La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Social général

[Point de vue...] Refondation du droit social. Concilier protection des travailleurs et efficacité économique. A propos du rapport du Conseil d'analyse économique, présenté au ministre du Travail le 19 janvier 2010

Réf. : Refondation du droit social, par Jacques Barthélémy, Avocat conseil, Ancien professeur et Gilbert Cette, Professeur d'économie

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N7362BNY

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[Point de vue...] Refondation du droit social. Concilier protection des travailleurs et efficacité économique. A propos du rapport du Conseil d'analyse économique, présenté au ministre du Travail le 19 janvier 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212625-point-de-vue-i-refondation-du-droit-social-concilier-protection-des-travailleurs-et-efficacite-econo
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par Jacques Barthélémy, Avocat-conseil en droit social, Fondateur du Cabinet Barthélémy

le 07 Octobre 2010

Les mutations du travail induites des progrès des TIC et de la mondialisation des échanges feront que le droit du travail actuel, conçu par et pour la civilisation de l'usine, sombrera dans des dérives technocratiques conduisant à son ineffectivité, les concepts fondés sur la qualité de "mineur social" du travailleur étant inadaptés aux nouvelles relations de travail. Par ailleurs, de très nombreuses études d'économistes attestent de la mauvaise qualité des relations sociales en France. Les rigidités sur le marché du travail dues à l'excès de réglementation ont d'autant plus un effet négatif sur l'emploi que la boulimie législative crée de l'insécurité juridique. Ces constats invitent à une refondation du droit social pour l'adapter à la civilisation naissante du savoir. Elle ne peut se construire que dans la perspective d'une harmonie entre protection du travailleur et efficacité économique. Le droit du travail se doit d'autant plus de veiller à son impact sur le fonctionnement de l'entreprise que la conciliation entre économique et social autorise plus d'efficacité dans sa fonction protectrice. Le principe de proportionnalité est le catalyseur de ce droit nouveau prenant simultanément en compte les intérêts du salarié et ceux de l'entreprise. 1/ L'instrument par excellence de cette transformation, c'est le tissu conventionnel, dont l'autonomie et l'importance doivent être maximisées. La seule limite à cette autonomie doit être constituée par ce qui relève de l'ordre public, qui doit refluer dans les limites de ce que recouvre la notion civiliste du terme. Une partie significative des textes légaux incontournables est aujourd'hui liée à la suspicion à l'égard du consentement du travailleur, qu'il faut donc protéger y compris contre lui-même. En d'autres termes, la dérogation -aujourd'hui l'exception, devant être prévue par un texte- doit devenir la règle, sous réserve de l'ordre public stricto sensu. Il est même possible d'envisager le remplacement de cette technique, qui consacre la supplétivité des normes légales, par le renversement de la hiérarchie des normes qui met en oeuvre leur subsidiarité introduite par la loi du 20 août 2008 (1) dans le domaine de la durée du travail. L'autonomie doit être aussi la règle dans les rapports entre accords de rangs différents, sous réserve des domaines où l'accord participe à l'identité de la branche et contribue à la poursuite d'un objectif de solidarité.

Une telle évolution est en marche depuis longtemps, d'abord par la "Nouvelle société" de Chaban-Delmas et les lois "Auroux" (2), plus récemment par les lois du 4 mai 2004 (3) et du 20 août 2008. Ces évolutions n'ont été possibles qu'en raison de celles des mentalités, chacun des textes récents ayant été inspirés par un accord collectif. Il faut d'autant plus parachever la construction d'un droit plus contractuel et moins réglementaire que l'état actuel de demi-mesure crée de l'insécurité juridique et favorise une judiciarisation excessive.

C'est, dans cette perspective, qu'il convient :

- d'abord, de donner sa pleine puissance à la notion de représentativité des organisations syndicales. L'abandon de celle de droit au profit d'une mesure d'audience effective à partir du résultat des élections professionnelles est un progrès, surtout dans le contexte d'un droit réduisant la portée du principe de faveur. Ce n'est, toutefois, pas suffisant. Si l'on veut que l'essentiel du droit social émane de contrats collectifs, il faut favoriser l'élévation du nombre des syndiqués. Il est des moyens d'y remédier tels le développement de services apportés par les syndicats à leurs membres ou l'instauration par accord d'une déontologie.

- ensuite, instaurer des règles de conduite de la négociation, par le biais d'un accord de méthode discuté avant d'engager la négociation sur le fond et dont le contenu sera considéré comme substantiel. Il s'agit de favoriser équilibre des pouvoirs entre les parties, comportement de bonne foi des négociateurs et exécution loyale de la convention, tous éléments permettant au contrat de faire seul la loi des parties ;

- enfin, il convient de distinguer la nature juridique des accords suivant leur niveau : l'accord national interprofessionnel, quasi-règlement, surtout s'il se substitue à l'acte réglementaire pour définir les modalités d'application de la loi ; la Convention de branche, la loi professionnelle, malgré sa nature contractuelle prioritaire ; l'accord d'entreprise, ayant une nature contractuelle pure, ce qui pose la question de sa relation avec le contrat de travail.

2/ Le règlement appelle la sanction, tandis que le contrat suscite plutôt le compromis. Par voie de conséquence, le droit social nouveau ne peut qu'inciter à revisiter l'arsenal des sanctions et les moyens de résoudre les litiges.

Tout d'abord, le volume des sanctions pénales doit régresser car, non seulement elles n'ont, la plupart du temps, aucun impact pédagogique, mais, encore, elles touchent à des domaines où la sanction civile suffit. Les contraventions en matière de durée du travail, par exemple, n'ont guère de justification sauf pour la partie de la réglementation qui concerne la protection de la santé (c'est-à-dire durée maximum, repos minimum pour l'essentiel).

Ensuite, il convient de développer le champ des sanctions administratives, spécialement dans ce qui touche à l'emploi.

Enfin, il est indispensable de modifier en profondeur l'arsenal judiciaire : il faut redonner à la conciliation devant le conseil de prud'hommes toute sa portée en exigeant, à peine de perte du procès, la présence effective des parties et en interdisant aux conciliateurs d'être juges du fond. Au début du XXème siècle, plus de 80 % des litiges individuels se traitaient en conciliation contre moins de 10 % aujourd'hui.

Il faut favoriser le recours à la médiation qui a l'immense mérite que soient prises en compte les raisons profondes du litige -d'ordre affectif souvent-, alors que le débat judiciaire fait se concentrer les discussions sur la seule technique juridique.

Il faut rendre possible le recours à l'arbitrage. Le monopole du conseil de prud'hommes se justifie par la suspicion à l'égard du consentement du salarié. En atteste le fait que le compromis d'arbitrage est admis par la Cour de cassation parce que la rupture du contrat de travail est alors consommée ; tandis que la clause compromissoire est prohibée. Ce monopole se justifie aussi par les vertus du paritarisme.

Si on trouve les moyens de contourner ces deux obstacles, rien ne doit s'opposer à l'introduction de la technique arbitrale dans le droit du travail. Après tout, les partenaires sociaux ont introduit la rupture d'un commun accord alors que la Cour de cassation l'avait écartée au nom, justement, du déséquilibre contractuel. Voilà pourquoi le recours à l'arbitrage pourrait être admis s'il était organisé par convention de branche étendue. La validité de la dérogation dépendrait de procédures entourant la conclusion du contrat de travail incluant une clause compromissoire et de la composition du collège arbitral, fondé sur la technique de l'échevinage. Le coût en serait mutualisé au niveau de la branche. Les parties à la convention de branche pourraient réserver la procédure à certaines catégories de salariés (par exemple les cadres) et(ou) à certains types de litiges (par exemple ceux liés à l'exécution du contrat de travail).

La procédure de conciliation des conflits est obligatoire dans les conventions de branches étendues. Mais les dispositifs existant sont inefficaces parce que relevant de clauses de style en annihilant les effets potentiels. Les procédures d'arbitrage qui existaient parfois en vertu de la loi du 11 février 1950 ont toutes disparu, en raison de l'inefficacité d'une commission composée paritairement de ceux qui négocient la convention. Ici, un simple effort de créativité s'impose de la part des partenaires sociaux.

3/ Les mutations du travail induites des progrès des TIC et de la mondialisation des échanges obligeront de plus en plus à introduire dans les rapports de travail de la flexicurité, ce qui oblige à penser autrement les protections. Elle va se construire autour d'une plus grande flexibilité au profit de l'entreprise (notamment en matière de licenciement), mais aussi pour favoriser le libre choix du travailleur, dans les limites de l'intérêt de l'entreprise.

Dès lors, les droits protecteurs des travailleurs vont être déconnectés du contrat de travail et de l'ancienneté dans l'entreprise. Même si la mutualisation n'est pas le seul moyen d'y parvenir, elle se développera d'autant plus aisément qu'elle permet la poursuite d'un objectif de solidarité.

Ceci pourrait favoriser l'émergence d'une authentique Sécurité sociale de nature conventionnelle permettant de résoudre des questions dont l'importance s'accroît avec l'épanouissement des droits fondamentaux de la personne à l'intérieur de la sphère professionnelle : en particulier, le droit à l'employabilité qui ne saurait se résumer à l'adaptation des compétences aux évolutions du poste ; il doit s'entendre comme celui de tout travailleur à acquérir la qualification correspondant à ses ambitions.

Ceci pourrait aussi contribuer à résoudre les difficultés liées à la précarité en apportant, grâce à un droit de tirage social sur un fonds mutualisé, la faculté de concilier adaptation du volume des emplois à la situation économique et maintien d'un degré élevé de protection du travailleur. Les dispositions de l'Ani du 11 janvier 2008, relatives à la portabilité des garanties de prévoyance, sont l'amorce de cette évolution.

Doit alors être revisité le concept de paritarisme, qui visait à assurer une protection alors que les avantages ne sont pas garantis.

4/ La refondation ne peut reposer que sur des objectifs précis : encourager la négociation collective, notamment par des mesures incitatives (et non par des sanctions pénales) ; maintenir la fonction protectrice du droit du travail, qui ne peut être malmenée au nom de l'efficacité économique et même au nom de l'emploi ; favoriser l'intelligibilité du droit du travail ; réduire les sources d'insécurité et d'inégalités que le droit peut créer ; et réduire les risques de judiciarisation nés de ces incertitudes.

Quelle que soit la solution retenue, deux écueils majeurs doivent être évités : celui de construire un arsenal dirigiste, le législateur n'étant pas le mieux placé pour définir des règles autres que celles inhérentes à des principes. Celui, à l'inverse, d'une confiance exagérée dans le contrat, même si ici une distinction s'impose entre le contrat collectif et le contrat individuel et, dans ce dernier, entre catégories de personnels eu égard à leur capacité plus ou moins grande à négocier dans l'équilibre des pouvoirs.

Et puis, il faut prendre en considération les contraintes juridiques en amont, de sources nationales, émanant de disciplines fondamentales telles le droit civil, ou internationales, telles la CESDH. Dans cette perspective, il est important de souligner que la faculté d'évolution est plus grande dans un Etat de common law, même si, dans un Etat de civil law comme le nôtre, la marge pour les modifications en profondeur est importante, d'autant que les mentalités évoluent fortement.

Au vu de ce travail de fond, basé sur la rigueur des raisonnements tout autant que sur l'analyse des situations, quelques vingt préconisations sont faites, rassemblées en quatre sous-ensembles pouvant faire chacun l'objet d'une concertation en application de la loi du 31 janvier 2007 ("Larcher") (4), donc d'un Ani si les partenaires sociaux le jugent utile.

Ces quatre grands thèmes sont consacrés à améliorer le dialogue social, élargir le champ d'exercice du droit conventionnel, rendre plus efficace le traitement des conflits et le non respect du droit social, sécuriser les parcours professionnels.

Ce rapport, c'est donc, d'abord, une invitation des partenaires sociaux à l'initiative et à l'inventivité.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ).
(2) Loi n° 82-915 du 28 octobre 1982, relative au développement des institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : L7836HYU) ; loi n° 82-957 du 13 novembre 1982, relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail (N° Lexbase : L2703GUN).
(3) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8).
(4) Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007, de modernisation du dialogue social (N° Lexbase : L2479HUD).

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