La lettre juridique n°384 du 25 février 2010 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : nouvelles précisions sur le droit transitoire

Réf. : Cass. soc., 10 février 2010, n° 09-60.244, Société Sterna c/ M. Bruno Petit et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7875ER4)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


En mettant un terme à la présomption de représentativité et en faisant de l'audience électorale le critère majeur de la représentativité syndicale, la loi du 20 août 2008 a entraîné de profonds bouleversements dans notre droit de la représentation collective (1). Pour cette raison, mais également au regard du nouveau rôle des élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, il était opportun, pour ne pas dire nécessaire, que la loi ménage en la matière une période de transition. On saura donc gré au législateur d'avoir adopté des dispositions transitoires ayant globalement vocation à assurer l'application des règles antérieures pendant une durée sinon déterminée, du moins déterminable. Compte tenu, toutefois, de la rédaction des textes en cause, le terme de la période transitoire exigeait d'être précisé. Tel est l'objet de l'important arrêt rendu le 10 février 2010 par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Résumé

L'organisation dans l'entreprise d'élections ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de carence, impliquant qu'aucune organisation syndicale ne s'est présentée au scrutin, il en résulte que ces élections, qui ne permettent pas d'évaluer l'audience syndicale, ne mettent pas fin à la période transitoire, instituée par les articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, laquelle prend fin au plus tard le 22 août 2012.

I - De la nécessité des dispositions transitoires

  • La cause des dispositions transitoires

En mettant un terme à la présomption de représentativité, la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, a fait de l'audience électorale l'élément clef de l'accès des syndicats à la représentativité. Par définition, ce critère est indissociablement lié à l'organisation des élections professionnelles dans l'entreprise et plus précisément à leurs résultats. On sait, en effet, que doivent être pris en compte les suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles, qu'il s'agisse de mesurer la représentativité dans l'entreprise, la branche ou au niveau interprofessionnel. Dans le premier cas, un syndicat ne peut prétendre à la représentativité s'il n'a pas obtenu 10 % des suffrages, tandis que ce seuil est ramené à 8 % dans les deux autres cas.

Si la loi avait été d'application immédiate, cela aurait conduit à prendre en compte les résultats des élections professionnelles ayant eu lieu avant la réforme de 2008. Une telle option eut été difficilement admissible. Il aurait, tout d'abord, été contestable de se référer à des élections s'étant déroulées à une époque où, par hypothèse, les enjeux nouveaux s'attachant aux élections professionnelles ne pouvaient être pris en compte par les électeurs. Ensuite, compte tenu des bouleversements attachés à la réforme, il semblait opportun de ménager une période de transition.

  • Le contenu des dispositions transitoires

S'agissant de la seule détermination de la représentativité syndicale dans l'entreprise (2), le législateur l'a liée aux élections professionnelles intervenues postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Plus précisément, en application de l'article 11-IV, "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, est présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l'une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi, ainsi que tout syndicat représentatif à ce niveau à la date de cette publication" (3).

La date clef est donc constituée par la première réunion de négociation du protocole d'accord préélectoral. Si celle-ci intervient après la publication de la loi, les règles nouvelles s'appliquent. Si elle intervient avant, le système antérieur continue de s'appliquer ou, plus exactement, restent représentatifs jusqu'aux prochaines élections les syndicats présumés représentatifs (4) et ceux qui avaient établi leur représentativité à la date de la publication de la loi. Il faut donc relever qu'aucun syndicat n'est en mesure de prouver sa représentativité postérieurement à cette date.

Faisant en quelque sorte écho aux dispositions de l'article 11-IV de la loi du 20 août 2008, son article 13 dispose, en son dernier alinéa, que, "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles organisées dans les entreprises ou les établissements pour lesquels la date fixée pour la négociation du protocole préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, chaque syndicat représentatif dans l'entreprise ou l'établissement à la date de cette publication peut désigner un ou plusieurs délégués syndicaux pour le représenter auprès de l'employeur, conformément aux articles L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) et L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS) du Code du travail dans leur rédaction antérieure à ladite publication". Ces deux textes étaient en cause dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, qui permet à la Cour de cassation d'en préciser la portée.

II - De la portée des dispositions transitoires

  • L'affaire

Salarié de la société L., M. P. avait été élu délégué du personnel en mars 2008. L'activité de transport citerne de cette société avait été confiée, en juillet 2008, à la société S., nouvellement créée, par un contrat de location-gérance précisant la liste du personnel transféré sur laquelle M. P. figurait. L'inspecteur du travail avait, toutefois, refusé son transfert, ainsi que celui de dix-sept autres salariés protégés par décisions du 30 octobre 2008 contre lesquelles un recours hiérarchique avait été formé. Le personnel qui devait être repris par la société S. ayant été transféré le 1er janvier 2009, l'employeur avait organisé des élections professionnelles en invitant les organisations syndicales représentatives à élaborer un protocole préélectoral en février 2009. Aucun protocole n'ayant pu être conclu, et aucun candidat ne s'étant présenté ni au premier tour fixé le 26 février 2009, ni au second tour, un procès-verbal de carence avait été dressé le 12 mars 2009. Par décision postérieure du 30 mars 2009, le ministre des Transports a annulé les décisions de l'inspecteur du travail et autorisé le transfert de dix salariés protégés, dont M. P.. Par lettre du 23 avril 2009, le syndicat CFDT a désigné M. P. comme délégué syndical de l'entreprise S. ; désignation dont l'employeur a demandé l'annulation.

La société S. reprochait au jugement attaqué de l'avoir débouté de cette demande. Son pourvoi était essentiellement fondé sur les dispositions transitoires de la loi de 2008, telles qu'elles ont été précédemment rappelées. Pour aller à l'essentiel, la partie requérante soutenait que les élections professionnelles ayant eu lieu postérieurement à la loi du 20 août 2008 et le syndicat mandant n'ayant pas franchi le seuil de 10 %, la désignation ne pouvait être valable faute pour le syndicat d'être représentatif.

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, souligne "que l'organisation dans l'entreprise d'élections ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de carence, impliquant qu'aucune organisation syndicale ne s'est présentée au scrutin, il en résulte que ces élections, qui ne permettent pas d'évaluer l'audience syndicale, ne mettent pas fin à la période transitoire, instituée par les articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, laquelle prend fin au plus tard le 22 août 2012". Par suite, "le tribunal [ayant] constaté que M. [P.] avait été désigné délégué syndical, après le procès-verbal de carence, par une organisation syndicale bénéficiant de la présomption de représentativité par affiliation à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel, la décision déférée se trouve légalement justifiée par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués".

  • La solution

La solution retenue par la Cour de cassation nous paraît pleinement justifiée, ne serait-ce qu'au regard de la lettre des dispositions transitoires en cause. En effet, tant l'article 11, IV, que l'article 13 de la loi du 20 août 2008 se réfèrent "aux résultats des élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la [...] loi" (nous soulignons). Ce n'est donc pas l'organisation d'élections qui importe, mais le fait que celles-ci se soient déroulées effectivement et, plus exactement, aient pu produire des résultats permettant d'évaluer l'audience électorale.

Faute d'élections permettant une telle évaluation, il ne peut être considéré que la période transitoire a pris fin. Partant, restent représentatives à ce niveau les organisations syndicales mentionnées précédemment. Il en résulte, conformément aux prescriptions de l'article 13 de la loi du 20 août 2008, qu'un délégué syndical peut être désigné à ce niveau par chaque syndicat représentatif à la date de publication de la loi, conformément aux articles L. 2143-3 et L. 2143-6 du Code du travail dans leur rédaction antérieure à cette publication (5).

Cela étant, la solution retenue par la Cour de cassation nous paraît présenter une difficulté d'interprétation. Rappelons qu'elle y vise "l'organisation dans l'entreprise d'élections professionnelles ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal, impliquant qu'aucune organisation syndicale ne s'est présentée au scrutin". Bien que la question n'ait, à notre connaissance, jamais été soumise à la Cour de cassation, il est communément affirmé que l'obligation d'établir un procès-verbal de carence, qui repose sur le chef d'entreprise, est limitée au cas où la carence a été constatée à la fois au premier et au second tour et où aucun siège n'a donc été attribué (6).

Si tel était bien le cas en l'espèce, on doit se demander ce qu'il adviendrait de la situation dans laquelle aucune organisation syndicale ne s'étant présentée au premier tour des élections, dont on sait qu'il leur est réservé, un second tour était organisé avec des listes non syndicales, conduisant à l'élection de représentants du personnel. Dans une telle situation, aucun procès-verbal de carence n'aurait à être dressé, si l'on s'en tient à la position évoquée ci-dessus. Pour autant, et pour reprendre la solution de la Cour de cassation, ces élections ne permettraient pas d'évaluer l'audience syndicale, puisqu'aucun syndicat ne se serait présenté au scrutin. On est alors tenté d'en déduire que la période transitoire ne prendrait pas non plus pris fin ici. Il n'est toutefois pas certain que ce soit la solution à retenir. En effet, dans cette hypothèse, des élections ont bien eu lieu et des résultats sont donc disponibles. Bien plus, ne doit-on pas considérer que l'absence de listes syndicales traduit un désintérêt, voire une hostilité des salariés à l'égard des syndicats ?

En tout état de cause, la période transitoire ne saurait durer ad vitam aeternam. Ainsi que le précise la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, celle-ci prend fin au plus tard le 22 août 2012, c'est-à-dire quatre ans après la publication de la loi. On pourra s'étonner de cette précision et de ce terme, qui ne figurent pas expressément dans la loi du 20 août 2008. Ne pouvait-on pas, en effet, considérer que celle-ci se réfère à un terme imprécis, résidant dans les résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la loi ? Une telle position serait cependant contestable, dans la mesure où elle pourrait conduire à un maintien du dispositif antérieur pour une durée indéterminée, alors que la loi du 20 août 2008 a précisément entendu y mettre un terme.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale.
(2) La première mesure de l'audience au niveau des branches professionnelles et au niveau national et interprofessionnel sera réalisée au plus tard cinq après la publication de la loi (art. 11-I de la loi). L'article 11 organise à ce niveau aussi des dispositions transitoires dans ses § II et III.
(3) "Est également présumé représentatif dans les mêmes conditions tout syndicat constitué à partir du regroupement de plusieurs syndicats dont l'un au moins est affilié à une organisation syndicale de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi" (art. 11-IV, al. 2).
(4) Ainsi que la Cour de cassation l'a précisé dans l'un des arrêts rendus le 8 juillet 2009, cette présomption de représentativité "maintenue" est irréfragable (Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7069EIN. Lire Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale N° Lexbase : N1143BLW).
(5) N'est donc pas applicable dans ce cas l'exigence nouvelle que le délégué syndical ait été candidat aux élections professionnelles et ait recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour de ces élections.
(6) Cir. min. DRT n° 13 du 25 octobre 1983 (N° Lexbase : L9096AGY). Dès lors qu'un procès-verbal de carence a été établi, l'employeur n'est pas tenu d'organiser de nouvelles élections avant l'échéance d'une période de quatre années, correspondant en principe à la périodicité des élections dans l'entreprise. Il en irait, toutefois, différemment si un salarié ou un syndicat demandait à l'employeur d'organiser de nouvelles élections. En cas de refus de l'employeur, le tribunal d'instance pourrait ordonner à l'employeur de le faire (Cass. soc., 14 février 2007, n° 06-60.120, Société par actions simplifiée (SAS) Hyundai France N° Lexbase : A3109DUP).


Décision

Cass. soc., 10 février 2010, n° 09-60.244, Société Sterna c/ M. Bruno Petit et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7875ER4)

Rejet, TI Rouen (contentieux des élections professionnelles), 28 mai 2009

Textes concernés : loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), art. 11, IV et 13

Mots-clefs : représentativité ; détermination de l'audience électorale ; fin de la période transitoire

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