Réf. : Cass. crim., 7 juin 2017, n° 17-81.561, FS-P+B (N° Lexbase : A2278WI9)
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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
le 13 Juillet 2017
I - Une exigence catégorique
Devant la chambre de l'instruction, le procureur général de la cour d'appel est chargé de la mise en état du dossier, l'article 194 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906IR4) prévoyant que "le procureur général met l'affaire en état dans les quarante-huit heures de la réception des pièces en matière de détention provisoire et dans les dix jours en toute autre matière ; il la soumet, avec son réquisitoire, à la chambre de l'instruction". Concrètement, la mise en état consiste, pour le procureur général, d'une part, à rédiger un réquisitoire destiné à être soumis à la chambre de l'instruction et, d'autre part, à aviser les parties, voire parfois des tiers concernés par la cause, ainsi que leurs avocats, de façon à permettre à chacun d'exercer ses droits en vue de l'audience (2). Une fois les convocations adressées aux parties, l'article 197 du Code de procédure pénale prévoit que "le dossier de la procédure, comprenant les réquisitions du ministère public, est déposé au greffe de la chambre de l'instruction et mis à la disposition des avocats des personnes mises en examen et des parties civiles dont la constitution n'a pas été contestée ou, en cas de contestation, lorsque celle-ci n'a pas été retenue".
De longue date, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que les parties devaient bénéficier d'un accès à l'intégralité de la procédure devant la chambre de l'instruction (3), de sorte que n'est pas complet le dossier qui ne comprend pas les renseignements et les pièces de détention, même relatifs aux autres mis en examen de l'appelant (4). Dans un passé récent, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait attaché les plus strictes conséquences à la mise en à disposition de l'intégralité de la procédure pénale. En effet, par un arrêt en date du 3 juin 2015, la Chambre criminelle avait considéré que "les prescriptions de ce texte, qui ont pour objet de permettre aux avocats des parties de prendre connaissance de l'ensemble du dossier de l'information, dans l'état où celui-ci se trouve à la date où il est transmis au procureur général, et de pouvoir, en temps opportun, produire devant la chambre de l'instruction tous mémoires utiles, sont essentielles aux droits de la défense, et doivent être observées à peine de nullité" (5). Si la Cour de cassation considère que la mise à disposition de la procédure devant la Chambre de l'instruction est une exigence absolue, il n'en demeure pas moins que les conditions de mise en oeuvre de cette irrégularité sont tellement strictes qu'elles rendent illusoires son exercice.
II - Une sanction chimérique
La loi n° 2017-258 du 28 février 2017, relative à la sécurité publique a complété l'article 197 du Code de procédure pénale dans la mesure où son dernier alinéa prévoit désormais que "le caractère incomplet du dossier de la chambre de l'instruction ne constitue pas une cause de nullité dès lors que les avocats des parties ont accès à l'intégralité du dossier détenu au greffe du juge d'instruction. Si la chambre de l'instruction est avisée que des pièces sont manquantes, elle renvoie l'audience à une date ultérieure s'il lui apparaît que la connaissance de ces pièces est indispensable à l'examen de la requête ou de l'appel qui lui est soumis".
Il semble que le législateur a souhaité éviter toute mise en liberté médiatique résultant d'une page mal numérisée ou d'un fax mal réceptionné... Depuis l'entrée en vigueur de ce texte, il appartient à la chambre de l'instruction de vérifier si la côte du dossier, arguée de manquante par la défense, pourrait être utile à l'examen du bien-fondé de la requête en nullité ou de l'appel qui lui est présenté. La restriction posée par le texte était déjà de nature à tarir, dans une très large mesure, le contentieux tiré du caractère incomplet du dossier pénal mis à la disposition des parties devant la chambre de l'instruction. En effet, sur un dossier ouvert à l'information judiciaire pouvant contenir plusieurs milliers de pages, l'immense majorité des cotes de fond a un intérêt secondaire dans le cadre du débat sur la détention.
Mais surtout, la Chambre criminelle de la Cour de cassation semble encore "verrouiller" toute possibilité de remise en liberté d'office en raison de l'incomplétude du dossier pénal. L'arrêt rendu en date du 7 juin 2017 précise que la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a justifié sa décision au regard de l'article 197 de Code de procédure pénale "dès lors qu'il n'était pas allégué que manquaient au dossier mis à la disposition de l'avocat en vue de l'audience de la chambre de l'instruction des pièces figurant dans celui qu'il avait pu consulter au cabinet du juge d'instruction et préalablement au débat contradictoire tenu par le juge des libertés et de la détention". Cette formule revient à faire peser sur l'avocat de la personne mise en examen le double fardeau d'une preuve absolument impossible à rapporter... D'une part, il appartient à l'avocat de la personne mise en examen de rapporter la preuve que des pièces consultées au cabinet du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention ne sont plus accessibles devant la chambre de l'instruction. On ignore bien comment l'avocat pourrait rapporter la preuve, négative, de l'absence de certaines pièces. D'autre part, il ne faut perdre de vue qu'en pratique, l'avocat n'aura guère de temps, au moment de l'interrogatoire de première comparution devant le juge d'instruction ou du débat contradictoire de placement en détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention, pour consulter la procédure. Il ne bénéficiera souvent que de quelques heures pour prendre connaissance des centaines, voire des milliers de côtes du dossier de l'information judiciaire...
En définitive, le bris de jurisprudence opéré par la loi du 28 février 2017 et l'interprétation rigoureuse de l'article 197 du Code de procédure pénale que consacre la Chambre criminelle de la Cour de cassation permettent d'en déduire qu'à l'avenir, la "clé des champs"(6) ne passera sans doute plus par une page mal numérisée ou par un fax mal imprimé...
(1) Cf. le site de la Voix du Nord.
(2) Ph. Belloir, Rép. pén. Dalloz, v° Chambre de l'instruction, n° 332.
(3) Cass. crim., 20 juin 1989, n° 89-82.065 (N° Lexbase : A2857CIN), Bull. crim., n° 264.
(4) Cass. crim., 14 février 1984, n° 83-94.711 (N° Lexbase : A8190AAL), Bull. crim., n° 56 ; Cass. crim., 21 février 1989, n° 88-86.975 (N° Lexbase : A0196ABU), Bull. crim., n° 84 ; Cass. crim., 11 mai 2010, n° 10-81.313, F-P+F (N° Lexbase : A0287EZN), Bull. crim., n° 76.
(5) Cass. crim., 3 juin 2015, n° 15-81.801, F-P+B (N° Lexbase : A2210NK3), Bull. crim., n° 137.
(6) L'expression est empruntée à M. Albert Maron et Mme Marion Haas, in Changement d'avocat et clé des champs, Dr. pénal, 2014, Comm. n° 132.
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