Réf. : Cass. civ. 3, 27 octobre 2016, n° 15-25.143, FS-P+B (N° Lexbase : A3209SCT) ; Cass. crim., 27 septembre 2016, n° 15-83.309, FS-P+B (N° Lexbase : A7226R4E) et Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 15-24.524, F-P+B (N° Lexbase : A7050R4U)
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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
le 24 Novembre 2016
Au demeurant, la présente décision rend une solution classique désormais bien admise relative à la direction de procès (1). La loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 a créé l'article L. 113-17 du Code des assurances (N° Lexbase : L0074AAY) afin de faire produire, sur le contrat d'assurance, un effet à la prise en charge par l'assureur du procès de son assuré (2). Comme l'avait antérieurement consacré la jurisprudence, il s'agit d'un effet de renonciation. L'assureur renonce à se prévaloir des exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès. A lire ce texte, il ne semble pas y avoir de limites aux exceptions que l'assuré pourrait invoquer et qui sont concernées par cet effet de renonciation. Cependant, la jurisprudence rendue en application de ce texte est venue lui donner un domaine plus restreint. Elle a, par ailleurs, indiqué les conditions dans lesquelles l'effet de renonciation joue. La présente espèce, par les particularités, qu'elle présente, permet d'illustrer la façon dont s'applique ce texte dans les différents aspects évoqués.
Une entreprise se voit confier des travaux d'étanchéité sur un chantier de rénovation. Elle est garantie pour la responsabilité décennale qu'elle est susceptible d'engager. A l'occasion de désordres, un contentieux s'engage entre les parties et leurs assureurs. Ce contentieux donnera lieu à plusieurs décisions de justice. Une en particulier a, pour la question qui nous intéresse, une certaine importance : une cour d'appel constate que les travaux litigieux n'ont pas fait l'objet d'un procès-verbal de réception. Il n'y a pas de réception tacite. La responsabilité de l'entrepreneur ne peut être recherchée que sur un fondement contractuel. L'assureur considère que dans la mesure où il ne couvre que la responsabilité décennale de son assuré, sa garantie n'est pas due. L'assuré a évidemment une vision différente des choses. Il estime que, l'assureur ayant pendant un temps au moins assuré la direction du procès, il a renoncé à se prévaloir de l'exception liée à la nature de la responsabilité susceptible d'être engagée.
La question posée en matière de direction de procès pourrait ici recevoir une réponse simple. En matière d'assurance de responsabilité, la nature de la responsabilité couverte relève de la nature des risques souscrits. Or, la jurisprudence a eu l'occasion de préciser que l'effet de renonciation ne s'étend pas à la nature des risques souscrits ni le montant de ceux-ci. La solution relève du bon sens. La règle posée par l'article L. 113-17 part de l'idée que l'assureur prend en charge les intérêts de son assuré dans la procédure parce qu'il estime devoir sa garantie au fond. Il n'a certainement pas consenti à donner sa garantie dans des conditions différentes de celles prévues au contrat notamment par la délimitation des risques garantis et les montants. La règle n'a donc pas vocation à s'appliquer. Dans notre espèce, aucune autre considération ne devrait entrer en ligne de compte pour écarter l'effet de renonciation. Pourtant, les juges du fond prennent soin de souligner le comportement cohérent de l'assureur, ce qui revient à prendre en compte les conditions du jeu de l'effet de renonciation, plus son domaine. Cela peut s'expliquer par le fait que la jurisprudence n'a pas toujours été très claire sur ce qu'il fallait entendre par "nature des risque souscrits" et notamment en matière de construction (3). Elle semble cependant s'être stabilisée (4) et la présente décision en est une illustration de plus.
On peut dès lors comprendre que les juges du fond aient, par ailleurs, motivé leur décision rejetant l'effet de renonciation sur des éléments relevant de la mise en oeuvre de la règle de l'article L. 113-17. La décision permet d'insister sur une exigence : l'exception doit être connue de l'assureur (5). Or, dans notre espèce, alors que l'assureur pensait avoir affaire à des désordres de nature décennale, une décision de justice leur dénie ce caractère. Ce n'est donc qu'à partir de ce moment que l'effet de renonciation peut jouer, car avant l'exception n'est pas connue. L'assuré n'arrivera pas à démontrer que le comportement de l'assureur, après la découverte de cette exception, peut s'analyser en prise de direction de procès. On le voit, pour ces différentes raisons, l'effet de renonciation n'a pu jouer.
La règle de l'article L. 113-17 a une application plus complexe que ne le laisse supposer sa rédaction.
II - Assurance des véhicules terrestres à moteur
On l'aura compris, les deux décisions sont rapprochées en raison des rappels à l'ordre auxquels elles procèdent en matière d'indemnisation des dommages dus à des accidents de la circulation. Plus particulièrement, les sanctions venant frapper l'assureur qui n'a pas respecté la procédure d'indemnisation. Deux sanctions sont susceptibles de s'appliquer selon que l'assureur a fait une offre tardive (C. assur., art. L. 211-13 N° Lexbase : L0274AAE), ou manifestement insuffisante (C. assur., art. L. 211-14 N° Lexbase : L0275AAG), ou encore les deux si le juge estime que l'offre ne présente pas les caractères requis par la loi. L'appréciation est souveraine, ce que vient rappeler la décision du 27 septembre 2016.
Les deux décisions se concentrent sur la question de la sanction de l'offre tardive. A cet égard, l'article L. 211-13 du Code des assurances précise : "Lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9 (N° Lexbase : L6229DIK), le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur". Selon les caractères retenus de l'offre faite par l'assureur (si elle existe), le juge fait peser les intérêts sur les sommes qu'il alloue ou sur le montant offert par l'assureur. Mais dans ce cas, il ne doit pas se tromper sur le terme de la période d'indemnisation (qui est une période antérieure). Le point de départ de cette période est la fin du délai imparti pour faire l'offre, mais son terme dépend des sommes prises en compte. Si ce sont les sommes allouées par le juge, il s'agit de la date de la décision définitive. Si ce sont les sommes proposées par l'assureur, la période d'indemnisation a pour terme la date de l'offre. Ce que critique l'arrêt du 29 septembre 2016 est le mélange des critères d'indemnisation par les juges du fond qui avaient fait courir la période d'indemnisation jusqu'à l'offre faite par l'assureur pour les sommes allouées par le juge (6).
L'arrêt du 27 septembre 2016 intervient sur la question de l'assiette de la pénalité pour rappeler des principes bien établis en jurisprudence. Le doublement du taux de l'intérêt légal s'applique à l'ensemble des sommes considérées. Il n'est pas question d'en déduire les débours des tiers-payeurs ou les sommes versées par l'assureur à titre de provision. En l'occurrence, la décision des juges du fond est cassée pour avoir déduit les provisions. Ces solutions font l'objet de rappels réguliers (7).
Indépendamment de la procédure d'indemnisation, l'arrêt du 27 septembre 2016 nous semble devoir être signalé pour deux autres raisons. Elles tiennent toutes deux aux préjudices indemnisés. En premier lieu, l'arrêt se prononce sur la question de l'indemnisation du préjudice d'angoisse de mort imminente. Ce préjudice est celui ressenti par la victime qui est consciente de vivre ses derniers instants. Il intègre le poste des souffrances endurées. La jurisprudence a mis un certain temps à admettre l'indemnisation de ce préjudice sollicitée au titre de l'action successorale (8). Il a fallu poser la distinction entre ce préjudice et la perte de chance de survie. Il a fallu encore poser les conditions de cette indemnisation, en particulier, une conscience suffisante des événements. C'est ce que vient rappeler notre décision. En ce sens, elle est à rapprocher d'une décision rendue le même jour dans laquelle la Cour de cassation estime que les juges du fond ont pu, dans leur pouvoir souverain d'appréciation, retenir l'existence de ce préjudice (9).
En second lieu, la décision nous intéresse car elle vient rappeler, sur le fondement des articles 16-3 (N° Lexbase : L6862GTC) et 1382 du Code civil (cf. désormais 1240 N° Lexbase : L0950KZ9, le principe selon lequel "le refus d'une personne, victime du préjudice résultant d'un accident dont un conducteur a été reconnu responsable, de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de l'infraction". En l'occurrence, ce refus ne vient pas contribuer au préjudice universitaire ressenti par la victime par ricochet qui doit être indemnisée en totalité à ce titre. Il s'agit de l'expression de l'idée selon laquelle la victime n'a pas l'obligation de diminuer son préjudice. La jurisprudence a déjà l'occasion de la consacrer (10). On notera que les circonstances de l'espèce (des soins dans le cadre d'un dommage corporel) formeront peut-être à l'avenir le domaine de ce principe.
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