La lettre juridique n°377 du 7 janvier 2010 : Universités

[Questions à...] La réponse de "la première université de droit" face à la concurrence des écoles privées - Questions à Louis Vogel, Président de l'Université Paris II - Panthéon-Assas

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[Questions à...] La réponse de "la première université de droit" face à la concurrence des écoles privées - Questions à Louis Vogel, Président de l'Université Paris II - Panthéon-Assas. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212337-questionsalareponsedelapremiereuniversitededroitfacealaconcurrencedesecolespriveesq
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

L'année dernière, Assas a totalement repensé son offre pédagogique, afin d'être au plus près de ses étudiants, mais aussi, afin de faire face à la récente (mais déjà féroce) concurrence de Sciences-Po (1) et de certaines grandes écoles de commerce.

Le droit offre de nombreux débouchés. Pourtant, l'insertion professionnelle des étudiants en droit se fait plus difficilement que la moyenne (2). C'est que (ainsi que tout le monde s'accorde à le dire), la seule matière juridique ne suffit plus et doit être nécessairement complétée par l'étude de matières connexes, voire, par une autre formation à part entière. Les offres pédagogiques sont, donc, de plus en plus en sophistiquées et sont progressivement proposées par d'autres acteurs que les universités. Désormais, la "fac de droit" n'est plus le seul passage permis pour accéder à l'avocature. Sciences-Po a, ainsi, obtenu, par l'arrêté du 21 mars 2007 (3), de pouvoir présenter au CRFPA ses étudiants titulaires des masters "carrières juridiques et judiciaires" et "droit économique". Déjà, en 2007, Louis Vogel, Président d'Assas, avait promptement réagi, faisant connaître son mécontentement au travers des médias. Ce n'est pas tant qu'il était opposé à la concurrence (ce qui serait malvenu de la part d'un spécialiste de la matière), mais il dénonçait les conditions dans lesquelles celle-ci avait lieu. Eu égard aux moyens (notamment financiers) et au statut dérogatoire (sélection, droits d'inscription élevés) dont dispose l'IEP de Paris, le combat ne se faisait pas à armes égales.
A la rentrée 2009, Sciences-Po a ouvert son "Ecole de droit", qui regroupe les deux masters juridiques existants sous une même enseigne. Si, sur le fond rien ne change, cette nouvelle forme répond à une stratégie de la part de l'Institut d'être reconnu comme l'Université française par excellence. Sauf que, Sciences-Po est une école, pas une faculté, comme le souligne Louis Vogel, aux yeux de qui le titre de la plus grande Université de droit en France revient à Paris II. Celui-ci (titulaire d'un master of Laws de Yale, professeur de droit comparé et avocat aux barreaux de Paris, Francfort, Bruxelles et New-York) nous a exposé les raisons de son mécontentement et la réponse de son Université aux assauts dont elle fait l'objet depuis peu. Dans la lutte de David contre Goliath, rappelons-nous du vainqueur...

Lexbase : Quels sont les tenants de la nouvelle offre pédagogique d'Assas en matière de droit ?

Louis Vogel : L'offre pédagogique d'Assas a été renouvelée, afin d'être au plus près des étudiants, dont les profils sont très hétérogènes, surtout en première année. Nous avons décomposé notre enseignement de licence en trois cursus : le parcours "réussite", le parcours classique et celui d'excellence, dispensé au sein de notre Collège de droit.

Le parcours "réussite" s'adresse à des étudiants identifiés comme susceptibles d'être en échec, eu égard aux lacunes de leurs enseignements antérieurs, mais dont nous pensons qu'une remise à niveau leur permettrait de réussir leurs études de droit. Cette initiative est une première en France. Je crois en son opportunité. Certains enseignements proposés dans le cadre du parcours classique sont remplacés par des cours de remise à niveau en culture générale, expression orale et expression écrite. La promotion de cette année compte environ 120 étudiants.

Le parcours classique a, lui, aussi, été repensé, afin d'inclure plus de professionnalisation. Aujourd'hui, les Universités doivent nécessairement améliorer leur ouverture sur le monde du travail (4). Nous avons, donc, choisi de mettre en place des conférences de méthode et des ateliers de professionnalisation, animés par plus de quarante professionnels du droit, pendant les trois années de licence et l'année de master 1 (M1). Au cours de ces enseignements, les étudiants sont confrontés à des épreuves pratiques (suivi d'une audience, établissement des dossiers, etc.), qui leur permettent de mieux appréhender les composantes des différentes professions et de s'orienter en connaissance de cause.

Enfin, parallèlement au parcours classique, tout au long des trois années de licence, les meilleurs étudiants (à savoir, ceux titulaires du baccalauréat avec une mention très bien ou ceux qui ont obtenu une mention bien et ont passé avec succès un examen d'entrée) peuvent suivre des enseignements supplémentaires au sein de Collège de droit. Ils sont plus de 120 cette année. Dans le cadre de ce parcours d'excellence (inspiré des plus grandes écoles étrangères), le travail en petits groupes est favorisé, ainsi que les langues étrangères (certains cours étant, notamment, dispensés en anglais). L'offre pédagogique d'Assas sera complétée l'année prochaine avec la création de l'Ecole de droit, qui continuera le cycle du Collège de droit au niveau du master et qui imposera aux étudiants inscrits un séjour à l'étranger.

Il est important que ces différents parcours soient perméables : ainsi, en fonction des résultats obtenus, un étudiant qui aura suivi le parcours classique ou le parcours "réussite" pourra intégrer le Collège du droit et, inversement, un étudiant du Collège de droit pourrait ne pas valider son année et suivre le parcours classique l'année suivante.

Lexbase : L'ouverture de l'Ecole de droit de Sciences-Po vous a fait réagir, notamment, dans la presse. Que pensez-vous de cette récente concurrence de l'Institut et de certaines écoles de commerce ?

Louis Vogel : Sciences-Po a pris conscience des nombreux débouchés qu'offrait le droit et a, donc, décidé, il y a quelques années, d'investir ce créneau. Ce choix lui appartient. Néanmoins, je regrette beaucoup que la concurrence soit faussée, dans le sens où l'Institut dispose de moyens financiers énormes, quand les Universités doivent composer avec l'enveloppe (en comparaison, maigre) allouée par l'Etat. C'est tout simplement inadmissible. Le risque est grand de voir certains de nos professeurs débauchés pour des rémunérations beaucoup plus importantes que celles que nous pouvons leur offrir. Et s'il est certain que la réputation d'Assas la protégera (du moins en partie) de cette concurrence déloyale, je crains pour la survie de certaines facultés de droit plus petites.

Je ne partage pas l'avis de Christophe Jamin (NDLR : Directeur de l'Ecole de droit Sciences-Po), qui considère que Sciences-Po est appelée à former les "décideurs" de demain et les Universités, les "techniciens". L'Université est parfaitement en mesure de former les décideurs dont le marché a besoin. Nous n'appréhendons pas la formation juridique de la même manière, c'est certain. Mais je ne suis pas sûr que celle de Sciences-Po soit la meilleure. La stratégie de Sciences-Po est d'ajouter la matière juridique aux sciences sociales. Le cursus proposé est, alors, à mon sens, beaucoup trop généraliste et ne correspond pas aux besoins du marché. Leur formation est, en outre, dispensée pendant seulement deux ans, car une année entière est dédiée à un stage. Par rapport aux besoins du monde moderne, cette formation juridique est beaucoup trop superficielle.

Nous considérons de notre côté qu'il faut partir du droit (matière ô combien foisonnante et complexe), pour l'appréhender ensuite de façon plus large, en l'enrichissant par l'étude des matières dites "connexes" (comptabilité, sciences humaines, histoire, économie, gestion, etc.). Contrairement à ce qui se fait à l'IEP, à Assas les matières connexes restent complémentaires. Pour ma part, je considère que la simple technique juridique n'est pas suffisante pour faire un bon juriste ; la culture juridique doit être beaucoup plus générale. A mon sens, une formation juridique réellement approfondie implique dans un premier temps une généralisation (pour approcher la matière), puis une spécialisation. Comment envisager un tel cheminement en seulement deux années ?

En créant son Ecole de droit, l'Institut de la rue Saint-Guillaume dit répondre aux caractéristiques d'une law school américaine. C'est, cependant, oublier qu'au sein des law schools, les étudiants ont préparé leur apprentissage du droit au Collège (ce qui n'est pas le cas à Sciences-Po) et l'ont poursuivi pendant trois années de spécialisation, quand l'Institut en propose, finalement, deux.

Peut-être aurions-nous pu envisager de "travailler ensemble", Assas étant la plus grande Université de droit en France et Sciences-Po l'école par excellence des sciences sociales (donc, des matières dites connexes dans le cadre de l'étude du droit). Un tel projet n'a malheureusement pas pu voir le jour. De grandes Universités et écoles de commerce ont, pourtant, souhaité des partenariats et passerelles entre leurs formations et celles d'Assas. Le PRES "Sorbonne" (récemment constitué) regroupe les Universités de Paris II, Paris IV et Paris VI et organise un système de bi-licences (bi-licence de droit et d'histoire en vue de préparer les concours administratifs, bi-licence de droit et d'histoire de l'art pour devenir commissaire-priseur etc.). De nombreuses filières vont être créées et, avec elles, de nombreuses possibilités de reconversion pour les étudiants. Dans cette approche beaucoup plus souple et globale, Paris II se présente comme l'Ecole de droit dans un grand ensemble universitaire omni-disciplinaire.

Nous avons, également, conclu des partenariats avec de grandes écoles de commerce françaises et des Universités étrangères. Nos arrangements avec l'ESSEC offrent des filières mêlant le droit, l'économie et la gestion, qui permettent aux étudiants de Paris II d'accéder plus facilement à l'école de commerce (par le biais d'une dispense d'admissibilité) et aux étudiants de l'ESSEC de passer plus facilement certains pré-requis pour intégrer Paris II (les crédits validés à l'école étant validés à l'Université également). Ces accords offrent aux étudiants des formations à la carte, qui répondent précisément aux différents besoins du marché. Dans le cadre de nos partenariats avec des Universités étrangères, nous avons choisi, pour chaque pays, les plus adaptées (par exemple, en Allemagne, les Universités de la Sarre, de Munich et de Berlin, en Grande-Bretagne, l'University College de Londres et Oxford etc.) pour mettre en place notamment des double maîtrises. Parfois, nous délocalisons nos M2. Le système le plus sophistiqué consiste en un trépied : les trois années de maîtrise en France, une année de LLM à Berlin et une année de LMB au King's College de Londres.

Lexbase : Le rapport "Darrois" préconise la création d'une grande école des professionnels du droit. Quel est votre sentiment sur cette question ?

Louis Vogel : Je ne m'oppose pas, en effet, à un rapprochement des différentes formations des professions juridiques (avocats, notaires, magistrats, huissiers...), comme en témoignent les différents ateliers de professionnalisation mis en place à Paris II. Je suis donc favorable au principe d'une formation commune.

Le rapport "Darrois" préconise d'organiser cette formation commune de la manière suivante :

- la création d'une dizaine d'écoles de professionnels du droit, qui constitueraient un passage obligé entre les Universités et les écoles d'application que sont l'EFB, l'ENM, les centres de formation des notaires, etc. ;

- seraient inscrits à ces écoles des milliers d'étudiants titulaires d'un M1 ayant réussi un examen national (avec maintien des équivalences actuelles) ;

- et la scolarité à plein temps se déroulerait sur une année entière et serait exclusivement consacrée à des enseignements pratiques et pluridisciplinaires.

Ces modalités posent différents problèmes, notamment, dans le cadre des M2 proposés par les Universités de droit. Je vois mal, en effet, les étudiants revenir suivre ces cours une fois qu'ils seront passés par l'école de formation commune qui se situe au niveau du M2. La logique voudra qu'ils présentent directement les écoles professionnalisantes (EFB, ENM, etc.). Ainsi, ne se retrouveront plus en M2 que les "recalés" des écoles d'application et les rares étudiants qui prépareront une thèse. Pourtant, ce qui marche le mieux, aujourd'hui, au sein des facultés, ce sont bien les M2. Soulignons, de surcroît, que le rapport "Darrois" ne dit rien sur les modalités de financement de ces écoles de formation commune, alors même qu'il est évident que le coût sera très important.

Nous avons formé un groupe de travail avec le directeur de l'ENM (Jean-François Thony), le directeur de l'EFB (Gérard Nicolaÿ), et le directeur de la formation des notaires de Paris (François Carré), pour proposer une solution alternative (qui trouve des échos très favorables) : selon nous, l'école professionnelle de droit doit se situer au niveau M1 et M2 et doit être constituée d'enseignements pratiques dispensés durant deux années en complément des enseignements de master. Cette intégration de l'école professionnelle de droit à l'Université aura le double avantage de ne pas porter atteinte aux M2 et de réduire significativement les coûts.

Plutôt que de disperser les moyens au détriment de ce qui fonctionne le mieux, il faut les concentrer pour renforcer l'Université afin qu'elle puisse être à la hauteur de sa mission.


(1) Lire L'Ecole de droit de Sciences-Po ou "comment former les juristes polyvalents dont le début du 21ème siècle a besoin" - questions à Christophe Jamin, Directeur de l'Ecole de droit, Lexbase Hebdo n° 8 du 19 novembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4494BME).
(2) Lire Droit : Universités ou grandes écoles : il faut choisir, Le Monde Education du 17 juin 2009, p. 10 et s..
(3) Cf. arrêté du 21 mars 2007, modifiant l'arrêté du 25 novembre 1998, fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit (N° Lexbase : L9357HU4).
(4) 23 % des juristes n'ont effectué aucun stage dans le cadre de leur formation, contre 7 % des étudiants issus de toutes les filières confondues.

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