[Le point sur...] Le point sur la rupture conventionnelle du contrat de travail (décembre 2016 - juillet 2017)

Lecture: 19 min

N9963BWW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Le point sur la rupture conventionnelle du contrat de travail (décembre 2016 - juillet 2017). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/42508128-le-point-sur-le-point-sur-la-rupture-conventionnelle-du-contrat-de-travail-decembre-2016-juillet-201
Copier

par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 07 Septembre 2017

Les juridictions judiciaires ont rendu, depuis la fin de l'année 2016, quelques décisions importantes ou remarquées relatives au régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail. La rentrée nous offre l'occasion de faire le point sur les règles énoncées s'agissant de la validité de la convention (I), de la procédure administrative d'homologation (II) et de l'application de la loi du 25 juin 2008 (N° Lexbase : L4999H7B) dans le temps (III). Pour conclure, on pourra dire un mot des évolutions programmées de la rupture amiable du contrat de travail dans les ordonnances qui seront prochainement adoptées (IV).
Commentaire

I - Les conditions de validité de la convention de rupture

A - L'importance des entretiens préparatoires

La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 1er décembre 2016 un arrêt remarqué relatif à la validité de la convention de rupture (1).

Après avoir conclu avec son employeur une rupture conventionnelle qui obtient l'homologation administrative, un salarié saisit le juge prud'homal pour obtenir la nullité de la rupture en soutenant qu'aucun entretien préparatoire à la rupture n'a eu lieu. L'organisation d'un ou plusieurs entretiens préparatoires constitue l'une des conditions procédurales imposées par l'article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP).

Le législateur ne prévoit pas formellement de sanction en cas de violation de ces formalités. Toutefois, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet que la convention de rupture puisse être annulée en cas de manquement à l'une de ces règles procédurales lorsque cela a pour effet d'entraver la liberté du consentement de l'une des parties (2). Il est en revanche beaucoup plus rare qu'elle accepte qu'un tel manquement suffise, à lui seul, pour annuler la convention de rupture. Jusqu'à cette décision du 1er décembre 2016, elle ne l'avait admis que dans l'hypothèse où le salarié ne s'était pas vu remettre une copie de la convention de rupture (3).

En jugeant que "si le défaut du ou des entretiens prévus par le premier de ces textes, relatif à la conclusion d'une convention de rupture, entraîne la nullité de la convention, c'est à celui qui invoque cette cause de nullité d'en établir l'existence", la Chambre sociale ajoutait donc un nouveau cas "autonome" de nullité de la convention qui n'exige pas la preuve de l'altération du consentement. S'il ne doit pas démontrer que son consentement a été altéré, le débat probatoire ne s'en trouve pourtant pas allégé pour le salarié.

En effet, le salarié qui demande l'annulation de la convention devra démontrer l'existence de la cause de nullité, c'est-à-dire démontrer l'absence d'entretien, ce qui s'apparente à prouver un fait négatif et qui est toujours particulièrement délicat. En pratique, cette preuve sera donc rarement rapportée, ce qui ne contrevient toutefois à aucun principe juridique et s'appuie sur un argument d'interprétation des stipulations de l'ANI du 11 janvier 2008 et de la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 ayant créé la rupture conventionnelle.

D'abord, les règles de preuve du droit commun trouvent à s'appliquer faute pour le Code du travail d'avoir envisagé de règles spéciales en la matière. Par voie de conséquence, l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D), qui traduit l'adage Actor incumbit probatio, doit produire ses effets et le demandeur faire la preuve de ses prétentions. Ce texte n'était toutefois pas invoqué par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui préfère le visa de l'ancien article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) dont l'application est moins évidente, la convention de rupture ayant un effet extinctif davantage qu'un effet créateur d'obligations (4).

Ensuite, comme l'explique fort clairement la Cour de cassation dans son rapport annuel pour 2016, il n'était pas envisageable de faire supporter à l'employeur la charge de la preuve de la tenue effective d'un entretien sans que cela ait d'incidence sur le formalisme de celui-ci. En effet, ni les partenaires sociaux, ni le législateur n'ont envisagé une formalisation de l'organisation de l'entretien. Contrairement à ce qui est prévu en matière d'entretien préalable au licenciement, l'employeur n'est pas tenu, ni de convoquer le salarié à l'entretien, ni de l'informer de ses droits et, en particulier, du droit de se faire assister au cours de celui-ci. Or, exiger de l'employeur d'être en mesure de démontrer que le ou les entretiens ont bien eu lieu, aurait nécessairement pour conséquence de lui imposer de formaliser la convocation du salarié, voire de formaliser l'entretien en faisant par exemple signer au salarié une décharge ou un procès-verbal reprenant les débats ayant eu lieu. On peut, à cet égard, faire l'analogie avec les conséquences de la jurisprudence ayant mis à la charge du médecin la preuve que le patient a bien été informé de tous les risques graves liés au traitement prescrit : en pratique, les médecins informent par écrit et recueillent le consentement écrit de leurs patients.

On relèvera, enfin, que le formulaire Cerfa utilisé pour formaliser la convention et la demande d'homologation à l'administration du travail, doit faire mention du ou des entretiens et est signé par les deux parties. La signature des parties confère à ce document écrit la qualification d'acte sous-seing privé. Sa force probatoire est importante puisque son contenu ne devrait pouvoir être contesté que par la production d'un autre acte sous-seing privé le déniant (5).

B - Le consentement délivré par erreur

Si la violation des prescriptions du Code du travail peut donc ponctuellement permettre l'annulation de la convention, celle-ci reste pour partie soumise au droit commun des contrats, en particulier s'agissant de l'appréciation de la liberté du consentement des parties. Quoiqu'elles ne s'appuient pas formellement sur les textes du Code civil encadrant les vices du consentement, les juridictions judiciaires en mobilisent toutefois les règles lorsqu'elles acceptent l'annulation d'une convention de rupture pour violence (6). L'hypothèse d'un consentement vicié par dol ou par erreur est en revanche beaucoup plus rare (7).

C'est pour cette raison qu'un intérêt peut être porté à un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 18 mai 2017 (8). Dans cette affaire, un salarié et son employeur avaient conclu une rupture conventionnelle qui avait été indissociablement liée au rachat des actions du salarié par la société. La société n'ayant pu racheter lesdites actions en raison d'une situation irrémédiablement compromise, le salarié demandait la nullité de la convention de rupture pour erreur. La cour juge que le salarié "a commis une erreur sur les qualités substantielles de l'objet de son engagement". Constatant que la société ne parvient pas à apporter la preuve du caractère inexcusable de l'erreur, elle prononce la nullité de la convention de rupture et lui fait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Comme le note Lucas Bento de Carvalho (9), cette qualification n'allait pas de soi puisque l'erreur doit en principe être appréciée au moment de l'échange des consentements. Or, à l'occasion de la recherche du caractère excusable ou non de l'erreur, la cour d'appel relève qu'à cet instant, aucun élément ne pouvait laisser penser que l'engagement de l'employeur de racheter les actions ne serait pas tenu. En d'autres termes, soit la situation de la société n'était pas compromise au moment de la conclusion de la convention de rupture et aucune erreur ne pouvait avoir été commise, soit cette situation financière était déjà largement dégradée, auquel cas elle a été cachée au salarié et les juges auraient dû rechercher l'existence d'un dol plutôt que d'une erreur, ce à quoi ils se sont d'ailleurs refusés.

Cette décision a toutefois le mérite de montrer qu'une place demeure pour l'erreur dans l'appréciation du consentement des parties à la rupture conventionnelle, quand bien même les éléments susceptibles de la caractériser sont rares. Outre l'hypothétique erreur-obstacle qui pourrait survenir si le salarié conclut la rupture conventionnelle en pensant s'engager à d'autres effets juridiques que la rupture du contrat de travail, les parties pourraient se tromper "sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant" (10). Les éléments relatifs à la prestation sont strictement encadrés par le Code du travail qui vise la rupture du contrat de travail, la détermination de la date de cette rupture et l'établissement du montant de l'indemnité. Ces éléments étant contrôlés par l'administration du travail, l'identification d'une erreur des parties est quasiment impensable, cela d'autant que la Chambre sociale juge que l'erreur commise dans le calcul de l'indemnité ne permet pas d'obtenir l'annulation de la convention (11). Il en va naturellement de même des qualités essentielles du cocontractant : les parties se connaissent fort bien puisqu'elles sont liées par un contrat de travail à durée indéterminée, ce qui refoule tout risque d'erreur sans qu'il soit même nécessaire d'analyser les conditions strictes de sa reconnaissance dans ce domaine.

Reste donc l'erreur sur une prestation accessoire adjointe aux effets classiques de la rupture conventionnelle. Si, en l'espèce, il s'agissait d'un pacte de cession d'actions, on pourrait par exemple imaginer une erreur sur les stipulations relatives au devenir d'une clause de non-concurrence.

II - Les effets du retrait d'homologation par la DIRECCTE

La Chambre sociale de la Cour de cassation s'est également penchée sur les effets du retrait par l'administration d'une décision de refus d'homologation (12).

Après qu'un employeur et un salarié ont conclu une rupture conventionnelle, celle-ci est adressée à l'administration du travail qui refuse l'homologation en raison d'un dossier incomplet. L'employeur adresse rapidement à la DIRECCTE les documents manquants qui, quinze jours après sa première décision, homologue la convention de rupture. Considérant que la rupture conventionnelle a produit ses effets à la suite d'une décision de refus qui ne pouvait valablement être retirée, le salarié saisit le juge prud'homal d'une demande d'annulation de la rupture conventionnelle.

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre la décision d'appel qui jugeait la convention valable. Elle décide "qu'une décision de refus d'homologation d'une convention de rupture conclue en application des dispositions des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail ne crée de droits acquis ni au profit des parties à la convention, ni au profit des tiers" et que, par conséquent, "la décision de refus d'homologation avait été retirée par la DIRECCTE et que la convention de rupture, qui avait fait l'objet d'une homologation, était valable".

Comme le relevaient les commentateurs de cette décision, la solution adoptée par la Chambre sociale, quoique s'appuyant sur une règle éphémère, est parfaitement rigoureuse.

Il s'agit en effet d'une décision à la portée très relative car l'ordonnance n° 2016-307 du 17 mars 2016, portant codification des dispositions relatives à la réutilisation des informations publiques dans le Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L1881K7S), a profondément réformé le régime juridique du retrait des actes administratifs. Jusqu'ici, le juge administratif distinguait, comme le fait la Chambre sociale en l'espèce, selon que la décision administrative était ou non créatrice de droits. Dans l'affirmative, seules les décisions illégales pouvaient être retirées dans un délai de quatre mois. Au contraire, en l'absence de création de droits, la décision pouvait être retirée pour tout motif et sans délai (13). L'ordonnance a toutefois modifié le Code des relations entre le public et l'administration dont l'article L. 243-3 (N° Lexbase : L1861KNA) aligne désormais le régime du retrait d'un acte administratif non créateur de droits sur celui d'un acte créateur de droits : tout retrait devra, à l'avenir, être justifié par une illégalité et intervenir dans un délai de quatre mois. Cette ordonnance n'était toutefois pas applicable aux faits de l'espèce.

Si la solution est donc rigoureuse sur le plan de l'application de la loi dans le temps, elle l'est également au regard du régime juridique applicable aux faits. On peut en effet considérer que le refus d'homologation ne crée pas de droits pour le salarié. Le salarié et l'employeur ayant en principe librement conclu la rupture conventionnelle, ils n'ont ni l'un, ni l'autre intérêt à voir l'homologation refusée. Au contraire, on peut imaginer qu'une décision d'homologation serait considérée comme une décision créatrice de droits qui devrait répondre aux règles spécifiques du retrait à ce type d'acte.

Le retrait d'une décision administrative produisant un effet rétroactif, la décision de refus initiale est présumée n'avoir jamais existé. Il n'était donc probablement pas nécessaire pour l'administration d'adopter une nouvelle décision d'homologation, la convention de rupture ayant été homologuée implicitement en raison du silence gardé par l'administration après quinze jours, comme le prévoit l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9).

III - L'application dans le temps de la loi du 25 juin 2008

Avant l'été, la Chambre sociale a encore rendu une décision relative à l'application dans le temps de la loi du 25 juin 2008 (14).

Une salariée et son employeur concluent un accord de rupture par deux documents datés des 2 et 7 juillet 2008. La salariée saisit le juge en vue de faire produire à la rupture les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et demander différentes indemnités et rappels de salaire. La cour d'appel saisie de l'affaire fait droit aux demandes de la salariée en jugeant que l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008 fait obstacle à la conclusion d'un accord de rupture ne répondant pas au régime de la rupture conventionnelle (15).

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision par un moyen soulevé d'office au visa des articles L. 1237-11 et suivants et R. 1237-3 (N° Lexbase : L6226IMK) du Code du travail. Elle juge que "la rupture amiable était intervenue antérieurement à l'entrée en vigueur le 20 juillet 2008 du décret n° 2008-715 du 18 juillet 2008, portant diverses mesures relatives à la modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L7278IAS) et créant l'article R. 1237-3 du Code du travail déterminant l'autorité administrative compétente pour statuer sur les demandes d'homologation des ruptures conventionnelles et que le dispositif de la rupture conventionnelle n'était pas applicable avant cette date".

Il est très fréquent que les lois comportent des dispositions transitoires encadrant, notamment, l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles. Cela n'était toutefois pas le cas de la loi du 25 juin 2008 qui ne différait pas son entrée en vigueur et ce sont, par conséquent, les règles classiques d'entrée en vigueur des lois qui devaient s'appliquer, spécialement la règle posée par l'article 1er du Code civil (N° Lexbase : L3088DYZ).

Ce texte dispose que "les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures". Les mesures de la loi de modernisation du marché du travail qui ne nécessitaient aucune disposition réglementaire d'application sont donc entrées en vigueur le 27 juin 2008 (16).

Contrairement à une autre pratique législative courante, les dispositions de la loi du 25 juin 2008 ne renvoyaient toutefois pas au pouvoir réglementaire le soin d'adopter des décrets d'application en matière de rupture conventionnelle. Est-ce à dire que les dispositions législatives pouvaient entrer en vigueur sans décret d'application ? Le Conseil d'Etat juge que "si une loi une fois promulguée devient exécutoire à partir du moment où sa promulgation est connue, son entrée en vigueur se trouve différée lorsque la loi contient des dispositions subordonnant expressément ou nécessairement son exécution à une condition déterminée" (17). Pour leur plus grande partie, les dispositions de la loi du 25 juin 2008 pouvaient s'appliquer sans autre précision. Le calcul de l'indemnité de rupture conventionnelle, par exemple, ne nécessitait aucune précision réglementaire en raison du renvoi au mode de calcul de l'indemnité de licenciement.

Seul l'article L. 1237-14 du Code du travail demeurait trop flou pour être appliqué sans mesures d'application puisqu'il se contentait de viser "l'autorité administrative" pour identifier l'autorité compétente pour homologuer la convention de rupture. S'il fait peu de doute que c'est bien l'administration du travail à qui devait échoir cette compétence, fallait-il la confier au ministère du Travail, aux directions régionales ou aux services d'inspection du travail ? Ce choix n'était d'ailleurs pas tout à fait neutre au regard du principe d'indépendance des agents de l'inspection du travail garanti par la convention n° 81 de l'Organisation du travail (N° Lexbase : L0964AIK). Ce principe bénéficie aux agents de contrôle de l'inspection du travail. Au contraire, les agents des DIRECCTE et des unités territoriales, quand bien même ils relèveraient du corps de l'inspection du travail, n'en bénéficient pas en dehors de leurs éventuelles attributions de contrôle de l'application du droit du travail. Attribuer cette compétence à l'inspection du travail aurait pu amoindrir la force des directives et instructions du ministère du Travail en matière d'homologation des ruptures conventionnelles.

L'entrée en vigueur du régime de la rupture conventionnelle, entièrement lié à l'homologation administrative tant pour sa validité qu'en raison du bloc de compétence attribué au conseil de prud'hommes s'agissant de la convention et de l'homologation, ne pouvait donc qu'être retardée à l'entrée en vigueur du décret déterminant l'autorité administrative compétente. Le décret n° 2008-715 du 18 juillet 2008 portant diverses mesures relatives à la modernisation du marché du travail, entrait en vigueur le 20 juillet 2008, date effective à laquelle les ruptures amiables ne pouvaient plus être conclues.

IV - Les évolutions prochaines de la rupture d'un commun accord

Pour conclure, il faut sans doute dire un mot de l'un des projets d'ordonnances prochainement adoptés et, en particulier, de la future ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

L'article 17 de cette ordonnance devrait ajouter vingt-deux nouveaux articles au Code du travail (C. trav., art. L. 1237-17 à L. 1237-19-14, futurs) dans une nouvelle section 4 intitulée "Rupture d'un commun accord dans le cadre d'accords collectifs" insérée après la section 3 consacrée à la rupture conventionnelle.

L'article L. 1237-17, qui chapeautera deux sous sections, disposera qu'"un accord collectif portant gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou plan de départ volontaire peut définir les modalités encadrant les conditions de la rupture d'un commun accord du contrat de travail qui lie l'employeur et le salarié. Ces ruptures, exclusives du licenciement ou de la démission, ne peuvent être imposées par l'une ou l'autre des parties. Les dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties leur sont applicables".

Très concrètement, l'ordonnance remet indirectement en cause les dispositions de l'actuel article L. 1237-16 du Code du travail (N° Lexbase : L8479IAB) qui excluent l'application des règles relatives à la rupture conventionnelle aux ruptures résultant d'accords collectifs de GPEC ou de plans de sauvegarde de l'emploi. Si la remise en cause n'est que partielle, c'est que les règles de la rupture conventionnelle resteront exclues. En lieu et place, l'ordonnance instituera un nouveau régime de ces ruptures amiables collectives. On relèvera, par ailleurs, que ces dispositions futures sont de nature à remettre en cause plusieurs régimes prétoriens ou légaux.

Premièrement, les articles L. 1237-19 et suivants de l'ordonnance créeront une procédure spécifique de mise en place d'un plan de départ volontaire distincte de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi. Cette procédure semble réservée au cas où les suppressions d'emploi n'impliqueront aucun licenciement puisque l'article L. 1237-19 du Code du travail prévoira que l'accord collectif détermine "le contenu d'un plan de départs volontaires excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d'emplois". Elle devrait confirmer la position de la Chambre sociale qui exclut la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque le plan de départ volontaire comporte l'engagement de ne procéder à aucun licenciement (18). Contrairement au plan de sauvegarde de l'emploi qui peut être institué unilatéralement par l'employeur, le plan de départ volontaire ne pourra être mis en place que par accord collectif. Une procédure de validation de l'accord par l'autorité administrative, sur le modèle de la validation d'un accord de PSE, sera également instituée tandis que, dans le même temps, des consultations du nouveau comité économique et social devront être organisées.

Ce faisant, l'ordonnance devrait parvenir à dresser une barrière étanche entre le régime juridique des licenciements collectifs pour motif économique et les plans de départs volontaires qui seront de véritables accords de départ négociés. Les risques de conflits avec le droit du licenciement pour motif économique seront d'autant mieux limités que l'article L. 1237-17 disposera que ces ruptures sont "exclusives du licenciement ou de la démission". Il faudra toutefois prendre garde aux effets du droit de l'Union européenne dont on sait qu'il n'accorde pas d'importance au type de rupture pour l'application des protections contre les licenciements pour motif économique collectifs (19) ...

Deuxièmement, c'est l'articulation entre congé de mobilité et motif économique de licenciement qui pourrait être bouleversée. Par un arrêt rendu le 12 novembre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeait que "si l'acceptation par le salarié de la proposition de congé de mobilité emporte rupture du contrat de travail d'un commun accord, elle ne le prive pas de la possibilité d'en contester le motif économique" (20). Alors que la Chambre sociale jugeait ici clairement que le congé de mobilité était une mesure d'accompagnement du licenciement pour motif économique et ne pouvait intervenir préventivement dans le cadre d'un accord de GPEC, l'ordonnance déplacera les règles relatives au congé de mobilité qui quitteront le giron des règles relatives au licenciement (21). L'argument a rubrica qui nous semblait avoir justifié la solution prétorienne sera donc sans doute remis en question (22).

On peut en revanche penser que l'insertion de ces dispositions dans le même chapitre que celui consacré à la rupture conventionnelle ne remettra pas en cause l'autonomie de celle-ci. Les ordonnances ne feront ici que réformer des dispositifs de rupture amiable qui existent déjà et qui n'ont pas fait obstacle à l'hégémonie de la rupture née de la loi du 25 juin 2008.


(1) Cass. soc., 1er décembre 2016, n° 15-21.609, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7976SLY ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0223E7E) ; les obs. de Ch. Radé, Lexbase, éd. soc., n° 680, 2016 (N° Lexbase : N5643BWW) ; RDT, 2017, p. 124 et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 709, 2017 (N° Lexbase : N9773BWU).
(2) Défaut d'information du salarié sur la possibilité de se faire assister par un conseiller du salarié, Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-27.594, FS-P+B (N° Lexbase : A2279MDR), v. également CA Basse-Terre, 23 janvier 2017, n° 14/01982 (N° Lexbase : A9066S9N) ; absence d'information du salarié sur la possibilité de prendre contact avec le service public de l'emploi en vue d'envisager la suite de son parcours professionnel, Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.951, FS-P+B (N° Lexbase : A4267MDE ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2954E48) ; erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de rétractation, Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.539, publié (N° Lexbase : A2278MDQ ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0220E7B) ; erreur commise dans le calcul de l'indemnité de rupture conventionnelle, Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-22.134, FS-P+B (N° Lexbase : A6058M7I ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0210E7W).
(3) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0215E74) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 516, 2013 (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p. 258, obs. F. Taquet.
(4) V. toutefois l'argumentation en faveur d'une qualification contractuelle, N. Gras, La rupture conventionnelle en droit des contrats, JCP éd. E, 2017, 1240.
(5) C. civ., art. 1359, al. 2 (N° Lexbase : L1007KZC), "il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique [...] que par un autre écrit sous signature privée ou authentique".
(6) Violence morale liée à un harcèlement : v. Cass. soc., 30 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43 ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0217E78) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 516, 2013 (N° Lexbase : N5793BTQ) ; pressions et menaces de licenciement : Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9246KDS ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0217E78) et nos obs., Lexbase, éd. prof., n° 150, 2013 (N° Lexbase : N7295BTD).
(7) Admission d'une réticence dolosive lorsque l'employeur passe sous silence la création prochaine d'un poste qui aurait pu convenir au salarié, CA Lyon, 7 mai 2012, n° 11/03134 (N° Lexbase : A6878IKX). Refus de qualification de dol lorsque l'employeur n'informe pas le salarié du délai de carence applicable à la perception d'indemnités de chômage, CA Versailles, 4 juin 2013, n° 12/01539 ([LXB=A0527KG
M]).
(8) CA Paris, pôle 6, ch. 5, 18 mai 2017, n° 15/09660, Cah. soc., 2017, n° 298, p. 23, obs. L. Bento de Carvalho.
(9) Préc..(10) C. civ., art. 1132 (N° Lexbase : L0831KZS).
(11) Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0210E7W) et les obs. de G. Auzero, Lexbase, éd. soc., n° 625, 2015 (N° Lexbase : N8937BUK).
(12) Cass. soc., 12 mai 2017, n° 15-24.220, FS-P+B (N° Lexbase : A8777WC3 ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0211E7X) et les obs. de Ch. Radé, Lexbase, éd. soc., n° 700, 2017 (N° Lexbase : N8465BWG) ; RDT, 2017, p. 483, obs. F. Crouzatier-Durand.
(13) CE, 26 octobre 2001, req. n° 197018, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1913AX7 ; cf. l’Ouvrage "Droit de la fonction publique" N° Lexbase : E0186EQX) ; AJDA, 2001, p. 1034, chron. Guyomar et Collin ; AJDA, 2002, p. 738, note Y. Gaudemet ; RFDA, 2002, p. 88, note Delvolvé.
(14) Cass. soc., 5 juillet 2017, n° 16-10.841, FS-P+B (N° Lexbase : A8215WLT).
(15) Sur l'autonomie de la rupture conventionnelle, v. Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6594MYU ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0215E74) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 589, 2014 (N° Lexbase : N4455BUK).
(16) V. JORF n°0148 du 26 juin 2008, p. 10224.
(17) CE, 26 février 2001, n° 220021 (N° Lexbase : A0819ATI) ; Rec. CE 2001, p. 88.
(18) Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-15.187, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6142GCH ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9317ESU).
(19) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14 (N° Lexbase : A4806NWW ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9317ESU) et les obs. de M. Gadrat, Lexbase, éd. soc., n° 635, 2015 (N° Lexbase : N0261BWL).
(20) Cass. soc., 12 novembre 2015, n° 14-15.430, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7467NWH ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0536E9Q) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 634, 2015 (N° Lexbase : N0091BWB).
(21) Jusqu'ici, les règles relatives au congé de mobilité étaient établies par les articles L. 1233-77 et suivants, dans la partie du Code consacrée au licenciement pour motif économique. Ces articles seront abrogés par l'article 17 de l'un des projets d'ordonnances prochainement adoptés.
(22) V. nos obs. sous Cass. soc., 12 novembre 2015, préc..

newsid:459963

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus