Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 09-60.240, Fédération des employés et cadres Force ouvrière et a. c/ Société Bearingpoint France, FS-P+B (N° Lexbase : A7751EQ7)
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N1676BNE
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé Il résulte de l'article R. 2232-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0641IAY) que les contestations relatives à la régularité de la consultation des salariés sont introduites dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 2324-24 du Code du travail (N° Lexbase : L0215IA9). S'il appartient à l'employeur de déterminer les modalités d'organisation du vote, après la consultation des organisations syndicales, il ne peut, en organisant un vote électronique, déroger aux dispositions de l'article D. 2232-2, 1°, du Code du travail (N° Lexbase : L0648IAA), qui imposent un scrutin secret et sous enveloppe. |
I - Le référendum dans l'entreprise
Manifestation privilégiée de la démocratie directe, le référendum n'occupe qu'une place marginale dans la législation sociale. Admis de longue date dans certaines matières (1), son rôle a été quelque peu renforcé par la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 N° Lexbase : L0988AH3) et les lois du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 N° Lexbase : L1877DY8) et du 20 août 2008 (loi n° 2008-789 N° Lexbase : L7392IAZ) (2). On peut, à cet égard, rappeler que l'accord signé par un salarié mandaté doit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés (C. trav., art. L. 2232-27 N° Lexbase : L5832IEQ). Par ailleurs, jusqu'au 1er janvier 2009, la validité d'un accord d'entreprise était subordonnée au respect des conditions posées par les articles L. 2232-12 (N° Lexbase : L3770IBA) à L. 2232-15 du Code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789 du 20 août 2008, préc., art. 12-II). En application de l'article L. 2232-12, un accord d'entreprise pouvait être soumis à l'approbation des salariés, dès lors qu'il avait été signé par des syndicats ne satisfaisant pas à la condition de majorité.
Bien que cela ne ressorte pas véritablement de l'arrêt rapporté lui-même, il semble bien que ce cas de recours au référendum était en cause dans l'affaire soumise à la Cour de cassation (3). En l'espèce, une société employant plus de neuf cents salariés avait signé, le 24 décembre 2008, trois accords avec deux syndicats de l'entreprise. Consécutivement à la demande d'un syndicat de soumettre ces accords au vote des salariés pour approbation, l'employeur avait averti les organisations syndicales, par courriel du 9 janvier suivant, des modalités de ce référendum pour lequel il envisageait un vote électronique et les avait invitées à une réunion de consultation qui s'était tenue le 19 janvier 2009. L'employeur leur avait notifié ensuite les modalités d'organisation du vote électronique par lettre recommandée du 27 janvier 2009 et le référendum s'était déroulé du 26 mars au 1er avril 2009.
Contestant la régularité de ce vote au motif que le vote électronique pour l'adoption d'un accord d'entreprise serait illicite et que diverses irrégularités auraient été de nature à entacher la loyauté et la sincérité du scrutin, la fédération des employés et cadres force ouvrière, ainsi qu'un délégué syndical FO, avaient saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation du référendum.
Les demandeurs ayant été déboutés, ils ont porté l'affaire devant la Cour de cassation. Celle-ci était saisie d'un pourvoi principal portant sur la validité du référendum et d'un pourvoi incident intéressant la recevabilité de l'action du syndicat et de son délégué dans l'entreprise, formé par la société employeur. Si ce dernier pourvoi était préalable, nous nous attacherons d'abord à la réponse apportée au pourvoi principal qui intéresse les modalités du référendum.
Pour dire que la consultation des salariés sur les accords d'entreprise organisée par l'employeur par vote électronique était régulière, le tribunal avait retenu que les modalités de la consultation des salariés sur un accord d'entreprise, lorsqu'elle est légalement prévue, résultent des dispositions des articles D. 2232-2 et D. 2232-6 (N° Lexbase : L0638IAU) du Code du travail, qui ne prévoient aucune sanction en cas de procédure non conforme. Par ailleurs, les opérations de consultation par référendum doivent respecter les règles jurisprudentielles, résultant des principes généraux du droit électoral, permettant d'assurer la sincérité et le secret du vote. Enfin, cette modalité a été explicitement autorisée par la loi du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575 N° Lexbase : L2600DZC) en ce qui concerne l'élection des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise.
Le jugement est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article D. 2232-2 du Code du travail. Pour la Chambre sociale, "s'il appartient à l'employeur de déterminer les modalités d'organisation du vote, après consultation des organisations syndicales, il ne peut, en organisant un vote électronique, déroger aux dispositions de l'article D. 2232-2, 1°, du Code du travail qui imposent un scrutin secret et sous enveloppe".
Il est difficile de ne pas approuver cette solution qui procède de l'application d'un texte on ne peut plus clair du Code du travail. Il résulte, en effet, de l'article précité que "la consultation a lieu pendant le temps de travail, au scrutin secret et sous enveloppe. Son organisation matérielle incombe à l'employeur" (4). Partant, si l'obligation de déterminer les modalités d'organisation du vote pèse sur l'employeur, il n'a d'autre choix que d'adopter le scrutin secret et sous enveloppe. Il ne saurait donc être question, ainsi que l'avaient curieusement fait les juges du fond en l'espèce, de prendre acte du fait que le Code du travail autorise le recours au vote électronique en matière d'élections professionnelles dans l'entreprise (C. trav., art. L. 2314-21 N° Lexbase : L2633H9E et L. 2324-19 N° Lexbase : L9768H8B). Car, précisément, envisagé dans cette dernière hypothèse par la loi, le vote électronique ne l'est pas pour le référendum visé par l'ancien article L. 2232-12 et ses textes d'application.
On peut, en outre, considérer que ces textes sont d'ordre public absolu et que, par voie de conséquence, le vote électronique ne saurait pas même être prévu par un accord collectif d'entreprise, serait-il signé par l'ensemble des organisations syndicales représentatives.
II - La contestation du référendum
La société employeur faisait grief au jugement attaqué d'avoir déclaré la requête du syndicat et de son délégué recevable alors qu'en vertu de l'article D. 2232-7 du Code du travail (N° Lexbase : L0635IAR), les modalités d'organisation de la consultation, telles qu'elles ont été fixées par l'employeur, s'appliquent, sauf si elles ont fait l'objet d'une contestation devant le tribunal d'instance dans les huit jours de la notification. En déclarant, cependant, recevable le syndicat à contester lesdites modalités, postérieurement au scrutin, au motif que la notification aurait été reçue par l'entreprise elle-même le 29 janvier 2009 et que le syndicat n'en aurait eu connaissance que "plus tard", le tribunal d'instance, qui dispense le demandeur d'établir qu'entre la date susvisée et le 27 mars 2009, il n'avait pas été en mesure de respecter le délai précité, le tribunal a violé le texte susvisé.
Si la Cour de cassation rejette le pourvoi incident formé par la société, elle opère une substitution de motif. Ainsi que le rappelle la Chambre sociale, il résulte de l'article R. 2232-5 du Code du travail, que les contestations relatives à la régularité de la consultation des salariés sont introduites dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 2324-24 du Code du travail (N° Lexbase : L0215IA9). Or, selon les constatations du jugement, le tribunal avait été saisi, le 8 avril 2009, non pas d'une contestation des modalités de la consultation fixées par l'employeur, mais de la régularité de la consultation elle-même clôturée le 1er avril 2009. Le jugement se trouve, dès lors, légalement justifié par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués.
A l'instar des élections professionnelles dans l'entreprise (5), le référendum peut faire l'objet de deux types de contentieux que la Cour de cassation, dans le prolongement des textes légaux, entend à très juste titre bien distinguer. Tout d'abord, et en respectant un ordre chronologique, les syndicats représentatifs peuvent, en cas de désaccord sur les modalités d'organisation de la consultation retenues par l'employeur, saisir le tribunal d'instance qui statue en la forme des référés et en dernier ressort (C. trav., art. D. 2232-7 N° Lexbase : L0635IAR (6)). Ensuite, en application de l'article R. 2232-5, le tribunal d'instance, qui statue là encore en dernier ressort, peut être saisi de contestations relatives à l'électorat et à la régularité de la consultation.
Il importe de distinguer ces différentes actions dans la mesure où les délais de saisine du tribunal d'instance ne sont pas identiques. Lorsque la contestation porte sur les modalités d'organisation du référendum, il doit être saisi dans les huit jours qui suivent la notification des modalités d'organisation de la consultation. A défaut, s'appliquent les modalités arrêtées par l'employeur (C. trav., art. D. 2232-7, al. 2). Si la contestation concerne la régularité de la consultation, elle doit être introduite dans le délai prévu à l'article R. 2324-24 (C. trav., art. R. 2232-5) (7), soit quinze jours suivant la consultation.
En l'espèce, les juges du fond avaient fait application du délai de huit jours, considérant ainsi nécessairement que la contestation portait sur les modalités d'organisation de la consultation. Tel n'est pas la position retenue par la Cour de cassation, qui considère, au contraire, que le tribunal avait été saisi d'une contestation de la régularité de la consultation elle-même. Cette solution doit être approuvée. Sans doute, à la décharge des juges du fond, doit-on admettre que le litige trouvait son origine dans le recours au vote électronique, c'est-à-dire dans les modalités de la consultation. Mais les demandeurs, en contestant l'usage de cette technologie, remettaient en cause au final la régularité de la consultation elle-même. Il était, en outre, difficile qu'il en soit autrement, le tribunal ayant été saisi postérieurement à celle-ci. Or, par hypothèse, la contestation des modalités de la consultation doit intervenir avant la consultation elle-même. Il n'en demeure pas moins que l'arrêt est révélateur du fait qu'une même difficulté peut conduire à une contestation des modalités de la consultation et/ou d'une contestation de la régularité de la consultation elle-même. On peut se demander si la Cour de cassation adoptera ici la position qui était la sienne antérieurement à l'arrêt précité du 23 septembre 2009 en matière de contentieux préélectoral. On se souvient, en effet, que la Cour de cassation refusait d'examiner les pourvois relatifs à des jugements ayant eu à statuer sur un litige préélectoral, dès lors que le litige pouvait être réexaminé au titre du contentieux postélectoral.
Remarquons, enfin, que, saisi d'une contestation relative à la régularité de la consultation, le juge n'aura d'autre choix que de valider ou d'annuler la consultation (8) ; sanction qui, à l'évidence, ne saurait être retenue en cas de contestation sur les modalités de la consultation. Reste à savoir si, à l'instar à nouveau des élections professionnelles, la Cour de cassation réservera la possibilité d'une mise à l'écart de la sanction de la nullité lorsque l'irrégularité commise n'aura pas eu d'effet sur le résultat de la consultation.
Décision Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 09-60.240, Fédération des employés et cadres Force ouvrière et a. c/ Société Bearingpoint France, FS-P+B (N° Lexbase : A7751EQ7) Cassation sans renvoi de TI Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 26 mai 2009 Texte visé : C. trav., art. D. 2232-2 (N° Lexbase : L0648IAA) Mots-clefs : référendum, modalités, vote électronique (non), objet de la contestation, délai de saisine Lien base : |
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