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N1697BRB
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 27 Janvier 2011
Marc Lecacheux : Tout d'abord, il convient de revenir sur la genèse et les fondements juridiques de cette notion qui correspond à un tempérament du devoir d'obéissance hiérarchique prévue par l'article 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L2680E3N), qui dispose que tout fonctionnaire "doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public". La définition actuelle du droit de retrait est issue directement de la Directive (CE) 89/391du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9).
Par la suite, ce corpus normatif a été intégré dans le Code du travail, en son article L. 4131-1 (N° Lexbase : L1463H93), lequel énonce que "le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection". Par symétrie, c'est cette définition qui a été reprise intégralement dans les textes relatifs à la fonction publique. Ainsi, selon l'article 5-6 du décret n° 82-53 du 28 mai 1982, relatif à l'hygiène et la sécurité du travail, ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique (N° Lexbase : L3033AI8) et le décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 (N° Lexbase : L6509IMZ), modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 (N° Lexbase : L1018G89), relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale (1), la notion de droit de retrait doit s'appliquer lorsque "un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection [il en avise alors] immédiatement l'autorité administrative".
Par ailleurs, le juge administratif a considéré le droit de retrait comme un principe général du droit : "il résulte d'un principe général du droit dont s'inspire l'article L 231-8-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3651HNK, art. L. 4131-3, recod. N° Lexbase : L1763HXL) qu'aucune sanction, aucune retenue de salaire, ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un agent public qui s'est retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé [...]" (TA de Besançon, n° 96-0071, 10 octobre 1996). Il s'agit donc d'un droit subjectif de l'agent de se retirer d'une situation de danger imminente, tout en sachant que ce comportement doit avoir des bases objectives. C'est un droit individuel car c'est l'agent qui doit apprécier subjectivement la situation de danger : il faut et il suffit que l'agent estime raisonnablement, qu'il court un risque grave et imminent pour sa santé et sa sécurité (CE Contentieux, 15 mars 1999, n° 183545 N° Lexbase : A5127AX8, D., p. 65). Ceci doit, toutefois, être pondéré par le caractère raisonnable de son interprétation.
En effet, celle-ci ne doit être ni absurde, ni insensée, ni excessive, comme, par exemple, invoquer le droit de retrait a posteriori à l'occasion d'une procédure d'abandon de poste. Ce qui pose question, c'est l'acception exacte du danger grave et imminent. Ainsi, comment peut-on définir la menace ou l'imminence du danger ? Force est de constater que la jurisprudence tend à définir le droit de retrait comme un évènement ou une menace mettant en cause de manière brutale la santé ou la vie des agents et susceptible de provoquer une atteinte ou des lésions soudaines pouvant entraîner la mort ou une incapacité permanente temporaire prolongée. C'est, d'ailleurs, ce qui ressort d'une circulaire du 9 octobre 2001 du ministère de l'Intérieur (Circ. DGCL, n° 01/00272 N° Lexbase : L2359IP3) qui cantonne l'utilisation du droit de retrait aux menaces susceptibles "de provoquer une atteinte sérieuse à l'intégrité physique de l'agent dans un délai rapproché". Ce qui implique une exclusion de principe pour les maladies psychologiques ou des maladies professionnelles, qui sont, par nature, à évolution lente. Il n'en demeure pas moins que l'interrogation se porte actuellement sur le harcèlement moral qui affecte la santé physique et psychologique des nombreux agents. Enfin, la question de savoir si la défectuosité des systèmes de protection justifie à elle seule l'exercice du droit de retrait ou si elle doit se cumuler avec les notions de danger grave et imminent subsiste.
Lexbase : Où se trouve la frontière entre le droit de grève et l'exercice du droit de retrait ?
Marc Lecacheux : Le droit de retrait ne doit pas être un substitut au droit de grève. Pour illustrer ce propos, un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 16 juin 2005, n° 0106154) a décidé de valider la décision d'un recteur de considérer des enseignants comme grévistes, alors qu'ils avaient cessé collectivement le travail en invoquant leur droit de retrait, ceci en l'absence de danger grave et imminent. En outre, la Cour suprême est venue rappeler que l'exercice collectif du droit de retrait ne doit pas cacher un conflit collectif : "c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a estimé qu'à l'exception de la sécurité du quartier [...] il n'y avait pas de motif raisonnable de penser qu'il existait un danger grave et imminent de nature à justifier l'exercice du droit de retrait sur les autres lignes du réseau" (Cass. soc., 23 avril 2003, n° 01-44.806, F-P N° Lexbase : A5898BME) (2). En définitive, des agents participant à une cessation concertée du travail en invoquant le droit de retrait afin d'appuyer des revendications peuvent être considérés comme grévistes en l'absence de danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. Néanmoins, le droit de retrait, qui est un droit individuel, peut s'exercer collectivement, sans pour autant caractériser une grève.
Lexbase : Quelles missions sont incompatibles avec le droit de retrait ?
Marc Lecacheux : Nous abordons ici la limite du droit de retrait. Ce droit ne s'applique pas aux corps et cadres d'emploi des personnels exerçant des missions de sécurité des biens et des personnes incompatibles avec le droit de retrait tels que les sapeurs pompiers ou policiers municipaux, comme le précise l'arrêté du 15 mars 2001, portant détermination des missions de sécurité des personnes et des biens incompatibles avec l'exercice du droit de retrait dans la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L2360IP4), c'est-à-dire toutes les personnes ayant pour mission d'assurer le bon ordre, la sécurité, la santé et la salubrité publique.
Lexbase : Que se passe-t-il en cas de divergence d'opinions ?
Marc Lecacheux : Pour analyser en profondeur cette question, il convient de reprendre les modalités d'utilisation du droit de retrait par l'agent. Il s'agit, tout d'abord, de préciser que la notion de droit de retrait est indissociable de la procédure d'alerte prévue par le décret n° 82-53 du 28 mai 1982 précité. Ainsi, avant de se retirer d'une situation dangereuse, l'agent doit obligatoirement alerter le chef de service ou le supérieur hiérarchique conformément au principe d'obéissance hiérarchique, puisque c'est le supérieur hiérarchique qui est responsable de l'hygiène et de la sécurité des agents sous ses ordres. Parallèlement, le comité d'hygiène et de sécurité doit être obligatoirement consulté et mener ensuite une enquête de concert avec le supérieur hiérarchique. En cas de désaccord sur le danger ou sur les mesures prises, c'est la procédure de conciliation qui doit être mise en oeuvre (article 5-5 du décret du 28 mai 1982), c'est-à-dire l'arbitrage de l'inspecteur du travail.
Si, au final, l'autorité et le comité ne reconnaissent pas la situation de péril, plusieurs options s'ouvrent à l'autorité hiérarchique :
- la suspension de rémunération ;
- l'engagement d'une procédure disciplinaire ;
- l'engagement d'une procédure pour abandon de poste.
Lexbase : Comment caractériser l'abus de droit de retrait ?
Marc Lecacheux : Il ne faut pas oublier qu'en cas de conflit, il appartient, dans chaque cas, à la juridiction saisie d'apprécier l'abus du droit de retrait, et si le (ou les) motif (s) invoqué (s) par l'agent parait (paraissent) être raisonnable (s) dans les circonstances de l'espèce. C'est donc le juge administratif qui contrôle si les conditions d'exercice du droit de retrait sont réunies. Il a, par ailleurs, très rarement admis la notion de désobéissance (CE, 3 mai 1961, Pouzelgues), puisque l'ordre doit être non seulement illégal, mais aussi compromettre l'intérêt public. L'administration qui estimerait que l'utilisation de ce droit de retrait est abusif peut recourir à cette sanction radicale de radiation des cadres pour abandon de poste, sous condition d'une mise en demeure régulière préalable de reprendre le travail (CE 3° et 5° s-s-r., 10 janvier 2000, n° 197591 N° Lexbase : A6943B7B). Il a, ainsi, été jugé qu'un harcèlement moral ne pouvait justifier l'utilisation du droit de retrait, et que dans ce cas la procédure pour abandon de poste diligenté par l'administration était légale (TA Dijon, 15 avril 2005, n° 0500689). C'est donc à l'agent que revient le fardeau probatoire, c'est-à-dire de justifier que les conditions requises sont réunies. A défaut, l'utilisation du droit de retrait par l'agent sera reconnue comme fautive.
(1) Lire, M. Carius, Droit de retrait des agents publics : date de reprise des fonctions, commentaire de l'arrêt CE 3° et 8° s-s-r., 2 juin 2010, n° 320935, Ministre de l'Education nationale c/ Mlle Fuentes, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2050EYL), Lexbase Hebdo du 7 juillet 2010 - édition publique (N° Lexbase : N6179BPK).
(2) Lire, L'abandon de poste...questions à Maître Sophie Jammet, avocat spécialisée en droit social au barreau de Paris, Lexbase Hebdo du 23 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7844BEA).
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