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N2445BNU
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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
le 07 Octobre 2010
La décision "SA Maison Bosc" rendue par le Conseil d'Etat témoigne de la difficulté à gérer une entreprise ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire avec comme acteurs la dirigeante de la société, l'administrateur judiciaire et l'administration fiscale. A la suite de deux vérifications de comptabilité portant sur les périodes du 1er juillet 1993 au 31 janvier 1996, puis du 1er février 1996 au 31 janvier 1997, le service a été amené à prononcer un rappel de TVA ainsi qu'une majoration des droits de 150 %, alors applicable, au titre d'une opposition à contrôle fiscal (CGI art. 1730 N° Lexbase : L4167HMB). Cette décision offre une illustration de ce qu'est concrètement une opposition à contrôle fiscal (A) ainsi que d'une gestion fiscale lacunaire des exportations de biens vers l'étranger (B).
A - L'opposition à contrôle fiscal : le pot de terre contre le pot de fer
En droit commun, l'administration est tenue d'entamer une procédure contradictoire avec le contribuable. Si ce dernier s'y oppose ou s'y soustrait, l'administration peut mettre en oeuvre, sans nécessairement mettre préalablement en garde le contribuable (CE Contentieux, 17 novembre 1997, n° 136114 N° Lexbase : A4982ASC), les dispositions du Livre des procédures fiscales autorisant le service à évaluer d'office (LPF, art. L 74 N° Lexbase : L8160AEX) les bases d'imposition lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou d'un tiers (CE Contentieux, 1er juin 2001, n° 185753 N° Lexbase : A6489ATI (1)). Dans une telle occurrence, la première des sanctions consiste à priver le contribuable du droit à une procédure contradictoire (CE 3° et 8° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 299933 N° Lexbase : A7093EAX). Cette sanction procédurale se double d'une sanction pénale (2) spécifique (3) (CGI, art. 1746, N° Lexbase : L1737HNN (4)) et d'une sanction administrative consistant, depuis le 1er janvier 2006 (ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités N° Lexbase : L4620HDH), en une majoration de 100 % (5) (CGI, art. 1732, N° Lexbase : L1722HN4) des droits au lieu de 150 % applicable jusqu'alors (6). Ce n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour le contribuable car cela peut inciter le service à y recourir.
La lecture de la jurisprudence démontre que l'imagination du contribuable est sans borne mais une telle attitude tourne toujours à son désavantage : il en est ainsi de l'impossibilité de joindre le contribuable (CE 7 décembre 1977, n° 3071 N° Lexbase : A4643AYM) ou lorsque ce dernier prétend avoir cessé toute activité et qu'il communique le nom de l'ancien comptable sans fournir son adresse (CE 15 juin 1987, n° 48864 N° Lexbase : A2460APS). La décision "SA Maison Bosc" enrichit ces exemples : l'instruction des faits nous apprend que l'administration fiscale, qui avait déjà rencontré des difficultés lors d'un précédent contrôle, avait adressé, par précaution et à la suite de l'absence de la dirigeante de la société vérifiée, deux courriers de mise en garde. Puis, le vérificateur avait été invité, par la dirigeante, à consulter chez l'expert-comptable les pièces de la comptabilité qui, après avoir décliné la mission confiée, avaient été restituées par l'expert comptable à la dirigeante de la société, ce qu'elle ne pouvait ignorer ! Le Conseil d'Etat approuve le juge d'appel d'avoir constaté que le contrôle fiscal n'a pu être réalisé du fait de l'attitude du contribuable ; ce qui justifiait l'évaluation d'office des résultats et l'application d'une majoration au taux de 100 % -au lieu de 150 %- même si les faits sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance de 2005 et si, toutefois, ils n'ont pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée : dans une telle hypothèse, le juge de l'impôt se place à la date à laquelle il statue. Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une jurisprudence déjà bien établie (CE 9° et 10° s-s-r., 26 décembre 2008, n° 282995 N° Lexbase : A9620EBW ; CE Contentieux, 5 avril 1996, n° 176611 N° Lexbase : A8780ANI).
B - La TVA et la preuve de l'exportation de biens
Les assujettis redevables se livrant au commerce extérieur sont exonérés de TVA (CGI, art. 262 N° Lexbase : L3544IAI). La TVA, qui constitue de loin la première source de recettes fiscales pour l'Etat, est un impôt susceptible d'entraîner une fraude particulièrement dommageable pour les finances publiques que le bien fasse l'objet d'une livraison intracommunautaire ou d'une exportation à l'intention des pays tiers à l'Union européenne d'où l'importance de la preuve dans un tel contentieux. Le Code général des impôts met à la charge du contribuable exportateur un ensemble d'obligations (CGI, ann. III, art. 74 N° Lexbase : L2156HMS) et, pour chaque envoi, le fournisseur doit établir une déclaration d'exportation, conforme au modèle donné par l'administration et visé par le service des douanes du point de sortie. Conscientes des difficultés pratiques liées à la production de l'exemplaire n° 3 de la déclaration d'exportation tenant au fait que les différents acteurs de la chaîne logistique ne retournaient pas le document visé à l'exportateur, les autorités publiques sont intervenues et permettent désormais au contribuable d'apporter l'un des éléments de preuve indiqués au d) de l'article 74 de l'annexe III au CGI modifié (7) en conséquence (décret n° 2004-468, 25 mai 2004, relatif aux formalités requises en matière de preuve des exportations de biens bénéficiant de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant l'annexe III au Code général des impôts N° Lexbase : L2177DYB, entré en vigueur le 3 juin 2004). Une telle modification réglementaire s'imposait d'autant plus que la jurisprudence des juges du fond a considéré, depuis lors, comme disproportionnée la présomption irréfragable de non exportation issue de l'ancienne rédaction de l'article 74 de l'annexe III au CGI, lorsque l'entreprise n'était pas en mesure de produire cette déclaration si toutefois il n'existait aucun doute quant à la réalité de l'exportation (CAA Lyon, 2ème ch., 28 décembre 2006, n° 02LY01071, Sarl France Europe Distribution N° Lexbase : A5893DTG ; contra : TA Nantes, 6 novembre 2001 n° 97-2787, SA Coréa, RJF, avril 2002 n° 380). Dans la pratique professionnelle, si une réponse ministérielle de 2004 précisait bien qu'en toute rigueur, "Jusqu'à l'adoption [du décret du 25 mai 2004], seul l'exemplaire numéro 3 de la déclaration en douane d'exportation visé au verso par le service des douanes du point de sortie de l'Union européenne pouvait servir de justificatif" (8), il est arrivé -et le présent arrêt "SA Maison Bosc" en témoigne en partie (9) (v. également dans le même sens : CAA Nantes, 1ère ch., 2 mars 2009, n° 07NT03555, SAS Millenis N° Lexbase : A2718ELA)- que l'administration accepte malgré tout de prendre en compte des éléments de preuve présentés par le contribuable suppléant l'exemplaire n° 3 de la déclaration en douane.
Au cas particulier, et compte tenu de la rédaction des textes applicables aux faits de l'espèce, la Maison Bosc s'est vue contester le caractère probant de certains justificatifs d'exportation car les documents présentés étaient illisibles -ce qui revient à considérer qu'ils n'étaient pas exploitables et ne pouvaient étayer la thèse du contribuable- ou étaient constitués de relevés ou d'avis d'opérations bancaires qui ne pouvaient établir la preuve de l'exportation "même s'ils [faisaient] apparaître que le donneur d'ordre [était] établi à l'étranger ou [mentionnaient] comme motif du paiement le règlement de l'achat de costumes destinés à des membres de professions judiciaires". L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris est confirmé par le Conseil d'Etat : devant le juge de l'impôt, les dispositions réglementaires sont strictement appliquées et la Haute juridiction administrative ne dit pas si l'article 74 annexe III au CGI, dans sa rédaction antérieure au décret du 25 mai 2004, était disproportionné par rapport au but assigné aux Etats membres par la Directive TVA (10). Mais, il est vrai également que les faits de l'espèce ne laissaient pas présager d'une absolue certitude quant à la réalité des exportations alléguées par la société ! En d'autres termes, en pratique, un tel litige doit trouver une issue amiable avec l'administration en charge du contrôle.
On notera, pour conclure, que cette décision a fait l'objet d'une prompte réaction de l'administration fiscale qui souligne que ses agents peuvent ne pas accepter les éléments de preuve opposés par le contribuable "s'il existe des doutes sérieux sur leur validité ou leur sincérité" (instruction du 11 février 2010, BOI 3 A-2-10 N° Lexbase : X6979AGL).
II - Intégration fiscale et société intégrante en formation : notion de détention continue des titres des sociétés filiales intégrées : CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01103, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1266EQX)
L'arrêt "Société Alimentation Générale du Mail" a trait à un contentieux qui fut pendant longtemps fort rare devant le juge de l'impôt et qui tend, aujourd'hui, à se développer : rappelons que le régime de l'intégration fiscale permet à une société intégrante de "se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice" (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L3718IAX) ; les sociétés intégrées étant, alors, tenues, à titre de garantie, à hauteur de l'impôt qu'elles auraient acquitté si elles n'avaient pas été intégrées.
Les faits de l'espèce rapportent qu'à l'automne 1995, une personne physique s'engage à acquérir les actions de deux sociétés anonymes sous conditions suspensives devant être réalisées au plus tard le 31 décembre de la même année. Dans le même temps, l'acquéreur entame des démarches en vue de constituer une holding de reprise sous la forme d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).
A l'issue d'une vérification de comptabilité, le vérificateur a remis en cause l'application du régime de l'article 223 A du CGI, puisque, selon l'administration, les titres sociaux des sociétés intégrées n'ont pas été détenus à 95 % de manière continue pendant l'année 1996, premier exercice d'application du régime d'intégration fiscale. L'arrêt rendu par le juge d'appel, réformant le jugement du tribunal administratif de Montpellier et accordant notamment au contribuable la décharge des cotisations d'IS et de la contribution additionnelle à cet impôt, prend position, à la fois, sur les effets de conditions suspensives insérées dans le contrat d'acquisition des actions des deux sociétés anonymes intégrées (A) ; ainsi que sur les conséquences de la reprise des engagements -dont l'option pour l'intégration fiscale- souscrits au nom de la société intégrante en formation (B).
A - Le civil tient le fiscal en l'état
Le protocole d'acquisition des titres sociaux des sociétés anonymes concernées stipulait un ensemble de conditions suspensives. Ainsi, l'article 7 du contrat signé par les parties le 13 octobre 1995 prévoyait qu'il deviendrait définitif dès l'obtention d'un ou de plusieurs prêts bancaires, de l'agrément du cessionnaire et de la mainlevée des cautions. Toutes ces conditions ont, finalement, été réalisées dès le 8 décembre 1995. Par conséquent, le transfert de propriété des actions a bien eu lieu au moment où un accord est intervenu sur la chose et le prix (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG) après levée des conditions suspensives. L'administration fiscale ne peut contester l'effet juridique du contrat conclu entre les parties en prétendant y voir une promesse de vente optionnelle. Ou encore en s'appuyant sur les modalités de paiement des cessions d'actions ou l'inscription sur le registre des titres du transfert de ces actions puisque, en droit français, c'est le principe de transfert de propriété solo consensu qui s'imposait, eu égard aux faits de l'espèce, pour ces titres non cotés "quoique la chose n'ai pas encore été livrée ni le prix payé" (Cass. com., 22 novembre 1988, n° 86-18.152, M. Korzilius GMBH c/ Consorts Korzilius N° Lexbase : A3966AGY ; Cass. com., 30 novembre 2004, n° 02-16.229, Société Editions Atlas c/ Société Seeft management N° Lexbase : A1185DEM (11)). En revanche, depuis l'adoption de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), le régime du transfert de propriété des valeurs mobilières (12) émises par des sociétés par actions dont les titres sont cotés ou non est unifié (13) et résulte de leur inscription au compte de l'acheteur (C. com., art. L. 228-1 N° Lexbase : L5565IC4 ; décret n° 2006-1566, du 11 décembre 2006, art. 60 N° Lexbase : L7100HT7 ; C. com., art R. 228-10 N° Lexbase : L0320HZU). Mais rien n'interdit aux parties de s'entendre sur la date à laquelle les titres seront inscrits au compte de l'acheteur (14) !
Dans une telle hypothèse, la démarche de l'administration fiscale surprend : dans une décision récente, le service a, également, tenté de contester les effets d'une clause suspensive insérée dans une convention de cession de clientèle d'un expert-comptable à l'un de ses confrères pourvu que ce dernier soit agréé par l'organe de tutelle. Le Conseil d'Etat, censurant les juges du fond qui avait repris la thèse de l'administration fiscale (CAA Douai, 3ème ch., 7 juin 2005, n° 03DA00401, M. et Mme Paul Deperrois N° Lexbase : A2640DKY), en avait alors tiré toutes les conséquences après une juste analyse des effets juridiques de cette clause (CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2008, n° 283956, M. et Mme Deperrois N° Lexbase : A8670D7A).
Le parallèle entre les deux arrêts "Société Alimentation Générale du Mail" et "Deperrois" réside dans le fait que le contribuable a bien la maîtrise du fait générateur de l'impôt grâce au droit des contrats (notre thèse, L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Paris 13, 2009, § 87 et s.) ; ce que conteste par principe l'administration fiscale alors que la jurisprudence rendue par le juge de l'impôt offre de nombreuses illustrations témoignant de ce phénomène (v., ainsi, pour les conséquences fiscales d'une clause contractuelle visant à proroger l'échéance d'un bail à construction qui se distingue d'une tacite reconduction du contrat : CE 3° et 8° s-s-r., 25 janvier 2006, n° 271523, Société Immobilière du Parc N° Lexbase : A5396DMS).
B - La reprise des engagements souscrits au nom de la société intégrante en formation
Les conditions suspensives ayant été levées le 8 décembre 1995, le gérant de l'EURL Cigale Distribution, agissant au nom de cette société en formation, a opté le 12 décembre 1995 pour le régime de l'intégration fiscale à compter du 1er janvier 1996 (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L4177HLB) comprenant, dans le périmètre d'intégration, les deux sociétés filiales AGM et AGC dont les titres venaient d'être achetés. La loi fiscale exige une détention continue d'au moins 95 % des titres de la société intégrée pendant toute la durée de l'exercice social : or, l'EURL intégrante a finalement acquis la personnalité morale le 3 janvier 1996 lorsqu'elle a été immatriculée (C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIE). L'administration entendait, alors, en tirer argument pour remettre en cause l'application de ce régime au cas d'espèce. La loi commerciale dispose que les engagements souscrits au nom d'une société en formation, régulièrement constituée et immatriculée, puis repris, sont réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société. Au cas particulier, il n'est pas contesté que ces engagements ont bien été repris par l'EURL Cigale Distribution. Le juge d'appel, pour écarter la thèse de l'administration fiscale, va appliquer les dispositions commerciales en considérant que l'acquisition des titres des deux sociétés anonymes intégrées ainsi que l'option formulée par l'EURL intégrante en cours de formation devaient être réputées avoir été faites dès l'origine par la société Cigale Distribution. Par conséquent, la société intégrante détenait bien de manière continue en 1996 au moins 95 % des "parts" -sic (15)- des sociétés anonymes AGM et AGC. A notre connaissance, cette jurisprudence est inédite en matière d'intégration fiscale, mais il existe, en BIC, une décision de la Haute juridiction administrative considérant que, quelle que soit la date de début d'exploitation mentionnée dans les statuts, la société n'a d'existence fiscale qu'à compter du jour d'ouverture de l'exercice au cours duquel elle a été immatriculée (CE Contentieux, 28 février 1997, n° 141459, Mme Pinaton N° Lexbase : A8344ADE). De plus, la cour administrative d'appel de Marseille écarte la doctrine administrative selon laquelle "une société nouvelle ne peut faire partie d'un groupe que si son immatriculation au Registre de commerce et des sociétés est antérieure à la date commune d'ouverture des exercices des sociétés du groupe. En effet, la date de création d'une société s'entend de la date de son immatriculation au Registre de commerce et des sociétés" (16). En droit des sociétés, il serait plus juste d'écrire que l'immatriculation confère la personnalité morale à la société, c'est-à-dire une capacité juridique. Jusqu'à son immatriculation, la société n'est pas nulle : elle a été créée inter partes (17) (v., ainsi, s'agissant des sociétés en participation : C. civ., art. 1871 N° Lexbase : L2069ABA). Par ailleurs, la jurisprudence administrative accepte de recevoir en justice la demande d'une société à responsabilité limitée (SARL) en cours de formation si, toutefois, les statuts ont été signés et enregistrés (CE 1° et 6° s-s-r.., 23 janvier 2006, n° 284788, Commune de Blauzac N° Lexbase : A5442DMI (18)) ; l'ordre administratif se distinguant fondamentalement sur ce point de son homologue judiciaire qui considère la situation au jour de l'assignation sans régularisation possible (Cass. com., 20 juin 2006, n° 03-15.957, Société Déclics-multimédia c/ Société Santé magazine N° Lexbase : A9595DP3).
III - Fiscalité de la propriété industrielle : déductibilité des frais de renouvellement d'une marque créée : CE 3° et 8° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 305449, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0306EQE)
La fiscalité de la propriété industrielle -en l'occurrence le droit des marques - est mise à l'honneur dans la décision "Société Beauté Créateurs" : à la suite d'une vérification de comptabilité, une société filiale du groupe L'Oréal qui exerce une activité de vente par correspondance de produits cosmétiques s'est vue notifier en matière d'IS des redressements portant, notamment, sur la possibilité de déduire des frais de dépôt, d'acquisition et de surveillance de marques. Pour l'administration fiscale, ces dépenses devaient être activées. Ce fut également l'opinion de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 5 mars 2007, n° 04PA00659, SA Beauté Créateurs N° Lexbase : A8340DUG ; v. également : CAA Paris, 2ème ch., 7 août 2003, n° 99PA00183, SA Laboratoires Pharmascience N° Lexbase : A6124C9P). Il est intéressant de souligner que devant le juge d'appel, la société contribuable prétendait opposer l'incohérence des résultats du fait de l'activation des charges ce que la cour n'a pas manqué de rejeter dès lors que cette argumentation n'était pas pertinente.
La cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat, se fondant sur les dispositions des articles 38 (N° Lexbase : L3699ICY) et 209 (N° Lexbase : L3322IG7) du CGI, offrent une lecture très différente de la loi fiscale qui entraînera la cassation de l'arrêt d'appel et son renvoi devant la même cour.
Pour la Haute juridiction administrative, il y a une distinction à opérer entre les frais exposés pour l'enregistrement de la marque et ceux exposés postérieurement à son dépôt ou son acquisition. Le droit de propriété industrielle conféré par l'enregistrement d'une marque pendant dix ans indéfiniment renouvelable (C. prop. intell., art. L 712-1 N° Lexbase : L3714ADW) s'analyse, en droit fiscal, comme un actif immobilisé incorporel dès lors que les trois critères mis en valeur par la jurisprudence "Sife" (CE Contentieux, 21 août 1996, n° 154488, Société Sife N° Lexbase : A0686AP4 ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5ème édition, 2009, p. 553) sont rapportés : la marque est dotée d'une pérennité suffisante ; elle constitue une source régulière de profit et elle est susceptible d'être cédée (18). La jurisprudence est sans équivoque à cet égard et elle a récemment rappelé la vigueur des critères proposés dans l'arrêt "Sife" (CE 9° et 10° s-s-r., 16 octobre 2009, n° 308494, Société Pfizer Holding France N° Lexbase : A0752EMS, note de Y. de Kergos et J. Monsenego, Dr. fisc., 2010, comm. 94) aux termes d'une décision qui tire les conclusions, en droit fiscal, des stipulations contractuelles d'une concession de sous-licence exclusive : les rédacteurs d'actes sont invités à se rapprocher des fiscalistes ! Dans une telle occurrence, les frais exposés pour la création d'une marque s'ajoutent au coût de revient de cet actif immobilisé et ne sont donc pas déduits du résultat comptable. L'arrêt "Société Saint-Gobain Vitrage International" avait déjà statué dans ce sens (CE Contentieux, 31 janvier 1997, n° 158678, Société Saint-Gobain Vitrage International N° Lexbase : A8039AD4) concernant l'incorporation dans le prix de revient immobilisé des frais afférents aux demandes d'enregistrement des marques déposées par le contribuable. En revanche, le Conseil d'Etat dit pour droit que ne peuvent être regardés comme des éléments du prix de revient d'une marque inscrite à l'actif du bilan les frais exposés postérieurement au dépôt ou à l'acquisition d'une marque lorsqu'elle maintiennent la valeur de la marque en question sans prolonger la durée des droits ou en accroître la valeur. La position de la Haute juridiction administrative valide incidemment le raisonnement suivi il y a peu par la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 1ère ch., 26 mars 2009, n° 08VE01605, Société France Immobilier Group N° Lexbase : A9977EGM) qui avait considéré que des frais de renouvellement de la protection juridique d'une marque devaient être analysés comme une charge d'entretien dès lors qu'ils ne modifiaient pas la valeur comptable de l'immobilisation. On remarquera également que cette solution est en accord avec le droit comptable (PCG, art. 311-3-3) et la doctrine administrative (instruction du 30 décembre 2005, BOI 4 A-13-05, § 13 N° Lexbase : X5228ADY).
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