La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010 : Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Décembre 2010

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Les conventions domaniales sont au coeur de cette chronique de droit interne des contrats publics. L'attention est bien évidemment portée sur l'épilogue de l'affaire du "stade Jean Bouin" avec l'intervention de l'arrêt du Conseil d'Etat qui qualifie la convention litigieuse de simple contrat d'occupation du domaine public et précise que sa passation n'avait pas à être précédée d'une procédure de publicité (CE, S, 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon). Une autre décision illustre le fait que les critères jurisprudentiels du contrat administratif ont encore leur rôle à jouer dans le processus de qualification des contrats conclus par l'administration (CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 331837, publié au recueil Lebon). Enfin, une décision du Tribunal des conflits vient simplifier le contentieux des contrats et actes unilatéraux se rapportant à la gestion du domaine privé en précisant qu'il revient au juge judiciaire dès lors que le contrat principal est de droit privé (T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764).
  • Le contrat confiant l'exploitation des équipements sportifs du "stade Jean Bouin" n'est pas une délégation de service public mais une simple convention d'occupation du domaine public dont la conclusion peut intervenir sans qu'il soit nécessaire d'organiser une procédure de publicité préalable (CE, S, 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4439GMD)

Jeu, set et match pour la ville de Paris ! C'est en ces termes empruntés au jargon tennistique que l'on pourrait commenter l'épilogue (tout au moins du point de vue de la justice administrative) du long feuilleton judiciaire opposant la ville de Paris, une association et la société X à la société Y. L'objet du litige est connu de tous. Propriétaire d'un terrain de près de six hectares dans le seizième arrondissement, la ville de Paris a confié en 1927 à une association le soin d'y construire un stade et de l'exploiter. A partir de 1965, la ville confia l'exploitation du stade à l'Etat pour une durée de trente ans, qui le sous-concéda à son tour à la même association. L'Etat se désengagea en 1988 et la ville de Paris conclut alors un nouveau contrat d'exploitation avec cette association, lequel portait alors sur un stade de 10 000 places, d'une piste d'athlétisme, de vingt-et-un courts de tennis et d'un terrain de hockey. En octobre 2003, la société Y manifesta son intérêt auprès de la ville de Paris pour l'exploitation des terrains de tennis, dont on imagine assez facilement qu'ils drainent des masses financières conséquentes compte tenu de leur emplacement. Seulement, le conseil de Paris lui opposa une fin de non-recevoir en approuvant en 2004 le projet de convention autorisant l'association (celle-ci ayant changé de dénomination à la suite du remplacement d'une banque par un groupe de communication à sa direction) à occuper pour vingt ans supplémentaires le domaine public de la ville de Paris. En 2006, la société Y intenta alors un recours pour excès de pouvoir contre la délibération d'approbation du conseil de Paris et contre les décisions du maire de 2004, plus précisément contre la décision de signer la convention et contre la décision d'écarter la candidature de la société Y.

Par un jugement du 31 mars 2009 (1), le tribunal administratif de Paris fit partiellement droit aux conclusions de la société requérante en annulant les décisions du maire au motif que la convention litigieuse devait s'analyser comme une délégation de service public, et qu'elles se rapportaient donc à un contrat conclu en violation des dispositions de l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0551IGI) qui imposent l'organisation d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. La première victoire obtenue par la société Y fut de courte durée. Certes, la cour administrative d'appel de Paris rejeta la demande de sursis à exécution de ce jugement formé par la ville de Paris et l'Association Paris Jean Bouin (2). Seulement, par une décision du 13 janvier 2010, les troisième et huitième sous-sections du Conseil d'Etat ont annulé cet arrêt et ordonné le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris (3).

Cet arrêt du Conseil d'Etat a mis le feu aux poudres (et a posé question quant au respect du principe d'impartialité (4)) et ravivé un conflit latent existant entre les juges du Palais Royal et la cour administrative d'appel de Paris. Se prononçant sur le fond de l'affaire, celle-ci a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris pour avoir omis de statuer sur un moyen mais n'a pas manqué de confirmer que la convention litigieuse était une délégation de service public (5). Elle l'a fait aux termes d'un arrêt particulièrement motivé et circonstancié alors que, parallèlement, le litige du stade Jean Bouin était aussi devenu une "affaire" dont le juge pénal avait été saisi. En effet, dès 2007, la société Y avait déposé plainte pour délit de favoritisme et recel de favoritisme contre le maire de Paris, le président de l'association et le président du groupe étant à la tête de celle-ci. La justice pénale a, cependant, reporté leur audition jusqu'au règlement du litige par la justice administrative. Inutile de préciser, dans ces conditions, que l'arrêt du Conseil d'Etat était autant attendu que redouté. Les contractants avaient beaucoup à perdre dans cette affaire et la société Y pouvait légitimement penser qu'elle allait emporter la victoire. Pour reprendre une nouvelle fois une image empruntée au monde du sport, la position de cette société ressemblait fort à celle d'une équipe possédant une balle de match dans la dernière manche de ce combat porté devant le juge administratif.

Malheureusement pour elle, le droit administratif a aussi son lot d'incertitudes et de surprises. Alors que la doctrine était quasi unanime pour dire que la convention litigieuse était une délégation de service public et qu'une telle convention d'occupation du domaine public, à supposer qu'elle ne soit pas une délégation de service public, ne pouvait pas être conclue sans procédure de publicité préalable, le Conseil d'Etat, suivant en cela les conclusions de son Rapporteur public, a retenu une solution radicalement différente en consacrant un double refus : le refus de qualifier la convention litigieuse de délégation de service public, d'une part (1°), et le refus de soumettre les conventions d'occupation du domaine public à un régime de publicité préalable, d'autre part (2°). La solution est contestable sur le premier point, elle l'est encore davantage sur le second.

1 - Le refus de qualifier la convention litigieuse de délégation de service public

La délégation de service public est définie par la loi (CGCT, art. L. 1411-1, précité) à partir d'un double critère matériel et financier. Elle est, en effet, "un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service" (6). Dans son arrêt du 25 mars 2010, la cour administrative d'appel de Paris avait considéré que la convention d'exploitation des équipements sportifs du stade Jean Bouin satisfaisait à l'un et à l'autre. S'agissant du critère matériel, elle avait déduit des stipulations contractuelles et de documents extérieurs au contrat la volonté de la ville de Paris de confier à l'association une mission de service public consistant en la gestion, sous son pilotage, d'un grand complexe sportif orienté vers l'ensemble des parisiens, sportifs ou spectateurs, avec pour objectifs principaux l'accueil d'une équipe professionnelle de rugby "résidente", l'offre de spectacles sportifs de qualité au plus grand nombre, l'encouragement de la pratique du sport, notamment chez le public scolaire ou universitaire et les personnes handicapées, et la formation de sportifs de haut niveau dans plusieurs disciplines (tennis, notamment féminin, athlétisme, basket, rugby et hockey).

Alors qu'il n'exerçait jusqu'à une période très récente qu'un contrôle de l'erreur de droit en matière de qualification des contrats administratifs spéciaux, le Conseil d'Etat exerce, désormais, en sa qualité de juge de cassation un contrôle plus poussé qui porte sur la qualification juridique. Admise en 2008 au sujet d'un avenant (7), cette solution a été appliquée en 2010 dans une affaire en matière de contrat de partenariat (8) et dans un arrêt du 19 novembre 2010 au sujet d'une délégation de service public portant sur la gestion du palais des sports et des spectacles d'une commune (9). C'est en vertu de ce contrôle et de l'exactitude de la qualification juridique du contrat litigieux que le Conseil d'Etat a pu, en l'espèce, démonter point par point l'argumentation développée par les juges d'appel. Le Conseil d'Etat a, tout d'abord, considéré que la seule présence d'un club de rugby professionnel sans autres contraintes que celles découlant de la mise à disposition des équipements sportifs ne caractérisait pas, à elle seule, une mission de service public. Contrairement à la cour administrative d'appel de Paris, qui avait cru pouvoir déduire l'existence d'une telle mission de service public du contenu de la convention conclue entre l'association et la société anonyme sportive professionnelle qui définissait les droits et les obligations respectifs des parties relatifs à l'utilisation du terrain de rugby, des tribunes et de certaines dépendances.

Le Conseil d'Etat a, ensuite, écarté le motif tiré de ce que la convention litigieuse se rapportait, dans une certaine mesure, à l'accueil du public scolaire. La cour administrative d'appel de Paris avait constaté que la convention de 2004 ne reprenait pas une clause de l'ancienne convention de 1990 qui obligeait l'occupant à mettre à la disposition de la direction de la jeunesse et des sports de la ville, et sous sa responsabilité, les installations sportives du stade Jean Bouin pendant la période scolaire. Elle avait, néanmoins, déduit d'un certain nombre d'indications matérielles (notamment du planning d'utilisation des équipements qui figurait en annexe du contrat) que cette obligation n'avait pas pour autant totalement disparu. Le Conseil d'Etat considère, au contraire, dans une formule peu convaincante, que cette annexe s'est bornée à constater la répartition hebdomadaire des créneaux d'utilisation du stade Jean Bouin et de la piste d'athlétisme par l'équipe professionnelle de rugby du stade français et le public scolaire, et que la cour ne pouvait donc pas en déduire une obligation pour l'occupant de mettre lesdits équipements à disposition du public scolaire.

La cour administrative d'appel avait considéré, en troisième lieu, que le programme de modernisation prévu au contrat, portant sur un investissement prévisionnel de 10 millions d'euros sur 20 ans, ne pouvait pas avoir pour seul objet de satisfaire les besoins propres de l'occupant et qu'il constituait, en vérité, une obligation de service public pesant sur l'occupant. Plus encore, la modicité de la redevance domaniale (50 000 euros par an, soit moins de 1 euros par mètre carré dans les premières années, redevance ensuite calculée en fonction du chiffre d'affaires réalisé mais dans la limite maximale de 100 000 euros, soit moins de 2 euros par mètre carré) avait été considérée, par la cour administrative d'appel, comme la contrepartie nécessaire de cette même obligation de service public. Le Conseil d'Etat fait une lecture différente des termes du contrat en relevant que le programme d'investissement répondait au seul besoin de conservation des dépendances et ne pouvait donc pas être assimilée à une obligation de service public. La section du contentieux relève, également, que la redevance domaniale a été déterminée conformément aux modalités de calcul des redevances d'occupation domaniale. Ce dernier motif est contestable, car s'il est vrai que la redevance est effectivement calculée depuis le 1er janvier 2008 sur la base d'une part fixe (50 000 euros) et d'une part proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé, il ne faut pas oublier que cette dernière part est, également, plafonnée à 50 000 euros. Cela peut laisser dubitatif eu égard à l'importance des recettes générées par l'exploitation de ces installations sportives.

La cour administrative d'appel avait pris appui, en quatrième lieu, sur le fait que la convention comportait une clause de rendez-vous en cas de déséquilibre financier des comptes d'exploitation de l'occupant. Plus précisément, il était prévu que les parties devaient se rencontrer afin d'étudier les mesures propres à assurer la pérennité de l'association, la continuité des activités sportives et la préservation des biens concédés. Pour la cour administrative d'appel, cette clause témoignait de l'existence d'un droit de regard de la ville de Paris sur la mission de service public dévolue à l'association. Le Conseil d'Etat juge, au contraire, qu'elle ne fait que révéler la volonté de la ville de Paris de garantir la meilleure utilisation du domaine public tout en restant compatible avec son objet relatif à l'accueil des activités sportives.

Enfin, la cour administrative d'appel avait pris en compte les conventions annuelles d'objectifs conclues, de 2001 à 2006, entre la ville de Paris et l'association. Elle en avait déduit que la ville de Paris souhaitait pouvoir organiser les activités menées au sein des installations sportives. Une fois de plus, le Conseil d'Etat écarte cette argumentation en relevant que la conclusion de ces conventions était imposée par l'article L. 113-2 du Code du sport (N° Lexbase : L6289HNA), et que leur seul objet porte sur l'encadrement et le contrôle des subventions accordées par les personnes publiques.

Au total, l'activité d'intérêt général prise en charge par l'association ne présente pas les qualités requises pour être érigée en mission de service public. Appliquant la grille d'analyse fixée par la jurisprudence "Aprei" (10), le Conseil d'Etat estime que les éléments relevés par la cour administrative d'appel de Paris ne traduisaient pas un contrôle permettant de caractériser la volonté de la ville de Paris de faire de cette activité d'intérêt général une authentique mission de service public. Ils illustraient seulement le pouvoir dont dispose le maître du domaine à l'égard de l'occupant principal et des sous-occupants.

2 - Le refus de soumettre la passation des conventions domaniales à un régime de publicité préalable

C'est précisément la question du régime de passation des conventions d'occupation du domaine public qui a justifié le renvoi du litige à la section du contentieux du Conseil d'Etat. En effet, plusieurs arguments plaidaient pour que le juge administratif prenne l'initiative, faute pour le législateur délégué d'avoir saisi l'occasion qui lui avait été offerte en 2006 lors de l'adoption du Code général de la propriété des personnes publiques, de déterminer un régime de passation minimal.

Il faut rappeler que le principe est celui de la liberté des personnes publiques en matière d'occupations domaniales. Elles ne sont pas tenues d'organiser une procédure particulière de passation préalablement à l'octroi d'une autorisation unilatérale d'occupation, ou à la conclusion d'un contrat d'occupation. Cette liberté s'explique classiquement par l'idée que la gestion du domaine public relève de la police administrative. Seulement, cette présentation et ce fondement classiques ne correspondent plus tout à fait à la réalité des choses aujourd'hui. S'il demeure un objet de police administrative, le domaine public est également devenu, au fil du temps, le siège d'activités économiques importantes. Il est tout à la fois une richesse pour la collectivité publique qui souhaite le valoriser, et un avantage économique indéniable pour l'opérateur économique intervenant sur un marché concurrentiel.

Deux éléments d'importance auraient pu conduire le Conseil d'Etat à renverser ce principe. Le premier nous vient du droit de l'Union européenne. Dans son arrêt "Telaustria" du 7 décembre 2000 (11), la Cour de justice s'est, en effet, fondée sur le principe de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit à l'article 12 du TCE pour imposer le respect du principe de transparence en matière de concession de services, alors que la passation de tels contrats n'était alors soumise à aucune obligation de publicité et de mise en concurrence par le droit dérivé. Sur la base de ce principe de transparence, la Cour a développé une jurisprudence constructive qui lui a permis d'imposer des obligations minimales de publicité et de mise en concurrence à certains contrats qui échappaient, par ailleurs, au droit dérivé (marchés publics d'un montant inférieur aux seuils fixés par les Directives (12), affermage (13), etc.). Dans un jugement remarqué, le tribunal administratif de Nîmes a fait une lecture audacieuse de cette jurisprudence en considérant que les conventions d'occupation du domaine public devaient, elles aussi, être gouvernées par ce principe communautaire de transparence (14). Le respect du principe national d'égalité aurait, également, pu être exploité par le Conseil d'Etat pour consacrer une obligation de publicité préalable à la conclusion des conventions domaniales. L'occupation du domaine public constitue, en effet, une ressource rare, pour laquelle les opérateurs économiques intervenant sur un marché concurrentiel sont prêts à entrer en compétition. Or, cette compétition ne peut être loyale que si les opérateurs potentiellement intéressés ont connaissance de la volonté de la personne publique de mettre son domaine public à leur disposition. Le respect du principe d'égalité exige donc le respect d'un principe de transparence.

Malgré ces arguments, le Conseil d'Etat s'est refusé à consacrer un principe général du droit imposant cette transparence. Il a préféré s'en tenir, dans la présente espèce, à un simple rappel de l'état du droit qui, avouons-le, n'est guère satisfaisant et ne manquera pas, à un moment ou à un autre, d'être stigmatisé par les autorités européennes. Pour le moment, il faut savoir qu'"aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'imposent à une personne publique d'organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d'une autorisation ou à la passation d'un contrat d'occupation d'une dépendance du domaine public, ayant dans l'un ou l'autre cas pour seul objet l'occupation d'une telle dépendance [...] il en va ainsi, même lorsque l'occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel". La personne publique a seulement la faculté, et nullement l'obligation, d'organiser une procédure de publicité et, le cas échéant, de mise en concurrence.

  • La qualification des contrats relatifs à la gestion du domaine privé des personnes publiques : l'utilité persistance du critère de la clause exorbitante du droit privé (CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 331837, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4278GKN)

Il existe deux techniques différentes permettant de déterminer la qualification juridique des contrats conclus par l'administration. La première méthode renvoie à l'hypothèse d'une qualification opérée par un texte, soit que le texte ait clairement déterminé la nature administrative ou privée du contrat, soit qu'il ait attribué son contentieux au juge administratif ou au juge judiciaire, soit qu'il ait déterminé les règles devant lui être appliquées. Ces qualifications textuelles sont aujourd'hui nombreuses (marchés publics, contrats de partenariat, contrats d'occupation du domaine public, notamment). La seconde méthode, subsidiaire (15), renvoie à l'hypothèse d'une qualification opérée en application des critères jurisprudentiels. La nature administrative du contrat découle alors de la réalisation d'un critère organique (présence d'au moins une personne publique) et d'un critère matériel relatif à l'objet du contrat (service public ou travail public), à la soumission du contrat à un régime exorbitant, ou à la présence dans le contrat de clauses exorbitantes (16).

C'est précisément ce dernier critère qui était en cause dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 novembre 2010. Dans cette affaire, l'Office national des forêts avait conclu une convention en 2007 par laquelle elle avait autorisé M. X à occuper un terrain en forêt domaniale de Mimizan pour y exploiter un centre équestre. Quelques mois plus tard, l'établissement public a prononcé la résiliation anticipée de ladite convention, résiliation qui a été contestée par l'occupant devant le juge administratif. Le président du tribunal administratif de Pau a alors rejeté les conclusions du requérant au motif qu'elles avaient été portées devant une juridiction incompétente. La cour administrative d'appel de Bordeaux a ensuite annulé cette ordonnance et renvoyé le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Pau. Saisi d'un recours en cassation dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat devait répondre à une question classique : quelle est la nature juridique des contrats relatifs à la gestion du domaine privé des personnes publiques ? La solution apportée par la Haute juridiction administrative est sans surprise. La nature de tels contrats ne peut être déterminée qu'au regard du critère des clauses exorbitantes du droit privé (ou éventuellement du régime exorbitant) dès lors que la gestion du domaine privé n'est pas assimilée par la jurisprudence à une mission de service public (17).

Les contrats relatifs à la gestion du domaine privé baignent naturellement dans une ambiance de droit privé. Le domaine privé est, en effet, largement soumis au droit privé et les contrats s'y rapportant ne font pas exception à la règle. Pour le dire plus directement, le juge administratif est plus exigeant pour affirmer l'exorbitance d'une clause lorsque celle-ci est stipulée dans un contrat relatif à la gestion du domaine privé. Il a été jugé, par exemple, que la clause par laquelle l'acquéreur d'un bien appartenant au domaine privé d'une commune s'oblige à n'effectuer les reventes de terrains viabilisés qu'à un prix maximum, et en l'absence de tout pouvoir de contrôle de la commune venderesse, ne mettait pas à la charge dudit acquéreur des obligations étrangères par leur nature à celles qui sont susceptibles d'être consenties par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales (18). De la même façon, n'a pas été jugée exorbitante la clause d'une convention d'occupation temporaire du domaine privé permettant au propriétaire de reprendre sans indemnité la jouissance de l'immeuble à tout moment et pour tout motif, sous réserve d'un préavis d'un mois (19).

Malgré cette tendance restrictive qui a fait dire à Philippe Yolka que la clause exorbitante ressemblait fort à "peau de chagrin" (20), le juge fait aussi preuve de réalisme comme le montre la présente affaire (21). En l'espèce, il ne rechigne pas à qualifier d'exorbitantes des clauses dont il était évident qu'elles sont rares, voire même exceptionnelles, dans le droit commun des relations contractuelles. Il en va, en effet, ainsi de la clause conférant à l'ONF un pouvoir de contrôle direct sur l'ensemble des documents comptables de l'occupant et de la clause écartant toute possibilité, pour l'occupant, de réclamer une indemnisation ou une diminution de loyer à l'ONF pour les travaux exécutés par l'établissement public sur la dépendance occupée, sur la voie publique, ou sur des immeubles voisins. Enfin, le Conseil d'Etat juge exorbitante la clause imposant à l'occupant d'observer les instructions que pourraient lui donner les agents assermentés de l'ONF dans le cadre de leur mission de surveillance et de protection des forêts et des terrains soumis au régime forestier.

  • Compétence du juge judiciaire pour connaître du refus de renouvellement d'une convention d'occupation du domaine privé (T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764 N° Lexbase : A4408GLT)

Illustrant l'idée d'une privatisation très forte des opérations et actes se rapportant à la gestion du domaine privé des personnes publiques, le Tribunal des conflits précise, dans cette décision du 22 novembre 2010, que la contestation par une personne privée de l'acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, qu'elle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre, ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire. Appliquant cette solution au cas d'espèce, le répartiteur des compétences attribue au juge judiciaire le contentieux se rapportant au refus de renouvellement d'une convention d'occupation du domaine privé qui revêtait, en l'absence de clause exorbitante, la nature d'un contrat privé.

Cette solution ne manquera pas d'impacter à l'avenir le contentieux des actes et contrats se rapportant à la gestion du domaine privé. Jusqu'à présent, il était acquis que les actes unilatéraux relatifs à la passation et à l'exécution des contrats privés de l'administration étaient des actes administratifs dont le contentieux relevait du juge administratif. Cette solution n'était pas sans poser des difficultés, spécialement lorsqu'il fallait tirer les conséquences de l'annulation d'un acte administratif détachable sur le contrat privé (22). Désormais, il existe un bloc de compétence judiciaire en la matière. Le contentieux du contrat privé relatif à la gestion du domaine privé et les actes unilatéraux s'y rattachant relève du seul juge judiciaire. Cette solution de bon sens ne signifie pas pour autant que le contentieux des contrats relatifs à la gestion du domaine privé est totalement unifié et concentré entre les mains du juge judiciaire. Le contentieux de ces contrats continue de dépendre de la réalisation ou de la non-réalisation du critère de la clause exorbitante du droit privé (23). Le contrat administratif relatif à la gestion du domaine privé, ainsi que les actes unilatéraux s'y rapportant, continueront donc de relever de la compétence du juge administratif en cas de litige.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) TA Paris, 31 mars 2009, n° 0607283 (N° Lexbase : A4923EI8).
(2) CAA Paris, 4ème ch., 24 juin 2009, n° 09PA01921 (N° Lexbase : A2656EQG).
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 13 janvier 2010, n° 329576 (N° Lexbase : A2655EQE).
(4) CE Contentieux, 26 novembre 2010, n° 344505, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4508GMW), JCP éd. A, 2010, 922, note M.-C. Rouault.
(5) CAA Paris, 2ème ch., 25 mars 2009, n° 06PA03195 (N° Lexbase : A8496EGR).
(6) C'est nous qui soulignons.
(7) CE Contentieux, 11 juillet 2008, n° 312354 (N° Lexbase : A6133D9Z).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 326544, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9939E4U).
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 320169, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4253GKQ).
(10) CE, S., 22 février 2007, n° 264541 (N° Lexbase : A2709DUU), Rec. CE, p. 92, concl. C. Vérot, AJDA, 2007, p. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher.
(11) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98 (N° Lexbase : A1916AWU).
(12) CJCE, 20 octobre 2005, aff. C-264/03 (N° Lexbase : A9685DKW).
(13) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03 (N° Lexbase : A7748DK8).
(14) TA Nîmes, 24 janvier 2008, n° 0600809 (N° Lexbase : A3978EBX), AJDA, 2008, p. 2172. Ce jugement a été annulé par la cour administrative d'appel de Marseille dans un arrêt du 6 septembre 2010 (CAA Marseille, 7ème ch., 6 septembre 2010, n° 08MA01997 N° Lexbase : A2144GBZ), mais pour un motif autre que celui qui nous intéresse ici.
(15) Parce que ne jouant qu'en l'absence de qualification textuelle.
(16) CE Contentieux, 31 juillet 1912, n° 30701 (N° Lexbase : A6681A7L), Rec. CE, p. 909, concl. L. Blum.
(17) T. confl., 3 novembre 1950, Rec. CE, p. 534 ; CE, S, 26 janvier 1951, Rec. CE, p. 49, etc.
(18) CAA Marseille, 6ème ch., 19 novembre 2007, n° 04MA01103 (N° Lexbase : A8892D3Q), AJDA, 2008, p. 548.
(19) T. confl., 20 février 2008, n° 3623 (N° Lexbase : A3438D7H), AJDA, 2008, p. 436, Dr. adm. 2008, comm. n° 64, note F. Melleray, JCP éd. A, 2008, 2117, note P. Yolka.
(20) P. Yolka, JCP éd. A, 2008, 2117.
(21) Voir, également, CAA Paris, 1ère ch., 3 décembre 2009, n° 08PA02952 (N° Lexbase : A5249EQH), JCP éd. A, 2010, 2086, chron. C. Chamard-Heim.
(22) Voir l'exemple de la célèbre affaire "Epoux Lopez" : CE, S, 7 octobre 1994, n° 124244 (N° Lexbase : A3055ASX), Rec. CE, p. 430, concl. R. Schwartz, AJDA, 1994, p. 867, chron. L. Touvet et J.-H Stahl, RFDA, 1994, p. 1090, concl. R. Schwartz et note D. Pouyaud.
(23) Voir, supra, CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 320169.

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