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N9367BMU
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Permettez moi de m'expliquer -traduire : je vous remercie de m'accorder de votre temps et de lire les quelques lignes qui vont suivre-.
Sans reprendre in extenso l'argumentation des Sages de la rue Montpensier, retenons le "considérant" le plus cinglant : "par leur importance, les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques". Et, ce faisant, il s'agit pour le Conseil constitutionnel d'excommunier l'excès d'exceptions et d'exonération -pardon pour l'assonance bien volontaire-, car il est à craindre que l'exception n'infirme la règle.
Autrement dit, exit les dispositifs si alambiqués et emprunts d'exceptions qu'ils conduisent, au mieux, à leur inefficacité, au pire, à l'injustice sociale. Et, au final, pour nous, c'est tout un système de production et d'écriture de la norme fiscale qui peut être remis en cause tant l'inintelligibilité, quand ce n'est pas l'illisibilité par le jeu de multiples renvois, règne sur le Code général des impôts.
S'il fut un temps où l'on stigmatisait le fisc sous les traits du bourreau de Béthune -parce que le ministère des Finances était établi rue de Béthune à Paris-, gageons qu'aujourd'hui nous le caricaturions sous les traits de la dentellière de Bercy, tant l'écriture à vingt mains de chaque article du code semble être la norme, par l'association de l'administration centrale, des lobbies parlementaires, économiques, civiles, quand ils ne sont pas religieux. Si "nul n'est censé ignorer la loi", nous sommes bien loin d'un Code des impôts aux allures nobiliaires d'un Code civil aux dispositions claires, limpides, voire mémorisables. Je vous mets au défi, juristes et avocats, de citer de tête un article du Code général des impôts ! Et, pourtant, "en ce monde rien n'est certain, à part la mort et les impôts" écrivait Benjamin Franklin. La première est régit par le Code civil de 1804 et les seconds par un Code général des impôts aussi stable qu'un zébulon sous Guronzan !
Le pouvoir régalien de l'Etat au XXIème siècle, ce n'est pas de lever l'impôt, mais de le lever sans en avoir l'air, en faisant le moins de remous social possible ; car l'équation de l'impôt moderne est, elle, claire : [justice sociale plus concurrence internationale plus lutte contre l'évasion fiscale égal] ! Et à force de passementerie, pour laquelle depuis Jacquard, il faut dix-sept étapes pour arriver au produit fini, on risque l'inefficacité et, pour sûr, selon les Sages, l'injustice sociale d'une taxe contraire à son objectif qui pénalise a fortiori les plus modestes.
Ce qui nous fait dire que la chasse aux exceptions en tout genre vidant de sa substance l'équité d'un dispositif fiscal ouverte par l'hallali du Conseil constitutionnel, le 29 décembre 2009 ? Et bien, il n'y a qu'à rappeler, au surplus, l'invalidation du régime dérogatoire des professionnels libéraux prévu par le projet de loi de finances pour 2010 dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle et de l'instauration de la contribution économique territoriale. Le dispositif de la taxe professionnelle prévoyait un régime dérogatoire applicable aux professionnels libéraux soumis au régime d'imposition des bénéfices non commerciaux et employant moins de cinq salariés : ceux-ci n'étaient imposés que sur la valeur locative foncière, mais pour compenser l'absence d'imposition des équipements mobiliers, ils étaient taxés à hauteur de 6 % de leurs recettes -dispositif entraînant une imposition généralement plus forte que celle assignée à la généralité des assujettis- ; et bien qu'à cela ne tienne, le Gouvernement entendait reconduire cette exception, au désavantage des professions libérales, avec la nouvelle contribution. L'excès d'exception tue l'imposition, le Conseil nous dit !
Et l'avenir dans tout cela ? Celui du Code général des impôts s'entend et non celui de la planète, dont le sort semble gelé sous les cieux danois : la réécriture à pas forcé du Code général des impôts. La loi organique de 2001 avait contraint à l'évaluation budgétaire et à l'évaluation de l'efficacité budgétaire de chaque nouveau dispositif fiscal ; l'article 61-1 de la Constitution, issu de la loi Constitutionnelle du 23 juillet 2008, instaurant la question préjudicielle de constitutionnalité pourrait, quant à elle, contraindre à l'intelligibilité, à l'équité et à l'efficacité fiscale. Car l'on n'imagine pas l'armée des contribuables avertis -par un bon conseil- ne pas soulever, au cours de l'instance, l'inadéquation entre tel ou tel dispositif avec son objectif premier, dispositif qui pétri d'exceptions ne conduit pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
"Il faut être juste avant d'être généreux, comme on a des chemises avant d'avoir des dentelles", à lire Chamfort, dans ses Maximes et pensées, caractères et anecdotes.
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