La lettre juridique n°425 du 27 janvier 2011 : Contrats et obligations

[Le point sur...] Clauses de "hardship" : prévoyez l'imprévisible !

Lecture: 17 min

N1678BRL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Clauses de "hardship" : prévoyez l'imprévisible !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3570154-le-point-sur-clauses-de-i-hardship-i-prevoyez-limprevisible
Copier

par Jérome Rivkine, Avocat à la cour, Docteur en relations internationales, Seidler & Rivkine Association d'Avocats

le 27 Janvier 2011


Fréquentes dans les contrats internationaux, reconnues dans certains droits nationaux, les clauses de "hardship" peuvent constituer, en période d'instabilité, un remède efficace face à l'incertitude sur l'avenir d'un contrat. De telles clauses permettent, en effet, d'engager des parties à un accord à en renégocier les termes, en cas de modification substantielle de l'environnement initial du contrat qui rend son exécution éprouvante ("hardship") pour l'une des parties.
Le contexte actuel de crise économique fait réapparaître la question de la généralisation d'un principe de révision des contrats pour imprévision dans le paysage juridique français (I). En l'absence d'un tel mécanisme supplétif dans le droit positif, il est recommandé d'anticiper les conséquences d'un bouleversement dans les contrats de longue durée. Comment peut-on, d'un point de vue pratique, prévoir l'imprévisible dans un contrat ? (II)

I - L'absence de cadre légal français de la révision des contrats pour imprévision

A - Panorama rapide de l'état de l'imprévision en France et à l'étranger

Tout contrat s'inscrit dans l'environnement politique, juridique et économique existant à la date à laquelle il est conclu. La question posée par la théorie de l'imprévision est de savoir s'il est souhaitable de permettre la modification d'un contrat en cas de bouleversement des circonstances au cours desquelles le contrat avait initialement été adopté.

  • Evolution de la théorie de l'imprévision en France

En France, le débat est ancien. Ainsi, au XIIIème siècle, Saint Thomas admettait-il que "pour être obligé de tenir une promesse, il faut que rien n'ait changé" (1). Il n'y aurait ainsi pas d'"infidélité à la parole donnée à ne pas respecter un accord passé dans des circonstances différentes" (2). Au XVIIème siècle, Grotius s'opposait à cette théorie au nom de la stabilité contractuelle. Les rédacteurs du Code civil ne font aucune référence à un principe général de l'imprévision et optent, au contraire, pour la prééminence du principe de la force obligatoire du contrat (pacta sunt servanda), le contrat étant par nature un acte de prévision de l'avenir.

C'est précisément sous le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) qu'au XIXème siècle, dans le prolongement de premières décisions similaires rendues en cette matière (3), la chambre civile de la Cour de cassation a, au nom de l'équité, rendu le célèbre arrêt dans l'affaire du "Canal de Craponne" (4), qui constitue aujourd'hui encore le principe fondateur du rejet de la théorie de l'imprévision en France. Depuis lors, le droit français continue de marquer son attachement à l'article 1134 du Code civil et refuse d'admettre un principe de révision pour imprévision, au nom du respect de l'accord donné des parties et de la prééminence de la force obligatoire du contrat, sauf dans certains cas limitativement énumérés par la loi (5) ou, occasionnellement, par la jurisprudence.

En effet, alors que le juge administratif reconnaît l'imprévision depuis un arrêt de principe du 30 mars 1916 (6) au motif de la nécessité d'assurer la continuité du service public, le juge judiciaire est, au contraire, très majoritairement opposé à un tel principe, hormis dans certaines situations isolées où une obligation de renégociation a pu être mise à la charge des parties, laissant entrevoir les prémisses d'un droit de l'imprévision. Ainsi, la révision d'un contrat a-t-elle été admise en cas de changement fortuit des circonstances économiques à partir des années 1970-19808 (7), puis en 1992 au nom de l'exigence de bonne foi dans l'exécution d'un contrat de distribution (8). En 1998, les juges ont également pu inciter des parties à renégocier un contrat sur le fondement de l'obligation de bonne foi et de loyauté (9).

Plus récemment, le 29 juin 2010, la Cour de cassation a admis le même principe en cassant un arrêt d'appel au motif qu'"en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'évolution des circonstances économiques et notamment du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet [...] de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par la société [X], ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont la société [Y] sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" (10). Il s'agirait, selon la doctrine, d'une reconnaissance implicite de l'imprévision ainsi fondée sur la nécessaire survivance de la cause pendant le contrat, dont la disparition pourrait alors donner lieu à une modification de la relation contractuelle, l'une des parties n'ayant plus "d'intérêt" au contrat. Cet arrêt, non publié, se rapproche d'un autre arrêt rendu 30 ans plus tôt sur le même fondement de la cause (11), mais tous deux restent isolés.

Hormis ces quelques décisions exceptionnelles, dont rien ne permet d'entrevoir qu'elles pourraient donner lieu à une généralisation, l'interdiction, pour le juge judiciaire français, de réviser un contrat demeure aujourd'hui, dans une très large majorité, le principe.

  • L'imprévision dans les droits étrangers

Dans nos droits voisins, un certain nombre d'Etats européens reconnaissent le principe de l'imprévision dans leur code civil : l'Italie (art. 1467, 1468), le Portugal (art. 312), les Pays-Bas (art. 6.258), l'Allemagne (§ 313 BGB), la Grèce (art. 388), la Roumanie (art. 969 et 970) ou encore la Suisse (art. 2).

En Allemagne, pendant longtemps, le problème de l'imprévision a été réglé par voie prétorienne, le juge allemand analysant les effets des changements survenus du fait d'un imprévu au niveau de la cause du contrat. C'est sur ce fondement, dans le cadre d'une réforme générale du droit allemand des obligations entrée en vigueur le 1er janvier 2002, que l'imprévision a été codifiée. Le législateur a ajouté dans les dispositions relatives à la cause du contrat dans le BGB (§ 313) l'hypothèse d'une "perturbation" de la cause, qui peut dorénavant donner lieu à l'adaptation du contrat à de nouvelles circonstances. Ainsi n'est plus uniquement réglée la question de la "disparition" de la cause qui continue de constituer un cas de nullité du contrat.

En Autriche, la théorie de l'imprévision n'a pas été réglée par le législateur et représente donc un vide juridique. Les juges pallient ce vide en appliquant les dispositions relatives à l'interprétation des textes pour emprunter, par analogie, les solutions d'autres mécanismes juridiques de droit interne dont, notamment, les vices du consentement, l'erreur, la lésion, la cause ou la théorie des risques.

Au Danemark, en Finlande et en Suède, la révision du contrat pour imprévision est admise de source jurisprudentielle.

Des solutions d'admission de l'imprévision existent aussi hors d'Europe comme en Turquie (art. 2 du Code civil et art. 365, al. 2 du Code des obligations), en Egypte (art. 147), en Algérie (art. 107) ou au Mexique depuis le 22 janvier 2010.

D'autres Etats, minoritaires, refusent de reconnaître un principe général d'imprévision au nom de la prééminence de l'accord passé, ainsi, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg, l'Ecosse, l'Irlande ou encore la France.

De même, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale (N° Lexbase : L6800BHC) n'admet pas un tel principe.

Le droit anglais est, quant à lui, atypique (une fois n'est pas coutume...). S'il reconnaît au juge le pouvoir de résilier le contrat en cas de changement de circonstances sur le fondement de la notion de frustration, cette option n'est pas à proprement parler qualifiable de révision pour imprévision en ce que le droit anglais a vocation à se rapprocher plutôt, par application de cette notion, des effets de la force majeure au sens du droit français. Il en va sensiblement de même dans la plupart des pays de Common law.

Le droit français se trouve ainsi en décalage par rapport à la majorité des régimes d'où la résurgence, dans un contexte d'internationalisation croissante des échanges et d'harmonisation accrue des droits au niveau européen, du débat sur la codification d'un principe de révision des contrats pour imprévision en France.

B - Le débat sur l'adoption d'un droit de l'imprévision en France

La théorie de l'imprévision soulève de longue date de vastes débats sur la question de la nécessité de reconnaître, en droit français, un principe d'imprévision qui s'appliquerait à tous les contrats à titre supplétif en l'absence de clause de hardship.

Pour un premier courant d'opposants, la possibilité de réviser le contrat lorsque les parties ne l'ont pas initialement prévue non seulement contrevient à la volonté exprimée des parties mais elle serait encore économiquement dangereuse. La loi du contrat est intangible : ce qui compte, c'est l'intérêt de la parole donnée, l'exécution de l'accord conclu selon les conditions convenues au nom de la prééminence de la stabilité contractuelle. L'absence de reconnaissance d'un principe d'imprévision est un bienfait, il présente un caractère contraignant en ce qu'il conduit "les parties à prendre en main leur destin contractuel" (12). En l'absence de clause de révision dans le contrat, rien n'exclut que les parties n'ont pas accepté les risques de survenance de nouvelles circonstances venant en modifier l'équilibre, sans pour autant souhaiter en rediscuter les termes, soit le caractère aléatoire du contrat. Selon les opposants à la codification, admettre un principe d'imprévision ouvrirait par ailleurs la porte à des risques de demandes de révision abusives notamment lorsqu'une des parties envisage de sortir de la relation.

A l'inverse, certains contemporains considèrent que les circonstances économiques au cours desquelles le contrat a été conclu ayant changé, il est légitime d'en modifier les termes pour adapter le contrat à son nouvel environnement. Selon ce courant des partisans, l'introduction d'un principe d'imprévision dans le droit positif est une nécessité pour des raisons économiques d'équivalence des conditions de concurrence. L'intérêt du contrat réside dans sa pérennité qui prime sur son caractère obligatoire : sa modulation est nécessaire pour en permettre l'exécution. Autrement dit, le but et l'intérêt du contrat au cours de sa formation doivent persister au stade de son exécution, comme l'a d'ailleurs admis la Cour de cassation dans l'arrêt du 29 juin 2010 précité.

La recherche d'une consécration de l'imprévision en droit positif français fait aujourd'hui l'objet de plusieurs projets de réforme. Ainsi, le projet "Terré" prévoit d'introduire un principe de révision pour imprévision (art. 92 du projet). Un projet "Catala" ainsi qu'un projet gouvernemental sont également en cours d'élaboration en France. Si une telle codification était admise en son principe, il serait souhaitable qu'elle se réalise dans le cadre d'une harmonisation européenne des droits.

Dans l'attente d'une telle réforme, la théorie de l'imprévision peut, néanmoins, devenir la loi des parties. L'insertion d'une clause de révision dans le contrat peut en effet permettre aux parties de se réserver la possibilité de revenir sur leurs engagements en cas de modification substantielle de leur environnement contractuel initial et de prévoir les modalités d'une telle révision du contrat.

Tel est l'objet de la clause de hardship.

II - La prévision contractuelle d'un imprévu : la clause de hardship

A - Définition, validité et utilité de la clause de hardship

  • Définition

Littéralement, "hardship" signifie "rigueur", "épreuve", "privation" ou encore "difficulté" : l'exécution du contrat devient trop "rigoureuse" ou "éprouvante" pour l'une des parties du fait de la survenance d'un événement venant modifier l'environnement contractuel initial (13).

Connue sous diverses appellations (14), la clause de hardship est celle "aux termes de laquelle les parties pourront demander un réaménagement du contrat qui les lie, si un changement intervenu dans les données initiales au regard desquelles elles s'étaient engagées vient à modifier l'équilibre de ce contrat au point de faire subir à l'une d'elles une rigueur ('hardship')" (15).

  • Validité

La validité d'une telle clause, qui se fonde sur le principe d'autonomie de la volonté, n'est soumise à aucune règle particulière à l'exception de celles communes au droit commun des contrats. Toutefois, selon la majorité de la doctrine, le fait générateur de la procédure de révision doit présenter un caractère objectif et reposer sur un événement imprévisible des deux parties au moment de la formation du contrat.

  • Utilité

Le mécanisme du hardship est fréquemment rencontré dans les contrats à durée déterminée de longue durée (ex. : contrats de franchise, de concession, contrats-cadre d'opérations monétaires, fourniture de matières premières...). Une telle clause présente un intérêt plus limité dans les contrats à durée indéterminée, étant entendu que les parties peuvent y mettre fin à tout moment moyennant un préavis raisonnable, ce qui constitue un moyen de pression sur l'autre partie pour l'amener à renégocier le contrat.

En l'absence d'une telle clause dans le contrat, les parties restent libres de convenir, au moment de la survenance d'un imprévu, de réviser l'accord qu'elles ont conclu pour l'adapter à ces nouvelles circonstances, mais il est peu probable, en pratique, qu'une partie accède à une telle demande si elle n'y a pas un intérêt direct, à moins qu'elle n'y soit contrainte par une clause en ce sens figurant dans le contrat.

Dans l'attente de l'introduction d'un cadre légal de l'imprévision en France, l'insertion d'une clause de hardship dans les contrats de longue durée s'avère donc une précaution importante.

B - Utilisation pratique de la clause de hardship - Recommandations

Pour être efficace, la clause doit prévoir précisément les modalités de son application, en fonction de la force que les parties souhaitent procurer à leur engagement d'adaptation à des circonstances ultérieures. Ainsi, semble-t-il essentiel de considérer a minima les points suivants au moment de la rédaction d'une telle clause.

  • Le fondement juridique de la clause

- Quelle est la raison de l'insertion d'une clause de hardship dans le contrat ? Un préambule dans le contrat ou dans le corps même de la clause de hardship peut être inséré pour préciser que le consentement des parties au contrat est donné en considération de son environnement actuel et subordonné à la persistance de cette situation dans le temps.

- A quel droit la clause de hardship est-elle soumise ? En fonction de choix stratégiques ou politiques, les parties pourront désigner telle loi applicable au contrat, il conviendra alors d'anticiper la validité de celle-ci par rapport à l'état du droit de l'imprévision dans l'Etat choisi par les parties.

  • La définition de la nature de l'évènement et son intensité

- Quelle est la nature de l'évènement considéré ? Il convient de définir les circonstances objectives pouvant donner lieu à révision (ex. : modification des circonstances économiques, politiques, juridiques, financières...), sans être exhaustif pour autant, afin de limiter les risques de demandes de révision abusives. A cet égard, l'insertion d'un "notamment" ou "etc." en fin de clause est à bannir. Rien n'empêche d'exclure un certain nombre d'évènements du champ d'application de la clause.

- Quels sont les effets de l'évènement à l'égard des parties ? Il s'agit soit de déterminer un seuil de pertes ou de manque à gagner acceptable pour l'une des parties soit, plus généralement, d'indiquer que le bouleversement est tel que l'exécution du contrat conduit l'une des parties à devoir supporter des conditions économiquement "difficiles", "ruineuses", "impossibles", "inéquitables"..., selon le cas.

  • L'encadrement de l'évènement dans le temps

- Quelle est la période pendant laquelle la survenance de l'évènement peut être prise en compte ? La clause peut avoir vocation à jouer pendant toute la durée du contrat comme elle peut être limitée dans le temps (ex. : à partir de la cinquième année du contrat).

  • Les modalités pratiques de notification de l'évènement

- Quels sont la forme et le contenu de la notification ? Est-il nécessaire de définir les faits matériellement constatés qui caractérisent l'évènement ainsi que leurs effets dans la lettre de notification ?

- Dans quel délai, à compter de la survenance de l'évènement, la clause peut-elle être mise en oeuvre ? Il convient de prévoir un délai à compter duquel la clause pourra être exercée par la partie empêchée (ex. : la notification devra intervenir dans les trois mois suivant la survenance de l'évènement considéré).

- Quelles obligations découlent de l'émission de la notification ? Il convient de prévoir l'obligation pour les parties de se réunir dans un certain délai prévu par la clause et que l'obligation de le renégocier est une obligation de résultat.

- Quelles sont les conséquences d'un refus de réponse ou de révision du contrat par l'autre partie ? Il peut être envisagé de saisir le juge ou un tiers en décrivant la procédure à suivre pour le désigner, la partie la plus diligente, l'étendue de ses pouvoirs...

  • L'encadrement des conditions de la négociation

- Quel est le sort du contrat à compter de la notification, ainsi que pendant la période de renégociation ? Continue-t-il d'être exécuté ou est-il suspendu ?

- Quelle est l'étendue de l'objet de la négociation ? La négociation doit-elle porter sur des éléments précis du contrat (ex. : le prix, les obligations des parties...) ou l'ensemble du contrat est-il susceptible d'être révisé ?

- Quels sont les effets acceptables de la renégociation ? Les parties devront fixer des limites à la négociation, pour définir des conditions nouvelles "raisonnablement nécessaires" pour adapter le contrat aux évènements survenus. Il est souhaitable de prévoir un plafond de rééquilibrage pour éviter qu'une des parties ne profite de la renégociation pour tirer à son profit de nouvelles conditions bien plus favorables.

- Pendant combien de temps les parties s'autorisent-elles à négocier pour parvenir à un accord ? La précision de la période pendant laquelle les parties sont tenues de renégocier le contrat permet d'encadrer les débats dans le temps

- Faut-il prévoir des sanctions en cas de demande de révision reconnue abusive a posteriori ? Lesquelles ? Une telle stipulation présente un effet dissuasif et permet de se prémunir contre les risques d'abus éventuels.

  • L'issue de la renégociation

- En cas d'aboutissement de la négociation, le contrat initial est-il poursuivi ou un nouveau contrat se forme-t-il ? Quel est alors le sort des éventuels engagements complémentaires souscrits (ex. : garanties) ?

- Peut-on, en cas de blocage, recourir à un juge ou à un tiers pour se substituer à parties inconciliables ? Il convient alors de définir le rôle du juge, son mode de désignation, ses pouvoirs, l'objet de son intervention, les critères éventuels à appliquer pour réviser le contrat, la force contraignante de sa décision...

- Quelle est l'issue du contrat en cas d'échec des renégociations ? Le contrat initial continuera-t-il d'être suspendu jusqu'à ce qu'un nouvel accord intervienne, sera-t-il résilié ou devra-t-il être exécuté aux conditions initiales ?

Une clause de hardship sera bien rédigée lorsqu'elle sera suffisamment pensée, intelligible, claire et précise pour permettre son application au cas considéré sans contestation. De nombreux ouvrages et chroniques proposent, à titre d'exemple, des formules de clauses de hardship (16). Toutefois, aucun exemple de clause proposé n'aurait vocation à être reproduit à la lettre. Pour être efficace, une clause de hardship doit être utilisée avec circonspection et modulée au cas par cas, en prévision de la nouvelle situation qu'elle aurait vocation à régir, aussi imprévisible qu'elle puisse paraître.


(1) Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, q.110, art. 3 ad. 5, in Jacques Ghestin, Traité de droit civil, 3ème éd., mars 2001, p. 355 à 417, sp. p. 360.
(2) Saint Thomas d'Aquin référencé in Jurisclasseur Civil Code, Art. 1134-1135, Fasc. 11, à jour au 19 décembre 2006, n° 33, p. 12.
(3) Cass. civ., 9 janvier 1856, DP, 1856, 1, p. 33 ; Cass. civ., 11 mars 1856, DP, 1856, 1, p. 100 ; Cass. civ., 7 mars 1859, DP, 1859, 1, p. 109.
(4) Affaire du "Canal de Craponne" :
" Vu l'article 1134 du Code civil,
[...] Attendu que la règle qu'il [C. civ., art.. 1134] consacre est générale et absolue et régit les contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives, de même que ceux de toute autre nature; que dans aucun cas il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants [...]
Par ces motifs, casse" (Cass. Req., 6 mars 1876, DP, 1876, 1, p.193).
Pour mémoire, cette affaire concernait une demande de révision du montant de la redevance de sols appliquée sur lesquels le canal de Craponne était exploité dont, il convient de le préciser, le montant avait été fixé trois siècles plus tôt (conventions conclues aux XVIème siècle) ! La demande était motivée par l'augmentation du coût de la main d'oeuvre et la baisse de la valeur de la monnaie. La Haute juridiction fit preuve d'une extrême rigueur en refusant de reconnaître le caractère équitable de la demande de révision ainsi formulée. Cet arrêt pose explicitement le principe d'interdiction pour le juge de réviser un contrat pour imprévision. François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil - Les obligations, 10ème éd., septembre 2009, p. 479 et s., sp. n° 466, p. 482
(5) Ainsi, la loi (non exhaustif) autorise-t-elle une telle révision du contrat en matière de libéralités (C. civ., art. 900-2 N° Lexbase : L0042HPA), en matière de prix de cession de droits d'exploitation d'oeuvres littéraires ou artistiques qui présenterait un caractère lésionnaire de plus de 7/12ème (C. prop. intell., art. L. 131-5 N° Lexbase : L3388ADT), de location-gérance (C. com., art. L. 642-17 al. 2 N° Lexbase : L3924HBX) ou de prestation compensatoire (C. civ., art. 276-3 N° Lexbase : L2844DZD) lorsque des circonstances strictes et spécifiquement prévues sont réunies (ex. : 7/12ème de lésion en matière de prix de cession de droits d'exploitation d'oeuvres littéraires ou artistiques). De même, l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) permet-il au juge "même d'office, [de] modérer ou [d'] augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire". Bien que le fait générateur de ce mécanisme ne procède pas de la survenance de circonstances nouvelles extérieures aux parties, cette disposition n'en demeure pas moins une reconnaissance du pouvoir du juge de s'immiscer dans le contrat pour rétablir une situation équitable. L'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW) permet également au juge d'accorder un délai de paiement au débiteur. Ces dispositions ont toutefois un objet restreint, strictement défini.
(6) Affaire "Gaz de Bordeaux" CE Contentieux, 30 mars 1916, n° 59928 (N° Lexbase : A0631B9A), D., 1916, jurispr. p. 25 ; S., 1916, 3, p. 17.
(7) Cour d'appel de Paris, 28 décembre 1976, JCP éd. G, 1978, II, 18810 ; TGI Paris, 24 février 1988, Bull. Inf. C. cass, 1er août 1988, p.24 ; Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634 (N° Lexbase : A9415AAX), Bull. civ. V, n° 122.
(8) Affaire "Huard", sur l'évolution des prix en matière de carburants : Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547 (N° Lexbase : A4297ABR), Bull. civ. IV, n° 338.
(9) Dans une affaire dans laquelle un mandant ne mettait pas son agent commercial en mesure de pratiquer des prix proches de ceux pratiqués par les concurrents, la Cour de cassation a admis la révision du contrat sous le visa de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil mais aussi de l'article 4 de la loi du 25 juin 1991 (loi n° 91-593 N° Lexbase : L8328AIB) : Cass. com., 24 novembre 1998, n° 96-18.357 (N° Lexbase : A9771AYK), Bull. civ. IV, n° 277 ; JCP éd. G, 1999, II, 10210.
(10) Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369, F-D (N° Lexbase : A9771AYK), in S. Le Gac-Pech, L'équilibre du contrat au travers de la cause : un substitut à la théorie de l'imprévision ?, JCP éd. E, 16 décembre 2010, n° 2108, p. 24.
(11) Cass. soc., 17 juin 1981, n° 77-12.428 (N° Lexbase : A8771CHC), Bull. civ. V, n° 568, p. 426, in J. Ghestin, Traité de droit civil, 3ème éd., mars 2001, p. 374.
(12) B. Fauvarque-Cosson, Le changement de circonstances in Durées et contrats, RDC, 2004, p.67, n° 27, in Mustapha Mekki, Hardship et révision des contrats, 1 - Quelle méthode au service d'une harmonisation entre les droits ? , JCP éd. G, n° 49, 6 décembre 2010, n° 1249, p. 2297.
(13) Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Les obligations, 4ème éd., octobre 2009, p. 376 et s., p. 380, n° 762.
(14) Clause de renégotiation, clause de sauvegarde, material adverse change ("MAC" clause), clause d'équité, clause de révision, clause d'imprévision, clause d'échelonnement...
(15) B. Oppetit, L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de hardship, Clunet, 1974, 794, sp. n° 3, p.797, in Jurisclasseur Contrats-Distribution, Fasc. 70 Durée dans les contrats, à jour au 1er octobre 2006, n° 161, p.25
(16) ICC Force majeure clause 2003 - Hardship clause 2003, ICC, n° 650, 2003 ; W. Dross, Clausier - Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats en droit privé interne, mars 2008 ; J.-M. Mousseron, J. Raynard, J.-B. Saube, Technique contractuelle, 4ème éd., juin 2010, n° 1530 et s. ; Principes d'Unidroit, 2004, relatifs aux contrats du commerce international, "Hardship", chapitre 6, section 2, articles 6.2.1 à 6.2.3, www.unidroit.org.

newsid:411678

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus