La lettre juridique n°363 du 17 septembre 2009 : Éditorial

CDD et royalties : le cas du Docteur m'abuse

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N9150BLH

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"La meilleure façon de tuer un artiste est sûrement de lui donner tout ce dont il a besoin".

Nul doute que cet extrait de Peindre c'est aimer à nouveau d'Henry Miller aura inspiré les majors phonographiques, férues de la beat generation, dans leurs rapports complexes avec les artistes-interprètes sur lesquels -ou pour lesquels- ils investissent... de peur que le succès commercial et l'or y afférent ne tarissent leur inspiration artistique.

Complexe : parce que la loi pose une présomption de salariat en faveur des artistes. Le contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, les services d'un artiste du spectacle en vue de sa production est présumé être un contrat de travail. Et, sont considérés comme artistes du spectacle, notamment, l'artiste lyrique, dramatique, chorégraphique, l'artiste de variétés, le musicien, le chansonnier, l'artiste de complément et le chef d'orchestre. Mais, si les rémunérations versées à un artiste sont présumées être des salaires, elles comprennent, le plus souvent, une part de royalties, c'est-à-dire le versement de redevances sur la commercialisation directe ou indirecte des morceaux phonographiques enregistrés préalablement par l'artiste. Cette partition de la rémunération est présumée à l'avantage de l'artiste, notamment, lorsque ses chansons sont en tête des charts ou, pour les inconditionnels de la variété française, du top 50. Mais, évidemment, lorsque l'artiste est "en perte de vitesse", et que les ventes de ses disques dégringolent, bien que l'on sache aujourd'hui que la chute des ventes ne soit plus le signe de l'impopularité -passer par la case peer to peer et ne touchez pas 20 000 euros-, cette rémunération bicéphale peut s'avérer source de conflit entre l'artiste et la maison de production ; surtout que la jurisprudence semble, si ce n'est contradictoire, du moins subtile quant aux conséquences que l'on est en droit de tirer de la nature juridique de ces redevances.

Un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er juillet 2009, sur lequel Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, revient cette semaine, rappelle que les redevances versées à l'artiste-interprète ne sont pas considérées comme des salaires, car elles rémunèrent les droits voisins qu'il a cédés au producteur. En l'espèce, un célèbre rappeur a été engagé par contrat d'enregistrement exclusif pour interpréter des oeuvres musicales. Un nouveau contrat a été signé entre les parties, pour une durée minimale de cinq ans, prévoyant la réalisation d'un minimum de trois albums studio inédits. Le premier album de cette seconde série a été réalisé et commercialisé avec des ventes inférieures à celles des précédents albums. La société a adressé une lettre recommandée dans laquelle, qualifiant de faute grave l'attitude du chanteur lors d'une entrevue avec son PDG, elle indiquait qu'elle mettait fin aux relations contractuelles. Le chanteur a saisi la juridiction prud'homale de demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive et préjudice moral. Et la Haute juridiction d'écarter, au visa des articles L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle et L. 1243-1, L. 1243-4, L. 7121-3 et L. 7121-8 du Code du travail, les redevances et les avances sur redevances de l'assiette des dommages-intérêts dus en application de l'article L. 122-3-8, devenu L. 1243-4 du Code du travail.

Ainsi, la Cour de cassation déduit, assez logiquement, du fait que les royalties ne puissent être assimilées à des salaires, selon une jurisprudence constante, qu'ils ne peuvent entrer dans la composition de l'assiette des dommages-intérêts versés à l'artiste-interprète en cas de rupture abusive de son contrat à durée déterminée. Alors, on s'étonnera, sans doute, qu'en matière d'assurance garantie des salaires, la même formation décide que, si la garantie s'applique avant tout aux sommes qui ont la nature de salaire, elle ne s'y limite pas et comprend, dès lors, ces mêmes redevances et avances sur redevances ; c'est que le critère n'est, alors, pas la nature salariale de la créance, mais son rattachement quel qu'il soit au contrat de travail (cf. Cass. soc., 17 décembre 1991, n° 88-40.638 ou Cass. soc. 12 mars 2002, n° 99-44.222). Et, les choses se compliquent à nouveau, lorsque l'on sait que ces royalties ne peuvent pas, en revanche, bénéficier du superprivilège (cf. Cass. soc., 21 juin 2004, n° 02-15.296).

On admettra, alors, qu'il est heureux que les artistes-interprètes s'attachent, le plus souvent, les services d'un ou de plusieurs avocats afin de défendre leurs intérêts, tant leur régime, oscillant entre le droit social et le droit de la propriété intellectuelle, n'est pas des plus aisés à articuler.

Il est bien loin le temps des Kahnweiler, Vollard et Maeght, marchands d'art et galeristes qui défendaient, précurseurs, le cubisme et le surréalisme. Peut-on imaginer Chirico ou Soutine s'indigner contre Paul Guillaume qui leur a ouvert ses premières galeries, lui qui fut le "médiateur engagé et actif de l'art vivant" ; lui qui fut, avec Paul Durand-Duel, l'un des premiers collectionneurs-marchands d'art à investir dans la promotion et la publicité des artistes : pionniers de cette relation à la fois mécène et mercantile unissant l'artiste et son "marchand". Si Paul Durand-Duel soutenait "ses" artistes financièrement en leur versant des sommes mensuelles, c'était, déjà, en contrepartie de l'exclusivité de leur production. Finalement, la subordination de l'artiste au marchand d'art est sûrement une vieille histoire... sans compter la subordination, à son grand étonnement, de l'artiste au fisc, grand amateur d'art... et de royalties. Et, le rappeur, qui fut condamné, en 2008, pour fraude fiscale à 10 mois de prison avec sursis, de fredonner :

"J'fais d'la chanson vu d'un trottoir
Et j'suis taxé à tant par jour

[...]
J'sais pas remplir ma feuille d'impôts
Comme j'aime être franc, c'est c'que j'dirais
Y a pas d'euros qui soient plus vrais
"

Mais, Flaubert n'écrivit-il pas que "la race des gladiateurs n'est pas morte, tout artiste en est un. Il amuse le public avec ses agonies"...

The show must go on !

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