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N3375BRG
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par Sophia Pillet, SGR - Droit social
le 03 Février 2011
Xavier Berjot : Le franc succès de la rupture conventionnelle réside dans le fait que ce dispositif a répondu à une forte demande de la part des salariés comme des employeurs.
Avant l'entrée en vigueur de la rupture conventionnelle, les salariés désireux de quitter leur entreprise ne disposaient que de la faculté de démissionner (C. trav., art. L. 1231-1 N° Lexbase : L8654IAR), sans pouvoir prétendre aux allocations d'assurance-chômage, sauf cas très particuliers (démission pour non-paiement des salaires, démission motivée par le changement de résidence du foyer, etc.). Par conséquent, certains salariés hésitaient à démissionner, bien que souhaitant quitter leur emploi, ou pouvaient être tentés d'abandonner leur poste, dans "l'espoir" de faire l'objet d'un licenciement.
Du côté de l'employeur, la rupture conventionnelle permet de mettre fin au contrat de travail sans avoir de motif à invoquer, ce qui répond à la demande des employeurs ne disposant pas d'un motif de licenciement à l'égard des salariés concernés, mais qui souhaitent néanmoins s'en séparer. En définitive, tant l'employeur que le salarié peuvent trouver leur intérêt dans la rupture conventionnelle, ce qui explique son succès. C'est d'ailleurs pour cette raison que les partenaires sociaux sont parvenus sans grande difficulté à un consensus en signant l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, ayant notamment élaboré le dispositif de la rupture conventionnelle (C. trav., art. L. 1237-11 N° Lexbase : L8512IAI à L. 1237-16).
Lexbase : L'analyse du CAS a mis en évidence, dans sa note, un certain nombre de dérives des entreprises, en s'appuyant sur les constatations des DIRECCTE, notamment pour éviter la procédure collective de licenciement pour motif économique, la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), de respecter l'obligation de reclassement... Comment y remédier selon vous ?
Xavier Berjot : Si la rupture conventionnelle a pu régler un certain nombre de situations, elle n'est pas pour autant exempte de critiques. Ainsi, certains employeurs peuvent être tentés de contourner les règles applicables au licenciement collectif pour motif économique ou mettre fin au contrat de travail des salariés seniors.
Pour remédier à ces détournements de procédure, il est théoriquement concevable que les DIRECCTE exercent un contrôle plus accru sur les demandes d'homologation présentées par les parties (le plus souvent l'employeur). Cela étant, les unités territoriales des DIRECCTE sont débordées par le grand nombre de demandes d'homologation qui leur parviennent et, le plus souvent, les ruptures conventionnelles font l'objet d'une homologation tacite, à défaut de réponse expresse de la DIRECCTE. Pour cette raison, il est en pratique difficilement envisageable de privilégier la solution d'un contrôle plus accru.
Dans ses trois propositions d'amélioration du dispositif de la rupture conventionnelle, le CAS n'a d'ailleurs pas véritablement trouvé de solution à la question du détournement de procédure. Il envisage la possibilité de prolonger le délai d'instruction en cas de "suspicion de détournement de procédure", mais cette possibilité semble entrer en contradiction avec une autre de ses propositions qui consisterait à généraliser l'homologation implicite. A mon sens, il appartient aux partenaires sociaux de l'entreprise de prendre leurs responsabilités, lorsqu'il apparaît que le dispositif de la rupture conventionnelle masque un licenciement collectif pour motif économique. Notons, tout de même, que les cas de détournement de procédure ne doivent pas faire oublier que, dans la plupart du temps, la rupture conventionnelle est utilisée à bon escient.
Lexbase : Faute de respecter la procédure applicable, l'on constate que de nombreuses demandes de ruptures conventionnelles sont déclarées irrecevables ou refusées par les DIRECCTE ou par les salariés eux-mêmes qui vont alors recourir à d'autres modes de rupture du contrat de travail (prise d'acte). Quels sont les écueils à éviter et comment s'articule la rupture conventionnelle avec les autres modes de rupture du contrat de travail ?
Xavier Berjot : La rupture conventionnelle est un dispositif assez simple, mais qui obéit à un formalisme précis (2). Certaines ruptures ne sont pas homologuées en raison de l'inobservation de ce formalisme (non-respect du délai de rétractation, délai d'instruction trop court, indemnité insuffisante, etc.). Par ailleurs, elles ne peuvent pas être utilisées dans tous les cas où le salarié bénéficie d'une protection particulière (suspension du contrat pour accident du travail, congé de maternité, etc.).
La meilleure solution, pour éviter les écueils de la rupture conventionnelle, est de parfaitement connaître ce dispositif. L'employeur ne doit donc pas hésiter à recourir à un avocat en cas de doute sur les démarches à suivre à l'occasion de la rupture conventionnelle. De même, les salariés ont intérêt à se faire assister pour que leurs droits soient préservés.
Concernant l'articulation de la rupture conventionnelle avec les autres modes de rupture du contrat de travail, il convient de rappeler que celle-ci est un mode autonome de rupture. En particulier, ce dispositif ne doit pas être utilisé à la place d'un licenciement, sous peine de risquer d'être remis en cause devant le conseil de prud'hommes. Par ailleurs, les employeurs doivent être conscients du fait que la rupture conventionnelle n'est pas une transaction et ne les protège pas contre un éventuel litige (3). A titre d'illustration, un salarié peut tout à fait former des demandes de rappel de salaires après une rupture conventionnelle.
Lexbase : Récemment, le conseil de prud'hommes de Rambouillet (4) a jugé que la conclusion d'un accord de rupture conventionnelle supposait au préalable l'absence de litige entre le salarié et l'employeur. Cette solution va à l'encontre de celle rendue par la cour d'appel de Rouen, le 27 avril 2010 (5), qui avait jugé que la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de désaccord notamment sur le niveau de rémunération du salarié n'avait pas à être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Que pensez-vous de cette solution ?
Xavier Berjot : En réalité, ces deux décisions ne me paraissent pas contradictoires. En effet, dans son arrêt, la cour d'appel de Rouen a jugé que la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de désaccord, notamment sur le niveau de rémunération du salarié, n'a pas à être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse s'il "n'est pas pour autant avéré qu'une situation conflictuelle ait existé entre les parties avant que soit envisagée une rupture conventionnelle et qu'elle ait perduré jusqu'à l'entretien préalable [...]". Il est donc permis de considérer que la solution de la cour aurait été différente si le désaccord entre les parties avait persisté jusqu'à la date de conclusion de la rupture conventionnelle. En d'autres termes, il ne me semble pas possible de déduire de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen que la rupture conventionnelle peut être conclue dans un contexte de désaccord entre les parties. J'ajouterai que les premières décisions concernant la rupture conventionnelle sont très commentées et peuvent donc donner l'impression de déterminer une jurisprudence. Or, il s'agit de décisions rendues par les juges du fond et il convient d'attendre les premières décisions de la Cour de cassation pour voir se dégager une jurisprudence établie sur la rupture conventionnelle.
(1) Lire les obs. de S. Tournaux, Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(2) Sur la formation de l'accord de rupture conventionnelle, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(3) Voir, notamment, sur l'articulation entre la rupture amiable et la transaction les obs. de L. Casaux, Rupture amiable du contrat de travail et transaction : une distinction d'ordre public, Lexbase Hebdo n° 423 du 12 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1458BRG).
(4) CPH Rambouillet, 18 novembre 2010, n° 10/00042 (N° Lexbase : A7114GMG).
(5) CA Rouen, 27 avril 2010, n° 09-4140 (N° Lexbase : A1306EXN).
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