La lettre juridique n°378 du 14 janvier 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier, aujourd'hui... Rémi Chaine, Bâtonnier sortant de l'Ordre des avocats du Barreau de Lyon

Lecture: 7 min

N9528BMT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier, aujourd'hui... Rémi Chaine, Bâtonnier sortant de l'Ordre des avocats du Barreau de Lyon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212348-questionsalepointdevuedunbatonnieraujourdhuibremichainebatonniersortantdelordredesa
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010


Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la plume au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Nous avons rencontré, le 18 décembre dernier, Rémi Chaine, Bâtonnier sortant de l'ordre des avocats du Barreau de Lyon, quelques heures avant la rentrée solennelle de son barreau et quelques jours avant la fin de son mandat.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le Barreau de Lyon ?`

Rémi Chaine : Le Barreau de Lyon compte environ 2 300 avocats inscrits, le plaçant, sur ce plan, à la tête des Barreaux de province. Il a, notamment, pour particularité une parité quasi-exacte entre les femmes et les hommes, étant précisé que, pour la première fois de son histoire, une femme, Maître Myriam Picot, exerce le mandat de Bâtonnier depuis le 1er janvier 2010. Il est, aussi, très diversifié, autant du point de vue des activités (judiciaires et de conseil) exercées, que des structures d'exercice (sont présents à Lyon des cabinets importants et structurés, ouverts à l'international et spécialisés, mais aussi, de nombreuses structures plus petites, voire des structures individuelles).

Le Barreau de Lyon s'est toujours inscrit dans une démarche dynamique et innovante : en témoigne son action pour l'acte d'avocat, né à Lyon (lire L'acte sous signature juridique : rétablir "une saine concurrence" entre les différents professionnels du droit au profit de l'intérêt collectif, Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N1885BHB).

Lexbase : Dans quelques heures débutera la rentrée solennelle du Barreau de Lyon. Comment avez-vous appréhendé cet événement ?

Rémi Chaine : Avec sérénité et animé d'une grande ambition !

Nous avons voulu placer cette rentrée sous le signe du "jeune Barreau" : pour citer Albert Einstein, "plus que le passé, c'est l'avenir qui m'intéresse car je vais y passer le restant de ma vie". Le 17 décembre 2009 (soit, la veille de notre rentrée) s'est déroulée la première Rencontre internationale des jeunes Barreaux, manifestation créée à l'initiative de l'Ordre des avocats de la cour d'appel de Lyon et que nous souhaitons, idéalement, voir relayée tous les deux ans (par exemple) par les autres Barreaux en France ou à l'étranger.

Ce colloque, intitulé "Jeunes avocats : quel avenir pour nous ?", a été l'occasion de réunir de jeunes avocats issus de nombreux pays européens (étaient, notamment, représentés les Barreaux d'Alicante, Valence, Turin, Stuttgart, Barcelone, Londres, Cracovie, Istanbul, Luxembourg, etc.), venus confronter leurs expériences respectives et réfléchir sur la profession en Europe et en France, ainsi que sur les défis à venir. La démarche est caractéristique de l'ouverture du Barreau vers l'international : nous comptons, notamment, plus de quinze jumelages avec des Barreaux étrangers.

Ont été abordés, en particulier, les thèmes suivants :

- Quels modes d'exercice pour les jeunes confrères ? : Le constat a été fait du succès de la profession d'avocat, eu égard au nombre de professionnels exerçant en Europe, avec, toutefois, une certaine diversité dans les situations ; ont été relevées des disparités dans les conditions d'accès à la profession et dans les statuts des jeunes avocats, elles-mêmes à l'origine de disparités économiques importantes.

- Comment développer la clientèle : entre communication et spécialisation. Des principes d'ouverture en matière de publicité existent dans tous les pays européens. Si le dénominateur commun à tous consiste au respect des règles déontologiques, force a été de constater une géométrie variable dans le cadre de leur application. L'importance de l'utilisation des newsletters et d'internet pour faire de la publicité a été soulignée. Quant à la spécialisation, elle n'existe pas dans tous les pays d'Europe. Il s'agit, toutefois, d'un enjeu européen (le Conseil des Barreaux Européens (CCBE) ayant engagé une réflexion sur cette question, qui doit permettre, selon nos jeunes confrères, une harmonisation des règles en la matière et l'émergence d'un corpus de spécialités plus lisible pour les justiciables).

- Comment relever le défi de nouvelles compétences ? La question s'est posée sous deux angles distincts : celui de l'évolution au regard des nouvelles technologies et celui des perspectives d'évolution. Sur le premier point, une synthèse de l'ouvrage de Richard Susskind, The end of the lawyers ?, a été restituée. L'auteur prédit, notamment, la disparition des avocats généralistes et l'émergence de cinq nouvelles "professions" pour l'avocat : l'expert sur mesure, l'avocat qui apporte une plus-value, l'avocat "ingénieur juridique", l'avocat spécialisé dans la recherche et les risques juridiques et l'avocat multidisciplinaire. Les nouveaux outils que sont la procédure participative et l'acte d'avocat ouvrent, quant à eux, des perspectives évidentes et doivent, dès lors, être rapidement appréhendés par chacun.

Lexbase : Vous arrivez en fin de mandat. Quel bilan faîtes-vous de celui-ci ?

Rémi Chaine : Si mon mandat de Bâtonnier arrive à son terme, j'exerce encore pour une année les fonctions de Président de la COBRA -Conférence des Barreaux de Rhône-Alpes-, qui rassemble dix-huit Barreaux et dont la vocation est de mutualiser les différents moyens. En 2010, j'entends renforcer cette action, en vue de lui offrir une vraie dimension régionale.

Concernant le Barreau de Lyon, je me suis engagé à moderniser au mieux l'Ordre, qui, avec plus de 2 200 avocats inscrits, ne peut plus fonctionner comme une structure "familiale". Pour exemple : nous avons embauché un Directeur administratif et financier et nous avons étendu de plus de 500 m² nos locaux, qui ont, en outre, été totalement rénovés (NDLR : avec beaucoup de goût et une approche résolument moderne, ainsi que nous avons pu le constater lors de notre visite).

Je me suis, également, employé à continuer le chantier que j'avais engagé il y a quelques années lorsque j'étais alors délégué du Bâtonnier auprès des juridictions, quant à la modernisation des pratiques judiciaires. Il s'agit de s'accorder avec les magistrats et les fonctionnaires de justice sur les "bonnes pratiques". Si la démarche connaît, depuis l'origine, nombre d'échos très positifs, je regrette que les choses n'aillent pas plus vite. Je suis un éternel impatient...

J'ai, aussi, voulu mettre en place de nouvelles formes de solidarité (dont le succès ne s'est pas fait attendre ailleurs) : le dispositif d'aide aux victimes (qui s'inspire de celui mis en place par le Barreau de Bobigny) ou le contrat "chance-maternité " (système de protection complémentaire créé à l'initiative du Barreau de Paris). Enfin, nous avons réformé le système des cotisations, au profit d'un mode de calcul plus équitable et solidaire, tenant compte de tous les revenus de l'avocat.

J'ai, enfin, souhaité développer la communication de l'Ordre, tant sur le plan interne qu'externe, avec, notamment, le développement de notre site internet, la refonte de notre journal, notre participation à la "semaine de l'avocat", notre présence au Salon de l'entrepreneur, etc..

Lexbase : Quelles sont vos positions quant aux questions essentielles soulevées par le rapport "Darrois" et tenant à l'exercice de la profession ? En particulier, que pensez-vous du regroupement des Barreaux ? De la création d'un Ordre national ? De l'acte d'avocat ? Du statut d'avocat en entreprise ? De l'aide juridictionnelle ?

Rémi Chaine : Je suis convaincu de l'absolue nécessité de regrouper nos Barreaux, la dispersion de nos moyens entraîne inévitablement des pertes considérables, de temps, d'énergie et d'argent, que nous ne pouvons d'autant moins nous permettre en période de crise. Je suis pour la création de Barreaux de cour, sous réserve du respect de deux conditions fondamentales :

- celle de ne pas ajouter un échelon de représentation supplémentaire, qui serait générateur de complexité et de coûts, alors que nous devons rechercher l'efficacité,

- et celle de maintenir la proximité de l'instance représentative avec les Barreaux actuels.

Nous préconisons, ainsi, la solution suivante :

- un seul Barreau par cour, mais des collèges par TGI ;

- un seul conseil de l'Ordre par Barreau de cour ;

- les membres du conseil de l'Ordre seraient élus par les collèges ;

- un Bâtonnier de cour présiderait le conseil de l'Ordre et exercerait toutes les attributions actuellement confiées aux Bâtonniers ;

- celui-ci serait élu, soit directement, par l'ensemble des avocats du Barreau de cour au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, soit indirectement, par les membres du conseil de l'Ordre ;

- la présence d'un vice-Bâtonnier par TGI, membre du bureau du conseil de l'Ordre de cour et représentant le Bâtonnier au niveau des confrères, juridictions et autorités du ressort du TGI.

Quant à savoir si un Ordre national doit être créé, tout dépend ce que l'on entend par là. Je suis résolument favorable à une structure de représentation nationale forte et dotée de moyens, qui permettrait à la profession de renforcer sa cohésion et de s'adresser d'une seule et même voix aux pouvoirs publics notamment. Néanmoins, tout dépend des conditions et modalités de mise en place et de fonctionnement de cette structure. Et, justement, à mon sens, elle ne peut s'envisager sans une réorganisation des Barreaux à tous les niveaux, et, en particulier, via la création des Barreaux de cour. En outre, la représentation au sein de cette institution devra nécessairement être équitable et garantie. Je suis donc favorable à un renforcement du CNB, mais il faut revoir en partie son organisation et son mode de représentation. Le CNB a été une grande avancée dans l'organisation de la profession, mais il faut poursuivre dans cette voie.

Je suis beaucoup plus réservé sur la question de la création du statut d'avocat en entreprise : ceci, pour deux raisons. D'abord, il me semble difficile de considérer qu'un avocat salarié, soumis au pouvoir d'un employeur non avocat, reste indépendant. La distinction chère à Jacques Barthélémy entre indépendance intellectuelle, technique et l'indépendance juridique ne m'a jamais convaincu. Par ailleurs, je pense qu'il faut d'abord repenser les institutions, avant d'envisager l'extension de la profession au-delà de ses limites actuelles, sans quoi la profession deviendra définitivement ingouvernable. Je fais souvent la comparaison avec l'Europe, qui eût été bien inspirée de revoir ses institutions avant de s'élargir.

Pour ce qui concerne l'acte d'avocat, vous l'aurez compris, nous sommes résolument pour.

Enfin, je trouve extraordinaire que le rapport "Darrois" ait pu préconiser de taxer d'avantage les avocats, afin d'assurer le financement de l'aide juridictionnelle, quand on sait qu'ils supportent déjà majoritairement le système, l'Etat s'en dégageant progressivement, mais sûrement. Demande-t-on aux médecins de financer la couverture médicale universelle ? La solution de la taxation de tous les actes juridiques me semble adéquate, en ce qu'elle garantie l'équité.

newsid:379528