La lettre juridique n°382 du 11 février 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Rencontre avec Alain Pouchelon, Président de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer

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[Questions à...] Rencontre avec Alain Pouchelon, Président de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212432-questions-a-rencontre-avec-b-alain-pouchelon-president-de-la-conference-des-batonniers-de-france-et-
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 03 Mars 2011

Le 1er janvier 2010, Alain Pouchelon a succédé à Pascal Eydoux dans les fonctions de Président de la Conférence des Bâtonniers. Ancien Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Carcassonne et ancien membre du Conseil national des barreaux (CNB) de 1996 à 1999 et de 1999 à 2001 (1), il a intégré la Conférence en 2003. D'abord nommé vice-Président en 2006, il a, ensuite, été élu premier vice-Président de la Conférence par l'assemblée générale statutaire des 23 et 24 janvier 2009, fonction dans laquelle il a été confirmé, conformément aux statuts de cette institution, par l'assemblée générale du 27 novembre 2009. Porte-parole de tous les Bâtonniers de Province pour les deux années à venir, Alain Pouchelon nous a fait l'honneur d'une rencontre, au cours de laquelle il nous a exposé les priorités et objectifs qu'il s'est fixés au titre de son mandat, ainsi que ses voeux pour la profession.
Lexbase : Quelles sont vos priorités au titre de votre mandat de Président de la Conférence des Bâtonniers ?

Alain Pouchelon : En tant que mandataire de tous les Bâtonniers des Barreaux de Province, ma première préoccupation sera de porter les voix de mes pairs au CNB, avec efficacité et conviction.

Par un concours idéal de circonstances, il m'est permis de remplir ma mission dans des conditions optimales. Le législateur a, en effet, souhaité que le Président de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer et le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de la cour d'appel de Paris soient vice-Présidents de droit du Conseil (2) -à la tête duquel Thierry Wickers a été réélu récemment-. La profession est invitée à s'adresser, enfin, aux pouvoirs publics, d'une seule voix. Celle-ci sera d'autant plus forte, que les liens qui unissent les représentants de ces trois institutions sont étroits et dépassent le cadre institutionnel (ce qui, néanmoins, n'élimine pas toute contradiction). Face aux enjeux actuels de la réforme des professions du droit, nous partageons la même motivation et associons nos efforts. Pour exemple, je reviens d'une réunion du Conseil de l'Ordre du Barreau de Paris, à laquelle j'ai été convié. Ce type d'initiatives sera, bien entendu, réitéré.

Cette réforme des institutions, introduite par le décret du 11 décembre 2009, est essentielle, mais insuffisante. Nous devons repenser la gouvernance, mutualiser les moyens. Il en va de la pérennité de nos institutions. Il faut savoir que le solde moyen de pertinence est de l'Ordre de 100 000 000 d'euros, permettant de générer 3 à 4 % d'intérêts (ce qui couvre le montant des charges des Ordres et des CARPA). Or, seuls le Barreau de Paris et deux autres cours d'appel atteignent ce seuil. L'Ordre est le rempart qui garantit aux avocats un exercice libre et indépendant. Ne perdons pas de vue que sa force est fonction de ses moyens économiques.

Ma seconde préoccupation sera de voir naître une réelle réflexion sur ce qu'est l'avocat, sur ses activités et sur sa déontologie. Cette étape préalable à l'investissement de nouveaux champs d'activités me semble primordiale, sous peine de perdre notre identité et de ne plus exercer dans le respect des principes essentiels de la profession. Je ne dis pas qu'il faille fermer les portes, au contraire. Toutefois, certaines activités relèvent parfois de métiers très différents du nôtre. Je pense à l'avocat fiduciaire, agent sportif, agent immobilier ou encore conseil financier. Nous exerçons une activité réglementée et sommes, à ce titre, soumis à un certain nombre de restrictions ou interdictions justifiées. A nous de le redéfinir si besoin est, mais, à chaque fois, en toute connaissance de cause. Pour exemple, nous nous sommes engagés, dans le cadre de l'activité de conseil financier, à mettre en place toutes les règles pour remplir nos obligations de vigilance, exercer notre pouvoir de dissuasion, afin d'éviter les déclarations de soupçon. Nous devons nous assurer de toutes les garanties qui nous protègerons de la délation.

Il est, donc, essentiel d'aboutir dans ces réflexions, sous peine d'instituer une déontologie hiérarchisée, en fonction de l'activité en cause, ce qui est, à mon sens, inenvisageable. Au contraire, l'occasion nous est donnée de participer à la construction d'une société de confiance, souhaitée par les pouvoirs publics. Notre déontologie est l'atout essentiel dont nous disposons dans ce cadre, notre argument le plus puissant. Ne la bradons pas. Nous partageons tous de fortes valeurs et un sens du service et de l'intérêt général, fondements d'un rapport de confiance avec les citoyens. Les autres professions qui exercent le droit à titre accessoire ne disposent pas de cette clef.

N'oublions pas, enfin, que nous sommes, déjà, autorisés à exercer de nombreuses activités dans le cadre de l'article 6 du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8), missions et mandats. Et l'acte d'avocat, qui constitue une avancée extraordinaire pour notre profession, est sur le point de naître. Il permettra d'élargir considérablement nos domaines d'intervention, tout en s'inscrivant complètement dans le cadre de notre activité. Il favorisera, en outre, l'image de l'avocat, qui, dans l'esprit du public, a toujours été cantonné au contentieux, alors que 80 % du chiffre d'affaires du monde du droit est généré par l'activité juridique.

Lexbase : La déontologie est un facteur d'unité entre les professionnels qui exercent le droit à titre principal, en ce qu'elle est partagée par chacun d'entre eux. L'envisagez-vous comme le socle du rapprochement de ces professions ?

Alain Pouchelon : Je regrette que le rapport "Darrois" n'ait pas pu préconiser la grande profession du droit, tant il est vrai que nous partageons les mêmes valeurs. La déontologie est, en effet, au coeur de notre exercice et représente, donc, un lien fort entre nous tous. Pour cette raison, elle doit être, à mon sens, commune et enseignée dans un cadre commun, qui pourrait prendre la forme d'une formation unique partagée par tous les professionnels, ainsi que l'a suggéré la commission "Darrois".

La grande profession du droit n'étant pas retenue, c'est l'interprofessionnalité qui est proposée. A mon sens, elle doit se traduire, en particulier, par l'ouverture du capital des structures d'exercice professionnel.

Lexbase : Lors de l'assemblée générale statutaire de la Conférence des Bâtonniers du 22 janvier dernier, le Garde des Sceaux a répondu à certaines craintes suscitées par la réforme de la procédure pénale. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Alain Pouchelon : Au cours de notre assemblée, le Garde des Sceaux a, effectivement, indiqué qu'un avant-projet de loi sur la réforme de la procédure pénale sera présenté d'ici quelques semaines à l'ensemble des acteurs concernés. Ce texte devrait être assorti de garanties, qui, en théorie, constitueraient des avancées ; le juge d'instruction serait remplacé par un juge avec plus de pouvoir, plus d'indépendance, la garde à vue offrirait d'avantage de garanties pour l'exercice des droits de la défense.

(NDRL : Michèle Alliot-Marie a, notamment, assuré qu'aucune affaire ne pourra être étouffée, à aucun stade de la procédure. Ainsi, au déclenchement de l'enquête :

- il sera inscrit dans le Code que le Garde des Sceaux ne pourra donner Ordre de ne pas poursuivre ;

- une obligation sera faite au procureur de désobéir un Ordre de classement sans suite ;

- si le procureur refuse de lui-même de déclencher l'enquête, les parties pourront exercer un recours devant le juge de l'enquête et des libertés ; et

- s'il n'y a pas de partie pour contester la décision du procureur, tout citoyen pourra contester la décision de classement du procureur.

A l'issue de l'enquête, toute décision de non-lieu pourra être contestée par les victimes devant le juge de l'enquête et des libertés, qui décidera de confirmer ou d'infirmer le non lieu.

Concernant la garde à vue, elle "sera à la fois limitée aux réelles nécessités de l'enquête et mieux adaptée à l'intervention de l'avocat. L'aveu en garde à vue sera insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation. L'intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue sera pérennisée", étant précisé, qu'il "aura connaissance et accès à tous les procès-verbaux d'interrogatoire du gardé à vue" et qu'"en cas de prolongation, il pourra assister à toutes les auditions". Enfin, il sera inscrit dans le Code de procédure pénale, qu'en toute hypothèse, les conditions de garde à vue ne sauraient porter atteinte à la dignité des personnes).

De mon côté, je fais le constat que les opposants à la suppression du juge d'instruction sont les mêmes que ceux qui le contestaient jusqu'à présent. Soulignons, également, que plus de 96 % des enquêtes sont, aujourd'hui, réalisées sans le concours de ce juge. Nous parlons, donc, des 4 % restants, qui, effectivement, ne sont pas neutres.

Pour assurer l'effectivité des droits de la défense, je pense qu'il faut envisager, le Parquet comme une partie à part entière, qui ne bénéficierait d'aucun statut particulier.

Concernant la garde à vue, l'avocat doit pouvoir être associé à la procédure dès son commencement et tout son long, avec un accès à toutes les pièces du dossier.

Les pouvoirs publics affirment qu'ils garantiront un procès équitable dans le cadre de la réforme. Mais, mettront-ils des moyens à la hauteur de leur engagement ? Nous attendons de voir. Le débat est actuellement ouvert concernant l'aide juridictionnelle. Le respect des droits de la défense passe nécessairement par l'accès effectif à la justice et, donc, par son financement. Or, l'Etat jusqu'à présent, se désengage progressivement et envisage de taxer un peu plus les avocats qui contribuent majoritairement au système. Il existe, pourtant, d'autres pistes autrement plus efficaces et équitables. Notamment, il faut explorer celle de la contribution au système via des fonds résultants des contrats de protection juridique (qui représentent environ 700 millions d'euros, quand l'aide juridique plafonne à environ 274 millions).

Lexbase : Certains points relatifs à la fusion des avoués et des avocats suscitent le mécontentement des seconds. Quel est votre sentiment sur la question ?

Alain Pouchelon : Il est prévu que les avoués soient indemnisés à 100 %, avec un droit de 150 euros par partie et une période transitoire qui pourrait aller jusqu'au 1er janvier 2012. Au cours de celle-ci, les avoués pourront aussi bien exercer les fonctions d'avoués que celles d'avocat, entraînant une distorsion de concurrence au détriment de ces derniers. L'équité commande une réciprocité dans les activités. Pour autant, si cela nous est interdit, il nous faudra réagir et nous mettre en Ordre de bataille quant à la numérisation des procédures grâce au RPVA.


(1) Au sein duquel il a été vice-président la Commission des Règles et Usages.
(2) Décret n° 2009-1544 du 11 décembre 2009, relatif à la composition du Conseil national des Barreaux et à l'arbitrage du Bâtonnier (N° Lexbase : L0440IGE).

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