La lettre juridique n°426 du 3 février 2011 : Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Février 2011

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[Chronique] La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Février 2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3570491-chroniquelachroniquederesponsabiliteciviledebdavidbakoucheagregedesfacultesdedroitpro
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le 03 Février 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette chronique, l'auteur revient, en premier lieu, sur un arrêt rendu le 16 décembre 2010 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui permet de préciser les conditions de la réparation intégrale du préjudice résultant de faits volontaires ou non présentant le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 09-16.949, FS-P+B). C'est, en second lieu, un arrêt rendu le même jour par la même formation, par lequel la Haute juridiction a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, limitant ou excluant le droit à indemnisation du conducteur victime d'un accident de la circulation, qui a retenu l'attention de l'auteur (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 10-17.096, FS-P+B).
  • Les conditions de la réparation intégrale du préjudice résultant de faits volontaires ou non présentant le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 09-16.949, FS-P+B N° Lexbase : A2448GNY)

Le législateur français, sans d'ailleurs attendre qu'une Convention européenne en date du 24 novembre 1983 ne pose le principe d'une indemnisation des dommages consécutifs à une infraction intentionnelle de violence, avait, à la faveur d'une loi du 3 janvier 1977 (loi n° 77-5 N° Lexbase : L8214HI3), mis en place un dispositif d'indemnisation. Réformée par les lois des 2 février 1981 (loi n° 81-82 N° Lexbase : L8215HI4), 8 juillet 1983 (loi n° 83-608 N° Lexbase : L8216HI7), 30 décembre 1985 (loi n° 85-1407 N° Lexbase : L8217HI8), et 6 juillet 1990 (loi n° 90-589 N° Lexbase : L8219HIA), ces dispositions figurent dans le Code de procédure pénale, aux articles 706-3 et suivants (N° Lexbase : L5612DYI). L'occasion avait déjà été donnée d'évoquer ce dispositif d'indemnisation : le lecteur de cette chronique se souvient peut-être qu'avait ici été signalé un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 novembre 2009 rendu dans une affaire dans laquelle la victime, blessée dans un accident avec un quad qu'elle avait louée auprès d'une société spécialisée, cherchait à se soustraire à l'application de la loi du 5 juillet 1985 relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9) (1). Et pour cause puisque selon l'article 706-3 du Code de procédure pénale, "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne", du moins lorsque certaines conditions son réunies, la première d'entre elles étant, précisément, que "ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 [loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 N° Lexbase : L5178AR9], ni de l'article L. 126-1 du Code des assurances [N° Lexbase : L0938HH9], ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles". Par où il apparaissait déjà que, pour que la victime puisse bénéficier du régime d'indemnisation prévu par l'article 706-3 du Code de procédure pénale, certaines conditions doivent être satisfaites. Un arrêt de la même deuxième chambre civile, en date du 16 décembre dernier, à paraître au Bulletin, permet précisément d'y revenir.

En l'espèce, une victime, de nationalité sainte-lucienne, de violences volontaires sur le territoire français dont il est résulté, entre autres séquelles, la perte d'un oeil, avait obtenu d'un tribunal correctionnel la condamnation de l'auteur de ces violences à une peine d'emprisonnement et au versement d'une provision de 30 000 euros. Par jugement du 28 janvier 2005, cette même juridiction avait fixé, après expertise médicale, le montant du préjudice subi par la victime, et avait condamné l'auteur des violences au paiement, sous déduction de la provision allouée, de l'indemnité réparant le préjudice subi. C'est dans ces conditions que, par requête du 7 mars 2005, la victime a saisi une commission d'indemnisation des victimes (CIVI) en vue de son indemnisation par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Mais la cour d'appel de Fort-de-France, pour déclarer cette demande irrecevable, a considéré que la saisine de la CIVI se situait au 4 août 2003 et qu'en s'abstenant de relever appel de l'ordonnance qui a suivi du 13 mai 2004, aux termes de laquelle cette requête était jugée irrecevable faute pour lui de justifier du caractère régulier de son séjour, l'intéressé avait conféré à cette ordonnance qui mettait fin à l'instance un caractère définitif. Dès lors, la cour en déduisait que le 7 mars 2005, date de la seconde requête, ne pouvait être considéré comme le jour de la demande au sens de l'article 706-3 précité. Or, l'appelant n'était en séjour régulier ni le jour des faits, ni à la date considérée par les juges du fond comme celle de sa véritable demande, à savoir le 4 mars 2003. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 706-3, 3° du Code de procédure pénale. Après, en effet, avoir rappelé, "selon ce texte, que pour obtenir réparation de son dommage, la victime qui a subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction doit, pour obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, être de nationalité française, ou dans le cas contraire, les faits ayant été commis sur le territoire national, être soit ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne, soit, sous réserve des traités et accords internationaux, être en séjour régulier au jour des faits ou de la demande", la Haute juridiction énonce "qu'en statuant [comme elle l'a fait], alors qu'elle constatait qu'à la date de sa requête, le 7 mars 2005, [la victime] séjournait régulièrement sur le territoire français, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Il faut ici redire que l'indemnisation intégrale des victimes prévue par le dispositif des articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale est subordonnée à certaines conditions qui viennent ainsi s'ajouter à celle, déjà évoquée, tenant au fait que les atteintes pour lesquelles une indemnisation est sollicitée n'entrent pas dans le champ d'application d'un des régimes spéciaux énumérés par le texte (2). On passera assez vite, parce qu'elles n'étaient pas discutées dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 16 décembre dernier, sur les conditions matérielles de l'indemnisation : rappelons simplement que, selon l'article 706-3, il faut que le fait dommageable présente le caractère matériel d'une infraction. L'infraction peut être involontaire aussi bien que volontaire. Une indemnisation pourra être demandée, sans qu'aucune condition supplémentaire ne soit exigée du demandeur, lorsque l'infraction aura entraîné la mort de la victime ou une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, ou bien lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-22 (N° Lexbase : L7222IMG) à 222-30 (agressions sexuelles), 225-4-1 (N° Lexbase : L6490H7I) à 225-4-5 (traite des êtres humains) et 227-25 (N° Lexbase : L2395AMN) à 227-27 (atteintes sexuelles) du Code pénal -étant précisé que, pour ces infractions, aucune durée minimum de l'incapacité de travail n'est exigée-. Mais une fois cette première condition, quant au dommage, remplie, encore faut-il, pour que le dispositif légal s'applique, s'assurer que d'autres conditions, personnelles celles-ci, donc tenant à la victime, le sont également. Sous cet aspect, l'article 706-3 précité pose deux exigences. La première, qui renvoie au comportement de la victime, a un caractère négatif en ce sens que la victime ne doit pas avoir perdu ou fait perdre en tout ou en partie, par sa faute, le droit à indemnisation reconnu par la loi. Le dernier alinéa de l'article 706-3 dispose ainsi que : "la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime". La seconde, cette fois propre à la personne de la victime, est énoncée à l'article 706-3, 3°, du Code de procédure pénale qui fait une distinction selon que la personne lésée est ou non de nationalité française.

Si elle l'est, les choses sont assez simples : la victime a droit à une indemnisation quel que soit le lieu de l'infraction. Il n'est donc pas nécessaire que celle-ci se soit produite sur le territoire national. La victime d'un accident survenu à l'étranger peut donc parfaitement prétendre à une indemnisation de la part du Fonds. La jurisprudence a, en cette matière, précisé, d'une part, que c'est au jour des faits qu'il faut se placer pour déterminer si la victime d'une infraction commise à l'étranger a la nationalité française (3) et, d'autre part, que c'est la loi française, en tant que loi d'application nécessaire excluant toute référence à un droit étranger, qui s'applique pour déterminer s'il existe une infraction (4).

Plus complexe est la situation lorsque la victime n'a pas la nationalité française puisque, dans ce cas de figure, il faut, non seulement, que les faits aient été commis en France, mais encore que la victime soit ressortissante d'un Etat membre de la Communauté économique européenne ou bien, sous réserve des traités et accords internationaux, en séjour régulier en France au jour des faits ou de la demande. Sous cet aspect, la Cour de cassation, manifestant une volonté de tempérer la rigueur de ces conditions strictes, a jugé qu'en retenant que la condition d'un séjour régulier s'entendait de la détention d'un titre de séjour régulier permettant à l'étranger, non seulement de vivre en France, mais aussi d'y travailler, une cour d'appel avait ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et, par suite, violé l'article 706-3, 3°, du Code de procédure pénale (5). L'arrêt du 16 décembre va, lui aussi, dans le sens d'un assouplissement : lorsqu'il s'agit de vérifier que la victime qui sollicite d'une commission d'indemnisation des victimes une indemnisation par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions était en séjour régulier en France au jour de la demande, rien n'interdit de retenir la date d'une seconde requête dans l'hypothèse dans laquelle la première aurait été déclarée irrecevable faute pour le demandeur d'avoir alors pu justifier du caractère régulier de son séjour.

  • L'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, limitant ou excluant le droit à indemnisation du conducteur victime d'un accident de la circulation, n'est pas inconstitutionnel (Cass. QPC, 16 décembre 2010, n° 10-17.096, FS-P+B N° Lexbase : A4107GNG)

L'occasion a, à de très nombreuses reprises, été donnée d'insister sur l'importance du contentieux généré par l'application de la loi précitée du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, applicable, aux termes de son article 1er, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Les discussions portent, ainsi, régulièrement tant sur le domaine d'application de la loi que sur le régime d'indemnisation qu'elle prévoit et, notamment, sur l'incidence de la faute du conducteur sur la réparation de son dommage. Précisément, l'article 4 de la loi dispose que la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis -et ce contrairement à l'article 3 qui prévoit, lui, que la victime qui n'a pas la qualité de conducteur ne subit pas cette rigueur, seule pouvant lui être opposée sa "faute inexcusable"-. On peut dès lors assez facilement imaginer que des victimes d'accidents de la circulation qui auraient échoué dans leur demande d'indemnisation cherchent à contester le principe même d'une limitation, voire d'une suppression de leur droit à réparation au motif qu'elles auraient, en tant que conductrices, commis une faute au sens de l'article 4 de la loi. Tel est d'ailleurs, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 décembre 2010, ce qu'avait entendu faire un conducteur qui, privé de toute indemnisation en raison de sa faute dans la réalisation de l'accident, contestait la constitutionnalité de ce texte.

En l'espèce, en effet, saisie d'une demande tendant à l'indemnisation d'une victime d'un accident de la circulation impliquant notamment le véhicule qu'elle conduisait, une cour d'appel avait décidé d'exclure l'indemnisation de ses dommages en application de l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (CA Papeete, 12 novembre 2009, n° 40/CIV/06 N° Lexbase : A6252GPA). La victime a alors formé un pourvoi en cassation et déposé, le 6 octobre 2010, un mémoire distinct posant une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que les dispositions de cet article 4 contreviennent à l'article 4 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K) aux termes duquel "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", d'où résulte le principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, et ensemble, à l'article 16 de la même Déclaration (N° Lexbase : L1363A9D), en ce qu'il garantit le droit à un recours juridictionnel effectif contre l'auteur d'une faute dommageable. Très concrètement, pour soutenir que l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, la victime faisait valoir qu'il permet au juge, dans l'interprétation qu'en donne la Cour de cassation, en cas de faute du conducteur victime, de priver celui-ci de toute indemnisation sans avoir égard aux fautes commises par le conducteur d'un autre véhicule impliqué et d'exonérer par conséquent ce dernier de toute responsabilité. Pour répondre à cette argumentation, la Cour de cassation, après avoir certes relevé, d'une part, que la disposition contestée était applicable au litige et, d'autre part, que la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,décide non seulement que "la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle", mais encore que "la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que l'article 4 de la Déclaration de 1789 ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour des motifs d'intérêt général et de manière non disproportionnée, les conditions d'indemnisation des victimes ; que la loi du 5 juillet 1985 a instauré un droit à indemnisation pour toutes les victimes d'accidents de la circulation et que, pour des motifs d'intérêt général, notamment de sécurité routière, seule la propre faute de la victime conductrice est de nature, sous le contrôle du juge, à limiter ou à exclure son droit à indemnisation ; que dès lors il ne résulte de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 aucune atteinte disproportionnée ni aucune atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif". Elle en déduit donc qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Naturellement, pour saisir la teneur de l'argumentation du demandeur, il faut ici redire que la loi du 5 juillet 1985 a un caractère exclusif. On rappellera, sous cet aspect, que, au lendemain de la promulgation de la loi de 1985, une controverse s'était développée sur l'autonomie de ce texte par rapport au droit commun de la responsabilité civile. Certains avaient, en effet, fait valoir que les règles énumérées aux articles 2 à 6 de la loi n'avaient pas pour objet de limiter les causes d'exonération opposables aux victimes : la victime d'un accident de la circulation devrait ainsi d'abord, pour obtenir la réparation de son dommage, établir que les conditions de la responsabilité civile étaient réunies et ce serait seulement une fois cette preuve rapportée qu'elle serait autorisée à repousser l'objection tirée d'une éventuelle cause d'exonération rendue "inopposable" par la loi (6). D'autres, au contraire, avaient immédiatement considéré que la loi nouvelle avait créé un régime d'indemnisation spécifique ne dépendant en rien du droit commun de la responsabilité civile (7). La jurisprudence devait, finalement, trancher en faveur de l'autonomie de la loi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation décidant, le 4 mai 1987, que "l'indemnisation d'une victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 à l'exclusion des articles 1382 et suivants du Code civil" (N° Lexbase : L1488ABQ) (8). Et la même formation devait, le 14 octobre 1987, censurer une décision qui, pour débouter un passager de sa demande en réparation contre le conducteur, s'était fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), "alors qu'à la date de l'arrêt d'appel, la loi du 5 juillet 1985 était entrée en vigueur" (9). Ainsi la Haute juridiction affirmait-elle nettement l'autonomie de la loi, dont le prolongement naturel est son caractère exclusif (10). Cette exclusivité signifie que, dans le domaine propre qui est le sien, la loi exclut en principe l'application du droit commun de la responsabilité, ce qui interdit à la victime d'opter pour ce dernier ou de cumuler les dispositions de la loi et celles du droit commun (11).

On comprend dès lors le sens de l'argumentation de la victime en ce qu'elle contestait, au cas présent, la constitutionnalité de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 : seul applicable lorsqu'un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation à l'exclusion, notamment, de l'article 1382 du Code civil, ce texte peut effectivement conduire, en cas de faute du conducteur victime, à le priver de toute indemnisation sans avoir égard aux fautes pourtant commises par le conducteur d'un autre véhicule lui aussi impliqué dans l'accident. L'article 4 de la loi, en permettant ainsi d'exonérer l'auteur d'une faute de toute responsabilité, serait contraire à la règle, à valeur constitutionnelle, selon laquelle "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". Par où l'on voit bien que, en définitive, ce que conteste fondamentalement le demandeur, c'est bien la neutralisation, par la loi spéciale, de l'article 1382 du Code civil, et ainsi, par suite, l'autonomie de la loi. La question n'était donc pas en tant que telle nouvelle.

Sans grande surprise, la Cour de cassation dit, en l'espèce, n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité : aucune norme à valeur constitutionnelle n'interdit au législateur d'aménager les conditions d'indemnisation des victimes. Or, relevant que, dans le dispositif de la loi du 5 juillet 1985, seule la propre faute de la victime conductrice, pour des motifs d'intérêt général, notamment de sécurité routière, est de nature, sous le contrôle du juge, à limiter ou à exclure son droit à indemnisation, la Cour a pu en déduire "qu'il ne résulte de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 aucune atteinte disproportionnée ni aucune atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif".

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, n° 08-20.273, FS-P+B N° Lexbase : A1815ENK) et, sur cet arrêt, nos obs. Le transfert de la garde et l'application de la loi du 5 juillet 1985 en matière d'accidents de la circulation, in Chronique de responsabilité civile, Décembre 2009, Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009, édition privée (N° Lexbase : N5811BM8).
(2) Voir supra.
(3) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-12.987, F-P+B (N° Lexbase : A1365EDW), RCA, 2009, comm. n° 136.
(4) Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-10.514, F-P+B (N° Lexbase : A7902DTT), Bull. civ. II, n° 18.
(5) Cass. civ. 2, 12 mars 2009, n° 08-10.179, FS-P+B (N° Lexbase : A7149ED7), Bull. civ. II, n° 70.
(6) F. Chabas, Le droit des accidents de la circulation après la réforme du 5 juillet 1985, n° 147 et s..
(7) H. Groutel, Le fondement de la réparation instituée par la loi du 5 juillet 1985, JCP éd. G, 1986, I, 3244 ; note G. Durry, JCP éd. G, 1987, II, 20769.
(8) Cass. civ. 2, 4 mai 1987, n° 85-17.051 (N° Lexbase : A7546AAQ), Bull. civ. II, n° 87.
(9) Cass. civ. 2, 14 octobre 1987, n° 86-14526 (N° Lexbase : A4624CHQ), Bull. civ. II, n° 192.
(10) P.-P. Camproux, La loi du 5 juillet 1985 et son caractère exclusif, D., 1994, Chron. p. 109 ; G. Wiederkher, De la loi du 5 juillet 1985 et de son autonomie, D., 1986, Chron. p. 255.
(11) Cass. civ. 2, 29 janvier 1997, n° 94-21.733 (N° Lexbase : A0165AC4), Bull. civ. II, n° 23 ; Cass. civ. 2, 21 juin 2001, n° 99-15.732 (N° Lexbase : A6421ATY), Bull. civ. II, n° 122 ; Cass. civ. 2, 7 mai 2002, n° 00-20.649, F-P+B (N° Lexbase : A6065AYB), Bull. civ. II, n° 87 (excluant l'application de l'article 1382) ; Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 01-16.067, F-P+B (N° Lexbase : A7275A49), Bull. civ. II, n° 7 (excluant l'application de l'article 1384, alinéa 1er) ; Cass. civ. 2, 8 janvier 2009, n° 08-10.074, F-P+B (N° Lexbase : A1606ECH) (décidant "que l'incendie provoqué par un véhicule terrestre à moteur, ce dernier fût-il en stationnement, est régi par les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, et non par celles de l'article 1384, alinéa 2, du Code civil") ; Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 08-14.224, FS-P+B (N° Lexbase : A0688EIC) (énonçant que "l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985" et, par suite, que "la responsabilité [du conducteur] ne pouvait être recherchée sur le fondement des dispositions de l'article 1385 du Code civil").

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