La lettre juridique n°384 du 25 février 2010 : Éditorial

Rétention administrative : l'affaire "Muskhadzhiyeva" n'est pas une histoire belge

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Rétention administrative : l'affaire "Muskhadzhiyeva" n'est pas une histoire belge. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212478-retentionadministrativelaffairemuskhadzhiyevanestpasunehistoirebelge
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Ah ! Qu'ils sont marris ces avocats et autres nonces de la défense des droits de l'Homme (et de l'enfant), voyant que le Salut de la rétention administrative ne viendra pas de Strasbourg ! La Cour européenne sonnait, il y a peu, le glas de la garde à vue "à la française", quelle que soit l'interprétation qu'il faille donner de sa jurisprudence, emballement politico-médiatique -sur fond de revendications légitimes- oblige. Mais, la Cour demeure mi-figue, mi-"raison", face aux conditions de la rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, préférant un "panaché jurisprudentiel" à une position clairement favorable au respect des droits de l'Homme (et de l'enfant -nous précisons, eu égard aux circonstances de l'espèce ayant conduit à la lecture de cet arrêt du 19 janvier 2010, dont nous ne faisons, ici, l'écho-).

"Avoir un enfant, c'est manifester un accord absolu avec l'homme. Si j'ai un enfant, c'est comme si je disais : je suis né, j'ai goûté à la vie et j'ai constaté qu'elle est si bonne qu'elle mérite d'être multipliée", nous livre Milan Kundera dans La Valse aux adieux. Il est, alors, étrange que l'épreuve de la réalité migratoire confrontée au droit des étrangers ne décourage pas ces milliers d'immigrants politiques ou économiques d'avoir des enfants en terra in(re)cognita. Un exemple parmi d'autres ?

Celui de cette femme et de ses quatre enfants fuyant la Tchétchénie ainsi "conviés" à passer un mois dans un centre de rétention administrative belge. L'ensemble des rapports médicaux et psychologiques montre une dégradation importante de l'état de santé des enfants et un stress communicatif de la mère qui ne fait rien pour arranger la chose. Le rapport sur le centre de rétention en cause conclut que le maintien des familles avec enfants est, du point de vue des droits de l'enfant et de son bien-être, inacceptable dans les circonstances actuelles.

Du pain béni pour les "droits-de-l'hommistes" direz-vous ! La Cour européenne avait, déjà, frappé du sceau "non conventionnel" la rétention administrative d'un enfant, considérant, en l'espèce, un traitement inhumain et contraire aux droits de l'Homme. Ici, ce n'est pas un, mais quatre enfants, aux chocs traumatiques avérés. Que nenni ! Oyez oyez braves Etats signataires, la situation n'est pas comparable parce que les quatre malheureux n'avaient pas été séparés de leur mère !

Autrement dit, entre la peste et le choléra, faites votre choix : soit les enfants sont séparés de leurs parents et l'intérêt supérieur de l'enfant est sérieusement mis à mal ; soit les enfants accompagnent les parents en rétention et l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas mieux garanti. A nouveau Charybde, à nouveau Scylla.

Et puis, quel camouflet pour ceux qui pensaient que la protection conventionnelle revêtait un intérêt certain en droit interne : autrement dit la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme n'est pas plus protectrice, en l'espèce, que le bloc constitutionnel français, et la Cour européenne pas plus zélée que la Cour de cassation.

A la question : les enfants peuvent-ils faire l'objet d'une rétention administrative ? Le Quai de l'Horloge répondait, le 10 décembre 2009 : "peut-être ben que oui, peut-être ben que non", cela dépend des conditions de la rétention -conditions qui comme chacun le sait s'apparentent à un centre de loisir éducatif pour jeunes immigrés en attente d'intégration-. Donc, pour être tout à fait clair : pas d'exclusion de la rétention des enfants par principe. Et bien, à peu de chose près -nous précisons, pour éviter de taxer les juges strasbourgeois de moines copistes de la doxa française-, c'est ce qu'il convient de retenir de cette sentence du 19 janvier 2010, et non les 17 000 euros de dommages et intérêts obtenus par la famille retenue.

Aussi, cette décision suscite-t-elle, au moins succinctement, trois premières observations.

Tout d'abord, en France, l'article R. 553-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile détermine la capacité d'accueil des centres de rétention (140 places maximum) et la nature des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective. On évoque une surface utile minimum de 10 m² par retenu comprenant les chambres et les espaces librement accessibles aux heures ouvrables ; des chambres collectives non mixtes, contenant au maximum six personnes ; des équipements sanitaires, comprenant des lavabos, douches et w.-c., en libre accès et en nombre suffisant, soit un bloc sanitaire pour 10 retenus ; un téléphone en libre accès pour 50 retenus ; des locaux et matériels nécessaires à la restauration conformes aux normes ; une salle de loisirs et de détente distincte du réfectoire, dont la superficie est d'au moins 50 m², majorée de 10 m² pour 15 retenus supplémentaires ; une ou plusieurs salles dotées d'équipement médical, réservées au service médical ; un local permettant de recevoir les visites des familles et des autorités consulaires ; un local réservé aux avocats ; un local affecté à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ; un local, meublé et équipé d'un téléphone, affecté à l'association ayant pour mission d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits ; un espace de promenade à l'air libre ; un local à bagages ; pour les centres habilités à recevoir des familles, des chambres spécialement équipées, et, notamment, de matériels de puériculture adaptés. Bref, rien qui ne laisse vraiment place au hasard, à l'improvisation administrative ! Et, de deux choses l'une : soit les centres de rétentions ne sont pas conformes aux prescriptions légales, et il y a tout lieu de se poser la question de la légalité de la rétention ; soit ils le sont, et les juges savent parfaitement si ces normes réglementaires sont conformes aux prescriptions constitutionnelles et internationales des droits de l'Homme. Point besoin d'ergoter sur la prétendue incompatibilité des conditions de rétention avec les droits fondamentaux, qui plus est lorsque la privation de liberté n'a pas de caractère punitif résultant de la décision d'une autorité judiciaire, mais celui d'une mesure administrative. On arguera, bien entendu, que le juge de cassation n'étant pas juge du fait, l'appréciation souveraine des juges du fond remplira allègrement, mais ni solennellement, ni uniformément, le rôle protecteur tant attendu.

Ensuite, le fond du problème n'est-il pas que le centre de rétention est, en fait, un canada dry de la prison ? Mêmes odeurs, mêmes saveurs, mêmes couleurs... mais pas le même nom ! Et, l'on sait l'état de nos prisons. Plus globalement, le respect des droits de l'enfant et son épanouissement s'accommodent-ils de vivre dans n'importe quel bâtiment administratif. Se souvenir de Michel Foucault, dans Surveiller et punir, et de son : "Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?" ; si bien que l'enfant est, d'ores et déjà, fragile dès lors qu'il sort de son cocon familial, cocon qui s'épanouit nécessairement au sein d'une habitation réelle.

Enfin, évitons les "faux-semblants" : cette décision européenne, tout comme la décision de la Haute juridiction française, consacrent, en fait, l'Universalisme républicain, celui de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, celui de l'idéal nationaliste républicain ; celui qui fait que la France de l'exception culturelle, et notamment la culture des droits de l'Homme, si exceptionnelle, pourrait s'honorer à prendre les devants en excluant toute rétention administrative des enfants par principe, quitte à ce que les parents "échappent" à la rétention elle-même -250 enfants et moins de 500 parents sur plus de 35 000 personnes placées, chaque année, en rétention-. Les modalités alternatives existent, comme l'assignation à résidence préconisée par la Défenseure des enfants, Dominique Versini. Seulement, l'Universalisme républicain n'est pas l'Universalisme philosophique, l'Humaniste, pis l'Internationale socialiste ! L'Universalisme républicain, contrairement aux trois autres, s'embarrasse de la Nation, et donc de la nationalité. Et, qui dit nationalité, dit immigration -concept inconnu avant les nationalismes de la fin du XIXème siècle-, donc la régulation de l'immigration et des flux migratoires. Intrinsèquement, l'Universalisme républicain porte en lui le germe de la discrimination, certes légale, et par conséquent, celui de l'atteinte aux libertés : CQFD ! Ménager l'Universalisme des droits de l'Homme et la maîtrise des flux migratoires : telle est l'ambition de l'Universalisme républicain au XXIème siècle, après avoir conquis les âmes, par la force des baïonnettes impériales puis coloniales, au XIXème et au XXème siècles.

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