La lettre juridique n°677 du 24 novembre 2016 : Éditorial

Que dire de la loi pour la Justice du XXIème siècle...

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par Jean-Paul Lévy, Avocat à la Cour, ancien membre du conseil de l'Ordre, ancien membre du CNB

le 27 Novembre 2016


Avec un budget de 8 milliards d'euros en 2017 représentant 0,22 % du PIB français et 2,7 % du budget de l'Etat, la Justice fait cependant toujours figure de parent pauvre vis-à-vis des autres départements ministériels ou de l'Europe, dont le classement CEPEJ nous place au 37ème rang sur les 43 pays du Conseil de l'Europe ou 23ème sur les 28 états membres de l'Union européenne.

Le rapport du CEPEJ dénombre pour la période 2012-2014 en France 62 07 avocats soit 94 avocats pour 100 000 habitants alors que la moyenne s'établit en Europe à 142 et que le chiffre médian est de 110 : nous nous situons, là encore, dans la fourchette basse.

Pour mémoire, on indiquera qu'il y a en France un magistrat pour 100 000 habitants...

Il en est de même pour le financement de l'aide juridictionnelle et de l'aide juridique, la France consacre 8,1 % du budget de la Justice à ces deux missions soit 5,49 euros par habitant là où les Irlandais mobilisent 36 % de leur budget justice, les Norvégiens 44 %, les Suédois 24 %et le Royaume Uni entre 31 et 51 % selon les régions considérées.

Que faut-il donc attendre dans une telle situation de pénurie de la loi pour la Justice du XXIème siècle ?

Le projet, incarnation de la grande pensée du règne de l'ancienne Garde des Sceaux, avait été précédé d'une longue concertation. Il aura abouti, après le départ du Gouvernement de son initiatrice, à une cote mal taillée, en un texte à l'initiative de son successeur qui contient essentiellement des mesures destinées à soulager le juge des tâches indues : traduire faire disparaître le juge de la Justice, le judiciaire étant réputé chronophage et budgétivore au profit de circuits de dérivations vers, comme l'on dit pudiquement, d'autres "modes de résolution des conflits".

Expression de la doctrine des "law and economics" qui, inspirée par Milton Friedman et ses épigones de l'école de Chicago, analyse et jauge l'efficacité de toute institution juridique à l'aune de ses coûts et de son efficacité économique. Elle nous a déjà valu la création du "plaider coupable", cette fois ci, il s'agit d'administrer la pénurie et le dénuement qu' a eu le courage de reconnaître le nouveau ministre puisque, dès sa prise de fonctions, il déclarait que la justice était "au bord du gouffre", "en état d'urgence absolue", et "en voie de clochardisation".

Certes le Garde des Sceaux peut revendiquer un effort financier important puisqu'il a provoqué le dégel de la réserve de précaution de 107 millions d'euros, dès le mois de mai 2016, puis bataillé dans les arbitrages budgétaires avec succès pour un demi-milliard d'euros qui iront aux juridictions dans le projet de loi de finances ; mais pour autant faut-il qu'il se décerne un satisfecit, comme il l'a fait devant le dernier congrès de l'Union nationale des magistrats, sur le "mouvement de simplification des procédures introduit dans J21, tout en recentrant l'institution judiciaire sur sa mission essentielle", alors qu'il ne s'agit que de priver, une fois encore, un peu plus le justiciable de la présence du juge ?

Qu'on en juge plutôt.

Le juge disparaît du divorce par consentement mutuel, il est remplacé par le notaire qui est un officier public, dont l'intervention pour homologuer l'accord des parties sera payante.

Bien sûr, il conviendra que les conventions soient rédigées par deux avocats représentants chacun les intérêts de chacun des ex-futurs époux. Mais, alors que la loi a créé l'acte d'avocat, pourquoi confier au notaire le soin de donner force exécutoire à la convention de divorce, renchérissant le coût de la procédure et introduisant un officier public, dont le rôle est essentiellement celui d'un percepteur d'impôt, et dont l'intervention n'apportera aucune plus-value ni aucune garantie ?

Le juge est encore gommé de certains contentieux du droit pénal routier au profit d'un système d'amendes automatiques, au mépris du principe d'individualisation des peines. Traitement du contentieux de masse nous répondra-t-on, pour mieux recentrer les magistrats sur leurs missions...

Plaisante explication, alors qu'au même moment l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction, réforme votée par le Parlement à l'unanimité en 2006, sera repoussée jusqu'au 1er janvier 2017 et bien plus cette collégialité ne sera appliquée que dans des cas très limités, là encore la pénurie, le manque de moyens priveront le justiciable de son juge et l'avocat de son interlocuteur naturel, le magistrat.

Que penser de la loi sur la Justice du XXIème siècle, qui ne consacre que bien peu de place à la question difficile de l'aide juridictionnelle, alors que les avocats sont les partenaires d'un Etat désengagé dans ce secteur ? Sur les 8 milliards d'euros prévus au budget 2017, l'aide juridictionnelle n'est financée qu'à hauteur de 400 millions d'euros et l'on a pu imaginer, sans susciter de grandes interrogations, que l'on puisse demander à la profession d'avocat d'en payer le coût au moyen d'une taxe prélevée sur son activité. Ce monstrueux projet a, fort heureusement, été bloqué mais pour combien de temps encore.

En matière d'actions de groupe, le texte de la loi Justice pour le XXIème siècle, s'il ouvre ces procédures aux victimes de discriminations, ne constitue pas vraiment l'élargissement attendu, notamment en matière financière, là encore la class action attendra, encore une occasion perdue.

Si l'on ne peut que se féliciter de la suppression de tribunaux correctionnels pour mineurs et du regroupement des contentieux de la Sécurité sociale en un pôle unique au tribunal de grande instance, il est très regrettable que les procédures de surendettement soient, de jure, déjudiciarisées.

Plus encore, une conciliation gratuite préalable sera systématiquement tentée pour les litiges de moins de 4 000 euros. Des expérimentations de médiation préalable obligatoire en matière familiale (ex. : fixation de pensions alimentaires pour les couples non mariés séparés) et devant le juge administratif (ex. : certains contentieux intéressants la fonction publique) seront mises en place.

Sans doute les plus pauvres et les plus exposés n'ont-ils plus droit à l'attention et à la présence du juge, singulière régression au regard de la citation des Institutes "justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi", qu'on a coutume de traduire par la formule "la justice est la volonté constante et perpétuelle de rendre à chacun ce qui lui est dû".

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