Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 21 octobre 2016, n° 391208, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6657R9G)
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par Edouard Crépey, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 24 Novembre 2016
Devant la cour en effet, les requérants avaient notamment fait valoir qu'ils avaient manifesté le souhait de rester propriétaires de leurs terrains respectifs tout en participant à l'aménagement de la zone, comme le permet l'article L. 311-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1514IPR), par une convention passée avec l'aménageur. C'est un autre choix qui fut fait en l'espèce : la capacité pour l'aménageur, l'Etablissement public foncier de Lorraine (EPFL), de disposer directement de l'ensemble du foncier était, selon les explications de l'administration, de nature à rendre plus aisée la réalisation de l'opération, ce qui au demeurant pouvait se concevoir eu égard à la configuration parcellaire, caractérisée par un grand morcellement.
Toujours est-il que, pour écarter cet argument, la cour administrative d'appel de Nancy s'était fondée sur la circonstance qu'un tel voeu n'avait été exprimé par les intéressés que postérieurement à l'arrêté de déclaration d'utilité publique du 11 juillet 2007, dont par suite il n'était pas susceptible d'affecter la légalité. Or, il ressortait des pièces du dossier que les requérants avaient fait valoir avant l'intervention de l'arrêté litigieux, dans le cadre de l'enquête publique, comme l'attestaient par exemple une lettre de M. X au commissaire enquêteur du 5 février 2007 et l'observation n° 22 du registre d'enquête ; c'est du reste pour ce motif que le commissaire enquêteur avait repris la remarque sous forme de réserve dans son propre rapport du 5 avril 2007.
Or, contrairement à ce qui était soutenu en défense, le moyen n'était pas inopérant. Comme vous l'avez récemment rappelé, en effet, il y a lieu pour le juge de s'assurer, au titre du contrôle de la nécessité de l'expropriation, soit en amont même de l'appréciation du bilan, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation (CE, 19 octobre 2012, n° 343070 N° Lexbase : A7055IUT, T. pp. 800-801, concl. S. von Coester, BJCL, n° 12/2012 p. 865 ; voyez plus anciennement, se situant en aval, CE, 16 avril 1980, n° 11631 N° Lexbase : A6387AIE, T. p. 757). Et si, par ailleurs, les écritures d'appel n'étaient, à la vérité, pas d'une parfaite clarté quant à la finalité de leur démonstration, il était impossible, comme vous le suggère pourtant l'EPFL, de ne pas y voir invoqué le moyen en cause.
Reprenant l'affaire après cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a de nouveau rejeté les requêtes d'appel ; les consorts X, cette fois seuls, vous saisissent d'un second pourvoi en cassation sur les mérites duquel il vous appartient de vous prononcer maintenant.
Il est soutenu en premier lieu que c'est au prix d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit que la cour a cru pouvoir procéder par adoption des motifs retenus par les premiers juges s'agissant de l'arrêté de cessibilité, en ne répondant spécifiquement que sur le moyen tiré du défaut de notification, alors qu'il était en outre nouvellement soutenu en appel que l'état parcellaire comprenait des biens qui appartenaient déjà à l'EPFL expropriant.
Or, d'une part, il est exact que le moyen était soulevé, qu'il l'était pour la première fois, et qu'il n'y a pas été apporté de réponse par le tribunal administratif, ni davantage donc par la cour, qui ne se sont prononcés que sur les erreurs matérielles qui, selon les requérants, entachaient l'état parcellaire annexé à l'arrêté, sur son incomplétude et sur l'impossibilité qu'il y aurait eu, eu égard aux termes de la délibération créant la ZAC, à y faire figurer des terrains bâtis. D'autre part, ce moyen n'était pas inopérant. Il est expressément jugé en effet, par une décision certes non fichée, que l'autorité administrative ne peut légalement prononcer la cessibilité d'un bien dont l'administration bénéficiaire de l'expropriation est déjà propriétaire (CE, 10 juillet 2006, n° 264229, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6456DQ8).
Il y avait donc lieu pour la cour de répondre et, faute qu'elle l'ait fait, son arrêt doit être annulé pour ce motif, dans la mesure seulement, bien sûr, où il statue sur l'arrêté de cessibilité. En bonne rigueur, il faut même, à notre sens, procéder de manière plus fine encore en ne l'annulant qu'en tant qu'il concerne l'arrêté de cessibilité en tant qu'il concerne les parcelles présentées par les requérants comme étant déjà la propriété de l'EPFL. Bien que vous ne l'ayez jamais jugé de manière aussi explicite à notre connaissance, les arrêtés de cessibilité sont divisibles selon les parcelles qu'ils visent distinctement, de sorte que l'insuffisance de motivation ne vicie pas la totalité de l'arrêt sur ce point.
Réglant dans cette mesure l'affaire au fond, vous devrez toutefois constater qu'ainsi que le soutient l'EPFL en défense, les requérants ne justifient pas d'un intérêt qui leur donnerait qualité pour contester l'arrêté de cessibilité en tant que celui-ci s'applique à des parcelles dont ils ne sont pas propriétaires ni avec lequel ils n'invoquent même aucun lien de quelque nature qu'il soit. En outre, le moyen spécifiquement invoqué en l'espèce ne caractérise pas davantage un tel intérêt. A supposer que puisse faire grief, in abstracto, une erreur, dans l'arrêté, quant à la détermination du propriétaire d'un terrain qui se révèlerait déjà appartenir à l'expropriant, ce ne peut guère être qu'à l'encontre de l'expropriant lui-même : le raisonnement sous-jacent à votre décision "M. et Mme Lencou-Barême" de 2006 (CE 6° s-s., 10 juillet 2006, n° 264229 N° Lexbase : A6456DQ8) qui y voit un motif d'illégalité tient probablement au risque, pour l'expropriant, que l'arrêté entaché de cette erreur serve de support au prononcé d'indemnisations infondées ou excessives devant le juge de l'expropriation. Mais s'agissant de propriétaires d'autres terrains, on voit décidément mal, du moins en l'absence de circonstances particulières, en quoi l'erreur alléguée peut être de nature à leur préjudicier. C'est en ce sens que nous vous invitons à répondre en appel, ce qui suffira à vider cette partie du litige.
Nous nous permettons de vous faire observer que cette solution, que nous croyons profondément logique, n'est pas anodine. L'honnêteté oblige même à vous dire qu'elle miroite avec certains précédents jurisprudentiels, tels celui qui vous a vus accorder à un propriétaire l'annulation pour le tout d'un arrêté de cessibilité auquel vous aviez reproché de concerner une superficie excédant celle nécessaire à la réalisation de l'ouvrage déclaré d'utilité publique (CE, 23 juin 1995, n° 105855 N° Lexbase : A4337ANX, T. p. 844) ; la pratique dominante semble bien être d'annuler totalement un arrêté de cessibilité entaché d'un vice global tel que le défaut d'utilité publique de l'opération, même lorsqu'il n'est attaqué que par l'un des propriétaires concernés. D'autres précédents toutefois affirment froidement qu'un requérant n'est recevable à attaquer un arrêté de cessibilité qu'en tant qu'il concerne les biens qui lui appartiennent (voyez ainsi CE, 22 juillet 1994, n° 89570 N° Lexbase : A1882ASI, T. pp. 983-986, fiché sur un autre point) et votre décision fera oeuvre clarificatrice en réaffirmant cette ligne jurisprudentielle.
Pour le reste, vous devrez, selon nous, écarter tous les autres moyens de cassation.
M. et Mme X tentent la même démonstration que précédemment mais à propos d'un autre moyen, en soutenant, en ce qui concerne toujours l'arrêté de cessibilité, que la cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit en procédant par adoption des motifs des premiers juges alors qu'était distinctement soulevé un moyen tiré de ce que l'arrêté de cessibilité n'aurait pas visé toutes les parcelles dont la cession était requise pour réaliser l'opération litigieuse. Mais cette tentative s'arrêtera cette fois avant même la cassation, les motifs du jugement du tribunal administratif de Strasbourg, et donc de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, comportant une réponse consistant à relever que les requérants n'établissaient pas, ni même n'alléguaient, que les voies en cause n'appartiendraient pas déjà à la collectivité expropriante, de sorte selon les juges du fond qu'il n'y avait pas lieu, comme on vient d'ailleurs de le voir, de les faire figurer dans l'arrêté de cessibilité. Cette réponse nous paraît orthodoxe et nous ajouterons pour faire reste de droit qu'à notre sens et même si une décision non fichée paraît dire le contraire (CE, 23 décembre 1988, n° 69011, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0446AQL), rien n'interdirait à la collectivité expropriante de procéder en plusieurs fois pour désigner les parcelles dont elle entend poursuivre l'acquisition.
Les deux derniers moyens portent, en amont, sur la déclaration d'utilité publique.
Il est ainsi soutenu, en premier lieu, que la cour a commis une erreur de droit en omettant de rechercher si la collectivité publique aurait pu réaliser cette dernière dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation. Vous trouvez ici un écho du débat qui avait justifié la première cassation mais nous ne croyons pas cette argumentation susceptible de prospérer. Comme nous l'avons rappelé, le moyen était opérant mais c'est au prix d'une lecture biaisée de l'arrêt attaqué que les requérants parviennent à y déceler l'erreur de droit justifiant selon eux son annulation. Ils soutiennent que la cour a, en quelque sorte, pris comme une donnée s'imposant à elle le souhait de la commune de prendre l'entière maîtrise du foncier pour la conduite de l'opération. Telle n'a pourtant pas été la manière de raisonner des juges d'appel. Ceux-ci ont, en réalité, estimé ce choix justifié au regard des caractéristiques de l'opération et du découpage parcellaire, l'expropriation apparaissant nécessaire, dans ce contexte, pour assurer un aménagement global et cohérent de la zone. Il n'y a là aucune erreur de droit, l'arrêt est suffisamment motivé et la dénaturation n'est pas alléguée.
L'arrêt attaqué n'est, en second lieu, pas davantage entaché de l'erreur de droit qui lui est imputée quant au sens de l'avis du commissaire enquêteur, qu'elle a jugé favorable alors, selon les consorts X, que les réserves dont il était assorti n'ayant pas été prises en compte dans la mise en oeuvre de l'opération, il devait être regardé comme défavorable.
Il se trouve toutefois que la cour a jugé, par une appréciation d'ailleurs non arguée de dénaturation, que le commissaire-enquêteur n'avait pas entendu subordonner son avis favorable à la réalisation de conditions préalables, mais seulement émis des recommandations sur de futures mesures d'accompagnement consistant dans la restitution à certains propriétaires de parcelles viabilisées à l'issue de l'opération. Le moyen tire artificiellement argument d'une maladresse de rédaction de l'arrêt qui se réfère à la notion de réserves. Mais il n'y a pas de doutes, à bien lire son arrêt, qu'il ne s'agissait pas, dans son esprit, d'un avis favorable "sous réserve".
Par ces motifs nous concluons à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'arrêt de cessibilité en tant que celui-ci vise les parcelles présentées par les requérants comme appartenant déjà à l'expropriant, au rejet, au titre du règlement dans cette mesure de l'affaire au fond, de la requête d'appel, au rejet du surplus des conclusions de la requête et au rejet des conclusions présentées par les diverses parties au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).
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