La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Rémunération

[Jurisprudence] Maintien du véhicule de fonction pendant les congés maladie et maternité

Réf. : Cass. soc., 24 mars 2010, n° 08-43.996, Société Exelice, FS-P+B (N° Lexbase : A1534EUD)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


De nombreuses entreprises françaises mettent à la disposition de leurs salariés un véhicule dit de fonction. Parfois, le véhicule est mis à disposition tel un outil de travail pour permettre au salarié d'exécuter sa mission. Parfois, la mise à disposition constitue un véritable avantage octroyé au salarié qui pourra utiliser son véhicule pendant ses temps de repos ou de vacances. L'employeur doit-il aller jusqu'à maintenir cette mise à disposition lorsque le salarié est placé pour de longs mois en congé maladie ou en congé maternité ? A cette question, la Chambre sociale répond par l'affirmative dans un arrêt rendu le 24 mars 2010 : le salarié dont le contrat de travail est suspendu continue de bénéficier du véhicule mis à sa disposition à titre personnel (I). Une telle solution, très surprenante de prime abord, repose en réalité sur une analyse renouvelée des avantages octroyés au salarié en sus de sa rémunération (II).


Résumé

Un véhicule de fonction, dont le salarié conserve l'usage dans sa vie personnelle, ne peut, sauf stipulation contraire, être retiré à l'intéressé pendant une période de suspension du contrat de travail.

I - L'affirmation du maintien de la mise à disposition du véhicule de fonction pendant la suspension du contrat de travail

Le véhicule mis à la disposition du salarié dans le cadre de son activité peut entrer dans deux catégories distinctes, essentiellement établies aux fins de déterminer si le véhicule constitue ou non un avantage en nature soumis, à ce titre, à cotisations sociales.

  • Le véhicule mis à disposition du salarié pour les besoins de l'activité

La première catégorie correspond à l'hypothèse dans laquelle un véhicule est mis à la disposition du salarié pour l'exercice de ses fonctions (1). Ces véhicules sont principalement mis à disposition de salariés itinérants dont les tâches professionnelles ne peuvent être accomplies qu'à la condition qu'ils puissent se déplacer : taxi, VRP, chauffeur routier ou chauffeur de bus, etc.. Il est alors généralement considéré que la fourniture du véhicule s'apparente à la fourniture du matériel nécessaire à un salarié pour travailler (2).

Le salarié doit restituer le véhicule dès qu'il n'exerce plus ses fonctions, lors de ses congés, du repos hebdomadaire, ou de la suspension de son contrat de travail en raison d'un arrêt maladie par exemple. Le salarié doit également se conformer à des directives parfois très précises à l'égard de ce véhicule, par exemple s'agissant du lieu de stationnement de celui-ci lorsque le salarié ne travaille pas (3).

  • Le véhicule mis à disposition du salarié à titre personnel

La seconde catégorie s'entend de l'hypothèse dans laquelle un véhicule est mis à la disposition du salarié à titre personnel. Dans ce cas de figure, la fourniture du véhicule constitue un avantage en nature et, donc, un véritable élément de la rémunération du salarié qui doit, de ce fait, être soumis à cotisations sociales. La mise à disposition fait l'objet d'une évaluation monétaire afin, d'abord, de pouvoir comptabiliser cet élément dans la rémunération et ainsi vérifier le respect des minimums légaux et conventionnels, ensuite, pour déterminer l'assiette des cotisations sociales (4).

Le salarié peut utiliser le véhicule comme il le souhaite hors de ses heures de travail. Il n'est pas tenu de restituer le véhicule lors de ses temps de repos, week-end ou congés payés. Il a d'ailleurs été jugé, à plusieurs reprises, que le salarié démissionnaire qui était dispensé d'exécuter son préavis par l'employeur pouvait conserver le véhicule jusqu'à l'expiration de ce préavis (5). En outre, constituant un élément de son salaire, l'employeur ne peut évidemment pas supprimer l'avantage octroyé sans obtenir le consentement du salarié (6). A ce titre, la Cour de cassation estime que la privation du véhicule de fonction en cas de faute constitue une modification du contrat de travail pour motif disciplinaire et, plus encore, une sanction pécuniaire prohibée (7). C'est sur la question de la suppression du véhicule de fonction, entendu comme un avantage en nature, que la Chambre sociale était appelée à se prononcer.

  • L'espèce

Dans cette affaire, une salariée, engagée en qualité de commerciale, bénéficiait d'un véhicule de fonction mis à sa disposition par l'employeur. En septembre 2001, la salariée fut placée en arrêt maladie avant, quelques mois plus tard, de bénéficier d'un congé maternité. Au mois de novembre 2002, la salariée prenait acte de la rupture de son contrat de travail en reprochant à l'employeur la modification unilatérale du contrat de travail résultant de la modification du taux de commissionnement et du retrait du véhicule mis à sa disposition.

La cour d'appel de Colmar, saisie de l'affaire, jugeait que la rupture devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnait l'employeur au versement de dommages et intérêts destinés à compenser le préjudice subi du fait de la privation du véhicule pendant la durée de l'arrêt de travail.

L'employeur se pourvut en cassation au moyen, principalement, que le taux de commissionnement pouvait varier à condition que les variations reposent sur des éléments objectifs et non seulement sur la volonté de l'employeur. Surtout, l'employeur faisait grief à l'arrêt d'appel d'avoir jugé que le retrait à un salarié, pendant la suspension de son contrat de travail, d'un véhicule mis à sa disposition pour exercer son activité, constitue une faute de l'employeur et justifie une prise d'acte de la rupture. L'argumentation tenait donc, pour l'essentiel, sur le fait que le véhicule avait été octroyé à la salariée pour l'exercice de ses fonctions et non au titre d'un avantage en nature.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 24 mars 2010, rejette pourtant le pourvoi de l'employeur.

Dans un premier temps, elle juge, par un motif sur lequel nous ne nous attarderons pas, "que la réduction du taux de commissionnement sans l'accord de la salariée constituait une modification du contrat de travail". Rien ici que de très classique, puisque l'on sait que la rémunération constitue l'un des éléments du contrat de travail dont ni le volume, ni la structure ne peuvent être modifiés unilatéralement par l'employeur.

Dans un second temps, la Chambre sociale s'intéresse au véhicule mis à la disposition de la salariée. Sur ce point, elle juge "qu'un véhicule de fonction, dont le salarié conserve l'usage dans sa vie personnelle, ne peut, sauf stipulation contraire, être retiré à l'intéressé pendant une période de suspension du contrat de travail". La Haute juridiction en déduit que, puisque l'employeur avait repris, lors de l'arrêt de travail de la salariée, le véhicule de fonction qui lui était attribué, la cour d'appel en a justement conclu que le comportement de l'employeur était fautif.

II - La justification du maintien de la mise à disposition du véhicule de fonction pendant la suspension du contrat de travail

La solution rendue par la Chambre sociale est relativement étonnante, même s'il est difficile de savoir si la solution est guidée par l'intention des Hauts magistrats d'exclure toute possibilité de suspension de l'octroi du véhicule de fonction ou si la solution est nécessairement limitée aux moyens soulevés par l'employeur.

  • Une réponse adaptée à la question posée par l'employeur

En effet, l'employeur se bornait à contester le caractère de véhicule mis à disposition à titre personnel de la salariée, c'est-à-dire de véhicule laissé en permanence à sa disposition. Or, cette question tient exclusivement d'un moyen de fait et non d'un moyen de droit, faits déjà jugés par les juges du fond et déjà analysés comme constituant un avantage en nature et non la fourniture d'un outil de travail. Par conséquent, le moyen soulevé par l'employeur était stérile et la Cour de cassation ne pouvait répondre autrement.

En revanche, on peut se demander si la réponse de la Chambre sociale aurait été différente si l'employeur avait argumenté sur un autre fondement.

  • Une solution étonnante au regard de la qualification de rémunération

En effet, la mise à disposition d'un véhicule à titre personnel et permanent constitue, nous l'avons vu, un élément de la rémunération du salarié qui en bénéficie. Le paiement de la rémunération du salarié appartient à la catégorie des obligations principales des parties au contrat de travail : l'obligation principale du salarié est de fournir un travail, l'obligation principale de l'employeur de verser la rémunération.

Or, durant un arrêt de travail pour maladie ou pour maternité, le contrat de travail du salarié se trouve suspendu. Certes, la théorie de la suspension du contrat de travail a toujours prêté à controverse doctrinale puisque celle-ci n'a pas été expressément reprise par le législateur qui se contente d'établir un certain nombre de situations dans lesquelles une des parties est dispensée de l'obligation d'exécuter le contrat de travail. Pour autant, on peut probablement s'entendre sur le fait que la suspension du contrat de travail emporte la suspension de l'obligation principale du salarié et, parfois, de l'obligation accessoire de l'employeur.

Le contrat de travail étant suspendu pendant le congé maladie ou le congé maternité, l'employeur devrait-il continuer à verser la rémunération du salarié et, notamment, continuer à mettre à sa disposition un véhicule de fonction ? La réponse à cette question dépend du type de suspension. En cas de congé maternité, l'employeur n'est pas tenu de maintenir la rémunération puisque celle-ci est intégralement compensée par les indemnités journalières de l'assurance maternité de la sécurité sociale. En cas de congé maladie, l'employeur peut, en revanche, être tenu au maintien d'une partie de la rémunération destinée à compenser le caractère partiel de l'indemnité journalière maladie.

Dans ces conditions, on peut conclure que l'employeur, lorsqu'il n'est pas tenu de maintenir la rémunération, devrait parfaitement pouvoir suspendre l'octroi d'un véhicule de fonction constituant un élément de cette rémunération. La seule limite tient à ce que l'employeur ne puisse unilatéralement retirer définitivement l'avantage et soit donc tenu de remettre à disposition du salarié le véhicule à l'issue de la suspension du contrat, sous peine de se voir reprocher une modification unilatérale du contrat de travail.

Pour autant, la motivation de la Chambre sociale est sans ambiguïté : le véhicule de fonction "ne peut, sauf stipulation contraire, être retiré à l'intéressé pendant une période de suspension". Très critiquable au regard de la théorie classique des avantages en nature et du sort de la rémunération pendant la suspension du contrat de travail, cette solution peut éventuellement être justifiée par une autre approche.

  • Une solution s'appuyant sur le caractère "accessoire" de la mise à disposition du véhicule

En effet, d'aucuns considèrent parfois que l'octroi de certains avantages en nature au salarié ne constituent un élément de rémunération que sur le plan des cotisations sociales et de l'assiette fiscale. Au contraire, en matière de contrat de travail, la mise à disposition d'un logement, d'un véhicule, d'un ordinateur, d'un téléphone mobile ou d'une somme d'argent au titre d'un prêt constituerait l'exécution d'une convention accessoire au contrat de travail (8).

Le régime de ces conventions accessoires est difficile à dégager, notamment lorsqu'il s'agit de déterminer si ces conventions particulières -bail, prêt, dépôt, etc.- doivent suivre leur régime propre issu du droit des contrats spéciaux ou si, au contraire, leur régime doit être adapté en raison du particularisme de la relation de travail dont elles sont les accessoires.

Quoi qu'il en soit, si la qualification de convention accessoire est retenue, la solution rendue par la Chambre sociale est alors nettement moins susceptible de critiques. En effet, il est communément admis que, durant la suspension du contrat de travail, quelle qu'en soit la cause, seules les obligations principales des parties sont suspendues (9). En revanche, les obligations accessoires telles que l'obligation de loyauté par exemple demeure effectives (10). Dès lors que la fourniture du véhicule constitue un prêt accessoire au contrat de travail, il est alors logique que lui aussi soit maintenu durant la suspension pour maladie ou pour maternité.

Ce raisonnement a, cependant, l'inconvénient d'être en contradiction avec celui adopté par la deuxième chambre civile en matière de cotisations sociales qui voit clairement dans cette mise à disposition un avantage en nature, un élément de la rémunération. Espérons-le, une chambre mixte sera sûrement un jour appelée à trancher cette divergence.

Enfin, relevons que la Chambre sociale ménage la faculté pour l'employeur de se prémunir contre ce maintien forcé de la mise à disposition du véhicule. En effet, si le véhicule ne peut être retiré, c'est à la condition nous dit la Cour qu'aucune stipulation contraire n'ait été prévue. Il demeure donc loisible à l'employeur d'agrémenter la clause du contrat mettant à disposition du salarié le véhicule de la possibilité que le salarié restitue le véhicule pendant certains de ses congés, notamment en cas de congé maladie ou maternité. Nul doute que la rédaction des clauses de mise à disposition de véhicules devrait rapidement évoluer !


(1) Pour des illustrations, v. Cass. soc., 17 septembre 2008, n° 07-41.876, M. Guy Sauer, F-D (N° Lexbase : A4080EAD). CA Bordeaux, ch. soc., sect. A, 15 janvier 2008, n° 06/05886, Boisnier c/ SARL CSB.
(2) F. Gaudu, R. Vatinet, Les contrats du travail. Traité des contrats, sous la dir. de J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 300.
(3) V., par ex., CA Paris, 21ème ch., sect. B, 21 octobre 2004, n° 03/31156.
(4) Arrêté du 10 décembre 2002, relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale (N° Lexbase : L9385A84).
(5) Cass. soc., 8 mars 2000, n° 99-43.091, M. Volmers c/ Société Lafarge couverture (N° Lexbase : A4966AGZ).
(6) Contra, v. un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris qui juge que l'avantage en nature étant octroyé par voie d'engagement unilatéral, il peut être supprimé à condition de respecter les règles de dénonciation idoines (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 6 septembre 2005, n° 05/03301, Association pour adultes et jeunes handicapés c/ Leborgne N° Lexbase : A9430DKH). Il n'est cependant pas certain qu'une telle position serait aujourd'hui adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation tant celle-ci tient la rémunération du salarié comme l'élément le plus intangible de la relation de travail. Pour une illustration de cette idée, lire nos obs., La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4903BGP).
(7) Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 98-44.760, M. Portanguen c/ Société Cecorev (N° Lexbase : A1160AIS), Dr. soc., 2001, p. 196, note A. Mazeaud.
(8) F. Gaudu, R. Vatinet, Les contrats du travail. Traité des contrats, préc..
(9) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, avec la coll. de G. Auzero, Dalloz, 24ème éd., 2008, p. 500.
(10) V., par ex., Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, Union mutuelle solidarité c/ Mme Marie-Jeanne Clain, inédit (N° Lexbase : A5289A7Z) et les obs. de A. Garat, Le salarié est soumis à une obligation de collaboration durant la suspension de son contrat pour maladie, Lexbase Hebdo n° 65 du 4 avril 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6688AAX).


Décision

Cass. soc., 24 mars 2010, n° 08-43.996, Société Exelice, FS-P+B (N° Lexbase : A1534EUD)

Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. C, 6 juin 2008

Textes visés : néant

Mots-clés : véhicule de fonction ; véhicule mis à disposition à titre personnel ; suppression du véhicule pendant le congé maladie ou le congé maternité ; manquement de l'employeur à ses obligations ; prise d'acte de la rupture

Lien base : (N° Lexbase : E0739ETK)

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