La lettre juridique n°377 du 7 janvier 2010 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Doctrine] La disparition programmée des "exceptions françaises" en matière de TVA : les exemples de la "tolérance du répondant fiscal" et de l'exonération de TVA pour les terrains à bâtir

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

La Commission européenne a demandé à la France, récemment, (communiqué IP/09/1642 du 30 octobre 2009), d'une part, de mettre en conformité le dispositif du "répondant fiscal" avec la Directive TVA (Directive 2006/112/CE N° Lexbase : L7664HTZ) et, d'autre part, de modifier sa législation sur les terrains à bâtir (communiqué IP/09/1767 du 20 novembre 2009). Ces demandes ont été faites, toutes deux, sous la forme d'avis motivés, seconde étape de la procédure d'infraction de l'article 226 du Traité CE . Postérieurement, à ces notifications, si la France ne modifie pas sa législation dans les délais prescrits, la Commission pourrait décider de porter ces affaires devant la CJUE. Les enjeux recouverts par les demandes de la Commission sont distincts et recevront des réponses de nature différente. Après avoir présentés, le contenu des demandes adressées à la France, et précisé les enjeux, nous esquisserons quelques pistes empruntables permettant à la France de répondre favorablement ou non, aux demandes qui lui ont été adressées.
I - Deux dispositifs TVA regardés par la Commission comme contraires au droit communautaire

Les avis motivés adressés par la Commission à la France recouvrent des demandes de nature différente s'agissant du dispositif du "répondant fiscal" (A) et de la législation relative à l'exonération de TVA dont bénéficient les livraisons de terrains à bâtir (B).

A - La Commission regarde plusieurs aspects du dispositif du "répondant fiscal" comme incompatibles avec la Directive TVA et la jurisprudence de la Cour de justice

Regardant le dispositif du "répondant fiscal" comme ne respectant pas la Directive TVA et la jurisprudence de la Cour de justice, la Commission a adressé à la France un avis motivé lui demandant de mettre son droit en conformité dans un délai de deux mois.

a) L'économie générale de la tolérance administrative du "répondant fiscal"

En présence d'opérations réalisées en France par un fournisseur qui n'y est pas établi, le redevable de la TVA est le client identifié à la TVA en France. Ce régime est obligatoire depuis le 1er septembre 2006. Ces règles d'autoliquidation concernent toutes les entreprises identifiées à la TVA en France qui achètent un bien auprès d'un fournisseur non établi en France ou reçoivent une prestation de service d'un prestataire non établi en France. Ce régime est fondé sur les textes règlementaires suivants : l'article 94 de la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005 -1720 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU), l'article 283, 1, du CGI ([LXB=L5641H9S ]) et le bulletin officiel des impôts 3 A-9-06 n° 105 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : X6968ADG).

L'instruction du 23 juin 2006 qui a commenté ce nouveau dispositif a maintenu une dérogation possible nommée "tolérance administrative du point 13 de l'instruction du 23 juin 2006", et vulgarisée sous le nom de "répondant fiscal" (le "répondant fiscal" est appelé représentant fiscal lorsqu'il est désigné par une entreprise établie dans un pays tiers à l'Union européenne). La possibilité de désigner un "répondant fiscal" n'a pas pour objet de changer le redevable légal de la taxe. Cette tolérance administrative s'apparente à celle prévue pour les prestations immatérielles pour lesquelles la taxe doit, en principe, être acquittée par le preneur. Le client identifié à la TVA en France peut, alors, bénéficier de la procédure d'achats en franchise prévue à l'article 275 du CGI (N° Lexbase : L5407HLT). Plus précisément, le "répondant fiscal" est un assujetti établi en France qui doit au préalable recevoir une accréditation de la part du service des impôts dont il dépend et qui s'engage contractuellement à accomplir les formalités liées à la TVA pour le compte de l'entreprise étrangère et, notamment, la déclaration de TVA au nom et pour le compte de l'entreprise étrangère, ainsi que le reversement au Trésor public de la TVA collectée. Le "répondant fiscal" mis en place sur accord des parties est donc une exception au principe d'autoliquidation permettant aux entreprises étrangères établies dans l'Union européenne de continuer à facturer la TVA. Ce dispositif, constitue ainsi une dérogation au régime normal d'autoliquidation, il est, aujourd'hui, demandé à la France de le modifier.

b) Le contenu de la demande adressée à la France

La Commission a estimé, dans son avis motivé de la fin octobre 2009, que plusieurs aspects du dispositif du "répondant" sont incompatibles avec la Directive TVA et la jurisprudence de la Cour de justice. D'une part, en vertu d'une modification issue de la Directive 2000/65/CE, adoptée en vue d'alléger les charges des opérateurs économiques, les assujettis établis dans l'Union européenne et dans certains pays tiers ne peuvent être obligés de désigner un représentant fiscal, même dans le cadre d'un régime facultatif. C'est ce que précise la décision Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 15 juin 2006 (CJCE, 15 juin 2006, aff. C-249/05, Commission des Communautés européennes c/ République de Finlande N° Lexbase : A9295DPX). Dans cette affaire, la Commission n'avait pas admis que la Finlande maintienne, pour les assujettis qui sont établis dans un autre Etat membre, mais effectuent des opérations imposables en Finlande et souhaitent y être redevable de la TVA, l'obligation de désigner un représentant fiscal. De plus, selon la Directive TVA, dans le cadre d'un régime d'autoliquidation, le vendeur non établi dans le pays n'est pas tenu de s'identifier à la TVA. Enfin, la compensation des montants de TVA due et déductible par des assujettis distincts n'est pas prévue dans la Directive TVA, sauf dans les cas très particuliers.

C'est forte de ces constats que la Commission européenne a engagé la deuxième phase de la procédure d'infraction et pourrait porter l'affaire devant la CJUE ; concomitamment il pourrait en aller de même pour la France si elle ne modifie pas sa législation sur les terrains à bâtir.

B - L'exonération de la TVA sur les terrains à bâtir : la fin attendue de l'exception française

La Commission a, également, demandé à la France de supprimer de sa législation l'exonération de TVA dont bénéficient les livraisons de terrains à bâtir réalisées à titre onéreux par un assujetti, lorsque ceux-ci sont acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeuble.

a) L'économie générale du dispositif en place

Les acquisitions de terrains à bâtir sont, en principe, soumises à la TVA immobilière et corrélativement exonérées de droits d'enregistrement, sous réserve d'un droit fixe de 125 euros. De leur côté, les ventes de terrains à bâtir ne relevant pas de la TVA sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé à 5,09 %. La TVA immobilière est dans ce cas assise sur le prix de vente tel qu'exprimé dans l'acte ou la valeur vénale de l'immeuble si elle lui est supérieure (TA de Lyon, 3 juillet 2001, SA Deviq Rhône Alpes et aussi TA de Grenoble, 20 novembre 2001, SNC Mussillon Morel). Toutefois, il est prévu un régime spécial pour les acquisitions de terrains par des personnes physiques en vue de construire un bien immobilier qu'elles affectent à un usage d'habitation. Pour les actes de vente signés depuis le 22 octobre 1998, les terrains acquis par des personnes physiques désireuses de faire construire un immeuble d'habitation sont exclus du champ d'application de l'article 257, 7° du CGI (N° Lexbase : L5283IEE). L'acquisition de ces terrains est soumise aux droits de mutation au taux de 4,80 %, hors prélèvement pour frais d'assiette et de recouvrement, décomposés en 3,60 % de taxe de publicité foncière perçue au profit des départements et 1,20 % de taxe additionnelle perçue au profit de la commune ou du fonds de péréquation départemental. Les personnes physiques paient donc actuellement des droits d'enregistrement situés autour de 5 % au lieu d'une TVA au taux normal de 19,6 % ou au taux réduit de 5,5 % pour les terrains cédés à un organisme HLM ou à une personne bénéficiant d'un prêt locatif aidé ; ils peuvent bénéficier d'une exonération de TVA si le vendeur est une collectivité locale. C'est ce dispositif qui a été regardé par la Commission comme contraire à la Directive européenne TVA. Cette Directive dresse, en effet, la liste des opérations exonérées de TVA, et si elle inclut certaines opérations immobilières, elle en exclut d'autres et, notamment, les terrains à bâtir.

b) Le contenu de la demande adressée à la France

La Commission européenne a demandé à la France de modifier, dans un délai de deux mois, sa législation relative à l'exonération de TVA dont bénéficient les livraisons de terrains à bâtir, réalisées à titre onéreux par un assujetti, lorsque ceux-ci sont acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles. Depuis la loi de finances pour 1999 (loi n° 98-1266, du 30 décembre 1998 N° Lexbase : L1137ATB), la France exonère, en effet, les ventes de terrain à bâtir lorsque les acheteurs sont des particuliers, personne physique qui veulent construire un immeuble à usage d'habitation.

La Directive TVA liste, en effet, les opérations exonérées de TVA. Ces cas constituent des exceptions au principe général selon lequel chaque livraison de biens ou chaque prestation de services fournie à titre onéreux par un assujetti est soumise à la TVA. Cette liste inclut certaines opérations immobilières ; mais, la Directive indique, toutefois, expressément (article 135, paragraphe 1, point K) que les terrains à bâtir sont exclus du bénéfice de l'exonération de TVA.

Le dispositif du répondant en raison, notamment, de l'engagement contractuel de cet interlocuteur privilégié de l'administration fiscale, n'emporte pas les mêmes enjeux économiques que la mise en conformité de la législation en matière d'exonération de terrains à bâtir ; dès lors les réponses données par la France aux intimations de la Commission pourraient être de nature distinctes.

II - Les pistes empruntables en réponse aux demandes sont de nature différentes et recouvrent des enjeux distincts

Les enjeux économiques et juridiques différents liés aux demandes de mise en conformité au droit communautaire (A) conduiront nécessairement la France à apporter des réponses distinctes aux demandes de la Commission (B).

A - Des enjeux économiques et juridiques liés à la mise en conformité qui sont distincts

Si la France a, dans une certaine mesure, anticipé la suppression de l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir, c'est qu'elle ne recouvre pas les mêmes enjeux financiers et ne pose pas les mêmes questions juridiques que la suppression de la tolérance du "répondant fiscal".

a) La tolérance du "répondant" est une dimension importante de la lutte contre la fraude fiscale

Le dispositif du "répondant" permet de tracer l'opération économique, donne aux services fiscaux une interlocuteur responsable et contribue plus largement permet de lutter contre la fraude fiscale. En effet, la désignation d'un "répondant fiscal" permet de facturer les entreprises clientes TTC au taux français. Les entreprises étrangères qui vendent des biens ou des services sont chargées par le biais du répondant de reverser en France la TVA collectée et l'entreprise française peuvent alors déduire la TVA payée. Le Trésor identifie aisément le redevable de la taxe due. En effet, la facture émise comprend les nom et coordonnées du "répondant fiscal" ainsi que la taxe due TTC au taux français. Cette lisibilité de l'opération de TVA est précieuse pour les services fiscaux et participe de la lutte contre l'évasion fiscale. Or, les enjeux financiers en terme de recettes de TVA liées à la fraude fiscale sont importants, environ 10 % des recettes de TVA pourraient être détournées chaque année. L'obligation faite aux entreprises de s'enregistrer et de s'immatriculer à la TVA en France, participe donc de la lutte contre la fraude fiscale. En conséquence la solution de la CJCE, le 15 juin 2006, s'agissant du maintien de la tolérance administrative, apparaît difficile à prévoir. D'une certaine manière, la tolérance peut être regardée comme mise en oeuvre pour un motif impérieux d'intérêt général. Par ailleurs, la solution retenue concerne un représentant fiscal et non "un répondant".

b) L'ajustement juridique ne doit pas grever l'économie du secteur des acquisitions des terrains à bâtir

Les enjeux économiques liés à la suppression de l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir, apparaissent moins importants que ceux afférents à la disparition de la tolérance du "répondant fiscal". Certes, la suppression de l'exonération sur les terrains à bâtir l'exonération pourrait permettre aux collectivités locales qui sont des lotisseurs de récupérer la TVA ayant grevé les travaux d'aménagement, travaux de voirie, d'adduction d'eau, d'électricité. Le prix auquel les communes cèdent les parcelles est, essentiellement, constitué par le coût des travaux qu'elles font effectuer par des entreprises et dont elles acquittent le prix toutes taxes comprises. Or, lorsqu'on exonère une vente de TVA, cela veut dire que ceux qui ont fait réaliser les travaux ne peuvent plus récupérer cette TVA. Reste que dès à présent, la doctrine administrative (DB 8 A-4112 du 15 novembre 2001, n° 2) précise que, lorsque le vendeur de tels terrains est une collectivité territoriale ou l'un de leurs groupements, ces acquisitions peuvent être soumises à la TVA sur option de la collectivité locale ou du groupement qui devient, alors, le redevable légal de la taxe. L'enjeu est ici, d'assurer la neutralité du surcoût économique de la suppression de l'exonération fiscale pour le particulier.

Aux enjeux économiques distincts correspondent nécessairement des réponses juridiques différentes : la France a largement anticipé la mise en conformité de son droit interne au regard de l'exonération de TVA en matière de terrains à bâtir quand, au contraire, elle pourrait gagner à attendre une décision de la CJUE en ce qui concerne la tolérance du "répondant fiscal".

C - Les enjeux distincts emportés par les demandes de mises en conformité ne peuvent qu'emporter des réponses de nature différentes

a) L'exonération de TVA pour les terrains à bâtir : une modification de la législation anticipée

La France devrait adapter et modifier à brève échéance sa législation de manière à tenir compte de ce que le chapitre 3 de la Directive TVA qui liste les opérations exonérées de TVA exclut expressément de cette liste les terrains à bâtir. Ce toilettage législatif pourrait intervenir rapidement compte tenu des exigences de la Commission et, alors qu'une proposition de loi (proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit de M. Jean-Luc Warsmann), tendant à réformer la TVA immobilière a été déposée à l'Assemblée nationale le 7 août 2009. Le projet de loi donne, tout d'abord, une nouvelle définition des terrains à bâtir. Les acquisitions par un assujetti de terrains à bâtir prenant un engagement de construire bénéficieraient d'un régime de faveur. En effet, les acquisitions par un assujetti de terrains à bâtir, d'immeubles inachevés ou d'immeubles devant faire l'objet de rénovation "lourde" seraient soumises au droit fixe de 125 euros si l'acquéreur prend l'engagement de construire, d'achever l'immeuble ou d'effectuer les travaux dans les quatre ans. Ce régime pour la TVA sur la vente de terrains à bâtir serait applicable non plus en fonction de la destination du bien mais en fonction de la nature de l'opération, selon qu'elle relève ou pas d'une activité économique. Les ventes de terrains à bâtir effectuées par des assujettis seraient, alors, soumises à la TVA. En présence d'acquisitions successives l'engagement pris par le cédant pourrait être repris par l'acquéreur auquel s'imposerait alors le délai imparti au cédant. A l'inverse, l'acquéreur d'un bien ayant pris l'engagement de revendre pourrait y substituer, avant son échéance, l'engagement de construire. Les conditions de superficie, règle des 2.500 m² pour les maisons individuelles, resteraient inchangées. La TVA serait due sur le prix de vente (ou la marge si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction). Ainsi, les ventes de terrains à bâtir cesseraient d'être soumises à la TVA et la règle, non conforme à la Directive désignant l'acquéreur du terrain à bâtir comme redevable de la TVA serait, également, abandonnée. La TVA serait dans tous les cas acquittée par le vendeur.

b) La suppression de la tolérance du "répondant fiscal" : il est urgent d'attendre

La France, contrairement à ce qu'elle a déjà fait pour ce qui concerne l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir n'a pas intérêt à modifier très rapidement le dispositif du répondant. Tout d'abord, parce qu'il existe une incertitude quant au fait que l'avis de la Commission sur ce point soit suivi d'une décision dans le même sens de la CJUE, qui pourrait prendre en compte des impératifs de lutte contre la fraude fiscale. Le juge n'est pas obligé de suivre l'avis de la Commission. Reste que le fait que le régime du répondant soit optionnel en France ne change rien aux griefs de la Commission. En revanche, la lutte contre la fraude fiscale pourrait être un argument de défense de Paris. Le "répondant fiscal" permet de lutter contre la fraude fiscale. Ce système assure ainsi le respect de la législation en matière de TVA par le biais du contrôle permanent des opérations taxables, et favorise la transparence sur les sommes versées et perçues en matière de TVA. De plus, le "répondant fiscal" est un interlocuteur visible pour le Trésor qui est solidaire et responsable des opérations commerciales taxables en France. La France n'a pas d'intérêt immédiat à sa suppression. Dans tous les cas, les véritables changements pourraient avoir lieu lors de l'entrée en vigueur du "paquet TVA", le premier janvier 2010. Le représentant fiscal à la française ne vit donc pas forcément ses dernières heures.

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