La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Fiscalité immobilière

[Textes] La France met en conformité le régime de la TVA immobilière avec le droit communautaire

Réf. : Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L6232IGW)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Les règles en matière de TVA sur les opérations immobilières constituaient, avant la réforme, un régime essentiellement dérogatoire aux règles communautaires nées de la transposition de la 6ème Directive TVA (N° Lexbase : L9279AU9). La Commission européenne avait, récemment, demandé à la France de modifier sa législation sur les terrains à bâtir (communiqué IP/09/1767 du 20 novembre 2009). La réforme de la TVA immobilière insérée dans la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 N° Lexbase : L6232IGW) satisfait à cette demande, mais recouvre plus largement une harmonisation ambitieuse de la TVA immobilière avec la Directive TVA du 28 novembre 2006 (Directive 2006/112/CE N° Lexbase : L7664HTZ) puisqu'elle conduit, notamment, à modifier la définition des terrains à bâtir, à inverser le redevable de la TVA, à mettre fin à l'exonération de TVA pour les terrains à bâtir et à modifier le régime des marchands de biens. I - Les enjeux et l'esprit de la réforme

La mise en conformité du droit français avec le droit communautaire est motivée par la recherche d'une sécurité juridique accrue, la lutte contre l'évasion fiscale et la simplification espérée du régime de la TVA immobilière.

A - La lutte contre l'évasion fiscale, premier motif de la réforme

Nonobstant les litiges devant les juridictions françaises soulignant l'incompatibilité de certaines dispositions de droit national avec le droit communautaire (par exemple, CAA de Bordeaux, 3ème ch., 4 avril 2006, n° 02BX01880 N° Lexbase : A4889EUM ou CAA de Paris, 2ème ch., 11 juillet 2006, n° 04PA01325 N° Lexbase : A8312DQW), le législateur français a tardé à intervenir. Les enjeux économiques et juridiques liés à la demande de mise en conformité au droit communautaire, en dépit du caractère non délocalisable des immeubles, imposaient toutefois à la France d'apporter une réponse à la demande de la Commission. Cette dernière avait, en effet, demandé instamment à la France, le 20 novembre 2009, et sous peine de la saisine de la CJUE, de revoir les modalités d'imposition des terrains à bâtir (TAB), réalisées au profit des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles d'habitation.

Avant la réforme, il était notamment prévu un régime spécial pour les acquisitions de terrains par des personnes physiques en vue de construire un bien immobilier qu'elles affectaient à un usage d'habitation. C'est ce dispositif qui a été regardé par la Commission comme contraire à la Directive TVA. Il existait un biais juridique résultant de la définition différente de redevable en matière d'acquisition de terrain à bâtir lequel pouvait générer une évasion fiscale substantielle. En droit interne, c'est l'acquéreur qui est le redevable légal, alors que le droit communautaire prévoit que c'est le vendeur qui doit, dans tous les cas, acquitter la TVA. Ce biais juridique risquait d'engendrer une évasion fiscale, dès lors qu'il était exploité par des professionnels de l'immobilier lors d'une opération portant sur un terrain à bâtir. Ainsi, l'acquéreur, invoquant le droit communautaire et l'incompatibilité de la disposition de droit interne, pouvait échapper au paiement de la taxe, le redevable étant au regard du droit communautaire le vendeur. Parallèlement, le cédant dispensé de s'acquitter de la TVA pouvait la déduire en sa qualité de redevable au regard des règles applicables du droit communautaire. De cette manière, le biais né de la non-conformité de la disposition nationale au droit communautaire pouvait emporter, par une exploitation habile de la règle de droit, la circonstance étonnante où la TVA d'amont serait déduite alors que le service ne serait pas assuré du recouvrement de la TVA.

Ainsi, la mise en conformité du droit national, au droit communautaire en matière d'exigibilité de la TVA en matière de vente en l'état de futur achèvement, de taxation sur la marge dont bénéficiaient les marchands de biens à l'occasion de certaines opérations immobilière, ou encore l'exonération de TVA des cessions de terrains à bâtir au profit des particuliers pour la construction de leurs logements, participe, tout comme l'harmonisation de la notion de redevable au droit communautaire, d'une mise en cohérence des règles juridiques assurant une réduction des contradictions exploitables du droit interne et communautaire, susceptibles d'engendrer une évasion fiscale.

B - Une volonté affichée de simplification et de mise en cohérence du régime juridique de la TVA immobilière

Outre, le biais introduit par la qualité du redevable, subsistaient d'autres différences entre le droit national et le droit communautaire. Ainsi, les terrains à bâtir relevaient d'un régime ad hoc de taxation aux droits d'enregistrement en contradiction avec la Directive de 2006 qui prévoit que ces opérations ne peuvent être exonérées de TVA. De même, les marchands de biens connaissaient un régime particulier de TVA sur leur marge leur permettant de déduire la TVA grevant les frais d'aménagement. Ces règles dérogatoires appliquées par la France pour les immeubles qui sont essentiellement issues d'une loi de 1963, portant réforme de l'enregistrement, du timbre et de la fiscalité immobilière, se devaient d'être simplifiées (loi n° 63-254 du 15 mars 1963 N° Lexbase : L4721GUE).

La réforme de la TVA immobilière exprime, en conséquence, une volonté de simplification qui se traduit par une banalisation des opérations portant sur les immeubles au regard de la TVA, ces dernières faisant désormais partie, en un sens, du droit commun de la TVA. La mise en conformité du droit interne au droit communautaire est l'occasion pour le législateur d'initier un réel effort de simplification d'un régime juridique traditionnellement regardé comme complexe et dérogatoire. Cette simplification des règles applicables offre ainsi une souplesse accrue aux opérateurs pour placer leurs opérations sous tel ou tel régime d'exonération ou de réduction des droits de mutation à titre onéreux. La réforme est donc l'occasion de supprimer certaines dispositions obsolètes, mais surtout de définir une nouvelle ligne de partage permettant de distinguer les opérations réalisées dans le cadre d'une activité économique de celles réalisées en dehors d'une telle activité.

II - Nouvelle frontière et principales mesures de la réforme

La réforme de la TVA immobilière la fond dans la TVA de droit commun, l'économie générale de la réforme conduisant à identifier les principales mesures, et à s'intéresser plus précisément à la nouvelle rédaction de l'article 256 II 1° du CGI (N° Lexbase : L7496IGQ).

A - La suppression de la TVA immobilière et la distinction des opérations éligibles à la TVA en fonction du critère de l'activité économique

Le régime de la TVA immobilière est supprimé en tant que tel par la nouvelle écriture de l'article 256 du CGI. Il est, dorénavant, fondé sur la distinction entre opérations entrant dans le cadre d'une activité économique définie à l'article 256 A du CGI (N° Lexbase : L3557IAY) et celles réalisées en dehors, et non plus sur les opérations entrant ou non dans le champ d'application de la TVA.

Ainsi, relèvent du champ d'application de la TVA de droit commun l'ensemble des livraisons de biens meubles ou immeubles. La suppression de la référence à la notion de "meuble", porte création d'un nouveau partage entre les opérations réalisées dans le cadre d'une activité économique et celles qui ne le sont pas. Les opérations immobilières réalisées dans le cadre d'une activité économique sont traitées différemment des autres opérations immobilières. Cela s'est traduit par une nouvelle écriture de l'article 256 II, 1° du CGI. La summadivisio repose donc sur le fait que le vendeur soit ou non assujetti à la TVA pour les opérations portant sur des immeubles ou des terrains bâtis ou non. Cela conduit par exemple à exonérer de TVA les livraisons de terrains qui ne sont pas à bâtir effectuées par un vendeur assujetti et à regarder la même opération faite par un vendeur non assujetti comme hors du champ d'application de la TVA.

Notons qu'en matière de droits de mutation à titre onéreux, le législateur a mis à profit la réforme pour assouplir les conditions d'application des régimes de faveur permettant une exonération ou une réduction des droits de mutation.

B - Les principales règles applicables

Lorsque le vendeur est un non assujetti à la TVA les ventes de terrains à bâtir sont hors champ de la TVA. Les livraisons de terrains à bâtir par un assujetti sont, de leur côté, soumises de plein droit à la TVA, la notion de terrain à bâtir recouvrant désormais une définition objective s'appuyant sur le droit de l'urbanisme, et non plus sur l'intention de construire de l'acquéreur. Le nouvel article 257 du CGI (N° Lexbase : L7350IGC) redéfinit le terrain à bâtir lequel est désormais compris comme : "Terrains situés dans un secteur désigné comme constructible du fait de leur classement par un plan local d'urbanisme ou par un document d'urbanisme en tenant lieu dans une zone urbaine ou dans une zone à urbaniser ouverte à l'urbanisation, ou par une carte communale dans une zone constructible". La TVA est appliquée sur le prix total lorsque le terrain avait ouvert droit à déduction lors de son acquisition par le cédant et sur la marge lorsque le terrain n'avait pas ouvert droit à déduction lors de son acquisition par le cédant. La livraison des autres terrains effectuée par un assujetti est exonérée de TVA même si les assujettis ont la possibilité de soumettre volontairement cette livraison à la TVA sur option (CGI, art. 260-5° bis N° Lexbase : L7398IG4).

Les droits de mutation à titre onéreux (DTMO) diffèrent (0,715 % ou 5,09 %) selon que la TVA est due sur le prix total ou sur la marge, l'engagement de construire et de revendre dans des délais respectifs de 4 et 5 ans, qui disparaît pour les besoins de la TVA, demeure une notion utile pour les droits d'enregistrement. L'articulation des délais de construction et de revente pour la fixation des DTMO devra être précisée par l'administration.

Pour les livraisons d'immeubles neufs, la TVA est calculée sur le prix total et les DTMO sont des droits réduits à 0,715 % (CGI, art.1594 F quinquies N° Lexbase : L7462IGH). Par ailleurs, s'agissant des immeubles autres qu'un immeuble neuf, la vente entre deux assujettis est exonérée de TVA mais une option est possible pour une taxation sur le prix total ou par application du régime de la marge (CGI, art. 260-5 bis). En ce qui concerne les DTMO le taux global de 5,09 % est applicable sauf si un constructeur effectue une activité économique et prend un engagement de construire dans le délai de quatre ans auquel cas l'opération est exonérée de DTMO ; si est pris un engagement de revendre, le taux réduit de 0,715 % s'applique. Si le vendeur est assujetti ou non à la TVA, mais non l'acheteur, les DTMO sont ceux de droit commun de 5,09 % ; si le vendeur n'est pas assujetti à la TVA, les DTMO sont de 5,09 %, sauf s'il existe un engagement de revendre les DTMO étant alors de 0,715 %, l'exonération prévaut en présence d'un engagement de construire (CGI, 1594-0 G N° Lexbase : L7443IGR).

Une autre innovation importante de la réforme est la généralisation de l'obligation de livraison à soi-même des immeubles non vendus dans les deux ans de leur achèvement. La TVA s'appliquera, ainsi, aux livraisons à soi-même d'immeubles réalisées par des assujettis ou des non assujettis, ou à des livraisons qui ne sont pas le fait d'assujettis. La TVA s'appliquera, désormais, à certaines opérations qui ne constituent pas des livraisons d'immeubles en tant que telles, par exemples, les cessions de droits portants sur des immeubles dont le régime suit celui de l'immeuble sur lequel ils portent. La réforme emporte donc des conséquences importantes notamment pour les activités d'achat revente d'immeubles. Par ailleurs, la réforme met fin à l'inversion du redevable et les règles d'exigibilité applicables aux ventes en état de futur achèvement ont été modifiées.

Des instructions administratives l'une relative à la TVA, l'autre aux droits de mutation à titre onéreux, vont commenter cette réforme qui s'applique aux opérations immobilières réalisées à compter du 11 mars 2010 et touchera de nombreux professionnels, lotisseurs, promoteurs ou marchands de biens.

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