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N4799BN3
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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
le 07 Octobre 2010
I - L'exploitation autonome n'est pas une condition suffisante pour en déduire qu'il s'agit d'une nouvelle activité : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 293476, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0257EQL)
Cette décision mentionnée dans les tables du recueil Lebon vient préciser les notions de création d'établissement et de changement d'exploitation en matière de taxe professionnelle. Selon le premier alinéa du I de l'article 1478 du CGI (N° Lexbase : L2817IGG) le principe est l'assujettissement à la taxe du redevable qui exerce son activité au 1er janvier. Cependant il existe des dérogations à ce principe, notamment, en cas de création d'établissement (CGI, art. 1478 II) et de changement d'exploitant (CGI, art. 1478 IV). Ces modalités dérogatoires sont justifiées par le fait que la taxe est calculée sur une base se fondant sur les éléments dont l'entreprise a disposé durant l'année N-2.
Dans le cas de la création d'établissement, la taxe n'est pas due au titre de la première année d'activité. Pour les deux années suivant celle de la création, elle est calculée sur les éléments dont le contribuable a disposé au 31 décembre de l'année de création ajustée pour correspondre à une année complète. L'absence de base de référence pour la première année fonde l'exonération de cette période. Pour les deux années qui suivent, il a été mis en place des règles permettant de calculer la taxe professionnelle, ce que l'application des règles de droit commun ne permettait pas.
S'il s'agit du changement d'exploitant, l'exonération de la taxe professionnelle pour la première année n'a pas lieu d'être. En effet l'assiette sera déterminée, pour l'année pendant laquelle le changement d'exploitant a eu lieu en fonction des éléments dont a disposé l'ancien exploitant en N-2. En revanche, s'appliquent les règles dérogatoires au droit commun pour les deux années suivant celle du changement ; la taxe sera calculée selon les mêmes règles que celles applicables au cas de la création d'établissement.
En l'espèce, cinq sociétés d'assurance avaient constitué, à compter du 1er janvier 1993, un groupement d'intérêt économique auquel elles avaient confié l'ensemble de leurs travaux informatiques. A cette fin, elles lui avaient cédé à titre onéreux l'ensemble des matériels et logiciels, et elles avaient mis à sa disposition les locaux dans lesquels se trouvaient ces matériels ainsi que le personnel en charge des travaux informatiques. Selon le GIE, cette opération constituait une création d'établissement au sens du II de l'article 1478 du CGI. Mais, au terme de deux contrôles portant sur les années 1994 et 1998, l'administration fiscale a considéré que cette opération ressortait de la cession d'établissement. En conséquence les modalités d'imposition au titre de la taxe professionnelle étaient différentes, par application de l'article 1518 B du CGI (N° Lexbase : L2932IGP), l'assiette était constituée par les quatre cinquièmes de la valeur locative retenue pour les biens cédés.
Dans un jugement en date du 2 décembre 2003, le tribunal administratif de Nantes a déchargé le GIE des cotisations supplémentaires au titre des années 1994 et 1998 pour la taxe professionnelle. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a fait appel de ce jugement en opérant une substitution de base légale aux termes de laquelle l'opération litigieuse ne constituait pas une cession d'établissement, mais un changement d'exploitant. Dans sa décision du 27 février 2006, la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 27 février 2006, n° 04NT00826 N° Lexbase : A9147DPH) a rejeté la demande de l'Etat, en considérant que l'opération en cause était une création d'établissement. Selon la cour administrative d'appel, bien que l'ensemble des moyens de production et le personnel aient fait l'objet d'un transfert au bénéfice du GIE, l'activité en cause était nouvelle. En effet, ces services informatiques, antérieurement à la création d'un GIE, n'étaient pas effectués de manière autonome mais dans le cadre de l'activité d'assurance au titre de laquelle ces sociétés étaient assujetties à la taxe. Ce transfert de l'ensemble des moyens au GIE a eu pour effet la mise en oeuvre d'une activité différente de celle de prestataire informatique pour laquelle il est soumis à la taxe professionnelle. Pour les juges d'appel cette activité différente constitue la création d'un établissement et non un changement d'exploitant.
Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi. Le Conseil d'Etat a infirmé la décision de la cour. Le Haut conseil a considéré que les juges d'appel avaient commis une erreur de droit due à une qualification juridique fausse. En effet, l'opération litigieuse ne peut être considérée comme une création d'établissement. L'activité de prestataire informatique qu'elle soit exercée par les différentes sociétés d'assurance dans le cadre d'une gestion directe ou, par la suite, de manière autonome par le GIE, n'a pas changé. Dans les deux cas, il s'agit d'une activité "analogue", le Conseil relève que le transfert du personnel ainsi que des moyens de production implique une identité d'activité et que celle-ci pouvait faire l'objet d'une exploitation autonome. Sur la substitution de base légale, la Haute juridiction a jugé que la garantie d'adéquation procédurale n'a pas été remise en cause et donc qu'elle pouvait être examinée.
Pour savoir s'il existe ou non une nouvelle activité, le juge de l'impôt s'intéresse principalement au critère de la nature des activités en cause. En tant que juge de cassation, la Haute juridiction administrative effectue un contrôle de la qualification juridique de l'appréciation par les juges du fond du caractère nouveau ou non de l'activité. Par cette décision, il s'avère que le Conseil d'Etat n'a pas modifié son contrôle en la matière. En particulier dans une décision ancienne, il avait été déjà jugé que la modification des conditions d'exercice d'une activité ne peut suffire à lui donner un caractère nouveau au sens de l'article 1478 du CGI, si l'activité menée par l'ancien et le nouvel exploitant est identique (1). En l'espèce, l'élément nouveau consiste en la notion d'exploitation autonome développée par les juges d'appel selon lesquels, la transformation d'une activité effectuée par gestion directe en une exploitation autonome impliquait une nouvelle activité et par conséquent la création d'un établissement au sens du I de l'article 1478 du CGI. Le Conseil d'Etat a considéré comme erronée cette interprétation de la notion d'activité nouvelle, il estime que l'activité est "analogue" et donc que la modification des modalités d'exploitation caractérise un changement d'exploitant et non la création d'une nouvelle activité.
II - La mise à disposition à titre gratuit de biens : charges ou immobilisations ? CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 311110, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0350EQZ)
La présente décision est relative à la notion de mise à disposition gratuite de biens entrant dans la base d'imposition de la taxe professionnelle, mais elle n'apporte pas tant d'éléments nouveaux relatifs à ce régime, dont nous retracerons brièvement les différentes péripéties, qu'elle rappelle certaines des modalités applicables dans le cadre de la garantie contre les changements de doctrine administrative.
La mise à disposition peut concerner les distributeurs de boissons, jeux électroniques, présentoirs que les producteurs peuvent fournir aux détaillants. Le régime de mise à disposition de biens à titre gratuit a fortement évolué, la position de l'administration ayant été invalidée par le Conseil d'Etat, celle du Conseil ayant, ensuite, été remise en cause par le législateur. Aux termes de la documentation administrative (2), le redevable de la taxe était le donneur d'ordres car il était susceptible à tout moment de priver le sous-traitant des biens mis gratuitement à sa disposition. Le Conseil d'Etat a remis en cause la doctrine de l'administration, par une décision de principe "SA Fabricauto-Essarauto", en date du 19 avril 2000 (CE Contentieux, 19 avril 2000, n° 172003 N° Lexbase : A5213AYQ), aux termes de laquelle il a considéré que les immobilisations corporelles mises gratuitement à la disposition de leur utilisateur étaient imposables à la taxe professionnelle au nom de ce dernier. Cet arrêt de principe a été confirmé par plusieurs décisions du 25 avril 2003 (CE 9° et 10° s-s-r., 25 avril 2003, trois arrêts, n° 245223 N° Lexbase : A7746BSP, n° 245224 N° Lexbase : A7747BSQ et n° 245225 N° Lexbase : A7748BSR). L'affirmation de cette solution était venue mettre fin à une jurisprudence parfois "impressionniste" de par le flou entourant la notion de disposition pour les besoins de l'activité professionnelle de l'article 1467 du CGI (N° Lexbase : L3016IGS). La Haute juridiction avait fait primer des critères d'ordre économique -l'utilisation matérielle et la finalité de l'opération- sur le critère de la propriété.
Cependant, cette jurisprudence a été rapportée par le législateur qui avait modifié l'article 1469, 3° bis, du CGI (N° Lexbase : L4903ICL). A compter de 2004, les immobilisations corporelles utilisées par une personne qui n'en était ni propriétaire, ni locataire, ni sous-locataire étaient imposées au nom de leur sous-locataire, ou à défaut, de leur locataire, ou à défaut, de leur propriétaire dans l'hypothèse où eux-mêmes étaient assujettis à la taxe.
En l'espèce, il s'agissait de la mise à disposition de distributeurs-doseurs pour les produits d'entretien fournis par la société H.. Cette mise à disposition gratuite était prévue par un contrat aux termes duquel les clients en bénéficiant devaient, en contrepartie, se fournir exclusivement auprès de cette société. La société H. avait comptabilisé les distributeurs-doseurs, ainsi, que la main-d'oeuvre utile à leur installation en tant que charges. Mais, à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a considéré que ces éléments correspondaient à des immobilisations qui devaient être réintégrées dans les bases imposables de la taxe professionnelle au titre des années 1999 à 2002.
Dans un jugement en date du 12 septembre 2006, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la société tendant à la réduction des cotisations supplémentaires de taxe professionne. Cette solution a été confirmée par un arrêt de la cour administrative de Nantes du 1er octobre 2007 (CAA Nantes, 1ère ch., 1er octobre 2007, n° 06NT01889 N° Lexbase : A6289DZX). Les juges d'appel ont considéré que les distributeurs étaient à la seule disposition des clients de la société requérante et que, dès lors, ils ne pouvaient être compris comme des immobilisations dont cette dernière avait la disposition "pour les besoins de son activité" (CGI, art. 1467 N° Lexbase : L3016IGS). La société H. fondait, aussi, sa demande sur l'application de l'article L 80 A du LPF. Elle se référait à la documentation administrative 6 E-2211 du 10 septembre 1996 indiquant que les immobilisations à prendre en compte dans les bases de la taxe professionnelle "figurent lignes AN et AT de l'imprimé n° 2050" c'est-à-dire la déclaration de résultats pour les entreprises soumises au régime du bénéfice réel. A contrario, si ces immobilisations ne figuraient pas sur cette déclaration, elles n'étaient pas comprises dans la base de la taxe. La cour a réfuté cet argument au motif que la doctrine administrative ne pouvait être interprétée a contrario (3).
Le contribuable s'est pourvu en cassation contre la décision des juges d'appel. Sa demande de décharge n'a pas été accueillie par le Conseil d'Etat. Il indique que les juges du fond n'ont pas fait une application inexacte de l'article L 80 A du LPF. Néanmoins, on peut noter que les juges de cassation n'ont pas repris le motif de l'interprétation faite par a contrario, mais ont fondé leur rejet du pourvoi de la société sur l'absence d'interprétation formelle des deux documentations administratives invoquées. L'interprétation formellement admise doit être impérative et contraignante. Or, qu'il s'agisse de la documentation administrative 6 E-2211 du 10 septembre 1996 relative aux obligations déclaratives des redevables de la taxe professionnelle, elle ne fait qu'énoncer les éléments compris en tant qu'immobilisations mais n'établit en rien des règles en vue de distinguer entre éléments de l'actif immobilisé et dépenses admises en charges. De même s'agissant de la seconde documentation administrative 4 C-221 du 30 octobre 1997 relative à la comptabilisation des frais et charges des entreprises, elle n'admet aucune interprétation formelle dont il pourrait être déduit que la mesure de simplification applicable dans le cadre des BIC le soit aussi en matière de taxe professionnelle. Cette documentation admettait que les entreprises pouvaient prendre en compte au titre de charges immédiatement déductibles le prix des matériels et outillages d'un montant unitaire hors taxe inférieur à 2 500 francs (381 euros).
L'argument de la société requérante fondé sur l'enchaînement de l'interprétation de deux documentations administratives ne peut constituer une interprétation formelle autorisant la mise en oeuvre de la garantie contre les changements de doctrine de l'article L. 80 A du LPF.
III - Détermination des catégories relevant du forfait de la taxe local d'équipement : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 286556, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0253EQG)
Cette décision porte sur les règles applicables à la détermination de l'assiette de la taxe locale d'équipement. En fonction de cette assiette et par application du barème, la construction est classée dans l'une des catégories mentionnées à l'article 1585 D du CGI (N° Lexbase : L3228IGN). Il faut noter que la définition de l'assiette n'a pas été modifiée, or à notre connaissance, le Conseil d'Etat ne s'était pas encore prononcé sur l'application des règles régissant cette définition. En revanche, le barème tel qu'il applicable à l'espèce a fait l'objet de modifications. En particulier les catégories 5 et 7 dont il est question dans cette affaire ont été modifiées par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, dite loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (N° Lexbase : L9087ARY). La 5ème catégorie a été, à nouveau, modifiée par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK).
M. et Mme D. se sont vu accorder un permis de construire en date du 3 juin 1997 en vue de la construction d'une villa dans la commune de Sainte-Maxime. Le 15 juillet suivant il leur a été demandé au titre de la taxe locale d'équipement et des autres taxes annexes la somme de 32 898 francs (5 015 euros) par la direction départementale de l'équipement du Var. Cette imposition avait été calculée en considérant que la construction, objet du permis de construire, relevait de la 7ème catégorie de l'article 1585 D du CGI modifié depuis. M. et Mme D. ont contesté cette imposition au motif que leur habitation relevait de la 5ème catégorie. L'administration a rejeté leur réclamation. Cependant, par un jugement du 13 janvier 2004, le tribunal administratif de Nice a fait droit à leur demande.
Par application de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2998ALM), la cour administrative d'appel de Marseille a transmis les conclusions dont elle était saisie en estimant qu'elles relevaient de la compétence du Conseil d'Etat. La question dont était saisie la Haute juridiction portait sur les modalités de détermination de l'assiette de la taxe. Aux termes du I de l'article 1585 D du CGI, l'assiette de la taxe locale d'équipement est "constituée par la valeur de l'ensemble immobilier comprenant les terrains nécessaires à la construction et les bâtiments dont l'édification doit faire l'objet de l'autorisation de construire". De la définition de cette valeur dépendait le classement dans la 5ème ou la 7ème catégorie qui prenait en compte le montant du prix de vente ou du prix de revient. Pour calculer ce prix, les juges du fond avaient pris en considération le prix du terrain ainsi que celui de la construction, mais de ce total avaient exclu le prix du terrain d'assiette de la construction. De ces modalités de calcul il résultait que le prix de revient de l'habitation était inférieur à celui déterminé par l'article R. 331-68 du Code de la construction et de l'habitat (N° Lexbase : L8614ABN) (4) et, en conséquence, que le logement relevait de la 5ème catégorie.
Le Haut conseil a considéré que les juges du fond en procédant ainsi ont commis une erreur de droit. Pour calculer le prix de la construction du logement neuf, il faut intégrer non seulement le prix de la construction mais aussi celui du terrain d'assiette. Par application de ces modalités, la valeur ainsi déterminée avait pour conséquence de classer dans la 7ème catégorie la construction, ainsi la demande de M. et Mme D. était irrecevable.
Le Conseil a réglé cette affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du CJA (N° Lexbase : L3298ALQ). Dès lors, redevenu juge des faits, il indique précisément -chiffres à l'appui- les modalités de calcul applicables pour déterminer le montant global à partir duquel sera défini le prix de revient au mètre carré du logement ; prix en fonction duquel sera déterminé la catégorie dans laquelle il sera classé. Enfin, le Haut conseil n'a pris en compte le prix de la piscine. On peut approcher cette solution de celle indiquée dans une réponse ministérielle (5) selon laquelle les piscines ne sont considérées comme une surface hors oeuvre nette que si elles sont couvertes. En conséquence si la piscine est découverte ou installée dans une pièce du bâtiment d'habitation elle n'est pas prise en compte.
(1) CE Contentieux, 9 juillet 1986, n° 41057 (N° Lexbase : A3900AME), RJF, 10/86, n° 896.
(2) Documentation administrative 6 E-2211 du 10 septembre 1996.
(3) Dans le même sens : CAA Paris, 2e ch., 17 avril 1990, n° 89PA00626 (N° Lexbase : A9510A8Q) ; CAA Bordeaux, 1ère ch., 14 juin 1994, n° 92BX00759 (N° Lexbase : A2683BE4).
(4) Disposition supprimée par le décret n° 2001-911 du 4 octobre 2001 (N° Lexbase : L6237IG4).
(5) QE n° 25724 de M. Merville Denis, JOANQ 6 octobre 2003 p. 7580, min. Equip. Trans. et Log., réponse publ. 8 décembre 2003, p. 9439, 12ème législature (N° Lexbase : L6238IG7).
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