La lettre juridique n°693 du 30 mars 2017 : Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Mars 2017

Réf. : Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-22.675, F-P+B+I (N° Lexbase : A5752TPQ) ; TPIUE, 7 mars 2017, aff. T-194/13 (N° Lexbase : A9128TSU)

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par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

le 30 Mars 2017

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur a sélectionné, tout d'abord, un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 1er mars 2017 (Cass, com., 1er mars 2017, n° 15-22.675, F-P+B+I) ayant trait aux juridictions spécialisées chargées du contentieux de la rupture brutale des relations commerciales. Est ensuite commenté le lancement par la Commission européenne du nouvel outil de détection des pratiques anticoncurrentielles, à savoir le lanceur d'alerte anonyme (Commission européenne, 16 mars 2017, IP 17/591). Enfin, est commenté l'arrêt du tribunal de l'Union européenne qui annule, pour vice de procédure, la décision par laquelle la Commission européenne a refusé la concentration entre UPS et TNT dans le secteur de la distribution express des petits colis (TPIUE, 7 mars 2017, aff. T-194/13).
  • Rupture brutale des relations commerciales et clause compromissoire (Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-22.675, F-P+B+I N° Lexbase : A5752TPQ)

Par arrêt du 1er mars 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a expressément dit pour droit que les règles spécifiques d'attribution de compétence, prévues aux articles L. 442-6 (N° Lexbase : L7575LB8) et D. 442-3 (N° Lexbase : L9159IEX) du Code de commerce, ne font pas obstacle à la mise en oeuvre de clauses compromissoires, si celles-ci ne sont pas manifestement inapplicables.

L'article D. 442-3 du Code de commerce, issu de l'article 2 du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 et entré en vigueur le 1er décembre 2009, confère à certains tribunaux de commerce français compétence pour connaître des litiges relevant de l'article L. 442-6 du Code de commerce dans son ensemble. Il s'agit non seulement du contentieux relatif à la rupture brutale des relations commerciales, mais également de l'abus de puissance économique etc.. Huit tribunaux de commerce seulement sont compétents : Lille, Rennes, Nancy, Marseille, Lyon, Fort-de France, Rennes et Paris. Cette compétence est d'ordre public. Par ailleurs, l'appel de la décision du tribunal de commerce doit être interjeté devant la cour d'appel de Paris, à peine d'irrecevabilité de l'appel.

Pour autant les parties peuvent-elles déroger à ces règles de compétence grâce à l'insertion de clauses attributives de juridiction distinctes ou de clauses d'arbitrage ?

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation répond de manière nuancée, en affirmant, d'une part, qu'il appartient "à l'arbitre de statuer, par priorité, sur sa propre compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage", laquelle ne peut être écartée "du seul fait que les dispositions impératives de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce étaient applicables" et que, d'autre part, ces règles de compétence, instituées par le Code de commerce, "ne peuvent être mises en échec par une clause attributive de juridiction".

Cet arrêt s'inscrit dans une jurisprudence fournie, laquelle renforce à la fois l'effectivité des clauses compromissoires dans le contentieux économique et la centralisation des litiges auprès de certaines juridictions spécialisées en présence de clauses attributives de juridiction dans le cadre d'un contentieux interne français.

En effet, il a été jugé que la compétence des juridictions spécialisées est acquise même si le litige ne porte pas exclusivement sur des demandes ayant trait à la réparation du dommage pour rupture brutale des relations commerciales, mais également sur d'autres demandes, telles que le paiement de factures. Il suffit que certaines demandes relèvent de l'article L. 442-6 du Code de commerce pour que soit mise en oeuvre la règle de spécialisation des juridictions énoncée par l'article D. 442-3 du Code de commerce (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-21.089, F-P+B N° Lexbase : A9414KLA ; nos obs., in Chron., Lexbase, éd. aff., 2013, n° 360 N° Lexbase : N9571BTN). En revanche, les demandes nouvelles, fondées en appel sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, seront déclarées irrecevables (Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, FS-P+B N° Lexbase : A2088MYY ; nos obs., in Chron., Lexbase, éd. aff., 2014, n° 399 N° Lexbase : N4302BUU).

S'agissant des litiges internationaux et des clauses compromissoires, le fait qu'une loi de police française soit invoquée au fond ne fait pas obstacle à l'efficacité d'une clause compromissoire ou attributive de compétence à un tribunal étranger (Cass. civ. 1, 22 octobre 2008, n° 07-15.823, FS-P+B+I N° Lexbase : A9334EAX ; CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 18 mars 2014, n° 12/13601 N° Lexbase : A9953MGQ). De même, le contentieux tiré de la prétendue rupture brutale d'une relation commerciale établie est arbitrable, quand bien même le droit des pratiques restrictives de concurrence revêtirait-il le caractère de "loi de police" (Cass. com., 21 octobre 2015, n° 14-25.080, F-P+B N° Lexbase : A0244NUL).

  • Les alertes anonymes, nouvel instrument de la Commission européenne pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles (Commission européenne, communiqué de presse du 16 mars 2017, IP 17/591)

Par communiqué de presse du 16 mars 2017, la Commission européenne a annoncé avoir mis en place un nouvel outil, permettant aux particuliers de l'alerter plus facilement en cas d'ententes secrètes et d'autres infractions aux règles de la concurrence, tout en garantissant leur anonymat.

Sont particulièrement visées, parmi ces pratiques anticoncurrentielles, les ententes, interdites par l'article 101 TUE (N° Lexbase : L2398IPI) et L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN) et qui visent "notamment à s'accorder sur les prix ou les soumissions lors de marchés publics, à exclure du marché certains produits ou à évincer de manière non équitable des concurrents".

Ce nouvel instrument de délation complète l'arsenal d'outils d'aide à la détection des pratiques anticoncurrentielles, parmi lesquelles figurent les programmes de clémence, introduits en 1996 en Europe et en 2001 en France (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, art. 73 N° Lexbase : L8295ASZ et décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence N° Lexbase : L7067AZR, devenus les articles L. 464-2 N° Lexbase : L2313LDZ et R. 464-5 N° Lexbase : L8657IBA du Code de commerce). De fait, en Europe, comme en France, la très grande majorité des ententes, détectées et condamnées par les autorités de concurrence, résultent à l'origine d'une demande de clémence, introduite par l'un des participants à l'entente, lequel peut, en contrepartie, bénéficier d'une forte réduction, voire d'une immunité d'amendes. Or, les programmes de clémence peuvent être instrumentalisés à des fins stratégiques, dans la mesure où les délateurs sont souvent des entreprises récemment rachetées par un groupe américain, aguerri au système de la clémence, laquelle permet ainsi de "rééquilibrer" à bon compte un marché qu'il vienne de conquérir à leur seul avantage.

La possibilité, accordée aux particuliers ayant connaissance de l'existence ou du fonctionnement d'une entente ou d'autres types de violations des règles de concurrence, de contribuer à la cessation de telles pratiques présentera-t-elle un intérêt comparable pour la Commission européenne à celui de la clémence en termes de moyens de détection ? Pourra-t-elle renforcer, comme le souhaite la Commission européenne, l'efficacité du programme de clémence ?

Il est permis d'en douter compte tenu de l'expérience allemande, dont le modèle a servi de base aux alertes anonymes européennes et qui donne lieu à de nombreuses dénonciations, dont très peu sont finalement exploitables. Autre difficulté : le service de collecte de ces alertes est confié, comme c'est le cas en Allemagne, à un prestataire de services extérieur spécialisé, "qui fait office d'intermédiaire et qui ne relaie que le contenu des messages reçus sans transmettre les métadonnées, qui pourraient être utilisées pour identifier la personne ayant fourni les renseignements". Outre les conflits d'intérêts potentiels que soulève une telle délégation du pouvoir d'enquête à une entreprise qui travaille avec de nombreux autres acteurs du monde économique privé et public, il est permis de s'interroger sur l'efficacité réelle d'un tel mécanisme, lequel oblige les enquêteurs de la Direction générale de la concurrence de consacrer du temps au traitement de ces données cryptées au détriment de leurs investigations...

En France, l'Autorité de la concurrence n'est pas encore dotée d'un tel mécanisme de lanceurs d'alerte anonymes, faute de base juridique. Cet outil n'est pas cependant totalemment étranger à notre ordre juridique.

En droit du travail, le salarié qui relate, au sein de l'entreprise ou à l'extérieur, un fait constitutif d'un délit ou d'un crime dont il aurait connaissance lors de l'exercice de ses fonctions ne peut pas faire l'objet d'une mesure ou sanction de la part de son employeur en application de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7446LBE), issu de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique (N° Lexbase : L3622IYS), et de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW). A défaut, la mesure prise à son encontre est nulle. Ce statut du lanceur d'alerte a été renforcé par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (N° Lexbase : L6482LBP) en instituant une procédure encadrée de la dénonciation.

En droit pénal, il est possible de témoigner sans que l'identité du témoin n'apparaisse dans le dossier de la procédure, laquelle doit porter sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement en application de l'article 706-58 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4518AZD).

Sur le plan communautaire, enfin, la Directive 2016/943 du 8 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires), contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicite (N° Lexbase : L6171K83), autorise, à titre dérogatoire, la divulgation du secret d'affaires, obtenu de manière licite, si sa divulgation est requise ou autorisée par le droit de l'Union ou le droit national, "pour révéler une faute professionnelle, une autre faute ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi dans le but de protéger l'intérêt public général" (art. 5 b)). Cette Directive est en cours de transposition en France.

  • Annulation de la décision d'interdiction de la fusion UPS/TNT pour violation du principe du contradictoire (TPIUE, 7 mars 2017, aff. T-194/13 N° Lexbase : A9128TSU)

Par arrêt du 7 mars 2017, le Tribunal de l'Union européenne a annulé la décision du 30 janvier 2013 de la Commission européenne (Décision C(2013) 431 de la Commission, du 30 janvier 2013, déclarant une concentration incompatible avec le marché intérieur et l'accord EEE - affaire COMP/M.6570), laquelle avait interdit la fusion entre la société américaine United Parcel Service ("UPS") et la société néerlandaise TNT Express ("TNT") opérant à l'échelle mondiale dans le secteur des services spécialisés de transport et de logistique sur le fondement du Règlement n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (N° Lexbase : L6036DNU), tel que mis en oeuvre par le Règlement n° 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004 (N° Lexbase : L1967DYI). Selon cette décision, une telle opération de concentration aurait restreint la concurrence dans quinze Etats membres de l'Union européenne sur les marchés des services internationaux de distribution express de petits colis, aux termes desquels le prestataire s'engage à distribuer les petits colis dans un autre pays en un jour. Dans ces pays, le rachat aurait réduit à trois, voire seulement deux (la société américaine FedEx et la société allemande DHL), le nombre d'acteurs importants sur ce marché. La concentration aurait donc, selon la Commission, probablement été préjudiciable aux clients en entraînant des hausses de prix. L'analyse économétrique de la Commission européenne reposait essentiellement sur deux variables de concentration différentes : (i) une variable de concentration discrétisée au stade de l'estimation des effets de la perte d'un concurrent sur les prix, (ii) et une variable continue au stade de la prévision des effets de la concentration sur les prix. Les parties ont, de leur côté, produit plusieurs études économiques, suggérant que les effets négatifs de l'opération de concentration seraient contrebalancés par les économies de coûts qui en résulteraient.

UPS a saisi le Tribunal de l'Union européenne pour faire annuler la décision de la Commission. A l'appui de son recours, elle faisait valoir, entre autres, la violation de ses droits de la défense, dans la mesure où l'analyse économétrique, utilisée par la Commission européenne et qui n'obéirait pas au standard de la pratique économique, différait de celle ayant fait l'objet d'un débat contradictoire durant la procédure administrative.

Dans sa décision du 7 mars 2017, le Tribunal fait droit au recours et annule la décision de la Commission européenne, au soutien de laquelle intervenait également FedEx Corp.

Le Tribunal rappelle que le respect des droits de la défense, et plus particulièrement le principe du contradictoire, exige que l'entreprise concernée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative -y compris en matière de concentrations- (TPIUE, 9 mars 2015, aff. T-175/12 N° Lexbase : A9243NCC), de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l'appui de ses allégations (CJUE 10 juillet 2008, aff., C-413/06 P, point 61 [LXB= A5468D9E]).

Or, l'analyse économétrique, utilisée par la Commission dans sa décision du 30 janvier 2013, reposait sur un modèle différent de celui ayant fait l'objet d'un débat contradictoire durant la procédure administrative. En effet, la Commission a apporté des modifications non négligeables aux analyses préalablement discutées avec UPS. Compte tenu de ces modifications, la Commission avait l'obligation de communiquer à UPS le modèle final de l'analyse économétrique avant l'adoption de la décision attaquée. En s'abstenant de le faire, la Commission a méconnu les droits de la défense d'UPS, en la privant de la possibilité de discuter de l'application des variables distinctes aux différents stades qui composent l'analyse économétrique.

Le Tribunal s'interroge ensuite sur la pertinence de l'argument de la Commission européenne, selon lequel, à défaut d'irrégularité procédurale, la décision attaquée aurait eu un contenu différent. Autrement dit, l'absence de communication de la version finale de l'étude économétrique a-t-elle modifié la conclusion à laquelle la Commission européenne aurait abouti, à savoir l'interdiction de la fusion ? Le Tribunal refuse de se placer sur ce terrain et estime que la question pertinente est plutôt celle de savoir si UPS "aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense" (voir en ce sens, CJUE du 25 octobre 2011, C-109/10 P, point 57 N° Lexbase : A8914HYS). En l'espèce, le Tribunal estime que UPS "a été en mesure, pendant la procédure administrative, d'influer de manière significative sur l'élaboration du modèle économétrique proposé par la Commission, dans la mesure où elle a soulevé des problèmes techniques auxquels elle a apporté des solutions, ainsi que le reconnaît expressément la Commission" (point 214). Tout en reconnaissant le contexte particulier de la procédure de notification des concentrations, qui requiert célérité, le Tribunal constate, en l'espèce, que l'analyse économétrique litigieuse était finalisée deux mois avant la décision du 30 janvier 2013 et qu'elle aurait dû, à tout le moins dans ses éléments essentiels, être communiquée à UPS (point 220)

Cette décision s'inscrit dans la lignée des décisions de la juridiction européenne en matière de respect des droits de la défense. On peut notamment penser à la décision de la Cour du 10 mars 2016 (CJUE, 10 mars 2016, aff. C-247/14 P N° Lexbase : A5454QYN), par laquelle a été annulée la décision de la Commission européenne portant sur des demandes de renseignement dans le cadre d'une enquête sur une possible entente internationale entre cimentiers, considérée comme excessivement vague (cf. nos obs., in Chron., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 460 N° Lexbase : N2051BWU).

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