Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2017, n° 15-23.341, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A4924S47)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 26 Janvier 2017
Résumé
Une prime de panier et une indemnité de transport ayant pour objet, pour la première, de compenser le surcoût du repas consécutif à un travail posté, de nuit ou selon des horaires atypiques, pour la seconde, d'indemniser les frais de déplacement du salarié de son domicile à son lieu de travail, constituent, nonobstant leur caractère forfaitaire et le fait que leur versement ne soit soumis à la production d'aucun justificatif, un remboursement de frais et non un complément de salaire. |
Commentaire
I - Le changement de qualification des primes de panier et indemnités de déplacement
Assiette de calcul des indemnités versées au salarié absent. L'article L. 3141-22 du Code du travail (N° Lexbase : L3940IBK), devenu l'article L. 3141-24 (N° Lexbase : L6925K9D) après la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C), détaille les sommes qui constituent l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés d'un salarié. L'indemnité doit être calculée à partir de la rémunération brute totale versée au salarié au cours de la période de référence, celle-ci incluant la précédente indemnité de congés payés et les contreparties financières versées en contrepartie de la réalisation d'astreintes. L'ancien article L. 3141-23 (N° Lexbase : L0573H94) ajoutait que l'indemnité devait tenir compte des avantages accessoires et des prestations en nature dont le salarié ne bénéficie pas pendant la prise de congé. Ces textes ne visaient pas les remboursements de frais professionnels qui sont donc exclus de l'assiette de calcul de l'indemnité.
En cas d'absence pour maladie, l'employeur est tenu de verser au salarié une indemnité complémentaire aux indemnités journalières de Sécurité sociale (1). Les articles D. 1226-1 (N° Lexbase : L2569IAE) et suivants du Code du travail précisent les modalités de calcul de cette indemnité assise sur la rémunération brute que le salarié aurait perçue s'il avait continué à travailler. Là encore, les remboursements de frais professionnels n'étant pas constitutifs d'une rémunération, ils ne doivent pas être pris en compte dans le calcul de l'indemnité. Des stipulations conventionnelles améliorent, parfois, le mode de calcul légal, comme cela est le cas de l'article 7 de l'accord national du 10 juillet 1970, sur la mensualisation du personnel ouvrier, conclu dans la branche de la métallurgie. Ce texte s'intéresse, lui aussi, à l'assiette de calcul de l'indemnité en stipulant que "la rémunération à prendre en considération est celle correspondant à l'horaire pratiqué, pendant son absence, dans l'établissement ou partie d'établissement", sans évoquer le sort des remboursements de frais professionnels.
Par principe, les remboursements de frais professionnels semblent donc exclus de l'assiette de calcul de ces indemnités, mais encore faut-il s'entendre sur les caractères de ce type de sommes.
Définition des frais professionnels. Les textes du Code du travail ne font que rarement référence aux frais professionnels.
Les articles L. 3261-1 (N° Lexbase : L1023H9R) et suivants évoquent la prise en charge par l'employeur des frais de transport du salarié de sa résidence habituelle au lieu de travail. Les sommes versées à titre de remboursement de frais sont expressément exclues de l'assiette de calcul du SMIC par l'article D. 3231-6 (N° Lexbase : L9056H9B) du Code du travail.
Le droit de la Sécurité sociale est plus disert et l'on trouve, en particulier, des éléments de définition dans un arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale (N° Lexbase : L0307A9A), qui dispose que "les frais professionnels s'entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions". L'article 2 de ce texte précise que les remboursements de frais professionnels peuvent prendre la forme de remboursements par l'employeur "des dépenses réellement engagées par le travailleur" ou d'une allocation forfaitaire, "sous réserve de l'utilisation effective de ces allocations forfaitaires conformément à leur objet". Il convient donc que des frais aient véritablement été engagés par le salarié pour que l'allocation forfaitaire soit exclue de l'assiette des cotisations. Dans le cas contraire, les sommes versées sont qualifiées de complément de salaire (2).
Davantage que la forme des sommes versées, forfaitaires ou non, c'est donc l'objet des dépenses engagées par le salarié qui serait déterminant de leur qualification de frais professionnels (3). Lorsque ces sommes répondent à des charges spéciales inhérentes aux fonctions ou à l'emploi du salarié, qu'il supporte en raison de la réalisation de ses missions, de son travail, elles sont alors qualifiées de remboursements de frais professionnels.
Zone grise : les indemnités compensant une sujétion particulière. Entre les rémunérations, seules prises en compte pour le calcul de l'indemnité de congés payés dans l'assiette des cotisations, et les frais professionnels qui en sont exclus, est peu à peu apparue une troisième catégorie de sommes que la Cour de cassation qualifie d'indemnités compensant une sujétion particulière subie par le salarié.
Cette qualification a notamment donné lieu à débat s'agissant du versement aux salariés d'une prime de panier. Lorsque cette prime venaient compenser des sommes véritablement engagées par le salarié, elle revêtait la qualification de remboursement de frais professionnel malgré son caractère forfaitaire. En revanche, si la somme ne correspond pas à de véritables débours du salarié, l'indemnité de repas compense une sujétion particulière et constitue alors un complément de salaire (4). Tel est le cas, par exemple, d'une prime de panier servie aux salariés en raison de leurs horaires continus et non de sommes réellement engagées (5).
Plus étonnant, la Chambre sociale de la Cour de cassation tenait parfois compte du caractère forfaitaire des sommes versées pour leur refuser la qualification de remboursement de frais professionnels. Elle jugeait, par exemple, en 2012, que la prime de panier, fixée de manière forfaitaire, compense une sujétion particulière de l'emploi, de sorte qu'elle ne correspond pas à un remboursement de frais mais constitue un complément de salaire (6).
L'affaire. En application de stipulations conventionnelles, les salariés d'une entreprise du secteur de la métallurgie percevaient une prime de panier de jour, une prime de panier de nuit et une indemnité de transport. La Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT saisit le tribunal de grande instance afin qu'il enjoigne l'employeur d'inclure ces primes et indemnités dans l'assiette de calcul de l'indemnité de maintien de salaire en cas de maladie, prévue par l'article 7 de l'accord du 10 juillet 1970, et de l'indemnité de congés payés.
Les juges d'appel font droit à la demande du syndicat en jugeant que les salariés travaillaient selon des horaires atypiques, de manière postée ou la nuit, que ces primes avaient un caractère forfaitaire et étaient versées sans que les salariés n'aient à produire de justificatifs de leurs dépenses, si bien qu'il s'agissait de sommes octroyées en considérations de sujétions liées à l'organisation du travail et qu'elles constituaient un complément de salaire.
Par un arrêt rendu le 11 janvier 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article L. 3141-22 du Code du travail (7) et de l'article 7 de l'accord national sur la mensualisation du 10 juillet 1970. La Chambre sociale juge qu'"une prime de panier et une indemnité de transport ayant pour objet, pour la première, de compenser le surcoût du repas consécutif à un travail posté, de nuit ou selon des horaires atypiques, pour la seconde d'indemniser les frais de déplacement du salarié de son domicile à son lieu de travail, constituent, nonobstant leur caractère forfaitaire et le fait que leur versement ne soit soumis à la production d'aucun justificatif, un remboursement de frais et non un complément de salaire".
II - Les critères de qualification de la prime de panier et de l'indemnité de déplacement
Le refoulement du caractère forfaitaire. Contrairement à la position adoptée en 2012, la Chambre sociale réfute donc l'argument tiré du caractère forfaitaire de ces primes et indemnités pour déterminer si les sommes versées constituent des frais professionnels ou des compléments de salaire. Cette position nous semble justifiée.
En effet, l'arrêté du 20 décembre 2002, précédemment évoqué, précise, très clairement, que des sommes peuvent être qualifiées de remboursements de frais professionnels nonobstant leur caractère forfaitaire. Quoiqu'il ne soit nullement visé ou invoqué par la Chambre sociale et que l'affaire ne porte clairement pas sur un litige relatif aux cotisations de Sécurité sociale, il s'agit de l'un des rares textes précisant la définition des frais professionnels. Quoique distinctes, les notions de rémunération en droit du travail et en droit de la Sécurité sociale demeurent proches, et l'on peut donc admettre que le caractère forfaitaire soit, en principe, indifférent pour l'un comme pour l'autre.
Si l'on continue de suivre ce texte, le caractère forfaitaire ne fait pas obstacle à la qualification de frais professionnels, à condition d'une "utilisation effective de ces allocations forfaitaires conformément à leur objet". Ici, à première vue, le raisonnement de la Chambre sociale pourrait être critiqué puisqu'elle juge indifférent le fait que les sommes soient versées sans être soumises à la production d'aucun justificatif. Une réponse peut, toutefois, être à nouveau trouvée dans le texte de l'arrêté dont les articles 3 et suivants présument de l'utilisation conforme à leur objet de différents types d'indemnités forfaitaires (repas, déplacement, etc.), à condition que le montant de ces plafonds n'excède pas certains montants. L'existence d'une justification des dépenses engagées n'est donc pas toujours nécessaire, mais la cour de renvoi pourrait vérifier que les montants fixés par l'arrêté n'ont pas été dépassés car, dans le cas contraire, une justification pourrait être nécessaire.
La référence à l'objet des sommes versées. Puisque le caractère forfaitaire est, en principe, sans importance sur la qualification de frais professionnels, c'est à un autre critère que la Chambre sociale choisit de s'intéresser, celui tiré de l'objet des sommes versées.
La prime de repas a, aux yeux de la Chambre sociale, pour objet "de compenser le surcoût du repas consécutif à un travail posté, de nuit ou selon des horaires atypiques", tandis que l'indemnité de déplacement indemnise "les frais de déplacement du salarié de son domicile à son lieu de travail". Les finalités de ces sommes permettraient, ainsi, de les qualifier de remboursements de frais professionnels.
Ce raisonnement est-il conforme aux termes de l'article 1er de l'arrêté qui dispose que, sont des frais professionnels les "charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions" ? L'argument convainc pour les primes de repas puisque le travail posté, de nuit ou selon des horaires atypiques, peut imposer au salarié des frais de repas qu'il n'aurait pas engagé s'il avait travaillé selon des horaires plus classiques, s'il avait pu déjeuner chez lui ou dans le restaurant de l'entreprise, par exemple.
L'argument est, sans autre précision, plus discutable s'agissant des frais de déplacement du salarié de son domicile à son lieu de travail. Les frais de déplacement pour se rendre à son travail sont-ils des charges de caractère spécial ? On peut l'entendre lorsqu'il s'agit de déplacement occasionnellement ou exceptionnellement longs, mais faut-il retenir cette conception de frais de déplacement "normaux", depuis le lieu de résidence au lieu de travail habituels ?
Considérer que l'indemnité de déplacement versée de manière forfaitaire, sans circonstance de distance ou de durée particulière, soit toujours qualifiée de remboursement de frais professionnels pourrait, par ailleurs, avoir un effet pervers. Faudra-t-il considérer, à l'avenir, que les sommes engagées par le salarié pour son trajet domicile-travail sont des frais professionnels et que, en vertu du principe selon lequel les frais professionnels ne peuvent être mis à la charge du salarié, l'employeur devra l'indemniser de ces frais (8) ?
La question est déjà, en partie, réglée par le Code du travail qui impose à l'employeur de prendre en charge une partie des frais de transport public (9) et lui donne la possibilité de prendre en charge une partie des dépenses liées à l'utilisation d'un vélo ou des frais de carburant du salarié (10). On doute, toutefois, que la Chambre sociale entende généraliser le principe de la prise en charge de tous frais de déplacement du salarié de son domicile au travail puisque le législateur ne pose pas ce principe de manière générale (11). La solution consistant à considérer qu'une indemnité de déplacement "indemnisant les salariés des frais de déplacement entre leur domicile et leur lieu de travail" constitue des frais professionnels pourrait alors entrer en contradiction avec l'absence de prise en charge, par principe, des déplacements au titre des frais professionnels.
(1) C. trav., art. L. 1226-1 (N° Lexbase : L8858KUM).
(2) Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 04-44.103, FS-P+B (N° Lexbase : A6296DEW) et les obs. de Ch. Radé, Lexbase, éd. soc., n° 149, 2005 (N° Lexbase : N4188ABQ).
(3) G. Vachet, La notion de frais professionnels au regard du droit social, JCP éd. S, 2011, 1129.
(4) V. Cass. soc., 1er avril 1992, deux arrêts, n° 88-40.108 (N° Lexbase : A4394ABD) et n° 88-42.067 (N° Lexbase : A1883ABD).
(5) Cass. soc., 6 février 1992, n° 90-10.540 (N° Lexbase : A2107AG7).
(6) Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 10-21.397, FS-D (N° Lexbase : A5046IX8) ; JCP éd. S, 2013, 1056, note G. Vachet.
(7) Même si la Chambre sociale ne le précise pas, il semble qu'il faille lire ce texte dans sa rédaction antérieure à l'adoption de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C).
(8) "Il est de principe que les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés", Cass. soc., 25 février 1998, n° 95-44.096 (N° Lexbase : A5375AC3) ; Cass. soc., 9 janvier 2001, n° 98-44.833, publié (N° Lexbase : A2029AIY), Dr. soc., 2001, p. 441, obs. J. Mouly ; RTD civ., 2001, p. 699, obs. N. Molfessis.
(9) C. trav., art. L. 3261-1 (N° Lexbase : L1023H9R).
(10) C. trav., art. L. 3261-3 (N° Lexbase : L7787IMD) et L. 3261-3-1 (N° Lexbase : L3808KWX).
(11) V., par ex., Cass. soc., 25 juin 2007, n° 06-41.006, F-D (N° Lexbase : A9506DWY) et les obs. de G. Auzero, Lexbase, éd. soc., n° 268, 2007 (N° Lexbase : N7860BBQ).
Décision
Cass. soc., 11 janvier 2017, n° 15-23.341, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A4924S47). Cassation (CA Paris, 28 mai 2015, Pôle 6, 2ème ch., n° 13/07973 N° Lexbase : A3796NKS). Textes visés : C. trav., art. L. 3141-22 (N° Lexbase : L6927K9G) ; accord national sur la mensualisation du 10 juillet 1970, art. 7. Mots-clés : indemnité de congés payés ; indemnité maladie ; frais professionnels. Liens base : (N° Lexbase : E0809ET7) et . |
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