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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
le 07 Octobre 2010
Marie-Anne Gallot Le Lorier : Le Syndicat national de l'édition (SNE) représente 530 maisons d'édition. Dans ce litige, il a souhaité intervenir volontairement à l'instance puisque sa mission première est, conformément à ses statuts, de faire respecter les règles du droit d'auteur.
La société Google a contesté la recevabilité à agir du SNE, arguant, entre autres, que s'il peut être représenté en justice par son président, en vertu des dispositions statutaires, ce dernier n'est pas habilité lui-même à initier une action en justice au nom du syndicat.
L'argument sera balayé par le tribunal qui rappelle que le Code du travail (C. trav., art. L. 2132-3 N° Lexbase : L2122H9H) pose le principe selon lequel les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
Et tel était bien le cas ici, puisque le Syndicat national de l'édition, de par ses statuts, a pour objet le soutien de la création et de la recherche par la défense de la liberté de publication, du respect du droit d'auteur et du principe du prix unique du livre.
Lexbase : Pour tout litige concernant internet, la question qui se pose le plus souvent est celle de la loi applicable. Quelle a été l'analyse du tribunal de grande instance sur ce point ?
Marie-Anne Gallot Le Lorier : La société Google demandait à ce que la loi applicable soit celle des Etats-Unis de façon à ce que seules ses dispositions trouvent à s'appliquer. Le tribunal de grande instance de Paris était déjà allé dans ce sens, dans un jugement du 20 mai 2008 relatif à un litige à peu près similaire et opposant le moteur de recherche à la société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (SAIF) (TGI Paris, 20 mai 2008, n° 05/12117, SAIF c/ SARL Google France N° Lexbase : A2891D9X). Le tribunal avait alors jugé que les agissements allégués de contrefaçon étant réalisés, d'une part, par la collecte des images et leur référencement par le moteur de recherches "Google Images" et, d'autre part, par l'accès au serveur www.google.fr, cette activité, à savoir celle de développeur de moteur de recherches, était l'activité centrale et première de la société Google et que, donc le siège social de la société Google, à savoir l'endroit où les décisions sont prises et où l'activité de moteur de recherches est mise en oeuvre au sein des locaux de la société, devait déterminer la loi applicable au litige. Ainsi, le litige avait il été soumis à la loi américaine.
Or, dans le jugement du 18 décembre dernier, le tribunal ne va, fort heureusement, pas suivre cette même démarche. En effet, appliquant la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 01-03.225, FS-P+B N° Lexbase : A4178DAY ; Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-18.381, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A9994DEU ; Cass. com., 20 mars 2007, n° 04-19.679, F-P+B N° Lexbase : A7901DU8), le tribunal fait application de la notion de "point de rattachement". Il estime qu'en l'espèce, la France est bien le pays qui entretient les liens les plus étroits avec le litige, ce qui justifie donc l'application de la loi française.
En effet, le litige concerne des oeuvres d'auteurs français numérisées pour être accessibles par extraits aux internautes français sur le territoire national. De plus, le tribunal saisi est le tribunal français, les demanderesses sont des sociétés d'édition françaises et les intervenants sont également français. Enfin, le nom de domaine permettant accès au site contenant ces oeuvres numérisées dispose d'une extension en ".fr".
Lexbase : Au final, le tribunal a retenu à l'encontre de Google une contrefaçon de droits d'auteur. Quel est le sentiment du SNE sur ce point ?
Marie-Anne Gallot Le Lorier : Le SNE est forcément satisfait du jugement rendu en ce qu'il décide de l'application de la législation française et sanctionne les agissements contrefaisants de Google. Les membres du syndicat ne sont évidemment pas opposés par principe à opérer des partenariats avec des sociétés pour la numérisation de leurs oeuvres mais ils ne peuvent accepter de le faire qu'avec des opérateurs loyaux respectant les règles de droit.
Or, Google a opéré, en l'espèce, sans autorisation la numérisation complète d'oeuvres et a diffusé sur internet outre l'intégralité des couvertures des oeuvres ainsi numérisées, des morceaux de texte aléatoirement choisis. Concrètement à chaque mot clé tapé par un internaute, le service Google Books faisait apparaître trois extraits tronqués de l'ouvrage sous forme de bandeaux de papiers, portant indéniablement ainsi atteinte à l'intégrité de l'oeuvre.
Lexbase : L'exception de courte citation aurait-elle pu prospérer ?
Marie-Anne Gallot Le Lorier : C'est ce qu'arguait Google justement. L'exception de courte citation est prévue à l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3573IE3) et Google faisait valoir qu'elle ne réalise aucune représentation des ouvrages litigieux dans leur intégralité mais uniquement l'affichage d'extraits "dans des limites convenables" couvertes par l'exception de courte citation à but d'information. Mais là encore le tribunal ne va pas retenir cet argument. Il énonce, en effet, et de manière on ne peut plus claire que "la numérisation d'une oeuvre, technique consistant en l'espèce à scanner l'intégralité des ouvrages dans un format informatique donné, constitue une reproduction de l'oeuvre qui requiert en tant que telle, lorsque celle-ci est protégée, l'autorisation préalable de l'auteur ou de ses ayants-droit". Ainsi, l'exception de courte citation ne pouvait prospérer dès lors que les couvertures des ouvrages étaient communiquées dans leur intégralité et que l'aspect aléatoire du choix des extraits représentés déniait tout but d'information, condition de la courte citation.
En définitive par ce jugement, le tribunal a sanctionné le comportement de Google. Le jugement étant frappé d'exécution provisoire, le moteur de recherche, malgré l'appel qu'il va interjeter, se voit contraint, sous astreinte, à retirer les extraits litigieux de son site.
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