La lettre juridique n°426 du 3 février 2011 : Arbitrage

[Questions à...] La modernisation du droit français de l'arbitrage - Questions à Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling LLP

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[Questions à...] La modernisation du droit français de l'arbitrage - Questions à Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling LLP. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3570479-questions-a-la-modernisation-du-droit-francais-de-larbitrage-questions-a-b-emmanuel-gaillard-profess
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 03 Février 2011

Trente ans après la réforme qui avait été introduite par les décrets n° 80-354 du 14 mai 1980 (N° Lexbase : L3453IPL) et n° 81-500 du 12 mai 1981 (N° Lexbase : L3454IPM), le droit français de l'arbitrage s'est offert un toilettage en profondeur, avec la publication au Journal officiel du 14 janvier 2011, du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 (N° Lexbase : L1700IPN). Ainsi que l'explique le rapport remis au Premier ministre, il était, en effet, apparu nécessaire de réformer ce droit, afin, d'abord, de consolider une partie des acquis de la jurisprudence qui s'est développée sur la base de l'ancien texte, ensuite, d'apporter des compléments afin d'en améliorer l'efficacité et, enfin, d'y intégrer des dispositions inspirées par certains droits étrangers dont la pratique a prouvé l'utilité. Le nouveau texte assouplit, ainsi, les règles relatives au compromis d'arbitrage, à l'exequatur et à la notification des sentences arbitrales. Il affirme l'autorité de la juridiction arbitrale, en lui permettant notamment de prononcer à l'égard des parties à l'arbitrage des mesures provisoires ou conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et sûretés judiciaires. Il consacre la place du juge français en tant que "juge d'appui" de la procédure arbitrale. Il clarifie et améliore les règles relatives aux recours en matière d'arbitrage. Pour apprécier la portée de cette réforme d'envergure qui entrera en vigueur au 1er mai 2011, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré l'un des plus grands spécialistes en la matière, Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling LLP, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : En quoi la "modernisation" du droit de l'arbitrage vous semblait-elle nécessaire aujourd'hui ? Quelles étaient, selon vous, les limites du dispositif ?

Emmanuel Gaillard : La modernisation du droit français de l'arbitrage répond à un double souci. Le premier est de rendre le droit français plus lisible, spécialement pour les praticiens étrangers. Avec le recul, les 16 articles du décret du 12 mai 1981 sur l'arbitrage international paraissaient excessivement elliptiques, et ce d'autant plus qu'une jurisprudence abondante, toujours très favorable à l'arbitrage, est venue compléter et expliciter ces textes. Comme tout droit jurisprudentiel, le droit français était devenu difficile d'accès.

Le second souci tient au fait que certaines dispositions méritaient d'être amendées et que, s'agissant de l'organisation des voies de recours, les modifications nécessaires ne pouvaient intervenir de manière prétorienne. Pour ne prendre qu'un exemple, la règle selon laquelle le recours en annulation formé à l'encontre de la sentence avait un effet suspensif même en matière internationale n'était plus en phase avec l'esprit de faveur à l'arbitrage du droit français. Les arbitres pouvaient, certes, déclarer leur sentence exécutoire par provision mais cela créait une différence de régime inopportune entre les sentences rendues par des arbitres rompus aux arcanes du droit français et les arbitres moins avertis.

Bien que seules certaines dispositions méritaient d'être amendées de manière criante, la réforme a été l'occasion d'une refonte systématique permettant d'améliorer la rédaction des textes mais aussi de les modifier chaque fois que cela a paru nécessaire. Une refonte globale a ainsi été préférée, à juste titre, à une démarche moins ambitieuse. Le Comité français de l'arbitrage (CFA) se trouve à l'origine de la réforme. C'est lui qui a suggéré une refonte du droit français et qui a élaboré un avant-projet, publié à la Revue de l'arbitrage en 2006 (1). Ce texte a, ensuite, été repris par la Chancellerie dans le contexte de la réflexion globale sur l'influence du droit français dans le monde et l'attractivité de la place de Paris. Il a été amendé par les services de la Chancellerie en étroite coordination avec le CFA et les milieux concernés. C'est ce qui a donné lieu au décret du 13 janvier 2011 (2).

La seule limite de l'exercice tient au fait que la réforme a été réalisée, comme en 1981, par décret. Il n'était donc pas possible de moderniser les textes du Code civil sur l'arbitrabilité et certaines règles relevant du domaine de la loi. C'est la raison pour laquelle le rapport au Premier ministre accompagnant le décret -publié, contrairement à l'usage, pour souligner son importance- relève que la réforme n'entend pas remettre en cause la jurisprudence interdisant aux Etats de se retrancher derrière leur propre droit pour échapper à une convention d'arbitrage librement consentie (Cass. civ. 1, 2 mai 1966, n° 61-12.255 N° Lexbase : A9273GQI) et celle selon laquelle une sentence annulée à l'étranger peut être reconnue en France si elle satisfait aux exigences du droit français (Cass. civ. 1, 29 juin 2007, n° 05-18.053, FP-P+B+I N° Lexbase : A9382DWE). C'est, en revanche, au législateur qu'il appartiendra de se prononcer sur l'opportunité de créer un bloc de compétence en matière d'arbitrage pour éviter les conséquences fâcheuses de l'arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 17 mai 2010 (T. confl., 17 mai 2010, n° 3754 N° Lexbase : A3998EXD). Celui-ci consacre, en effet, l'existence de deux droits de l'arbitrage en France, l'un de droit commun, l'autre portant sur certaines matières sensibles de droit public ; ce qui, à terme, ne pourra manquer de porter atteinte à l'attractivité de la place.

Lexbase : Le texte prévoit l'unification du régime juridique de la clause compromissoire et du compromis d'arbitrage. Etiez-vous favorable à cette unification ?

Emmanuel Gaillard : Dès avant la réforme, le régime de la clause compromissoire et celui du compromis d'arbitrage s'étaient singulièrement rapprochés, la jurisprudence utilisant plus volontiers le terme générique de "convention d'arbitrage". J'étais naturellement favorable à ce rapprochement. Vous observerez par ailleurs que les définitions de la clause compromissoire et du compromis (C. pr. civ., art. 1442 nouveau N° Lexbase : L2266IPM) n'ont pas été reprises en matière internationale. Il ne s'agit pas de bannir cette terminologie usuelle mais de marquer le fait qu'en matière internationale il existe d'autres formes de consentement à l'arbitrage, notamment dans le domaine de la protection des investissements. Le consentement de l'Etat et celui de l'investisseur peuvent, en effet, être dissociés. Celui de l'Etat peut figurer dans une loi ou un traité de protection des investissements et celui de l'investisseur n'être donné qu'après la naissance du différend. Il eut été dès lors trop restrictif de limiter, en matière internationale, la convention d'arbitrage aux seules expressions classiques de consentement à l'arbitrage que sont la clause compromissoire et le compromis.

Lexbase : L'un des objectifs était d'améliorer l'efficacité des sentences arbitrales rendues ou reconnues en France. Les nouvelles dispositions adoptées répondent-elles à l'objectif assigné ?

Emmanuel Gaillard : L'objectif consistant à améliorer l'efficacité des sentences me paraît largement atteint. La suppression de l'effet suspensif du recours en annulation en matière internationale (C. pr. civ., art. 1526 nouveau N° Lexbase : L2182IPI) a déjà été évoquée. Les délais de recours ont été considérablement réduits. En particulier, le recours en annulation susceptible d'être formé à l'encontre d'une sentence rendue en France doit l'être dans le mois de la notification de la sentence et cette notification n'est plus nécessairement faite par voie de signification. Les parties sont, en effet, libres de convenir d'autres modes de notification (C. pr. civ., art. 1494 N° Lexbase : L2226IP7 et art. 1519 N° Lexbase : L2200IP8 nouveaux). En cas de simple notification aux parties conformément à leur volonté commune, le délai peut paraître très bref par comparaison à l'ancien système qui faisait courir le délai de la signification de la sentence revêtue de l'ordonnance d'exequatur (C. pr. civ., art. 1486 N° Lexbase : L6451H73 et 1505 N° Lexbase : L6471H7S anciens). Les praticiens de l'arbitrage devront faire preuve d'une vigilance toute particulière sur ce point.

Lexbase : Et s'agissant de l'amélioration des voies de recours ?

Emmanuel Gaillard : L'amélioration des voies de recours est surtout sensible en matière d'arbitrage interne. Le principe ancien selon lequel l'appel était de droit sauf à avoir été écarté par les parties (C. pr. civ., art. 1482 ancien N° Lexbase : L6447H7W) a été inversé. Pour être recevable, l'appel doit avoir été spécifiquement voulu par les parties (C. pr. civ., art. 1489 nouveau N° Lexbase : L2227IP8). Cela paraît beaucoup plus conforme à ce que l'on peut supposer être la volonté des parties qui recourent à l'arbitrage. A quoi servirait, en effet, de recourir à l'arbitrage pour finir devant la cour d'appel ? Le recours en révision, autrefois porté devant la cour d'appel (C. pr. civ., art. 1491 ancien N° Lexbase : L6457H7B), se fera désormais devant le tribunal arbitral lui-même (C. pr. civ., art. 1502, al. 2, nouveau N° Lexbase : L2214IPP). Ce n'est que lorsque le tribunal ne peut être reconstitué que la cour d'appel connaîtra du recours (C. pr. civ., art. 1502, al. 3, nouveau). Encore, en matière internationale, cette exception n'est-elle pas applicable. Cela signifie que, dans une telle hypothèse, un nouveau tribunal arbitral devra être saisi, le recours, même subsidiaire, à la justice étatique paraissant inadapté en matière internationale (v. l'article 1506, 5° nouveau N° Lexbase : L2216IPR qui ne rend applicable en matière internationale que les articles 1502, al. 1 et 2).

Tant en matière interne qu'internationale, les parties peuvent saisir les arbitres d'une demande de rectification d'erreur matérielle ou les inviter à statuer sur un chef de demande qu'ils auraient omis de trancher (C. pr. civ., art. 1485 nouveau N° Lexbase : L2234IPG). De telles demandes doivent toutefois être formées dans le délai de trois mois à compter de la notification de la sentence et doivent, en principe, être tranchées par le tribunal arbitral dans un délai de trois mois (C. pr. civ., art. 1486 nouveau N° Lexbase : L2215IPQ).

En matière internationale, l'innovation majeure consiste à permettre aux parties, par convention expresse, de renoncer à tout recours en annulation contre une sentence rendue en France. Lorsqu'une telle renonciation est intervenue, les juridictions françaises ne seront appelées à connaître de la sentence que si l'une des parties sollicite son exécution en France (C. pr. civ., art. 1522 nouveau N° Lexbase : L2177IPC). La France rejoint ainsi, avec une formulation originale qui ne reprend pas la condition d'absence de partie de nationalité française, la solution retenue en Belgique, en Suède et en Suisse notamment.

Lexbase : La réforme du droit de l'arbitrage prévoit l'intégration de certaines dispositions inspirées par différents droits étrangers. Pensez-vous que cette réforme soit de nature à remettre en cause l'exception française dans le droit comparé de l'arbitrage international ? La conception française de l'arbitrage international, telle que vous la décrivez dans votre ouvrage Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international (3), garde-t-elle toujours sa spécificité ?

Emmanuel Gaillard : Il n'y a jamais eu à proprement parler d'exception française en matière d'arbitrage. En revanche, la France a été, en 1980-81, l'un des premiers Etats à se doter d'un droit moderne de l'arbitrage. Elle a ensuite été suivie par les Pays-Bas en 1986, la Suisse en 1987 et l'Angleterre en 1996. Tous ces Etats ont repris, à des degrés divers, des dispositions qui ont trouvé leur première expression dans les décrets français. C'est le cas notamment des dispositions relatives au droit applicable et de celles relatives à la formulation des causes d'annulation des sentences. Certaines de ces lois sont allées plus loin. Il était donc naturel que le législateur français emprunte à son tour certaines formules à des lois qu'il avait lui-même largement influencées. C'est tout particulièrement le cas du droit suisse. La formulation du premier cas de recours en annulation lui est due (C. pr. civ., art. 1492-1° N° Lexbase : L2229IPA et art. 1520-1° N° Lexbase : L2175IPA nouveaux). Il en va de même de l'expression "juge d'appui" inventée par la pratique suisse pour désigner le juge chargé d'assister à la mise en place du tribunal arbitral en cas de besoin. Le droit français est, en revanche, le premier à inscrire l'expression dans un texte. La règle permettant aux parties de renoncer aux recours en annulation au siège à été inventée par le législateur suisse mais c'est en réalité une variante du droit belge qui l'avait conçue comme automatique lorsque l'affaire n'avait aucun rattachement avec la Belgique. Le droit français l'a reprise en la modifiant à son tour puisqu'il n'exige pas de condition d'absence de partie française. Les emprunts croisés d'un droit à un autre sont très sains. Ils marquent l'intérêt croissant que chaque législateur porte aux solutions retenues à l'étranger dans un monde globalisé. Tout laisse penser que le décret français du 13 janvier 2011 servira à son tour de modèle, comme cela avait été le cas de celui de 1981. Certaines des règles retenues par le décret de 2011 sont très novatrices. C'est par exemple le cas de celle qui donne compétence au juge d'appui français -le président du TGI de Paris pour toute la France- dès lors qu'une partie se trouve exposée à un "risque de déni de justice" (C. pr. civ., art. 1505-4° nouveau N° Lexbase : L2213IPN). C'est là une compétence universelle subsidiaire en matière d'arbitrage qui ne manquera pas de retenir l'attention, même si cette disposition n'est appelée à jouer que dans des circonstances très exceptionnelles.

Loin de perdre sa spécificité, le droit français constitue, à mon sens, un modèle très abouti. Il repose de manière non équivoque sur la représentation de l'arbitrage qui reconnaît à cette forme de justice privée la qualité d'ordre juridique autonome. Le rapport au Premier ministre donne du reste un coup de chapeau explicite à cette conception de l'arbitrage puisqu'il évoque "l'existence d'un ordre juridique autonome en matière d'arbitrage international" (v. le commentaire de l'article 1511 nouveau). C'est l'une des trois visions de l'arbitrage, la plus progressiste, dont j'avais montré la cohérence dans le cours de La Haye consacré aux "aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international" et je ne peux, là encore, que m'en réjouir.

Lexbase : De manière générale, êtes-vous satisfait de cette réforme ou regrettez-vous certains aspects ?

Emmanuel Gaillard : Le régime issu du décret du 13 janvier 2011 est, à mon sens, excellent et je ne crois pas que l'on aurait pu faire beaucoup mieux. Je reste, en revanche, très préoccupé par les conséquences de l'arrêt du 17 mai 2010 rendu par le Tribunal des conflits et j'espère vivement que le législateur saura intervenir pour créer en la matière un bloc de compétence au profit des juridictions de l'ordre judiciaire, de façon à éviter le développement de deux droits français de l'arbitrage, ce qui, à terme, serait incompréhensible et donc fortement dissuasif pour l'utilisateur étranger.


(1) Rev. arb., 2006.499 avec le commentaire de J.-L. Delvolvé, Président de la Commission d'étude sur la réforme. La sous-commission chargée d'examiner les textes concernant l'arbitrage international était elle-même présidée par P. Mayer.
(2) Pour un premier commentaire, v. E. Gaillard et P. de Lapasse, Le nouveau droit français de l'arbitrage interne et international, D., 2011,153.
(3) E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international, Martinus Nijhoff, 2008.

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