La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Les conditions de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi peuvent s'apprécier au niveau de l'unité économique et sociale

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2010, (jonction) n° 09-69.485 à n° 09-69.489, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5880GKY)

Lecture: 8 min

N8358BQM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Les conditions de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi peuvent s'apprécier au niveau de l'unité économique et sociale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235251-jurisprudencelesconditionsdemiseenplacedunplandesauvegardedelemploipeuventsappreciera
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 04 Janvier 2011

Soucieuse de respecter l'autonomie des personnes morales composant une unité économique et sociale (UES), la Cour de cassation a jugé par le passé que les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du fait que la personne morale employeur fasse partie d'un groupement. Si la Chambre sociale confirme cette solution de principes dans un arrêt rendu le 16 novembre 2010, elle l'assortit d'une importante exception en décidant qu'il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une UES, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES.
Résumé

Si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES. La cour d'appel qui a constaté que les projets de licenciements économiques soumis au comité d'entreprise de l'UES avaient été décidés au niveau de "la direction commune" aux sociétés composant l'unité économique et sociale, en a exactement déduit que les conditions imposant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi devait être vérifiées dans l'ensemble de l'UES.

Observations

I - Le périmètre d'appréciation des conditions de mise en place d'un PSE

Le principe

En application de l'article L. 1233-61 du Code du travail (N° Lexbase : L1236H9N), l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi n'est obligatoire qu'à la double condition que l'"entreprise" compte au moins cinquante salariés et que le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours.

Ainsi qu'il est formulé, le texte précité fait naître des incertitudes quant au périmètre d'appréciation des conditions d'effectifs et de nombre de licenciements, dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi. On est, évidemment, tenté de considérer, qu'est, en réalité, visée la personne morale employeur, qu'il s'agisse d'une société ou d'une association notamment (1). Mais l'incertitude n'est pas là. Elle naît lorsque le projet de licenciements pour motif économique intéresse une UES (2).

Dans la mesure où il est classiquement enseigné que l'UES vise à reconstituer l'entreprise par-delà les divisions sociétaires, il paraît possible d'affirmer que la double condition évoquée précédemment doit être appréciée au niveau de l'unité économique et sociale (i.e. de l'entreprise) tout entière et non au niveau des sociétés qui la composent.

On sait, toutefois, que ce n'est pas la solution retenue par la Cour de cassation. Ainsi qu'elle l'a affirmée de manière expresse dans un arrêt en date du 28 janvier 2009, "l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi pesant sur l'employeur, c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doivent être vérifiées les conditions d'effectif et de nombre des licenciements imposant l'établissement et la mise en oeuvre d'un tel plan" (3). Cette solution doit, certainement, être approuvée. Dire que l'UES est une entreprise est une chose, vouloir lui imputer des obligations en est une autre. Parce que l'entreprise n'est pas personnifiée, on ne saurait mettre à sa charge une quelconque obligation. Il paraît, dès lors, logique que l'appréciation des conditions d'effectifs et de nombre de licenciements soit bornée par la personne morale employeur et elle seule. A notre sens, cette solution s'explique surtout par le principe de l'autonomie des personnes morales qui composent l'UES.

L'arrêt sous examen révèle, toutefois, qu'il est au moins une exception à cette solution de principe (4).

L'exception

Etaient en cause, en l'espèce, sept salariés de la société Stéphane Kellian, placée en redressement judiciaire en novembre 2002. Dans le cadre d'un plan de cession, l'activité de celle-ci avait été reprise en janvier 2003 par la société Smalto Holding, à laquelle s'est substituée la société Kemos. Cette activité s'était alors poursuivie dans le cadre d'une UES composée de dix sociétés filiales, le contrat de travail des salariés précités étant transféré à la société Stéphane Kellian commercial, devenue L. Commercial.

En novembre 2006, le comité d'entreprise de l'UES avait été consulté sur un premier projet de licenciement collectif concernant la suppression de l'ensemble des 91 emplois répartis dans les différentes entités de l'UES. Cette procédure avait, toutefois, été, ensuite, abandonnée. Une nouvelle consultation du comité était intervenue le 9 juillet 2007 sur un nouveau projet de licenciements économiques concernant huit salariés de la société L. Commercial. Enfin, en novembre 2007, un troisième projet de licenciement avait été soumis au comité d'entreprise de l'UES concernant les douze salariés restants de la société L. Commercial, lesquels avaient, finalement, été licenciés en février 2008.

Plusieurs de ces salariés avaient alors saisi la juridiction prud'homale de demandes en nullité de leur licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l'emploi et en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société L. Commercial reprochait aux arrêts attaqués d'avoir déclaré nuls les licenciements de ces salariés concernés. A l'appui de son pourvoi, la demanderesse soutenait, notamment, que l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi pesant sur l'employeur, c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doit être vérifiée la satisfaction aux critères d'effectif et de nombre de licenciements qui conditionne l'existence et la mise en oeuvre de ladite obligation.

On aura reconnu dans cette argumentation la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 28 janvier 2009. Sans pour autant procéder à un quelconque revirement de jurisprudence, la Chambre sociale décide, cependant, d'écarter ces arguments en l'espèce, introduisant une exception à la solution de principe invoquée.

Après avoir rappelé que les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, la Cour de cassation affirme qu'"il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES" et "que la cour d'appel, qui a constaté que les projets de licenciements économiques, soumis au comité d'entreprise de l'UES, avaient été décidés au niveau de la direction commune' aux sociétés composant l'unité économique et sociale, en a exactement déduit que les conditions imposant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi devaient être vérifiées dans l'ensemble de l'UES".

Cette solution paraît devoir être approuvée. Dès lors que le projet de licenciement n'est pas limité à une société appartenant à l'UES, il n'y a plus de raisons de borner l'appréciation des conditions d'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi à cette seule entité juridique. En arrêtant un tel projet au niveau central ou, pour reprendre les termes de l'arrêt, "de la direction commune", l'"employeur" signifie au fond qu'il entend écarter le principe de l'autonomie des personnes morales ou, à tout le moins, élargir le champ d'appréciation des conditions d'effectifs et de nombre de licenciements. Il doit, dès lors, en subir toutes les conséquences.

Il est à remarquer que cette hypothèse ne doit pas être confondue avec celle dans laquelle des projets de licenciements pour motif économique concerneraient simultanément plusieurs sociétés de l'UES. Ce qui importe, c'est de déterminer à quel niveau la décision a été prise. Si elle est arrêtée dans chacune des sociétés, les conditions précitées doivent être appréciées au niveau de chaque société ; le principe de l'autonomie des personnes morales retrouvant ici toute sa portée.

II - Les implications de la solution retenue par la Cour de cassation

L'employeur, seul débiteur d'obligations à l'égard des salariés

On se souvient que, dans une importante décision rendue le 13 janvier 2010, la Cour de cassation a affirmé que "l'obligation de reclasser les salariés dont le licenciement est envisagé et d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi répondant aux moyens du groupe n'incombe qu'à l'employeur ; il en résulte qu'une société relevant du même groupe que l'employeur n'est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de ce dernier d'une obligation de reclassement et qu'elle ne répond pas, à leur égard, des conséquences d'une insuffisance des mesures de reclassement prévues dans un plan de sauvegarde de l'emploi" (5).

Cette solution procède de l'idée que les salariés n'ont qu'un seul débiteur d'obligations, à savoir leur employeur. Toutefois, en se référant à "cette seule qualité", la Cour de cassation a expressément réservé la possibilité d'élargir le cercle des débiteurs d'obligations. On pouvait penser qu'étaient principalement visés les co-employeurs (6). L'arrêt sous examen laisse à penser qu'il est, peut-être, une autre hypothèse.

La multiplication des débiteurs d'obligations

Rappelons qu'en l'espèce, la décision de licencier avait été prise par la "direction commune" aux sociétés composant l'UES. On admettra que la référence à cette "direction commune" est pour le moins obscure et ne permet pas de déterminer ce qui est en réalité visé : une personne physique ? Une personne morale ? Il est, toutefois, possible de penser qu'est en réalité visée la "société pilote" de l'UES, c'est-à-dire celle dans laquelle se concentre le pouvoir de direction exercé sur les sociétés composant l'unité.

Si tel est bien le cas, il convient de se demander si les obligations d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi et de reclassement ne doivent pas être imputées à cette "société pilote", alors même qu'elle n'est pas l'employeur nominal des salariés. Il semble qu'il doive en aller ainsi. On comprendrait, en effet, mal que la "société pilote" décide des licenciements, tout en s'affranchissant des obligations qui en découlent. Il reste alors à savoir si cela est la conséquence du seul fait que la "société pilote" a décidé du licenciement ou si cette décision permet de caractériser une situation de co-emploi.


(1) Cette hypothèse fait, elle-même, naître des interrogations lorsque l'entité en cause est divisée en établissements distincts. Les conditions précitées doivent-elles être appréciées au niveau de l'entreprise ou de l'établissement ? Dans un arrêt en date du 16 janvier 2008, la Cour de cassation a jugé que "c'est au niveau de l'entreprise ou de l'établissement concerné par les mesures de licenciement économique envisagées, au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée que s'apprécient les conditions déterminant la consultation des instances représentatives du personnel et l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi" (Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-46.313, FS-P+B N° Lexbase : A7768D34). Cette solution peut être discutée, dans la mesure où l'article L. 1233-61 vise l'entreprise et non l'établissement.
(2) Et dans une moindre mesure un groupe de sociétés.
(3) Cass. soc., 28 janvier 2009, n° 07-45.481 (N° Lexbase : A9600ECK) ; Dr. ouvrier, 2009, p. 313 et la chron. de P. Darvez-Bornoz, Notions d'unité économique et sociale et de comité d'entreprise-employeurs, p. 309.
(4) Il en est, sans doute, une autre, lorsque peut être caractérisée l'existence de co-employeurs (v. en ce sens l'arrêt préc. du 28 janvier 2009).
(5) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776, FS-P+B (N° Lexbase : A2943EQ3).
(6) V. notre art. Les co-employeurs, in Les concepts émergents en droit des affaires, ss la direc. d'E. Le Dolley, LGDJ, 2010, p. 43.

Décision

Cass. soc., 16 novembre 2010, (jonction) n° 09-69.485 à n° 09-69.489, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5880GKY)

Rejet, CA Grenoble, ch. soc., 1er juillet 2009

Texte concerné : C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N)

Mots-clés : licenciements pour motif économique, plan de sauvegarde de l'emploi, conditions de mise en oeuvre, unité économique et sociale.

Liens base : (N° Lexbase : E9317ESU)

newsid:408358