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N1703BRI
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Les faits de l'espèce étaient des plus ordinaires ; la réaction de la société cocontractante originale et bienvenue. Lors de la livraison de merrains, le gérant de la société prestataire, après avoir salué les employés de sa cliente, avait ignoré ostensiblement un de ses salariés, d'origine maghrébine, et, s'adressant à un autre employé, lui avait demandé "alors Thierry maintenant que tu es marié vas-tu faire des enfants ?". Ce dernier ayant répondu affirmativement, le gérant avait indiqué : "tu as raison il vaut mieux que ce soit toi plutôt que les bougnoules"... "On est d'ordinaire plus médisant par vanité que par malice" nous enseigne La Rochefoucauld... par bêtise, sûrement aussi.
Le personnel de la société cliente avait, alors, quitté l'atelier et s'était plaint, au comité d'établissement qui se tenait le même jour, du comportement du gérant de la société prestataire. Par la suite, la cliente avait signifié à cette dernière sa volonté de cesser toutes relations commerciales avec elle, en raison du comportement de son gérant. Ce comportement avait, légitimement, selon les juges d'appel, soulevé un émoi au sein des salariés, puisqu'ils ont souhaité évoquer cette scène, lors du comité d'établissement de l'entreprise et le gérant de la société prestataire avait, dès lors, engagé sa société en raison de ses fonctions en son sein ; aucune circonstance ne permettait non seulement de justifier, ni même d'expliquer ces propos de nature à créer un sentiment de malaise. Et, ce manquement à l'obligation de loyauté était d'autant plus répréhensible, qu'il était imputable au gérant d'une cocontractante, avec laquelle la société entretenait des liens commerciaux depuis environ dix-sept années. En conséquence, il y avait lieu de considérer que le comportement du gérant, qui était de nature à perturber l'ambiance de travail dans l'atelier de son cocontractant, a pu justifier la volonté de ce dernier de rompre toutes relations contractuelles, sans respecter aucun préavis.
A l'heure où le racialisme intellectuel refait surface, tout propos ou acte raciste étant constitutif d'un délit, et la biogénétique jetant à nouveau le trouble sur la diversité des origines humaines, a contrario du monogénisme biblique, il est louable que certaines entreprises fassent preuve de responsabilité sociale, à la faveur de laquelle, outre le respect de normes sociales ou environnementales, outre l'instauration de chartes éthiques sur la non-discrimination, et tirent les conséquences commerciales d'un désaccord profond entre elles et leurs co-contractants, sur le plan des valeurs qui les animent.
Le discours est certes angélique, car, que se serait-il passé si les propos racistes en cause avaient été tenus non par le gérant d'une société fournisseur, mais par celui d'une société cliente ? La logique économique et commerciale aurait sans doute repris ses droits, qui n'en sont pas. Dans l'expression "relations commerciales", se niche le terme "relation" qui suppose, en droit comme en fait, un respect des parties contractantes des obligations civiles et civiques. Mais, avec cette affaire, qui aura nécessité une cassation préalable de l'arrêt de la cour d'appel qui, pour accueillir la demande du gérant, avait retenu que l'attitude et les propos reprochés n'entraient pas dans le champ contractuel, de telle sorte qu'il ne pouvait être reproché à la société prestataire une inexécution contractuelle, l'exemple vient irrémédiablement d'en bas. Il vient de la société cliente, bien entendu, mais aussi des juges du Quai de l'Horloge qui affirmaient, en 2009, à l'appui de leur cassation, qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société prestataire, à laquelle étaient reprochées des fautes commises, lors de l'exécution de son obligation de livraison de la chose vendue, n'avait pas méconnu son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale. La cour d'appel de Bordeaux, remettant son ouvrage, ne se fit pas prier trois fois pour assimiler les propos racistes ainsi tenus au non-respect de l'obligation de loyauté.
Dans Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes rappelle qu'"au dire de Freud, un peu de différence mène au racisme. Mais, beaucoup de différences en éloignent irrémédiablement". De la banalisation des différences, sans tomber dans la mixophilie convulsive, sortira, sans doute, l'assainissement des relations commerciales, sur le plan du racisme et de la discrimination, au nom d'une responsabilité sociale de l'entreprise en développement. Et, "banalisation des différences" ne veut pas dire liberté absolue d'expression... Il arrive, parfois, que l'hypocrisie se cache sous la franchise du regard. Voyez Hippocrate, qui n'est pas ministre, mais auteur du célèbre serment humaniste, qui, dans Des airs, des eaux, des lieux, établissait un classement déterministe des groupes humains, définissant "des traits de caractère collectifs immuables" selon la géographie d'habitation, dans une conception induisant une hiérarchisation des peuples... Hippocrate, proto-raciste ? L'argument anti-raciste n'est pas d'autorité ; et la lutte contre le racisme ordinaire est décidemment bien l'affaire des hommes ordinaires...
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