La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010 : Éditorial

Montiers, dans l'Oise, un village gaulois : quand la laïcité se met la crèche à dos

Lecture: 4 min

N8350BQC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Montiers, dans l'Oise, un village gaulois : quand la laïcité se met la crèche à dos. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235248-montiers-dans-loise-un-village-gaulois-quand-la-laicite-se-met-la-creche-a-dos
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Phénomène astral des plus étranges, l'étoile du Berger ne passe plus au dessus du petit village de Montiers, dans l'Oise, depuis le début de l'Avent. C'est que la veille, le juge du tribunal administratif d'Amiens commandait au Ciel et à la Terre, en condamnant l'aménagement d'une crèche de Noël sur la place principale de ladite commune, au nom de la sacro-sainte laïcité -on n'est pas à un oxymore près-. Le tribunal indique, en effet, qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 1er et 28 de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, que l'apposition d'un emblème religieux sur un emplacement public, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l'égard des cultes, quel qu'ils soient ; si bien que Jésus, Marie et Joseph ne savent plus où crécher à la Noël !

Ce n'est pas tant que la République ne s'accommode pas d'une étable ou d'une mangeoire -cripia en latin-, sur la place publique ; un âne et un boeuf au coeur d'un village picard, ce n'est pas vraiment ce qui manque, surtout que Xavier Deneufbourg, le maire du village en question, d'un peu plus de 450 âmes (on ose le vocable, même après le jugement du 30 novembre 2010) est agriculteur de son état professionnel. Non, le problème c'est clairement Marie, Joseph, puis, à partir du 25 décembre -je vous le donne dans le mille- l'enfant Jésus, emblèmes de la religion chrétienne, nous dit le juge picard.

Deux pas en avant, trois pas en arrière : pour une relation apaisée entre le religieux et la société civile, on repassera. Ce que la Révolution française interdisant la messe de minuit et les crèches publiques n'avait pas réussi à faire, le juge administratif d'Amiens, sur le fondement implacable de la loi de 1905, y est parvenu. La crèche est une affaire domestique -entendez privée- : il relève de la conscience de chacun d'opter pour une crèche napolitaine, baroque, provençale ou bisontine, mais vous êtes priés de ne pas l'afficher dans un lieu public, même à ciel ouvert, et surtout pas avec l'adoubement du conseil municipal. L'Italie avait eu son affaire des crucifix dans les écoles publiques (cf. CEDH du 3 novembre 2009), nous nous devions de faire mieux et de nous attaquer à la source même de tous les maux : l'enfant Jésus, lui-même... En clair, Jésus avant la croix.

Soit ! L'affaire pourrait prêter à sourire tant elle s'apparente, finalement, à une querelle de beffroi, comme en connaissait le village de Brescello de Don Camillo ; sauf qu'en l'espèce, la controverse battait son plein entre Peppone/Debaye et Peppone/Deneufbourg, c'est-à-dire entre Monsieur le maire et Monsieur le maire -entendez l'ancien et le nouveau-. Point d'injonction cléricale donc dans cette histoire. Point de prosélytisme, sans doute, de la part de l'équipe municipale : juste l'envie de rassembler la ville, et néanmoins paroisse, autour d'une fête, certes chrétienne, mais d'origine païenne, et que l'on semble fêter, d'ailleurs, plutôt publiquement partout dans le monde : Noël, c'est-à-dire la Nativité.

Et, à ce compte là, la chasse aux sorcières pourrait bien nous laisser pantois. D'abord parce que, depuis le XIXème siècle, les crèches vivantes ou publiques ont moins de rapport avec la naissance du christianisme qu'avec l'expression d'une identité culturelle régionale (cf. les "santouns", petits saints, provençaux symboles de l'indépendance marseillaise sous la Révolution, ou encore, les marionnettes de Besançon faisant office de satire sociale, à l'occasion de l'évènement). Ensuite, parce qu'il va falloir attaquer au burin tous les monuments aux morts trônant sur les places des villages de France pour enlever, tel Ramsès effaçant le nom de Moise des monuments égyptiens, les signes religieux caracolant à côté des noms de ceux morts pour la France. Enfin, parce qu'il va falloir déboulonner, malgré les soixante ans de l'appel du 18 juin, toutes les croix de Lorraine édifiées sur le domaine public, si l'on se souvient qu'avant d'être récupérée par le vice-Amiral Muselier, comme emblème de la France Libre, la croix des ducs d'Anjou devenus ducs de Lorraine est une croix archiépiscopale, blason des archevêques donc, dont la petite traverse supérieure représente ni plus ni moins que l'écriteau que Ponce Pilate aurait fait poser au-dessus du Christ : "Jésus de Nazareth, roi des Juifs" (INRI)... L'épuration christique -entendez, se rapportant à la croix, donc- ne fait, dès lors, que commencer...

Sans oublier le fait que la Nativité, sous les traits de Noël, a depuis, quelque temps déjà, perdu son caractère religieux pour célébrer, au mieux, la fraternité, voeu pieu au fronton de la République, au pire la soif consumériste de gants, écharpes, bonnets ou gadgets de la haute technologie.

"Attends pour nier Dieu qu'on ait bien prouvé qu'il n'existe pas !" recommandait Alexandre Dumas fils, lui qui ne passait pas pour un dévot et qui fut, même, catalogué comme auteur à scandales.

Mais au final, "l'adulte ne croit pas au père Noël. Il vote" eut dit Desproges... Rendez-vous donc aux élections municipales de 2014 !

En attendant, Gaspard, Melchior et Balthazar errent toujours sur l'A15 ne sachant plus où porter l'or, l'encens et la myrrhe, en écoutant un vieux tube de Sheila, crescendo... et dos à la crèche.

newsid:408350