Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 08-44.376, Société SNN Clermont, FS-P+B (N° Lexbase : A7680EQI)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé Sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant. Il en résulte que s'appliquent au conseiller du salarié les dispositions de l'article L. 2411-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0148H9D) relatives à la durée de la protection d'un délégué syndical. |
I - La reconnaissance du principe de recodification à droit constant
Après avoir fait application en 2009 de ce qu'on peut appeler "le principe d'interprétation constante" du (nouveau) Code du travail, principe qui veut qu'en cas de doute sur l'interprétation d'une disposition réécrite à l'occasion de la recodification du Code, il convient de considérer que la nouvelle version doit s'interpréter comme l'ancienne (1), la Cour de cassation explicite sa doctrine et affirme, dans un arrêt en date du 27 janvier 2010, que, "sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant".
Cette affirmation est parfaitement exacte au regard des termes des lois d'habilitation.
L'article 84, II, de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), habilitant le Gouvernement à procéder à la recodification de la partie législative du Code du travail par voie d'ordonnance, n'avait, certes, pas expressément mentionné la référence au droit constant, mais postulait cette méthode en précisant que "les dispositions codifiées en vertu du I sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances".
C'est pour calmer les inquiétudes qui se sont rapidement manifestées sur le respect de ce principe par la Commission de recodification que la référence formelle au "droit constant" a été introduite dans l'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (N° Lexbase : L9268HTG), et qui a prolongé de 9 mois le délai laissé au Gouvernement pour parachever la recodification de la partie législative (2).
Le principe du "droit constant" étant posé, le Parlement a lui-même défini la marge de manoeuvre du Gouvernement, autorisé à procéder à "l'adaptation des parties législatives" du Code du travail "afin d'inclure les dispositions de nature législative qui n'ont pas été codifiées et pour remédier aux éventuelles erreurs ou insuffisances de codification", "assurer le respect de la hiérarchie des normes, la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non, devenues sans objet" (3).
Reste à déterminer dans quelle mesure le Gouvernement a respecté la lettre de mission qui lui avait été donnée et comment il convient de déterminer si les modifications intervenues dans la rédaction des textes, leur disposition dans le nouveau plan, les ajouts ou les suppressions réalisés, répondent à l'exigence du droit constant ou entrent dans les exceptions autorisées.
Lors de l'examen de la loi de ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007 (ordonnance n° 2007-329, relative au Code du travail N° Lexbase : L6603HU4), le Conseil constitutionnel avait été saisi aux fins d'examen de la conformité de l'ordonnance aux deux lois d'habilitation, mais il avait refusé d'examiner le grief, considérant comme "inopérant à l'égard d'une loi de ratification le grief tiré de ce que l'ordonnance ratifiée aurait outrepassé les limites de l'habilitation" (4). En d'autres termes, le Conseil constitutionnel s'est vu confier par la Constitution le soin de vérifier la conformité des lois à la Constitution, mais non celle des ordonnances aux lois d'habilitation, cette dernière question relevant de la compétence du Conseil d'Etat lors de l'examen de la légalité de l'ordonnance avant sa ratification.
Au final, il apparaît que la vérification de la réalité de la recodification à droit constant ne s'impose nullement au juge en vertu d'une quelconque autorité s'attachant à une règle de droit, car ce principe, formulé dans les lois d'habilitation, ne s'imposait qu'au Gouvernement lors de la préparation de la recodification de la partie législative du Code du travail. On peut, toutefois, considérer, comme d'ailleurs l'a indiqué le Conseil lui-même, qu'en ratifiant l'ordonnance du 12 mars 2007, le Parlement a implicitement, mais nécessairement, considéré que, sous réserve des corrections réalisées, la recodification s'était réalisée conformément aux lois d'habilitation, c'est-à-dire en respectant le principe du droit constant.
II - La mise en oeuvre du principe d'interprétation constante et le statut protecteur du conseiller du salarié
C'est encore une fois la recodification des dispositions relatives aux représentants du personnel qui faisait ici difficulté (5), cette fois-ci du régime protecteur du conseiller du salarié.
Dans cette affaire, un salarié avait été inscrit sur la liste des conseillers du salarié par arrêté préfectoral du 26 février 2004 et ce, jusqu'au 21 février 2007. Il avait été convoqué à un entretien préalable au licenciement pour le 14 novembre 2007 et licencié le 19 novembre suivant. Estimant avoir été victime d'un licenciement illicite en raison de son statut protecteur, il avait saisi la juridiction prud'homale aux fins de réintégration et d'indemnisation, et obtenu gain de cause.
L'employeur, qui avait formé le pourvoi en cassation, prétendait que si le licenciement du conseiller du salarié est soumis à la procédure d'autorisation administrative prévue par le livre IV de la seconde partie du Code du travail, aucune prorogation de la période de protection n'est instituée en faveur de l'ancien conseiller du salarié au terme de son mandat.
Le moyen est rejeté. Après avoir affirmé que, "sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant", la Cour de cassation indique "qu'il en résulte que s'appliquent au conseiller du salarié les dispositions de l'article L. 2411-3 du Code du travail relatives à la durée de la protection d'un délégué syndical".
L'ancien article L. 122-14-16, alinéa 2 (N° Lexbase : L5476ACS), disposait que le licenciement du conseiller du salarié "est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 (N° Lexbase : L0040HDT)". Dans la mesure où ce texte visait le licenciement du délégué syndical en exercice, mais aussi celui de l'ancien délégué dans les douze mois suivant la fin de son mandat, cette protection due à l'ancien représentant avait été très logiquement appliquée par analogie à l'ancien conseiller du salarié (6).
La recodification des dispositions relatives aux représentants du personnel a dans l'ensemble considérablement facilité la lecture du droit positif, tout en modifiant la présentation des règles ; les régimes protecteurs sont, désormais, regroupés au sein d'un même livre Quatrième et l'article L. 2411-1 (N° Lexbase : L3888IBM) livre une très opportune liste des salariés qui bénéficient de la protection contre le licenciement prévue par la loi, liste dans laquelle figure, bien entendu, en 16°, le "conseiller du salarié inscrit sur la liste dressée par l'autorité administrative et chargé d'assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d'un licenciement".
La recodification de l'article L. 122-14-16, alinéa 2, semble, toutefois, défectueuse dans la mesure où le nouvel article L. 2411-21 ne fait plus expressément référence au régime protecteur du délégué syndical, comme c'était le cas auparavant grâce au renvoi à l'article L. 412-18 et se contente de viser "le licenciement du conseiller du salarié", sans autre précision.
Deux éléments pourraient laisser à penser que le nouvel article L. 2411-21 ne protège plus que le conseiller du salarié "en exercice", à l'exclusion de l'ancien conseiller une fois son mandat achevé.
En premier lieu, une fois son mandat achevé, le salarié ne peut plus être juridiquement qualifié de "conseiller du salarié", dès lors qu'il ne figure plus sur la liste préfectorale.
En second lieu, le Code du travail mentionne, désormais, expressément, pour d'autres salariés protégés, la protection due aux "anciens" représentants du personnel (7) ; a contrario, il ne semble pas inexact de considérer qu'à défaut de telle mention l'ancien représentant n'est plus protégé (8).
Ce n'est pas la voie choisie par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a donc fait prévaloir l'esprit de la recodification sur la lettre et a considéré que les anciens conseillers du salarié ayant exercé leurs fonctions pendant un an devaient demeurer protégés après l'expiration de leur mandat, pendant une durée de 12 mois, à l'instar des anciens délégués syndicaux et conformément à la solution qui prévalait sur le fondement des anciennes dispositions du Code du travail antérieures au 1er mai 2008. Cette solution peut, d'ailleurs, se rapprocher de la volonté affirmée de protéger y compris les candidats aux élections au CHSCT oubliés par la loi et protégés en vertu d'un principe général (9).
Bien entendu, on ne peut que se féliciter que la Cour de cassation mette en oeuvre le principe d'interprétation constante du Code du travail, qui plus est pour assurer l'effectivité de la protection des salariés investis de fonctions au sein de l'entreprise, réalisant en cela le voeu du Parlement de ne pas réformer le droit du travail à l'occasion de la recodification.
On peut, également, souhaiter que les insuffisances de la recodification, fâcheuses quoi qu'excusables compte tenu de l'ampleur du travail à accomplir, seront régulièrement corrigées par le législateur, lorsque l'occasion se présentera.
(1) Lire nos obs., Le principe d'interprétation constante du (nouveau) Code du travail : première application par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 350 du 15 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0650BKB), chron. ss Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, Union départementale Force ouvrière de Savoie, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW).
(2) "I - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l'adaptation des dispositions législatives du Code du travail à droit constant".
(3) Art. 84 de la loi n° 2006-1770, préc..
(4) Décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (partie législative) (N° Lexbase : A7427D3H).
(5) Dans la précédente décision en date du 29 avril 2009 (Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, préc.), il s'agissait de la possibilité de désigner un délégué du personnel comme délégué syndical dans les entreprises dont l'effectif est inférieur à 50 salariés.
(6) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.055, M. Patrick Perruet c/ Société Vincent (N° Lexbase : A3425ATZ) ; Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-46.017, M. Jacques Breton, FS-P+B (N° Lexbase : A8707DWE) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Egalité des salariés protégés devant le droit à réintégration, Lexbase Hebdo n° 276 du 5 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7600BB4).
(7) C'est le cas pour l'ancien délégué syndical pendant 12 mois s'il a exercé son mandat pendant au moins 1 an (C. trav., art. L. 2411-3, al. 2 N° Lexbase : L0148H9D), de l'ancien salarié mandaté pendant également 12 mois (C. trav., art. L. 2411-4, al. 3 N° Lexbase : L3924IBX), l'ancien délégué du personnel pendant 6 mois (C. trav., art. L. 2411-5, al. 2 N° Lexbase : L0150H9G), les membres du comité d'entreprise ayant siégé pendant au moins 2 ans pendant une durée de 6 mois (C. trav., art. L. 2411-8, al. 2 N° Lexbase : L0153H9K), les membres élus du CHSCT pendant 6 mois (C. trav., art. L. 2411-13, al. 2 N° Lexbase : L0158H9Q), les représentants des salariés au CA ou au CS des entreprises du secteur public (C. trav., art. L. 2411-17, al. 2 N° Lexbase : L0163H9W), ainsi que l'ancien conseiller prud'homme pendant 6 mois (C. trav., art. L. 2411-22, al. 2, 1° N° Lexbase : L0168H94).
(8) La question se pose également pour d'autres "oubliés" : les membres du groupe spécial de négociation ou du comité d'entreprise européen de l'article L. 2411-11 (N° Lexbase : L0156H9N) ou de la société européenne de l'article L. 2411-12 (N° Lexbase : L9699IAH).
(9) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-46.787, M. Martial Juif c/ Société BTB, FS-P+B (N° Lexbase : A7505BSR) et les obs. de S. Martin-Cuenot, La reconnaissance d'un principe général du droit à la protection contre le licenciement au profit des candidats aux élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7317AAA).
Décision Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 08-44.376, Société SNN Clermont, FS-P+B (N° Lexbase : A7680EQI) Rejet CA Riom, ch. soc., 1er juillet 2008, n° 08/00163, SAS SNN Clermont (N° Lexbase : A3314EIL) Texte vise : C. trav., art. L. 2411-21 (N° Lexbase : L0167H93) Mots clef : conseiller du salarié ; protection ; recodification ; droit constant Lien base : (N° Lexbase : E9537ESZ) |
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