La lettre juridique n°382 du 11 février 2010 : Éditorial

Détournement de fonds publics : l'association qui voulait être calife à la place du calife

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Détournement de fonds publics : l'association qui voulait être calife à la place du calife. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212430-detournementdefondspublicslassociationquivoulaitetrecalifealaplaceducalife
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Comme je vous vois venir ! Raillant le commentaire facile à l'encontre de la corruption internationale et du détournement de fonds publics... Présupposant une logorrhée éditoriale "politiquement correcte" à la suite de cet arrêt du 29 octobre 2009, par lequel la cour d'appel de Paris refuse à l'association Transparence International France de se constituer partie civile dans la médiatique affaire "des biens mal acquis".

Mais si ! Souvenez-vous : c'est l'histoire judiciaire de cette association "loi 1901" qui avait déposé plainte avec constitution de partie civile, à l'encontre de trois chefs d'Etats africains en exercice et contre des personnes de leur entourage, pour détournement de fonds publics. Le doyen des juges d'instruction avait accueilli l'action, tel un chant du cygne ! Mais, sur appel du Parquet, la cour d'appel de Paris relevait que l'association avait pour objet la prévention et la lutte contre la corruption et qu'elle entendait donc pouvoir exercer l'action publique dans ce large domaine et être, ainsi, autorisée à se substituer aux Etats et au pouvoir légal de défendre l'intérêt général de la société qui a été donné, en France, au ministère public. Et de tambouriner en place publique, que, si le ministère public n'a pas le monopole de l'action publique et, si le but de l'association est parfaitement légitime, elle n'est pas recevable en sa constitution de partie civile qui vise la défense des intérêts généraux dont le ministère public à la charge.

Et, on y va, tout y passe : d'une part, l'aide publique au développement (APD) des 22 pays les plus riches du monde en faveur de l'Afrique a atteint 26 milliards de dollars en 2008, selon l'OCDE et l'Union européenne fournit 55 % du total mondial de l'aide publique au développement, ce qui en fait de loin le premier bailleur de fonds des pays en développement. D'autre part, la plainte évoque la propriété d'un hôtel particulier et de quatre appartements, tous situés dans le 16ème arrondissement de Paris, pour l'un des chefs d'Etat ; un hôtel particulier de 700 m², estimé entre 5 et 10 millions d'euros, dans les Yvelines, et un appartement dans le 7ème arrondissement de Paris, pour un autre ; au total le patrimoine immobilier des trois chefs d'Etat en France s'élèverait à 160 millions d'euros. Et, étant donné que les "victimes" de cette chasse financière aux sorcières dirigent des pays en demande importante de développement et de coopération internationale, la relation pécuniaire est toute trouvée : CQFD !

A un détail près ! Nos amis de Transparence International France, section française de Transparency International, principale organisation de la société civile qui se consacre à la transparence et à l'intégrité de la vie publique et économique, n'avaient pas lu... Hans Christian Andersen ! Ils y auraient appris que "Chacun et chaque chose à sa place ! On y vient toujours. L'éternité est longue, plus longue que cette histoire".

Alors, ici, je vous l'accorde : pas de petite gardeuse d'oies, pas de cordonnier et pas de branche cassée... Mais, "simplement", un cinglant rappel de la souveraineté étatique !

En effet, le problème avec le développement de l'Etat Providence et de la Justice sociale, c'est qu'on en oublierait presque l'Etat Gendarme cher aux théories classiques et notamment les fonctions régaliennes de l'Etat issues de sa souveraineté. Et, nul besoin de rappeler que parmi ces fonctions régaliennes (diplomatie, défense extérieure, police, émission de la monnaie) trône la Justice. Or, "la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d'une République [...] c'est-à-dire la plus grande puissance de commander". Absolue et perpétuelle, la souveraineté l'est avant tout parce qu'elle "n'est limitée ni en puissance ni en charge à un certain temps", à lire Jean Bodin dans les Six livres de la République, en 1576. Mieux encore, selon Louis Le Fur, "la souveraineté est la qualité de l'Etat de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser" (Etat fédéral et confédérations d'Etats, thèse soutenue en 1896). Autrement dit, l'Etat souverain n'agit que par sa propre volonté, que la souveraineté soit populaire ou nationale ; cette souveraineté s'exerce, dans un Etat démocratique, selon des règles de droit ; et seul l'Etat peut décider de déléguer ou transférer une partie de sa souveraineté : c'est, bien entendu, toute la question des organisations internationales, des Unions étatiques, au premier rang desquelles l'Union européenne qui, par compétence subsidiaire nous dit-on, attente, avec le consentement des Etats concernés, à la souveraineté nationale. Mais, il ne faut pas s'y tromper : l'Etat conserve la "compétence de la compétence", c'est-à-dire le droit absolu de désigner qui peut se substituer à lui dans l'exercice de sa souveraineté... et, dans l'affaire qui nous retient cette semaine, l'exercice de la Justice.

Et, si d'aucuns estiment que "le combat mené jusqu'ici aura de toute évidence permis de briser un tabou sur la question des avoirs illicites en provenance des pays du Sud qui trouvent refuge dans ceux du Nord", la claque infligée aux aspirations supra-étatiques des organisations non gouvernementales, sur le modèle de l'ONU, de l'OMC et autres organisations gouvernementales, est nette et sans bavure. En France, c'est le Parquet qui est chargé de défendre l'intérêt général et non des associations "loi 1901" aux objectifs aussi louables soient-ils. Sans préjudice personnel des plaignants, point de constitution de partie civile semble dire la cour d'appel de Paris. A chacun sa place : au ministère public de protéger l'intérêt général, aux associations d'éveiller les consciences et, éventuellement, d'exercer leur influence sur les pouvoirs publics. Ce n'est pas parce que la diplomatie étatique peut être délégué à un Haut représentant communautaire pour les Affaires étrangères ; que la sécurité extérieure peut être déléguée à l'OTAN ; que la Banque centrale européenne régit notre monnaie ; que la dernière fonction régalienne absolue (si l'on excepte le Tribunal pénal international), la Justice, doit être bradée aux intérêts associatifs, voire particuliers -car, comme chacun le sait, le Parquet dirige l'action publique, exclusivement, dans l'intérêt général- !

"L'introduction [du concept de souveraineté] dans la philosophie politique aux débuts de l'époque moderne semble avoir eu pour effet un déplacement définitif des questions pertinentes : il ne s'agit plus de savoir si un pouvoir est juste (ce qui revient à subordonner l'existence du pouvoir à sa moralité), mais de savoir à qui appartient le pouvoir de commander et comment ce pouvoir a été conféré" nous enseigne Jean-Fabien Spitz dans John Locke et les fondements de la liberté moderne. Et bien, nous y sommes en plein.

A moins que nous nous trompions du tout au tout et que, dans cette affaire, il ne s'agissait pas de défendre la souveraineté étatique en matière de justice pénale, mais l'absolue diplomatie française en Afrique, de ces quarante dernières années ?

On relèvera, enfin, un brin pince sans rire et annonciateur des imbroglios à venir, que, dans un mémoire produit à l'instance, Mireille Delmas-Marty, Professeur au Collège de France, approuvait l'ordonnance de la juge d'instruction jugeant la plainte recevable, la tendance actuelle au renforcement des pouvoirs du Parquet et la perspective de la suppression du juge d'instruction ne faisant "que renforcer la nécessité de contre-pouvoirs". Elle soutenait, selon le Monde daté du 18 septembre 2009, l'évolution tendant à "élargir" le droit pour les "acteurs civiques" comme Transparence International France de porter plainte dans les affaires de corruption, "tout particulièrement lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, de lutter contre une criminalité à caractère transnational". Mireille Delmas-Marty est en lice pour intégrer, prochainement, le Conseil constitutionnel sur nomination du Président de l'Assemblée nationale...

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