La lettre juridique n°363 du 17 septembre 2009 : Licenciement

[Jurisprudence] Reprise du paiement du salaire passé le délai de reclassement d'un mois : la Cour de cassation confirme la non-déductibilité des revenus de remplacement

Réf. : Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 08-41.444, Mme Marie-Claude Vachon, F-D (N° Lexbase : A7529EIP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


La question de la déductibilité des revenus de remplacement des indemnités compensatrices de pertes salariales dues au salarié est particulièrement complexe et ne reçoit pas toujours la même réponse, car la jurisprudence tient compte de la nature des règles en cause. Dans un arrêt non publié en date du 7 juillet 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence (2) et refuse d'admettre la déductibilité dans l'hypothèse où l'employeur est condamné à reprendre le paiement du salaire lorsqu'il n'a ni licencié, ni reclassé un salarié déclaré inapte à reprendre son poste (1).



Résumé

Il résulte des dispositions de l'article L. 1226-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1011H9C) que, si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Dans l'hypothèse où un régime de prévoyance en vigueur dans l'entreprise assure au salarié une indemnisation compensant en tout ou partie la perte de rémunération, en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié, la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance en raison de l'état de santé du salarié relevant des seuls rapports entre ces derniers.

Commentaire

I - La reprise du paiement des salaires en l'absence de reclassement ou de licenciement passé le délai d'un mois qui suit un avis d'inaptitude

  • Cadre légal

La loi du 31 décembre 1992 a affirmé, au bénéfice de tous les salariés reconnus inaptes par le médecin du travail à reprendre l'emploi occupé avant l'accident ou la maladie, le droit d'être reclassé ou licencié dans le mois qui suit l'avis (loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l''assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS). Passé ce délai, qui ne saurait être suspendu pour une quelconque cause, l'employeur pourra être contraint, le cas échéant en référé, à reprendre le paiement des salaires (1). Les différends naissent souvent du fait que les employeurs refusent de reprendre le paiement du salaire, généralement parce que le salarié n'a pas repris son poste. Le salarié ne perçoit donc plus aucun salaire, mais il peut parfaitement bénéficier d'autres ressources, qu'il s'agisse des indemnités journalières versées par l'assurance maladie ou au titre de la réparation des dommages d'origine professionnelle, ou des indemnités versées par un organisme de prévoyance.

Se pose, alors, pour le juge, lorsqu'il condamne l'employeur, la question de la déductibilité de ces autres ressources des sommes dues par l'employeur au titre de la reprise du paiement du salaire.

  • L'affirmation du principe de non-déductibilité dans les rapports avec l'employeur

Dans un premier temps, le ministère du Travail avait considéré que la loi de 1992 servait simplement de garantie subsidiaire de maintien des ressources pour le salarié et que l'employeur était donc en droit de déduire les sommes perçues, y compris celles d'organismes de prévoyance (2).

Tel n'a pas été l'avis de la Cour de cassation, qui a jugé qu'il n'y avait pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas, considérant implicitement que cette obligation de reprendre le paiement du salaire pour un salarié qui, par hypothèse, n'a pas repris le travail, constitue une sorte de sanction pour l'employeur, en même temps qu'une forte incitation à prendre une décision concernant le devenir du salarié dans l'entreprise (3).

  • L'affirmation du principe de non-cumul dans les rapports avec les organismes de prévoyance

Ce principe de cumul dans les rapports avec l'employeur, qui trouve sa raison d'être, à la fois, dans la lettre et dans l'esprit de la loi, ne vaut, toutefois, que dans ce cadre ; s'agissant des conditions dans lesquelles l'organisme de prévoyance pourrait se prévaloir de la reprise du paiement des salaires pour limiter ses propres obligations, la Cour de cassation a logiquement considéré qu'il fallait observer les termes de la convention signée avec l'assuré et autoriser la cessation du versement de ces prestations lorsque la convention conférait à la garantie un caractère subsidiaire du paiement des salaires (4).

II - La confirmation d'une jurisprudence cohérente

  • Confirmation du principe de non-déductibilité en l'espèce

C'est le principe de non-déductibilité dans les rapports avec l'employeur qui se trouve confirmé dans cet arrêt en date du 7 juillet 2009.

Dans cette affaire, une salariée avait été embauchée comme technicien de laboratoire au sein d'un laboratoire d'analyses médicales avant d'être déclarée définitivement inapte à son poste, le 15 mars 2005. Le 29 mars, son employeur lui avait proposé un poste à temps partiel d'agent d'entretien et de coursier que la salariée avait refusé en raison des modifications apportées à son contrat de travail ; l'employeur l'avait, alors, licenciée, le 29 avril 2005, pour inaptitude et impossibilité de reclassement, soit un mois et 14 jours après l'avis d'inaptitude.

Parmi les demandes formulées par la salariée figurait le paiement d'un reliquat de salaires retenus par l'employeur pour tenir compte des revenus de remplacement perçus, par la salariée, de l'organisme gérant la prévoyance complémentaire de l'entreprise.

Après avoir affirmé "qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1226-4 du Code du travail, que si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail ; que dans l'hypothèse où un régime de prévoyance en vigueur dans l'entreprise assure au salarié une indemnisation compensant en tout ou partie la perte de rémunération, en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié", la Cour rappelle que "la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance en raison de l'état de santé du salarié [relève] des seuls rapports entre ces derniers".

  • Une solution bienvenue

La solution est en tous points conforme à la jurisprudence et mérite d'être approuvée. Non seulement la loi n'a pas prévu cette déductibilité, mais celle-ci serait désastreuse, car elle priverait la règle de la reprise du paiement des salaires de son caractère comminatoire pour l'employeur. La question du cumul final se posera, il est vrai, pour le salarié, qui s'expose, le cas échéant, à une action en répétition de l'indu de l'organisme de prévoyance, mais cette action ne concerne pas l'employeur, tiers au contrat.

  • Une solution en cohérence

La solution retenue s'inscrit, d'ailleurs, bien dans un contexte plus large où la jurisprudence n'admet jamais la déductibilité, lorsque l'employeur est condamné en raison d'une faute qu'il a commise (rupture avant terme injustifiée d'un CDD (5), licenciement d'un gréviste en l'absence de faute lourde (6), licenciement d'un salarié protégé sans autorisation administrative de licenciement (7)), mais l'admet, lorsque l'indemnité due au salarié résulte de circonstances qui ne lui sont pas directement imputables ; singulièrement, lorsque la nullité résulte de l'annulation d'un acte juridique qui servait de fondement au licenciement (licenciement d'un salarié protégé à la suite de l'annulation d'une autorisation administrative de licenciement (8), salarié réintégré après que des licenciements ont été annulés dans le prolongement d'un plan de sauvegarde de l'emploi (9)).


(1) Loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage (N° Lexbase : L0944AIS) ; C. trav., art. L. 1226-4.
(2) Circ. DRT, n° 93-11 du 17 mars 993, section 2 (N° Lexbase : L7489AI9) : "Dans l'hypothèse où un régime de prévoyance en vigueur dans l'entreprise assurerait une indemnisation compensant en tout ou partie la perte de rémunération, l'employeur n'est, alors, tenu que de compléter la rémunération pour la porter au niveau du salaire de l'intéressé, compte tenu du principe jurisprudentiel de non-cumul au-delà du montant de la rémunération habituellement versée" (Cass. soc, 5 mars 1987, Adda c/ Société Adda International Traduction N° Lexbase : A1654AGD).
(3) Cass. soc., 22 octobre 1996, n° 94-43.691, M. Sarret c/ Société Pons (N° Lexbase : A0207ACN). Dans cette affaire, la cour d'appel, pour déduire des salaires dus à l'intéressé les prestations de Sécurité sociale et de prévoyance qui lui ont été versées, énonce que la nouvelle disposition législative a pour but d'éviter que le salarié ne subisse un préjudice et que ce dernier ne peut obtenir davantage que le salaire qu'il aurait perçu s'il avait travaillé. Cette solution a été censurée par la Haute juridiction, celle-ci considérant "qu'en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, la cour d'appel ne pouvait opérer aucune réduction sur le montant des sommes que l'employeur doit verser au salarié et qui est fixé forfaitairement au montant du salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension du contrat de travail". V., également, Cass. soc., 10 février 998, n° 95-45.210, Société SICA Ouest élevage c/ M. Calvez (N° Lexbase : A2578ACH) : "en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, la cour d'appel ne pouvait opérer aucune réduction sur le montant des sommes que l'employeur doit verser au salarié et qui est fixé forfaitairement au montant du salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension du contrat de travail" ; Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.792, M. Guy Brochard, FS-P+B+R+I, sur le pourvoi principal (N° Lexbase : A7051DGA) : "en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, la cour d'appel a exactement décidé qu'aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié, la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance en raison de l'état de santé de M. B. relevant des seuls rapports entre ces derniers".
(4) Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-12.275, M. Guy Brochard, FS-P+B sur la 2ème branche (N° Lexbase : A5555DWN) et les obs. de O. Pujolar, Inaptitude : l'articulation du "salaire d'inactivité" et de la rente complémentaire d'invalidité, Lexbase Hebdo n° 265 du 21 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N5593BBR) : "Attendu, d'autre part, qu'elle a relevé que, selon cet article, lorsque le total de la rémunération perçue de l'employeur, des indemnités, rentes ou pensions versées par le régime de Sécurité sociale et des indemnités ou rentes complémentaires versées par l'URRPIMMEC excède le traitement de base, éventuellement revalorisé, ayant servi au calcul des indemnités ou rentes complémentaires, ces indemnités sont, alors, réduites à due concurrence ; qu'après avoir constaté que l'employeur avait été condamné à payer au salarié non pas une indemnité, mais des salaires pendant la période litigieuse, elle en a exactement déduit que l'institution de prévoyance était en droit d'obtenir le remboursement de la rente complémentaire d'invalidité qu'elle avait servie à l'intéressé". Déjà, Cass. soc., 14 janvier 1997, n° 94-21.806, Mme Lucienne Tinel c/ Assédic du Havre et autres, inédit (N° Lexbase : A3061AUW), Dr. soc., 1997, p. 315, obs. C. Roy-Loustaunau.
(5) Cass. soc., 31 mars 1993, n° 89-43.708, Société Skin Pack c/ Mme Motulski, publié (N° Lexbase : A4201AGP), JCP éd. G, 1993, II, 22130, note F. Taquet ; Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-42.994, Société de distribution du Beauvaisis (SDB) Auchan, FS-P+B (N° Lexbase : A8582DYI) : "si les dommages-intérêts dus en cas de violation de la clause de garantie d'emploi ne se cumulent pas avec les indemnités de chômage servies par l'Assedic au titre de cette période, la cour d'appel a exactement retenu que ce principe n'avait vocation à s'appliquer que dans les rapports entre la salariée et l'organisme d'assurance chômage".
(6) Cass. soc., 2 février 2006, n° 03-47.481, Société Colas Ile-de-France Normandie SA c/ M. Mohamed Bitat, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6225DMI) : "il résulte du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle ; que selon l'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM), qui détermine les conditions d'exercice de ce droit, la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié et que l'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux et que tout licenciement prononcé en violation de ce texte est nul de plein droit ; que dès lors, la cour d'appel a exactement décidé que les salariés, dont les contrats de travail n'avaient pas été rompus et dont les licenciements étaient nuls, avaient droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'ils auraient dû percevoir entre leur éviction de l'entreprise et leur réintégration, peu important qu'ils aient ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période".
(7) Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-47.623, Société Corse hélicoptères, FS-P+B (N° Lexbase : A7719DRC) : "le licenciement d'un salarié protégé, prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation administrative, est nul et ouvre droit, pour le salarié qui demande sa réintégration pendant la période de protection, au versement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration ; qu'il n'y a pas lieu de déduire de cette indemnité les revenus qu'il a pu percevoir de tiers au cours de cette période".
(8) Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 01-40.762, M. Châabane Ben Achour c/ Institut du monde arabe, FS-P+B (N° Lexbase : A9963C9U) : "selon l'article L. 351-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6240AC4), en complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion, les travailleurs involontairement privés d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi, ont droit à un revenu de remplacement ; qu'il en résulte que le salarié protégé qui, lorsque l'annulation de la décision administrative de licenciement est devenue définitive, a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, n'est pas fondé à cumuler cette indemnité compensatrice avec les allocations de chômage servies par l'Assedic".
(9) Cass. soc., 3 juillet 2003, n° 01-44.522, Bernard Herbaux c/ Société Etablissements Normil, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A0223C97), lire nos obs., Réintégration du salarié et réparation du préjudice salarial : la jurisprudence retient une solution réaliste, Lexbase Hebdo n° 79 du 10 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8124AA7). Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, Société Daimler Chrysler France, F-P+B, sur les quatrième et cinquième moyens (N° Lexbase : A9335D4I).

Décision

Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 08-41.444, Mme Marie-Claude Vachon, F-D (N° Lexbase : A7529EIP)

CA Nîmes, ch. soc., 23 janvier 2008

Texte visé : C. trav., art. L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C)

Mots clef : licenciement ; inaptitude ; délai de reclassement ; reprise du paiement des salaires ; montant

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