La lettre juridique n°426 du 3 février 2011 : Éditorial

"Haro sur le Dalo" : quand une municipalité promeut le droit à la loge organisée

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"Haro sur le Dalo" : quand une municipalité promeut le droit à la loge organisée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3570481-harosurledaloquandunemunicipalitepromeutledroitalalogeorganisee
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Ah ! Divine impartialité et infinie sagesse des juges administratifs ! Après avoir envoyé aux oubliettes le portrait d'un vieux maréchal hanté par quelque "complot", les magistrats condamnent une municipalité pour avoir subventionné le fonctionnement de plusieurs loges, et pour ne pas avoir démontré l'intérêt local d'un tel engagement municipal au développement d'une obédience maçonnique. La cour administrative d'appel de Marseille, et ce n'en est que plus symbolique, rappelle, ce 6 janvier 2011, après Versailles en 2007, qu'aux termes de l'article L. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales, "le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune". Une association ne peut donc recevoir des subventions d'une commune que si cette intervention présente un intérêt local. Le centre culturel bénéficiaire avait bien organisé des conférences et des débats ouverts au public, mais pas durant l'une des années où il avait reçu les deniers municipaux. L'une des associations membres, bénéficiaire contestée de la générosité communale, avait bien pour ambition d'aider ses adhérents à rechercher un emploi (sic), mais il semble qu'au lieu de damer le pion à Pôle emploi, elle organisait essentiellement de nombreuses réunions internes entre les 33 associations membres du centre culturel, regroupant régulièrement ses 1 282 adhérents...

"Errare humanum est" : à grand renfort d'équerre, de compas, de maillet, de ciseau et de fil à plomb, le maire avait sans doute pensé oeuvrer en faveur du droit au logement opposable en subventionnant des loges maçonniques, dont la vocation est, faut-il le rappeler, l'élévation de la condition humaine, le progrès social, le rayonnement de la philosophie des Lumières... de l'art de bâtir certes, mais les esprits plus que les murs. Aussi, les juges l'accusèrent, à demi-mot, d'oeuvrer plus volontiers pour le droit à la loge organisée, en subventionnant le développement des associations elles-mêmes et non leurs actions sociales.

Cultuelles ? Ces associations ne le sont plus, du moins en France ; la plupart d'entre elles relevant d'obédiences libérales ou adogmatiques... et les juges ne s'y sont pas trompés. Avouez que condamner une municipalité pour subvention d'associations que l'on croirait cultuelles, mais dont l'un des prosélytismes les plus fervents est celui de la laïcité, eut été des plus cocasses. Culturelles ? Si la République n'encourage pas elle-même, fut-ce par le truchement de quelques conseils municipaux, le développement des idées républicaines au premier rang desquelles la laïcité, la fraternité ou la liberté, on se demande qui doit être en charge de la propagande de la "pensée éclairée" dans notre société ? Mais, là encore, les juges n'ont pas failli : ce qu'ils sanctionnent n'est assurément pas le fait de subventionner les actions culturelles et sociales des associations, fussent-elles des loges maçonniques ; mais de subventionner et, donc, de participer à l'organisation et au fonctionnement d'une Grande loge, c'est-à-dire la fédération de ses associations en vue de mutualiser leurs ressources spirituelles et pécuniaires, d'influer plus grandement sur le débat social et d'accentuer leur oeuvre philosophique et philanthropique... Comparaison n'est pas raison, mais c'est un peu comme si la puissance publique participait au fonctionnement et à la structuration des églises, de quelque confession que ce soit, et non directement à leurs actions caritatives...

On l'aura compris, tout cela sent inexorablement, et encore de nos jours, le soufre. Et, les magistrats administratifs chargés de veiller à la bonne utilisation des deniers publics ont, nécessairement, maille à partir avec les premiers magistrats municipaux, parfois eux-mêmes cooptés, sur un sujet aussi sensible, aux contours si ambigus. Pourtant, la franc-maçonnerie se veut moins secrète que discrète ; on ne saurait l'accuser d'un ésotérisme d'un autre âge et d'un culte du secret provocateur, quand elle s'affiche régulièrement à la Une des hebdomadaires de tout bord... ou organise des "apéros maçons", réunissant dans un café lyonnais des francs-maçons et des non-initiés pour dialoguer sur des questions de société. C'est que le sujet fait vendre, les non-initiés guettant une nouvelle "affaire des casseroles", un nouveau "Roberto Calvi", le scandale de la LogeP2 made in France... Que Benjamin Franklin, Voltaire, Frédéric II, Goethe, Mozart, Washington, Jules Ferry, Théodore Roosevelt, ou Simon Bolivar furent francs-maçons, soit ! Mais ce qui trouble les foules touche plus directement aux arcanes du pouvoir... Une fusion bancaire quasi-avortée, un préjudice moral de plusieurs millions d'euros, des réseaux fraternels dont l'oeuvre philosophique et philanthropique est parfois difficile à cerner, souvent pour les non-initiés, parfois même pour certains adeptes.

L'attitude prudente des juges administratifs est donc à saluer. Sans condamner le principe existentiel de la franc-maçonnerie et en reconnaissant son rôle social et émancipateur dans une société de progrès, ils condamnent les collusions troubles, à l'heure où l'on parle d'une loi sur la prévention des conflits d'intérêts, sur la déontologie dans la vie publique...

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