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N7439BRX
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Le requérant considérait que le texte de 2004 était contraire au principe d'égalité devant la loi, devant l'impôt et devant les charges publiques, en ce que seuls les salariés sont concernés par le paiement de cet impôt en imposant une journée de travail non rémunérée en excluant de cet impôt les professions libérales, les commerçants, les agriculteurs, les rentiers, les élus de la République, de cette journée de solidarité. Or, en présence d'une inégalité participative et financière à la solidarité des personnes âgées et handicapées, la question de conformité à la Constitution des articles L. 3133-7 à L. 3133-12 du Code du travail et de l'article L. 14-10-4 du Code de l'action sociale et des familles devait, selon les juges prud'homaux, être transmise à la Cour de cassation. Et, ce faisant, cette QPC, qui pourrait apparaître comme la manifestation anti-solidarité d'un salarié contribuable en quête d'une exonération sociale, donne l'occasion de repenser la solidarité, telle qu'elle est actuellement envisagée par les sociétés occidentales : c'est-à-dire grandement coercitive.
Certes, si "le discours politique est destiné à donner aux mensonges l'accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l'apparence de la solidarité à un simple courant d'air", interpelle Georges Orwell, pour mémoire, la journée de solidarité a été instituée à la suite de la "canicule de 2003", phénomène climatologique aux conséquences funestes, révélant le peu de considération de la société et des familles pour leurs aînés les plus fragiles ; les SoFra, pour seniors fragilisés (par la dépendance physique, mentale ou économique), selon la nomenclature de Serge Guérin dans L'invention des seniors. Et, c'est en réaction que la loi de 2004 a instauré cette journée de solidarité qui, il est vrai et en tant que telle, n'est imposée qu'aux salariés privés et publics ; excluant de la solidarité envers les personnes âgées dépendante une frange importante de la société active et inactive -mais attributaire de revenus de remplacement-.
Mais, il n'y a qu'à lire le dispositif de l'article 2 de la loi du 30 juin 2004 pour comprendre qu'il n'a pas été simple d'imposer cette nouvelle solidarité et qu'il a fallu prendre en compte toutes les situations afin d'anticiper le rejet, par les salariés et leurs employeurs, de cette journée caractérisée par l'abandon d'un jour férié -à l'origine, le lundi de Pentecôte- puis d'un jour de congé -permutation autorisée afin de calmer l'opposition des associations culturelles, cultuelles et sportives de tout poil-. Et si l'instauration de cette journée de travail supplémentaire permet de récolter une contribution de 0,3 % acquittée par tous les employeurs, privés et publics, en contrepartie de la suppression d'un jour férié ou équivalent, pour simplifier son prélèvement, cette contribution est assise et recouvrée comme le sont les cotisations patronales affectées au financement des régimes de base de l'assurance maladie... D'où il suit que la simplification du recouvrement de cette contribution risque bien d'avoir justifié, grandement, que la charge publique repose essentiellement sur les salariés et fonctionnaires, mais, du même coup, risque d'être également à l'origine d'une déclaration de non-conformité aux droits et garanties de la Constitution.
Mais, il est à noter que cette même loi de 2004 instaure, aussi, une contribution de 0,3 % portant sur les revenus du patrimoine et sur les revenus des placements, définie comme une contribution additionnelle au prélèvement social de 2 % portant sur ces mêmes revenus, au bénéfice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Par conséquent, si la journée de solidarité n'est pas partagée par tous, le produit financier de celle-ci trouve son équivalent dont les inactifs percevant un revenu sont débiteurs. Reste que les professions libérales et les entrepreneurs individuels ne sont pas concernés par cette action de solidarité ; mais, peut-être tout simplement, parce que leur retirer le bénéfice d'un jour férié ou d'un jour de congé n'aurait aucun sens ; ces derniers n'étant ni bénéficiaires, ni soumis, au même quantum de congés que les salariés.
Du même coup, c'est le lien moral entre individus d'une communauté qui pourrait être repensé à l'occasion de l'examen de cette QPC, dont l'attendu de la Cour de cassation ou le considérant du Conseil constitutionnel fournirait de précieuses indications pour l'élaboration du projet de réforme du financement de l'autonomie des personnes âgées fragilisées. Selon Durkheim, pour qu'une société existe, il faut que ses membres éprouvent de la solidarité les uns envers les autres. Mais, force est de constater que cette solidarité n'est pas des plus naturelles, auquel cas elle s'apparenterait à de l'altruisme, et il s'agirait alors d'aider autrui sans empathie particulière, sans attendre de contrepartie directe ou indirecte. Or, la charité n'est pas la meilleure garante de la cohésion sociale, à la faveur de la répartition des richesses comme du partage des risques sociaux. C'est pourquoi la solidarité mécanique, fruit de l'homogénéité d'une société qui se sent connectée par un mode de vie similaire, se traduit par un devoir de solidarité plus efficace que le seul élan du coeur...
Car, en toile de fond, se profile, conformément aux voeux présidentiels, rien de moins que le chantier du financement de la dépendance. D'aucuns prévoient, dès lors, la création d'une nouvelle branche de la Sécurité sociale, "le cinquième risque" en sus de la santé, de la vieillesse, de la famille, et de l'accident du travail ; mais, la réalité pourrait être toute autre et opérer un rééquilibrage entre la solidarité collective et la solidarité familiale, afin de ne pas réduire la question de la dépendance de nos "vieux" à une ligne supplémentaire sur le bulletin de paie des Français. Et, la prise en charge de la dépendance pourrait, ainsi, reposer sur trois piliers : un financement public, la mise à contribution de la famille, et le recours à des assurances privées. En effet, si l'allocation personnalisée d'autonomie, dont il convient de renforcer le financement par l'instauration d'une deuxième journée de solidarité ou une augmentation de la CSG à la charge des seuls retraités, assure d'ores et déjà le pilier public, donc collectif, reste à organiser la solidarité familiale et la solidarité financière -par l'intermédiaire de produits financiers productifs proposés par le secteur privé-. Ce faisant, la solidarité qui commande, dans son acceptation la plus exacte, une réciprocité aux intérêts biens compris serait à nouveau au coeur du débat et reposerait non plus sur le seul "altruisme coercitif" des cotisations. La recherche d'une cohésion sociale, très fragile en temps de crise, ne suffit plus à assurer l'ensemble des actions en faveur d'une mutualisation des risques sociaux ; il convient d'en appeler à la raison et au coeur pour ce qui est de la solidarité familiale, et au portefeuille pour ce qui relève de la solidarité financière. Il s'agit d'être certain que le chantier de la dépendance ne tourne pas court, faute de marge de manoeuvres budgétaires. Mais, en plaçant le principe même de "solidarité" au coeur de la lutte contre la dépendance, la future réforme risque bien, paradoxalement, d'affaiblir, un peu plus, celui de "cohésion sociale" en relativisant son bras armé, jusque là seule réponse omniprésente aux besoin de solidarités : les cotisations sociales.
Tel est donc l'équation à résoudre pour que nos SoFra deviennent des BoFra, pour boomers fragilisés, des personnes de grand âge mais qui cherchent à rester des acteurs de leur vie, car "tout le monde voudrait vivre longtemps, mais personne ne voudrait être vieux" (Jonathan Swift) ; une équation dont la solution risque bien, à l'avenir, de servir de mètre étalon pour financer tous les risques sociaux dont le partage collectif est en manque de deniers...
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