Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 8 juin 2016, n° 381289, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7230RSL)
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par Jean-Marie Garinot, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne (CREDIMI)
le 14 Juillet 2016
Par un arrêt du 17 avril 2014 (1), la cour administrative d'appel de Nancy s'est rangée à l'opinion de l'administration et a jugé que "les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé relèvent du régime des plus-values professionnelles défini à l'article 39 duodecies du code général des impôts ; que si l'acte de cession des parts sociales de la SCEV en date du 5 juillet 2005 à la société holding créée par le requérant retrace les origines des titres et détaille les numéros des parts cédées, cette numérotation des parts ne saurait toutefois, à elle seule, faire échec à la présomption instituée par les dispositions précitées du 6° de l'article 39 duodecies du CGI, alors qu'il n'est pas établi que les parts souscrites le 5 juillet 2005 seraient d'une autre nature et conféraient d'autres droits que celles qui composaient le capital lors de la création de la SCEV le 5 mai 1999". Autrement dit, les juges du fond ont considéré la présomption posée par l'article 39 duodecies comme irréfragable et ont estimé que seuls la cession de titres d'une autre nature ou conférant d'autres droits que les titres d'origine pouvait faire échec à l'application de la règle PEPS.
Saisi d'un pourvoi, le Conseil d'Etat confirma l'arrêt d'appel et jugea que "le législateur a entendu fixer, sous la seule réserve des dérogations prévues au même article, la règle selon laquelle, lorsqu'un contribuable [...] cède des valeurs mobilières [...] ces cessions sont réputées porter sur les titres de même nature acquis ou souscrits à la date la plus ancienne, quelle qu'en soit la date d'acquisition effective" et que "la cession litigieuse devait être réputée porter sur des titres de portefeuille, au sens et pour l'application du 6 [de l'article 39 duodecies], et que la numérotation des parts [...] n'était pas de nature à faire obstacle à l'application de la règle analysée ci-dessus, alors même qu'une telle numérotation aurait permis d'établir la date exacte d'acquisition et le coût réel d'acquisition de chacun des titres cédés". La numérotation des parts sociales permettant d'en retracer l'origine avec certitude, le principe posé par le Conseil d'Etat peut, à première lecture, sembler particulièrement rigoureux pour le contribuable (I). Le présent arrêt invite par ailleurs à s'interroger sur l'utilité de la numérotation des titres (II).
I - L'apparente rigueur de la présomption posée par l'article 39 duodecies
La numérotation des parts sociales, dont on peine à trouver le fondement légal, constitue d'un véritable habitus pour les praticiens. Cette pratique présente l'avantage d'identifier les titres et de les individualiser, ce qui permet d'établir de façon certaine leur origine de propriété, ainsi que leurs date et prix d'acquisition. Il n'est dès lors pas étonnant que le contribuable ait soutenu que les parts sociales cédées étaient celles reçues en contrepartie de l'augmentation de capital réalisée en 2005 et non celles acquises en 1999. Ce raisonnement se comprend d'autant mieux que la méthode PEPS constitue à l'origine une règle comptable permettant d'évaluer un ensemble d'éléments identiques dont on peut malaisément retracer la date d'acquisition, tel que le stock. Or, précisément, la numérotation des titres permet de déterminer avec exactitude leur date d'acquisition, de manière à calculer la plus-value véritablement réalisée lors de la cession.
Néanmoins, comme le souligne le Conseil d'Etat, l'article 39 duodecies, 6 du CGI précise que les cessions de titres sont "réputées" porter sur les titres les plus anciens. La présomption posée par ce texte présente donc un caractère irréfragable et, comme telle, trouve à s'appliquer même si elle ne correspond pas à la réalité de l'opération. Le raisonnement du Conseil d'Etat doit être approuvé en ce qu'il est fait une exacte application de la lettre de la loi. De surcroît, rien, dans les travaux préparatoires, ne laisse à penser que le législateur aurait entendu faire de cette règle une présomption simple. La solution paraît donc également conforme à l'esprit de la loi, même si elle peut sembler d'une particulière rigueur puisque la cession avait bel et bien, dans les faits, porté sur les titres nouvellement souscrits et comme telle, n'avait généré aucune plus-value véritable.
On relèvera par ailleurs que les juges du Palais-Royal n'ont pas repris les développements des juges du fond relatifs à la l'inapplicabilité de la règle PEPS lorsque les titres cédés sont d'une autre nature que les autres titres possédés par le contribuable. Selon la doctrine administrative, "En ce qui concerne la définition des titres de même nature, ces titres s'entendent de ceux qui sont émis par une même collectivité et confèrent à leurs détenteurs les mêmes droits au sein de la collectivité émettrice, sans qu'il y ait lieu, en principe, de distinguer selon le régime fiscal auquel ces éléments ont été soumis" (2). S'il semble évident que, pour être de même nature, les titres doivent être émis par la même société, la précision relative aux droits conférés par ceux-ci suscite plusieurs questions. On sait en effet que les actions de préférence peuvent conférer des prérogatives particulières, de nature politique ou patrimoniale. Ces préférences peuvent tantôt être relativement mineures (ex. : droit à l'information selon une périodicité renforcée), tantôt être réellement discriminatoires (ex. : privation du droit de vote). Dès lors, suffit-il de conférer à une catégorie d'actions un droit particulier pour qu'il soit fait échec à la règle PEPS ? Bien que la jurisprudence ne se soit, à notre connaissance, jamais prononcée, une lecture stricte de la doctrine administrative inviter à formuler une réponse positive.
Le principe posé par le Conseil d'Etat, qui a évidemment vocation à s'appliquer aux actions (lesquelles peuvent être numérotées, même si la pratique n'est pas courante), comme la numérotation des titres, ne sont toutefois pas privés de tout intérêt.
II - Les intérêts de la numérotation des titres
Comme l'ont récemment montré le Professeur Mortier et Monsieur Saint-Amand (3), la numérotation des titres, y compris des actions, est possible. En effet, même si les actions sont fongibles en ce qu'elles confèrent des droits identiques par catégorie, rien n'interdit de les individualiser en les numérotant. La fongibilité caractérise en effet des biens pouvant être pris les uns pour les autres, rien ne s'opposant à ce que ces biens soient par ailleurs des corps certains, individualisés (4). Selon ces auteurs, la numérotation des titres facilite, par exemple, le suivi des cessions dans le cadre des pactes Dutreil et permet de procéder plus aisément à des démembrements de propriété, en séparant les actions dont la propriété est démembrée des actions détenues en pleine propriété.
Par ailleurs, s'agissant des plus-values imposées sur le fondement de l'article 150-0 D du CGI (N° Lexbase : L3820KWE), la doctrine administrative (5) opère une distinction selon que les titres sont "identifiables" et selon qu'ils sont "fongibles". Le service considère que les titres ressortant de la première catégorie sont ceux pour lesquels le cédant connaît, à la date de leur cession et pour chacun d'entre eux, leur date et leur prix d'acquisition. A l'inverse, et conformément au 3 de l'article 150-0 D, l'administration considère que, pour les titres qu'elle qualifie de fongibles, il convient de déterminer la plus-value en utilisant la méthode du coût moyen pondéré et, par exception, la méthode PEPS. On observera que la doctrine administrative considère que les titres fongibles ne sont pas identifiables, ce qui est critiquable, et que, sur le fondement de l'article 150-0 D, elle considère que, lorsque les titres sont identifiables, il convient de retenir le prix et la date d'acquisition véritables. Quoi qu'il en soit, la numérotation des titres est susceptible de présenter, dans cette hypothèse, un véritable intérêt puisqu'elle permet de bénéficier de cette doctrine administrative.
En outre, le principe posé par le Conseil d'Etat peut s'avérer favorable pour le contribuable en cas de baisse de la valeur des titres entre la date d'acquisition des titres anciens, celle de l'acquisition des titres nouveaux et celle de la cession. Dans cette optique, il sera en effet possible de dégager une moins-value fiscale plus importante. Enfin, comme l'ont souligné des auteurs (6), la règle posée par la jurisprudence "Quéméner" (CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD), selon laquelle le prix de revient des titres de sociétés de personnes doit être apprécié distinctement en fonction de leur date d'acquisition, ne paraît nullement remise en cause.
(1) CAA Nancy, 17 avril 2014, n° 12NC01928 (N° Lexbase : A0376MMU).
(2) BOI-BIC-PVMV-30-30-10, n° 110 (N° Lexbase : X6565ALQ).
(3) R. Mortier et J. Saint-Amand, Pourquoi la numérotation d'actions est possible, JCP N, 2015, n° 44, 1191, et Pourquoi la numération d'actions est utile, JCP N, 2015, n° 44, 1192.
(4) A. Laude, La fongibilité : diversité des critères et unité des effets, RTD Com., 1995, n° 14, p. 307.
(5) BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20 n° 50 et s. (N° Lexbase : X5915ALN).
(6) Fr. Lefebvre, actualité du 23 juin 2016.
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