La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Éditorial

Schizophrénie du patronyme : hamburgers et conseils juridiques sous la même enseigne ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"C'est parce qu'il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déjà acquis" dixit La Bruyère dans ses Caractères, que le nom commercial d'une entreprise ou d'une association professionnelle, c'est-à-dire le nom sous lequel l'activité sera connue du public, n'est pas à un élément du fond de commerce comme les autres, le plus souvent fongible.

Et, si "c'est un poids bien pesant qu'un nom trop tôt fameux", nous livre Voltaire dans La Henriade, gageons que, si autant de noms patronymiques sont l'apanage de marques toutes les plus célèbres et les plus profitables les unes que les autres, et dans tous les domaines commerciaux (Chanel, Cartier, Renault, Ferrari, Hachette, Bordas, Fleury Michon, Poulain...), c'est qu'il est des poids qui peuvent faire effet de masse, tant les forces gravitationnelles ne s'exercent pas tout à fait de la même manière, sur le plan commercial s'entend, selon que l'on s'appelle Lefebvre, Dalloz... ou Lexbase.

D'ailleurs, si traditionnellement on distingue la dénomination sociale du nom commercial, voire de l'enseigne -si l'on pense à la Sarl Dupond & Durand franchisée qui a autant de consanguinité avec Richard et Maurice McDonald que les 31 000 autres oripeaux de la restauration rapide-, c'est que, à bien y réfléchir, il est plus facile à Ray Crock de racheter, en 1961, le nom "McDonald", enseigne franchisée sous son égide depuis 1954, que de créer sa propre marque aux accents patronymiques -Monsieur Crock, pour des hamburgers, ce n'était pas forcément du meilleur goût !-.

Et, pour rester sur le cas symbolique de la firme illinoise, l'on se souvient que, loin de renoncer aux hamburgers, les frères McDonald ont monté leur propre restaurant The Big M, après la vente de leur nom patronymique comme marque commerciale, pour fermer leur nouveau restaurant, presque aussitôt, face à la concurrence d'un franchisé... McDonald's ! Pour la petite histoire, l'accord de franchise initial prévoyait le reversement d'une somme égale à 0,5 % des revenus annuels de la chaîne, soit près de 100 millions de dollars par an, alors que Richard et Maurice M. préférèrent "céder " leur nom de famille et rebondir dans la restauration sous leurs propres ailes... Il faut croire que, en matière de restauration rapide, il importe assez peu de savoir qui il y a derrière les fourneaux...

Ce long aparté, pour illustrer, si besoin était, qu'argument d'autorité oblige, un nom patronymique ayant fait ses preuves sur le plan commercial et industriel constitue la plus belle des cartes de visite, quand il n'est pas devenu un nom commun par antonomase (frigidaire, kärcher, barbie et autre ricard en témoignent, aujourd'hui).

Sur le plan juridique, l'affaire est, depuis longtemps, tranchée : l'article L. 711-1 du Code de propriété intellectuelle dispose que la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale. Peuvent, notamment, constituer un tel signe les dénominations sous toutes les formes telles que les noms patronymiques et géographiques ou pseudonymes ; la Directive 89/104 du 21 décembre 1988 énonce, également, que peuvent constituer des marques tous les signes de représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes ; et l'arrêt "Bordas" du 12 mars 1985 permet au nom patronymique de faire l'objet d'une exploitation commerciale -la cession du nom comme marque commerciale devenant définitive et irrévocable sauf stipulation contraire-.

Et, finalement, la commercialité du nom patronymique, originellement attribut de la personnalité inaliénable, ne pose pas de problème conceptuel lorsqu'il est affaire de voiture, de livres ou d'hamburgers ! Elle relève, en revanche, d'une particulière complexité lorsque l'intuitu personae entre le prestataire et le client est trompeur. Les affaires "Ducasse" du 6 mai 2003, et "Inès de la Fressange" du 31 janvier 2006, en constituent deux exemples topiques : la Cour de cassation considérant, dans le premier cas, que le consentement donné par un associé fondateur, dont le nom est notoirement connu, à l'insertion de son patronyme dans la dénomination sociale d'une société exerçant son activité dans le même domaine, ne saurait, sans accord de sa part et en l'absence de renonciation expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de marque pour désigner les mêmes produits ou services ; et dans le second cas, que Mme de La Fressange, cédante, n'était pas recevable en une action tendant à l'éviction de l'acquéreur, Mme de La Fressange ayant déposé diverses marques utilisant les éléments de son nom de famille, qu'elle a cédées, ainsi que ses droits de marques existants ou futurs portant sur son nom, à une société, qui s'était engagée notamment à lui consentir un contrat de travail et qu'elle avait fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il reste que tous ces exemples relèvent d'une activité commerciale classique. Le trouble que peut susciter la jurisprudence de la Cour de cassation n'est-il pas, encore plus grand, lorsque l'on est en présence d'une activité libérale ? "Les grands noms abaissent au lieu d'élever ceux qui ne les savent pas soutenir" nous dit, un brin cynique, La Rochefoucauld (François VI de son état, prince de Marcillac...) dans ses Maximes ? Demandons à Alain Bensoussan d'Alain Bensoussan Avocats SELAS ; à Gilles August et Olivier Debouzy du Cabinet August & Debouzy, à Philippe Lefèvre, Françoise et Philippe Pelletier du Cabinet Lefèvre Pelletier et Associés et aux nombreux autres fondateurs ou héritiers de grands noms de l'Avocature, si leurs noms, qui n'en constituent pas moins la marque d'un savoir, d'une pratique, d'une déontologie, d'une exigence professionnelle, ne doivent pas faire l'objet d'une attention quotidienne pour garantir l'avenir et le développement des cabinets éponymes ? Et qui mieux que les dépositaires patronymiques sont à même de défendre la qualité professionnelle des cabinets dont ils sont associés et/ou fondateurs ? Aussi, lorsque la cour d'appel de Paris, le 1er décembre 2009, faisant une application classique de la jurisprudence du Quai de l'Horloge, retient que la qualité d'associé fondateur d'un cabinet d'avocats ne justifie pas l'inamovibilité de ce dernier et ne lui ouvre pas droit à interdire l'utilisation de la marque de l'association après son départ, la position des juges parisiens se comprend aisément au regard de l'objectif de sécurité juridique. Mais, elle ne peut laisser de marbre ceux pour qui la relation de confiance avec le client, fondée sur une individualisation de la prestation juridique ou judiciaire, doit gagner en transparence... Hamburgers et conseils juridiques : il n'est pas tout à fait question de la même déontologie et de la même responsabilité vis-à-vis de la clientèle. Et, un nom, dans le cadre d'une association libérale, c'est tout de même un gage d'assurance et de professionnalisme.

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