La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010 : Rupture du contrat de travail

[Questions à...] Licenciement pour port d'un voile : "une pierre à l'édifice de la laïcité" - Questions à Maître Richard Malka, avocat à la cour

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[Questions à...] Licenciement pour port d'un voile : "une pierre à l'édifice de la laïcité" - Questions à Maître Richard Malka, avocat à la cour. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235246-questions-a-licenciement-pour-port-dun-voile-une-pierre-a-ledifice-de-la-laicite-questions-a-maitre-
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 04 Janvier 2011

Les jugements des conseils de prud'homme font, actuellement, l'objet d'une publicité étonnante. Après les affaires "Facebook" (1) rendus par le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt, c'est désormais au tour du conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie d'être au coeur de l'actualité (2). Par un jugement du 13 décembre 2010 (CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, n° 10/00587 N° Lexbase : A1067GNT), le conseil a validé le licenciement pour faute grave d'une salariée qui voulait porter son voile dans les locaux de son entreprise, une crèche privée. Là encore, le droit du travail et, plus particulièrement, la notion de faute grave voit s'opposer de grands principes de notre Constitution, la laïcité et la liberté d'exercice de la religion. Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Richard Malka, avocat à la cour, représentant la crèche "Baby-Loup", qui revient pour nous sur ce jugement et sur sa portée. Lexbase : Ce jugement est le parfait exemple de la difficile articulation entre laïcité et liberté religieuse dans le monde du travail, difficulté accentuée, dans cette affaire, par les remous créés au sein de la Halde. Pourquoi ce contexte particulier?

Richard Malka : La crèche "Baby-Loup" est venue me voir, juste après sa condamnation par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde). A l'instar des autres entreprises, elle aurait pu opter pour un règlement à l'amiable par peur d'une mauvaise publicité. Mais la crèche, par son fonctionnement et son emplacement, n'a pas souhaité transiger, abdiquer. Elle avait, par ailleurs, auparavant, refusé de conclure une rupture conventionnelle avec la salariée, considérant cette dernière fautive. Ce combat difficile, pour la défense des valeurs républicaines, devait être mené. J'étais profondément choqué par la décision de la Halde, rendu en mars, estimant que ce licenciement était discriminatoire. Cette décision a, cependant, été rendue sous la présidence de Louis Schweitzer. Jeannette Bougrab l'avait courageusement critiquée et avait souhaité un réexamen (3).

Lexbase : Le licenciement pour faute grave est donc fondé. Vous parlez d'une décision à portée générale qui permettra à toute entreprise privée de faire le choix de la laïcité. Les juges ont-ils fondé leur jugement sur la violation du règlement intérieur prévoyant la neutralité religieuse et donc sur l'insubordination de la salariée ou sur un principe général de laïcité ?

Richard Malka : On ne peut que se féliciter de cette décision qui caractérise le "vivre ensemble". On laisse la religion chez soi. L'argumentation du jugement du conseil des prud'hommes reprend mes conclusions. Selon l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L1277A98), "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". Cette laïcité ne doit pas, seulement, être respectée dans les services publics mais, elle doit l'être, également, dans la sphère privée de l'entreprise. Au regard de ce texte, fondement essentiel du jugement, un règlement intérieur peut parfaitement énoncer la neutralité religieuse. Le règlement intérieur de la crèche est licite, le non-respect par les salariés du règlement caractérise une insubordination. La salariée fautive ne pouvait méconnaître le règlement, travaillant au sein de cette crèche depuis des années. Elle ne portait pas le voile, pendant plusieurs années, mais s'est "radicalisée" après son retour dans l'entreprise à la suite de sa maternité. Ce jugement a donc une portée générale, c'est une pierre à l'édifice de la laïcité. La spécificité de cette crèche privée par son implantation et son fonctionnement (4) n'est, d'ailleurs, pas reconnue dans le jugement.

Lexbase : Comment expliquer cette contradiction entre la décision de la Halde et le jugement du conseil des prud'hommes ?

Richard Malka : C'est, tout simplement, un désaveu pour la Halde. Durant la présidence de Louis Schweitzer, la Halde n'appliquait pas correctement le droit. Cela est confirmé par la volonté de son nouveau président de ne pas se ressaisir de cette affaire (5).


(1) CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010 n° 09/00316 (N° Lexbase : A6710GKQ) et n° 09/00343 (N° Lexbase : A6712GKS), v. Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH). On peut, également, citer les arrêts du tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Versailles du 18 novembre portant sur la responsabilité d'un constructeur automobile lors du suicide d'un de ses salariés (TASS Versailles, 18 novembre 2010, n° 09-00705/V N° Lexbase : A0400GLE).
(2) La crèche, ayant fait l'objet à l'audience du conseil des prud'hommes, du soutien, notamment, de Elisabeth Badinter, sa marraine, et de Jeannette Bougrab, présidente de la Halde.
(3) Jeannette Bougrab, nommée en avril 2010, à la tête de la Halde, avait souhaité un réexamen de cette affaire, position réitérée en marge de l'audience du conseil des prud'hommes, à laquelle elle avait assisté.
(4) "Baby-Loup" est la seule crèche française ouverte 24h/24 tous les jours de la semaine. Située à Chanteloup-les-Vignes, elle propose une activité professionnelle aux femmes du quartier, en les embauchant et en leur proposant une formation rémunérée aux métiers de la petite enfance.
(5) Directeur adjoint du développement durable du groupe EDF et vice-président de l'Association des paralysés de France, Eric Molinié, vient de prendre la présidence de la Halde, alors que cette institution, critiquée pour ses frais de fonctionnements, est menacée d'être absorbée par le Défenseur des droits.

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